29.3.20

CONFINEMENT ?

Est-ce un effet du confinement ? Voilà que j'ai oublié de publier ma chronique hebdomadaire ! Heureusement qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire !

PRINCES ET PRINCESSES

Dans l'imaginaire collectif les familles royales tiennent une place de premier plan. Il aurait été étonnant que notre petit monde des iris – reflet du monde en général – ne leur fasse pas la part belle. Notre feuilleton photographique, pendant quelques semaines, va faire un petit tour en leur compagnie. 

II – Contes et légendes 

Nombreux sont les princes et princesses que l'on rencontre dans les contes et légendes... et dans les iris, bien entendu !

'Princess Osra' 


'Prince of Camelot' 


'Prince Lohengrin' 


'Prince Charming'

LE THÉORÈME DE GIBSON

En relisant, il y a quelques semaines, un article signé de Keith Keppel, publié dans le Bulletin de l'AIS 1/1994, et dont je me suis d'ailleurs inspiré pour une chronique parue ici en 2004, j'ai compris que la plupart des bons hybrideurs avaient adopté la méthode de travail de Jim Gibson, que Keppel a expliquée.

Ce ne sont pas les renseignements fournis lors de l'enregistrement des variétés de Jim Gibson qu'on peut avoir une idée précise des variétés croisées et recroisées qu'il a utilisé. Il s'est contenté le plus souvent d'indiquer des numéros de semis. Pour en savoir plus, il faut, comme Keppel, avoir accès aux carnets de notes de Jim Gibson. C'est ainsi qu'on apprend que parmi les variétés de base les plus utilisées on trouve :
'Tiffany' (Hans Sass 38), plicata bronze rosé sur fond jaune clair ;
'Siegfried' (Hans Sass 36), premier plicata sur fond réellement jaune ;
'Orloff' (Hans Sass 37), fort plicata brun rougeâtre sur fond crème ;
'Firecracker' (Hall 43) très intéressant plicata bourgogne sur fond jaune ;
'Misty Rose' (Mitchell 39), bitone rose violacé ;
'Madame Louis Aureau' (Cayeux 34), le plus beau des plicatas français de Ferdinand Cayeux ; 'Sacramento' (Mitchell 29), plicata violacé ultra célèbre...
Voilà les ingrédients de départ, auxquels se sont joints quelques autres variétés, pour compléter le cocktail. Un peu comme dans une série télévisée, à côté des vedettes habituelles interviennent des « guest stars » !

 Le théorème de Gibson, cela pourrait être : « Prenez une base éprouvée dont vous connaissez les aptitudes et ajoutez un ou des éléments au gré des résultats que vous espérez obtenir ». Son inventeur en a fait usage tout aulong de sa carrière. C'est en l'appliquant qu'il est parvenu à cette sorte de perfection que fut 'Kilt Lilt' (1969), sans doute son chef-d’œuvre, couronné par la Médaille de Dykes de 1976. Dans la description notée sur la check-list de l'AIS, cela n'apparaît pas à l'évidence puisque le pedigree déclaré est : « Seedling# 1-2 PLD X 'Golden Filigree' ». On connait 'Golden Filigree' (1964), c'est un plicata maison jaune orangé sur fond blanc, mais le semis numéroté n'est connu que de ceux qui ont accès aux archives de Jim Gibson. C'est frustrant pour ceux qui aimeraient bien mieux comprendre le cheminement ayant abouti à ce superbe 'Kilt Lilt'...

