22.12.01

EVENING ECHO ET LES BARBES NOIRES

A propos d’EVENING ECHO (Hamblen 77), Ben Hager a écrit : « Hybrideurs et amateurs d’iris sont également fascinés par la couleur des barbes…. Le choix dont nous bénéficions aujourd’hui n’est que le fruit du désir qu’éprouve l’homme de rechercher, dès que cela lui est possible, ce qui est nouveau et différent. Peut-être le coloris spectaculaire de la barbe représentée ici nous permettra-t-il de comprendre le pourquoi de cette irrésistible quête. » (in « L’Iris » du photographe Josh Westrich).

Fascinés, nous le sommes par ces barbes violettes, pointées de brun, qui paraissent vraiment noires dans cette fleur indigo très pâle. Mais d’où viennent-elles ? EVENING ECHO est le descendant de trois variétés très différentes, dont AZURE ACCENT (Durrance 67), un gris-bleu à barbes sombres qui lui viennent d’un parent aril, ARABI PASHA. Le côté blanc provient de SWAN BALLET, une variété de T. Muhlestein qui a obtenu la médaille de Dykes en 1959.

Ces barbes noires ont été exploitées par plusieurs obtenteurs : Melba Hamblen, bien sûr, avec FONTAINE (89), Sterling Innerst avec le fameux CODICIL (85), bleu vif à barbes très foncées, et, surtout, Barry Blyth, en Australie, avec INCA QUEEN (83) et tous ces descendants.

Un autre voie vers les barbes sombres a été parcourue par Walt Luihn, lequel a obtenu SONG OF NORWAY, blanc bleuté à barbes bleu marine, issu de NOBLE MAN et BLUE LUSTER. Ce vainqueur de la médaille de Dykes en 86 a eu une nombreuse descendance, dont un bon nombre d’iris à barbes sombres, comme l’anglais WARLEGGAN (Nichol 90), l’américain CAPE HORN (Byers 91), ou le français BARBOUZE (Ransom 2001). Luihn lui-même a marié son SONG OF NORWAY avec EVENING ECHO et obtenu un très beau blanc à barbes très sombres, AUTOGRAPH (83).

De son côté Joë Ghio s’est essayé aux barbes sombres. Il a obtenu un iris très original, INTUITION (77), qui présente une corolle bleue et des barbes brunes. Ces barbes là ont été transmises à certains de ses descendants comme AL FRESCO ( Ghio 81), blanc nettement imprégné de chlorophylle, ou WITCHE’S SABBATH (Maryott 86), pourpre noir à barbes bronze.

Par ailleurs Melba Hamblen elle-même a essayé un autre chemin pour obtenir des barbes foncées : elle a eu recours à la variété blanche à cœur bleu NANCY GLAZIER (Hamblen 85) issue d’un brun HENNA ACCENT. Elle a obtenu des iris intéressants comme WHISPERING ( 90), JOYCE MEEK (91) et PRIVATE STOCK (91), toutes dans les tons de rose, avec des barbes violet très sombre.

Cependant c’est l’Australien Barry Blyth qui s’est le plus passionné pour les iris à barbes noires, et EVENING ECHO a été pour lui le début d’une entreprise très importante. Au premier degré on trouve, comme je l’ai dit, INCA QUEEN, un bleu ciel à barbes marine, et TOUCH OF BRONZE (83), un autre bleu, plus foncé, à barbes bronze. Le premier est issu de croisement TRANQUIL STAR X EVENING ECHO, le second de MUSIQUE X EVENING ECHO. TOUCH OF BRONZE est à l’origine de quelques iris originaux, comme BEAU ZAM (Blyth 87), CHINESE EMPRESS (Blyth 88), HELLO HOBO (Blyth 88) et CHOCOLATE VANILLA (Blyth 92), tous avec des barbes très sombres, et PRETTY WOMAN (Maryott 92), bleu lavande à barbes pourpres.

INCA QUEEN a donné naissance à WITCHING (Blyth 93) et surtout ELECTRIQUE (Blyth 93), un bicolore bleu glacier aux pétales et vieux rose aux sépales, avec barbes bronze foncé, dont la propre descendance est absolument surprenante. Citons entre autres et par ordre d’enregistrement, VOODOO SPELL (Blyth 95), DREAMING LILAC (Blyth 95), CAFE RISQUE (Blyth 96), lui-même richement pourvu en descendants de qualité comme ARC OF COLOURS (Blyth 98), ACE ROYALE (Blyth 97) dont est issu PAINT THE SCENE (Blyth 98). Tous ces iris sont bicolores et portent la marque d’EVENING ECHO sur leurs barbes. Ailleurs qu’en Australie, INCA QUEEN a également été utilisé avec succès, surtout par Sterling Innerst. CEE CEE (96), CONTINUITY (94) et HELEN K. ARMSTRONG (94) sont des enfants d’INCA QUEEN.

