17.2.23

TOUT A UNE FIN

Ceci est la dernière livraison d'IRISENLIGNE. 

Après près de vingt-deux ans de publication et plus de 2800 posts ce blog s'éteindra. Pendant des mois j'ai cherché à me renouveler, à écrire des informations nouvelles, qui puissent retenir l'attention de tous. Mais je me rends compte que je ne fais que réécrire des articles sur des sujets rabâchés. Et que de toute façon le nombre de lecteurs s'est considérablement réduit ! Je remercie tous ceux qui m'ont accompagné pendant toutes ces années, et particulièrement celles et ceux qui m'ont fourni les remarquables photos qui ont illustré mes chroniques. 

Alors, Adieu IRISENLIGNE ...

A COMME ANFOSSO

C'est fini ! « Iris en Provence » c'est fini ! Tous les amis des iris ont été péniblement surpris d'apprendre il y a quelques semaines que la célèbre pépinière de Hyères fermait définitivement ses portes. Tout le monde considérait que cette institution était indestructible et personne n'envisageait qu'elle puisse disparaître. Cependant, comme toutes les choses humaines, Iris en Provence, après près de 50 ans d'existence, a quitté l'univers des amateurs d'iris. Un moment de réflexion teintée de nostalgie s'avère maintenant nécessaire. 

Un artiste peintre d'un certain renom, Pierre Anfosso, dans son village de La Crau, près de Toulon, collectionnait des iris dans son jardin. Son épouse Monique partageait cette seconde passion et elle a approuvé son désir de faire de celle-ci l'activité principale de la famille. Comme ils voulaient faire les choses en grand et sérieusement ils ont pris contact avec l'AIS et ce qui se faisait de mieux en matière d'hybridation : les obtenteurs Joseph Ghio, Keith Keppel ou Ben Hager, furent leurs professeurs pour leur enseigner le métier. Ils ne pouvaient rêver meilleurs maîtres. Ils ont appris non seulement les gestes nécessaires mais aussi les éléments de génétique indispensables pour agir avec un maximum de réussite. C'était au début des années 1970, et 1974 est née la pépinière « Iris en Provence ». Au début elle proposait essentiellement des variétés américaines. Il est vrai qu'à l'époque les obtentions françaises étaient peu nombreuses. Mais les Anfosso ont commencé à créer leurs propres variétés. Et tout le monde s'y est mis, parents et enfants ! 


Un premier succès est arrivé en 1978 avec 'Lorenzaccio de Medicis', création de Pierre-Christian Anfosso (fils) enregistrée l'année suivante ainsi que quelques autres variétés maison : 'Évasion', 'Bateau Ivre', 'Sanseverina', 'Nuit Blanche', 'Calamité', 'Maldoror' et 'Sonate D'O'. Ce bouquet splendide a surpris et séduit les collectionneurs français, mais également les grands hybrideurs américains qui ont pressenti qu'ils avaient affaire à des gens bourrés de talent. Désormais, et jusqu'en 1990 date à laquelle Pierre et Monique se sont retirés, on attendait chaque année avec avidité la sortie du catalogue d' « Iris en Provence ». Pour les nouveautés qui y étaient présentées, mais aussi pour le catalogue lui-même, véritable création d'artiste. 'Echo de France' (1984), 'Bar de Nuit' (1986), 'Voleur de Feu' (1988), 'Draco' (1988), 'Citoyen' (1989), 'Fondation Van Gogh' (1989) sont autant d'étapes dans une course familiale à la perfection qui n'est pas celle du nombre mais celle de la qualité. 



La retraite de Pierre Anfosso a marqué une pose dans la progression de l'entreprise. Son décès en 2004 a profondément affecté la famille qui cependant à poursuivi l'exploitation en la modernisant et l'enrichissant de variétés nouvelles tant françaises qu'étrangères. Un renouveau s'est fait jour en 2018 quand, après ses grands-parents Pierre et Monique, son oncle Pierre-Christian et sa mère Laure Anfosso, Marin Le May a présenté ses premières hybridations, des variétés très réussies – voir 'Terre d'Ocre' (2016) - qui ont réjoui les inconditionnels de la maison, heureux de constater cette sorte de renaissance.


 Quelques années plus tard, la pépinière a abandonné la vente d'iris racines nues, ce qui laissait présager ce qui c'est produit en 2022 : la fermeture pure et simple de l'entreprise, avec la retraite de Laure Anfosso... 