 Bien des illustres obtenteurs ont fait application du théorème de Gibson. Il y a bien sûr ses h »ritiers, Keppel et Ghio, mais aussi d'autres qui ont retenu la leçon. Joë Ghio qui en a fait une de ses règles de conduite appelle cela « la merveilleuse cuisine ». C'est notamment le cas de son semis 73-122Z: ( 'Hi Top' x (('Ponderosa' x 'Travel On') x 'Peace Offering')) que l'on rencontre dans un grand nombre de ses variétés enregistrées, de même que le semis 76-181J: ((((('Commentary' x 'Claudia Rene') x 'Claudia Rene') x 'Ponderosa') x ('Ponderosa' x 'New Moon')) x 'Homecoming Queen') et de nombreux autres. Cela donne des pedigrees à rallonge qu'il n'est pas facile de déchiffrer. On se dit que cela serait plus commode si on disposait de noms de variétés enregistrées plutôt que d'abstraits numéros de semis, mais cela ne résoudrait pas totalement la difficulté ! Chez Keppel on est devant le même cas par exemple le semis 68-40B: ((('Irma Melrose' x 'Tea Apron') x (('Full Circle' x 'Rococo') x 'Tea Apron')) x 'April Melody') présent dans 'Classmate' (1990), 'Daredevil (1988), 'Champagne Wishes' (1991)... Ce sont ces interminables parenthèses que j'appelle des « clusters » (pour une fois j'utilise un terme anglais, alors que je m'efforce le plus souvent d'employer l'équivalent français de ces termes). Chez les autres obtenteurs on applique souvent ce fameux théorème. On le constate souvent chez Schreiner, aux USA, chez Blyth en Australie, chez Cayeux, en France, et Roland Dejoux, fidèle élève de Barry Blyth, ne s'en prive pas dans ses derniers semis issus de croisements réalisés en Australie.

L'idée de constituer un « fond de sauce » auquel on ajoute des ingrédients variables selon ce que l'on veut obtenir est une innovation qui a fait ses preuves et s'est révélée fort efficace. Jim Gibson a de cette façon obtenu non seulement des iris inoubliables mais aussi sa place dans le panthéon des hybrideurs.

 Illustrations : 


 'Orloff' 


'Madame Louis Aureau' 


'Kilt Lilt' 


'Beauty Within' (Ghio, 2011) (une variété qui provient du « cluster » 73-122Z) 


'Daredevil' (Keppel, 1987) (une variété qui provient du « cluster » 68-40B)

20.3.20

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Adieu Centenaire 

L'Association Américaine des Iris (AIS) devait fêter cette année le centenaire de sa création. Avec une glorieuse assemblée générale (la "Convention") dans la région de New York, et pour la première fois aux USA, un concours d'iris à la mode européenne. Les mesures de confinement qui s'imposent aux USA comme dans de très nombreux pays, ont mis un terme à ces festivités... On ne sait pas encore ce qui se passera par la suite...

PRINCES ET PRINCESSES

Dans l'imaginaire collectif les familles royales tiennent une place de premier plan. Il aurait été étonnant que notre petit monde des iris – reflet du monde en général – ne leur fasse pas la part belle. Notre feuilleton photographique, pendant quelques semaines, va faire un petit tour en leur compagnie.

I – Avec amour 

L'amour paternel ou maternel, l'amour filial, sont des sujets inépuisables et des sources d'inspiration pour ceux qui baptisent un iris. Quelques-uns de ces témoignages :


'Printzessa Angelov' 

'Princesse Mylena' 

'Princesse Laura' 


'Princesse Emma'

QUANTITÉ OU QUALITÉ ?

Joli sujet de controverse que celui qui est apparu il y a quelques semaines sur Facebook, entre amateurs et professionnels de l'iris.

 Un amateur chevronné a fait observer que la tendance actuelle était à la multiplication du nombre des nouveautés, mais aussi, et par voie de conséquence, l'apparition de variétés assez semblables les unes aux autres et avec peu de réelles avancées. Quelques professionnels ont alors fait remarquer que pour qu'ils puissent offrir à leur clientèle un nouvel iris il fallait une mise en multiplication pouvant durer de cinq à sept ans avant de disposer d'un nombre suffisant de rhizomes. Or au bout de sept ans après son apparition sur le marché un iris n'est plus une nouveauté ! Le pépiniériste traditionnel se trouve donc handicapé par l'existence de concurrents semi-professionnels à la clientèle moins étendue, qui peuvent proposer des nouveautés beaucoup plus précocement puisqu'ils n'ont pas besoin de disposer d'un stock de rhizomes important. D'où l'idée de multiplier le nombre des variétés en culture, souvent proches les unes des autres en terme de couleur ou de modèle, de façon à éparpiller l'éventuelle demande sur un plus grand choix d'iris disponibles plus rapidement. Leur clientèle semblant être plus attirée par la nouveauté d'un iris que par tout autre critère, et pour ne pas être distancés par les producteurs à clientèle restreinte, les pépiniéristes professionnels sont obligés de proposer de nombreux iris récents, quitte à ce que parmi ceux-ci il y ait un plusieurs variétés proches les unes des autres et pas spécialement tournées vers l'originalité.