En Europe, il y peu d’hybrideurs qui se soient intéressés aux barbes noires. En dehors de Lawrence Ransom, déjà cité, il n’y a guère que le Britannique Cy Bartlett qui ait effectué des recherches dans cette direction. Ila obtenu, à partir de TOUCH OF BRONZE, RIVER PEARL (98), et à partir de CODICIL, les deux frères de semis SPACE MIST (96) et ALIEN MIST (98) tous dans les tons de bleu avec barbes marine ou bronze foncé.

On n’est pas près de cesser de s’intéresser aux effets des barbes originales. La mode est aussi aux iris « noirs » à barbes rouges ou bronze, mais les barbes noires ont encore de l’avenir, surtout sur des fleurs d’autres couleurs que le bleu, et en particulier sur le rose ou le jaune. On aura encore l’occasion d’être fascinés, comme le disait Ben Hager.

16.12.01

CONDOTTIERE

L’iris de la semaine sera le fabuleux CONDOTTIERE. Fabuleux, parce qu’il fait partie de la vingtaine de variétés les plus utilisées en hybridation. Fabuleux aussi par la qualité de ses descendants et l’originalité de leurs coloris.

CONDOTTIERE a été introduit par Jean Cayeux en 1978. C’est une grosse fleur en deux tons de bleu-mauve, avec une barbe rouge minium. Cette barbe, il la tient de sa « mère », FALBALA (Cayeux 78), qui la tient lui-même de ses grand-parent, CHRISTMAS TIME (Schreiner 66), et arrière grands parents, ARCTIC FLAME (Fay 60) et ONE DESIRE (Shoop 60). Quant à la teinte bleu-mauve, elle provient à la fois de FALBALA et de TRITON (Julander 62), une de ses « grand’mères ». Richard Cayeux, dans son livre « L’iris, une fleur royale » explique très bien comment, à partir d’iris amoena (WHOLE CLOTH) ou approchant (EMMA COOK), on a obtenu ce néglecta aux capacités génétiques remarquables.

L’une des aptitudes de CONDOTTIERE est de transmettre à ses descendants ses deux caractéristiques essentielles, le modèle amoena (pétales blancs, sépales bleus) et la barbe rouge. Les aptitudes de DELPHI (Shoop 79), un amoena un peu pâlichon à barbes rouges, ajoutées à celles de CONDOTTIERE ont donné naissance à la série d’iris tricolores dont la maison Cayeux s’est fait une spécialité dans les années 90. Il y eut d’abord les quatre frères : BAL MASQUÉ (Cayeux 91), VIVE LA FRANCE (Cayeux 91), REBECCA PERRET (Cayeux 92) et MARBRE BLEU (Cayeux 93). A la génération suivante on trouve PARISIEN (Cayeux 94) descendant de REBECCA PERRET, et RUBAN BLEU, issu directement du mariage CONDOTTIERE X DELPHI. Et il y a aussi DELTAPLANE (Cayeux 91), un peu moins typé, de même que CUMULUS (Cayeux 2000).

La famille Cayeux a abondamment utilisé CONDOTTIERE dans ses croisements. Pas seulement dans sa recherche du Bleu-Blanc-Rouge, mais pour obtenir des néglectas ou bicolores à barbes rouges ( BÉATRICE CHERBUY –87-, FEU DE BENGALE –89-, TOURBILLON –90-, VIREVOLTE –90-, HORTENSE C. –93-, VAL DE LOIRE –98-, VOLUTE –96-) de même que l’inclassable SIXTINE C. –94-, et même une variété rose, STARLETTE ROSE –96-. ALIZÉS –87-, autre descendant de CONDOTTIERE, n’a pas hérité de la barbe rouge, mais constitue néanmoins une des plus belles réussites des années 80.