Il ne reste plus dans notre pays que deux pépinières majeures consacrées aux iris. Bourdillon a depuis longtemps ajouté d'autres activités à son activité mais poursuit la vente d'iris et même s'enrichit des obtentions maison signées de Nicolas, ce qui fait plaisir. Cayeux S.A., l'entreprise familiale qui a maintenant plus d'un siècle, maintient la production d'iris à un haut niveau, avec un développement international indispensable. Elle met avant tout l'accent sur les obtentions « maison », qui occupent maintenant une grande partie de l'offre. S'il n'existe plus que deux grandes pépinières vouées aux iris, auxquelles s'ajoutent deux ou trois affaires de moindre importance, c'est peut-être parce que la plupart des obtenteurs (et ils sont de plus en plus nombreux), grâce à la commodité du commerce en ligne, vendent leurs obtentions directement. Cela permet aux amateurs de disposer d'un choix assez considérable de variétés tant françaises qu'étrangères. On peut trouver des variétés américaines, mais aussi européennes et même ukrainiennes ou russes, ce qui est un net progrès par rapport au temps ou le choix se limitait aux américaines et au rares françaises de l'époque. En quelque sorte le choix s'est accru en même temps que le nombre de marchand diminuait ! Il faut s’accommoder de cette nouvelle situation qui correspond à l'évolution générale du commerce. 

La disparition de Iris en Provence reste néanmoins un événement majeur, et un peu triste, dans l'histoire du monde des iris.

11.2.23

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Il y a quelques semaines je m'interrogeais sur le fait que les iris replantés dans un terrain où d'autres iris avaient vécu semblaient ne pas apprécier leur nouvelle implantation. J'invoquais la présence dans la sol d'une enzyme secrétée par les plantes en place précédemment. J'ai demandé son avis sur ce sujet à celui que je considère comme le meilleur connaisseur des iris , Keith Keppel. Voici sa réponse : « Lors de la replantation des champs d'iris, je préfère faire pivoter les zones utilisées, permettant au sol de rester en jachère à intervalles réguliers avant la replantation. Mais... ce n'est pas toujours possible, et je n'ai jamais vu échouer la prochaine plantation d'iris. 

 Il existe de nombreuses possibilités pour lesquelles les plantations ultérieures d'iris ne seraient pas aussi réussies. S'il n'y a pas de reconstitution des nutriments pour la croissance ou s'il y a un compactage du sol, ou peut-être la prolifération d'organismes nuisibles du sol, tels que des champignons ou des nématodes. Il s'agit d'un sujet tellement compliqué qu'il est impossible de proposer une réponse adaptée à toutes les circonstances."
 
 Autrement dit, aucune certitude ...

MAUVAIS JOUEURS

Tous ceux qui cultivent des iris savent qu'il y en a qui poussent vite et bien et d'autres qui ont un développement capricieux, lent, voire inexistant. C'est le cas pour toutes les plantes, mais les iris sont particulièrement sensibles à ces sautes d'humeur. Dès le début de ma vie d'irisarien j'ai fait ce constat et je me disais alors que je n'avais sans doute pas fait ce qu'il fallait. J'avais un peu honte de mes mauvais résultats. Et puis un jour je suis aller rendre visite à la pépinière Cayeux, et j'ai constaté que, entre deux touffes vigoureuses, il y avait un « trou », qui correspondait à une variété, dûment notée sur l'étiquette mais qui n'avait pas ou peu poussé. Ce fut une consolation, mais cela ne me donnait pas d'explications ! D'explications en fait il pouvait y en avoir plusieurs, qui parfois s'additionnaient. La plus simple, et même simpliste est celle qui vient à l'esprit immédiatement : « J'ai commis une erreur au moment de la transplantation ». J'ai appris que cela en effet pouvait être exact, mais j'ai appris aussi que les iris sont le plus souvent résistants et qu'ils pardonnent bien des maladresses ou des négligences ! Je raconte souvent le comportement de ces variétés oubliées un mois durant sur une table, racines nues, par un été chaud et sec, qui sont arrivées chez moi complètement desséchées, … et qui sont toutes reparties et ont fleuri l'été suivant. Cependant il est évident que tous les iris n'ont pas cette volonté de vivre. J'ai en mémoire bien des cas de reprises rachitiques et aussi d'échecs patents et inexplicables... En ce qui concerne les reprises laborieuses, en dehors de celles qui peuvent s'expliquer par des circonstances météorologiques peu favorables, les autres sont en général liées à la génétique de la plante. Il y a aussi des échecs qui paraissent inexplicables : la plante reprend, pousse doucement puis végète ; parfois après une belle reprise et un comportement automnal normal elle ne profite pas du printemps pour grandir et reste malingre, quelque fois pendant plusieurs années ! Je qualifie ces iris de mauvais joueurs et dans ma collection, qui a duré trente cinq ans, j'en ai connu un certain nombre ! 

 Par exemple 'Rustic Dance' (J. Gibson, 1979) ainsi d'ailleurs que de nombreux plicatas de cet obtenteur qui, après un démarrage normal et une première floraison intéressante, ont cessé de pousser et ont fini par disparaître après quelques années de galère . Ce fut le cas de 'Burgundy Brown' (1979), 'Mod Mode' (1970), 'Osage Buff' (1973)... 

 Les iris de Joë Ghio ont une réputation de fragilité qui s'est confirmée chez moi avec 'Financier' (1979) ou 'Wedding Vow' (1970). Tandis qu'un de mes préférés l'adorable 'Babbling Brook' (K. Keppel, 1965) n'a jamais voulu s'implanter sérieusement dans mon jardin ! Je l'ai renouvelé trois fois, mais il a disparu trois fois ! Et l'une des variétés les plus capricieuses que j'ai tenté de cultiver est 'Spellbreaker' (Schreiner, 1991) qui a végété pendant sept ou huit ans avant de fleurir magnifiquement ! 

 Une végétation capricieuse n'est pas l'apanage des iris « made in USA ». Aucune origine n'est à l'abri de ces caprices. Par exemple je me souviens de la pousse hasardeuse de 'Pretty Edgy' (Blyth, 2002), de 'Terra del Fuoco' (Bianco, 2005), de 'Ouragan' (R. Cayeux, 1995), de 'Bonte Kermis' (L. Tasquier, 2010) et même de ma propre obtention 'Kir' (2003) que j'ai perdu deux fois et récupéré grâce à une touffe exportée chez un ami, à 5 kilomètres de sa terre d'origine, où elle a prospéré allègrement. 

 Tout ceci ne répond pas à une quelconque logique. C'est à peine si certaines productions sont connues pour les fragilités de leurs obtentions. La nature peut se montrer capricieuse et les amateurs d'iris doivent accepter cette situation avec la patience qui, de toute façon, caractérise les bons jardiniers. 

 Illustrations : 


'Rustic Dance' 


Financier' 


'Spellbreaker' 


'Pretty Edgy' 


'Kir'

3.2.23

VUE DE PRAGUE, CLASSIFICATION DES IRIS BARBUS DE JARDIN

Dans un post publié récemment sur Facebook le grand botaniste et horticulteur tchèque Milan Blazek a expliqué comment il classe les iris en fonction de leur période d'apparition. 

 « À Průhonice (1), nous utilisons la catégorisation suivante : 
 - 1. Les iris barbus des jardins anciens : ce sont des clones qui existaient avec certitude ou du moins très probablement il y a 200 ans, avant le début des travaux d'hybridation sélectifs systématiques et qui, plus tard, firent l'objet de croisements précisément ciblés. 
- 2. les cultivars historiques, c'est à dire les iris qui ont été multipliés ou du moins mis en culture en tant que variétés nommées au XIXe siècle et dans le premier quart du XXe siècle, jusqu'à la décennie 1920-1930. 
- 3. les cultivars modernes : il s'agit de cultivars développés depuis 1920-1930, date à laquelle une nouvelle phase de sélection beaucoup plus intensive a eu lieu. 
- 4. Les iris de nouvelle génération introduits en culture à partir des années 1970, lorsque l'hybridation a commencé à atteindre des qualités supérieures, tels que nous les connaissons aujourd'hui. 

 Les iris de chacune de ces catégories ont des caractéristiques qui, lorsqu'on a acquis expérience adéquate, permettent de placer tout iris inconnu dans le temps avec une précision de 10 à 20 ans. C'est parce que l'hybridation a été pratiquée par des personnes qui connaissaient le travail des autres obtenteurs et savaient donc ce qui pouvait être apprécié que ces classements ont été possibles. (...) » 

 Ce système de classement, qui suit l'évolution des obtentions dans le temps, a le mérite d'être plus logique que celui en vigueur actuellement qui veut que tout iris introduit depuis plus de dix ans est un iris historique. 