Bien d’autres obtenteurs se sont servis de CONDOTTIERE, dans de multiples directions. Citons parmi d’autres, Sydney DuBose avec DREAM MACHINE (89), un lilas à barbes rouges ; Ben Hager avec LARK ASCENDING (96), dans les tons de blanc ; Frederick Kerr avec AGE OF INNOCENCE (94), assez voisin de SIXTINE C. ; même les Schreiner, avec INSTANT HIT (2000), cousin de VOLUTE et de VIREVOLTE. Quelques-uns se sont aventurés vers les variétés tricolores. C’est le cas de George Shoop, obtenteur de DELPHI, qui a proposé REGAL AFFAIR (89), de Don Nebeker, avec DELIGHTSUM (97), de Dona Fort, avec PATRIOTIC BANNER, le bien nommé. Le mariage d’EDITH WOLFORD avec CONDOTTIERE a donné une variété très originale, MELANIE STEUERNAGEL (Beer 99), en provenance d’Allemagne et couronnée à Frankfurt en 99. Quant au génial Monty Byers, il a utilisé avec une énorme réussite l’union SKY HOOKS X CONDOTTIERE, pour présenter des variétés aussi diverses que DANCE FOR JOY (92), MAGIC KINGDOM (89), MAUVELOUS (88), STARS AND STRIPES (92) STARSHIP (89) ou ST PETERSBURG ( 90), et plusieurs autres.

Ce ne sont là que des descendants directs de CONDOTTIERE, mais aux générations suivantes, ses gênes sont encore présents dans une foule de jolis iris, le plus souvent à barbes rouges ou oranges. On peut dire qu’avec ce cultivar, la maison Cayeux a obtenu l’un des iris les plus importants du vingtième siècle.

1.12.01

LES GRANDS IRIS DÉGÉNÈRENT-ILS ?

La question ci-dessus est souvent posée par les jardiniers amateurs. C’est même une opinion franchement encrée chez certains qui voient peu à peu disparaître les belles couleurs des variétés qu’ils ont plantées dans leur jardin.

Il faut expliquer et faire comprendre que cette dégénérescence n’est pas possible.

L’iris se reproduit par graines, mais se multiplie par prolifération à partir d’un rhizome. À l’extrémité du rhizome, et sur les côtés de celui-ci se développent des yeux qui vont donner naissance à de nouvelles pousses exactement identiques à la plante-mère car les cellules de chaque œil contiennent tous les gènes de la plante. Tous les spécialistes des iris sont d’accord là-dessus et ils expliquent la soi-disant dégénérescence par différents incidents de culture.

Dans un court article publié dans la revue Iris et Bulbeuses (N°113 – Été 94), Jean Cayeux, qui, mieux que personne connaît les iris, trouve trois raisons à la disparition progressive des coloris d’origine :
· L’uniformisation des couleurs. Dans une bordure composée à l’origine de variétés de différents coloris, au bout de quelques années n’apparaissent plus que deux ou trois couleurs ;
· Le « retour » à un bleu uniforme, dans des fleurs qui ont perdu également leurs belles ondulations et la fermeté de leurs tépales ;
· L’apparition de nouveaux coloris, le plus souvent ternes ou délavés, au lieu et place des brillants coloris initiaux.

L’uniformisation des couleurs s’explique par les différences de prolificité et de rusticité des variétés. Si une plante se développe plus vite et plus fort que sa voisine, elle va peu à peu étouffer celle-ci ou la priver de nutriments, de sorte que la plus faible va cesser de fleurir, voire disparaître. Dans le fouillis d’une plantation ancienne, ou trop serrée, on ne saura plus distinguer les pousses de la plante robuste de celles de la plante chétive, et l’impression d’uniformisation sera bien réelle : malheur aux fables !

Le bleu qui gagne du terrain n’est pas non plus une illusion. C’est le fait de la réapparition, dans la bordure, d’anciens iris diploïdes (germanica ou pallida), dont quelques morceaux de rhizomes seraient restés en place, et, compte tenu de leur prolificité, auraient étouffé les autres iris.

L’apparition de nouveaux coloris, plus pâles que les coloris d’origine, n’est pas à proprement parler dégénératif, c’est le produit de semis « sauvages ». Si par malheur ont laisse venir à maturité une capsule issue d’une insémination naturelle, les graines vont tomber au sol et certaines vont germer. Jamais on n’obtiendra par ce moyen des fleurs identiques à leurs parents, mais le plus souvent des rejetons plus ou moins bien formés et pâlichons qui laisseront croire qu’il y a eu dégénérescence. Et, en quelque sorte, c’en est une : pour conserver aux hybrides comme les iris modernes leurs coloris initiaux, il ne faut pas les laisser se reproduire ; seule la multiplication rhizomateuse garantit la réapparition des qualités de la plante d’origine. Ses enfants sont, comme ceux des humains, tous différents de leurs parents, et c’est la banalité qui l’emporte.