 (1) Průhonice est le nom de la localité de la banlieue de Prague où se situe de jardin botanique dont Milan Blazek fut le directeur.

LA FLEUR DU MOIS

'Titvan' 
 Anton Mego 2000 
'Honky Tonk Blues' X 'Rustler'. 

 Pourquoi choisir cette variété pour illustrer le travail d'Anton Mego ? Cet hybrideur slovaque qui est considéré comme l'un des plus talentueux de sa génération, a déjà à son actif 110 variétés enregistrées, dont certaines ont atteint le plus haut niveau dans les compétitions où elles ont été engagées, Alors pourquoi se pencher sur une qui est restée discrète et n'est connue que d'un petit nombre de collectionneurs ? Réponse : parce que c'est la première à avoir été enregistrées ! Et aussi parce qu 'elle en vaut bien d'autres et qu'elle présente des qualités qu'on rencontrera dans toutes les futures obtentions d'Anton Mego. 


 Cet Anton Mego, homme discret, a en quelque sorte pris la succession de Ladislav Muska, celui qui a personnifié l'apparition de l'iridophilie en Europe Centrale après l'effondrement de l'univers soviétique. C'est un obtenteur actif , avec 110 nouvelles variétés (essentiellement des TB) depuis 2000. C'est aussi un obtenteur qui n'a pas traîné avant de s'imposer sur la scène internationale : 'Slovak Prince' (2002), deuxième variétés enregistrées, a fait le plus beau parcours qu'on puisse réaliser : apparu aux USA en 2003, chez Terry Aitken, il a obtenu un HM en 2005, une AM en 2007 et la Wister Medal en 2009. C'est la plus haute récompense qu'un iris non-américain puisse obtenir ! 

 'Titvan' n'a pas connu les honneurs américains. C'est, pour tout dire, un galop d'essai. Il est décrit comme :  « Waved satiny purple, falls with violet spot; beards amber, yellow in throat. », en français « Pourpre satiné et ondulé, spot violet sur les sépales ; barbes ambre, jaune dans la gorge ». Autrement dit un bel iris violet profond. Ses parents ne sont pas des inconnus : 'Honky Tonk Blues' (Schreiner, 1988), bleu clair marbré, a reçu la Médaille de Dykes en 1995 ; 'Rustler' (Keppel, 1987) s'est arrêté au niveau des Awards of Merit, ce qui ne retire rien à ses qualités. On peut s'étonner que le croisement d'un iris bleu avec un iris rouille puisse aboutir à une variété violette . C'est là le résultat de mélanges génétiques sur plus d'une douzaine de générations. Une analyse détaillée de ce cocktail révélerait certainement les origines de ce coloris apparemment inattendu. 



 Dans mon jardin 'Titvan' a poussé de bon cœur. La touffe a vite pris des proportions majestueuses et la floraison s'est poursuivie d'année en année jusqu'au transfert de la collection vers d'autres cieux... C'est donc une variété solide, vigoureuse et florifère, ce qui est une autre caractéristiques des iris d'Anton Mego. 

 Côté descendance, le bilan est maigre : une seule variété comporte 'Titvan' dans ses ancêtres. Et c'est un de ces iris aux couleurs étranges que l'on voit se développer ces temps-ci. 'Fantastical' (Mego, 2020) est décrit comme ceci : « amethyst violet, greyed yellow influence; (…) falls yellow, darker at edge, wide wisteria blue blaze extending down from beard; beards yellow-orange, large pale yellow flounce, wisteria blue on underside » soit « violet améthyste avec une influence de jaune grisé ; (…) sépales jaune plus foncé au bord, avec une zone bleu glycine s'étirant à partir de la barbe ; barbes jaune orangé terminées par une grand appendice jaune au revers bleu glycine. » Un coloris bien au goût du jour et qu'on retrouve chez d'autres variétés signées Mego, comme le déjà fameux 'The Majestic' (2016). 


 'Titvan' n'est pas une variété qui saute aux yeux dans un jardin. Mais pour qui sait distinguer un bel iris au milieu d'un grand nombre d'autre, il n'y a pas de doute !