Certains prétendent que ce serait une « sécrétion » des racines qui aboutirait à faire dégénérer les iris lorsqu’ils sont plantés trop serrés, mais ceci est de la plus haute fantaisie. S’il y a effectivement production d’enzymes, ceux-ci n’ont nullement le pouvoir d’apporter une modification génétique. En revanche ils ont celui d’inhiber la pousse de nouveaux iris plantés à l’emplacement de variétés retirées. Si l’on veut remettre des iris dans une plate-bande où il y en a déjà eu, il faut attendre quelques années, le temps que les enzymes laissés dans le sol se dissipent. Sinon les plantes mises en place végéteront longtemps avant de se développer normalement.
BEFORE THE STORM

Le quatrième iris de la série « Iris de la semaine » sera BEFORE THE STORM (Innerst 89 – DM 96). Il fait partie de ce que l’on appelle les iris « noirs », et constitue l’un des aboutissements d’une longue série d’amélioration et d’approfondissement de la couleur. Les variétés étudiées précédemment procédaient toutes d’une recherche de quelque chose de nouveau, celle-ci résulte d’un autre type de recherche : ne pas vouloir faire du neuf, mais améliorer ce qui existe déjà.

La même ligne de conduite a par ailleurs été également suivie par la maison Schreiner pour obtenir et enregistrer un autre vainqueur de la DM : HELLO DARKNESS (Schreiner 92 – DM 99), et l’on verra plus loin que ces deux cultivars sont des cousins assez proches.

BEFORE THE STORM est un iris violet très foncé, pratiquement noir. Comme la plupart des noirs, il est un peu délicat à faire pousser et ses fleurs ne sont pas très ondulées. Mais ce qui compte le plus, c’est qu’il soit d’un beau noir, uni et velouté. De ce côté là il n’y a aucun reproche à lui faire ! Il est le produit du croisement de deux autres « noirs », SUPERSTITION (Schreiner 77) et RAVEN’S ROOST (Plough 81). Du côté maternel, on n’a que des informations partielles car la « mère » de Superstition est un semis dont la check-list de l’AIS ne dit rien, mais sont « père » est NAVY STRUT (Schreiner 74), un iris largement utilisé en hybridation, aussi bien dans la recherche des bleus que dans celle des noirs.

Raven’s Roost est l’aboutissement des travaux de Gordon Plough dans la recherche du noir le plus noir. Il faut faire remarquer que G. Plough est l’un des obtenteurs américains qui s’est le plus impliqué dans cette voie, avec des variétés comme EDENITE, SWAHILI (1964), STUDY IN BLACK (1968), CHARCOAL (1969), BLACK MARKET (1973), variétés que l’on retrouve toutes dans les ancêtres de Raven’s Roost et, donc, de Before the Storm. Le « père » de Raven’s Roost provient de la ligne de recherche de noirs de la maison Schreiner. Il s’agit de PATENT LEATHER (1971), une variété qui n’a pas fait carrière, du moins en Europe, mais dans l’arbre généalogique de laquelle on rencontre les principaux noirs de Schreiner : PRINCE INDIGO (1964), NIGHTSIDE (1966), STORM WARNING, ETHIOP QUEEN, LICORICE STICK et enfin BLACK FOREST, le géniteur d’origine de pratiquement tous les noirs actuels.

La descendance de Black Forest est édifiante : A la première génération il y a eu DARK BOATMAN, BLACK HILLS, BLACK TAFFETA, STORM WARNING/ ENSUITE ON TROUVE PAR EXEMPLE ECSTATIC NIGHT, BLACK SWAN, STUDY IN BLACK, DARK FURY, LICORICE STICK, puis CHARCOAL, MIDNIGHT SPECIAL, TROPICAL NIGHT, DUSKY EVENING, BLACK MARKET, OPENING NIGHT, DUSKY DANCER, BASIC BLACK, MATINATA, puis TUXEDO, DARK TRIUMPH, NIGHT OWL, etc.

Si l’on reprend l’arborescence des ancêtres de Hello Darkness, pur produit Schreiner, on ne va pas voir les noirs de Plough, mais toutes les autres variétés que l’on vient de citer, ou presque, se retrouvent dans son pedigree. Il est le fils de TITAN’S GLORY (Schreiner 81 – DM 88) et de MIDNIGHT DANCER (Schreiner 91). Titan’s Glory compte parmi ses ancêtres Navy Strut et Prince Indigo, Midnight Dancer descend de Navy Strut, Black Swan, un frère de semis de Tuxedo…

C’est avec les bons légumes qu’on fait les bonnes soupe. Cet aphorisme s’applique tout à fait à Before the Storm et à Hello Darkness. Les enfants de ces deux iris seront toujours plus noirs, comme GHOST TRAIN (Schreiner 2000) et tous ceux qui apparaîtront dans les années à venir.