Ce mouvement n'est pas né en Europe mais aux Etats-Unis, pays où les clients sont encore plus que chez nous friands de variétés nouvelles (un iris qui est sur le marché depuis dix ans est une antiquité et à l'âge de trente ans il sera qualifié d'historique !) Il a été facilité par le fait que plus cela va plus les croisements donnent naissance à un nombre important de semis de qualité permettant d'envisager leur enregistrement simultané, même si ils ont un air de famille indéniable, voire même si ce sont presque des sosies. D'autre part des croisements différents peuvent donner naissance à des variétés aux caractéristiques très proches, ce qui renforce encore l'effet de « déjà vu ». Commercialement tout cela est une aubaine. On met en culture plusieurs iris qui se ressemblent, on a très vite assez de marchandise pour mettre tout ce monde au catalogue, et les ventes se répartiront sur les différentes variétés proposées... Pour des raisons beaucoup plus graves on parle aujourd'hui d'écrêtement ! Peu importe dans ce cas qu'elles n'aient qu'une durée de commercialisation réduite et qu'elles disparaissent après deux ou trois années de présence au catalogue, au contraire ! Elles font de la place pour une nouvelle génération de nouveautés qui seront tout aussi éphémères...

Cette démarche s'apparente tout à fait à celle qui touche le monde de la mode, par exemple, où il faut renouveler les modèles à une fréquence effrénée et remplir les magasins d'une foule de vêtements qui donnent l'impression d'être tous les mêmes mais qui diffèrent sur des points de détail. L'éphémère triomphe du pérenne...

Cette politique ne fait pas l'affaire des amateurs d'iris qui, eux, regardent les plantes en fonction de leurs caractéristiques génétiques, de leurs qualités végétatives, des progrès qu'elles font faire à l'horticulture des iris et de l'originalité de leurs coloris. J'ajouterai qu'elle ne fait pas non plus l'affaire des juges dans la course américaine aux honneurs qui ont à examiner de plus en plus de plantes et dont les suffrages vont se disperser, rendant de moins en moins évidente l'attribution des récompenses.

Il est intéressant de constater que ce mouvement est en partie la conséquence de l'augmentation du nombre des petites pépinières ouvertes par des obtenteurs artisanaux pour commercialiser leurs iris, ce qui a conduit les affaires plus importantes à réagir et à se lancer dans la production multiple. Un mouvement facilité par l'abondance des semis utilisables. Jadis il fallait réaliser des milliers de semis pour avoir quelque chance de découvrir des iris commercialisables ; maintenant dans presque tous les semis il y a matière à variété enregistrable. Le progrès a son revers...

On a certes l'impression que les nouveautés faisant progresser l'irisdom sont de moins en moins nombreuses. Mais ce n'est peut-être qu'une apparence : dans la masse des productions standards, les perles sont difficiles à distinguer, mais il y en a ! Qu'on fasse un certain retour en arrière. Dans les dix dernières années on a vu apparaître ou se multiplier les amoenas et les variegatas inversés, les distallatas, les plicatas façon Keppel, les « central fall wash(1)  », les associations de couleurs inhabituelles, sans compter les améliorations constantes des amoenas roses chers à Barry Blyth... Cela n'est pas négligeable. On peut même affirmer qu'il y a encore du potentiel. Et ce potentiel, ce sont sans doute les « petits » hybrideurs qui l'exploiteront : ils sont plus enclins à le faire que les « grands » dont les préoccupations sont davantage tournées vers le côté économique du « business ».

(1) qu'on peut traduire approximativement par «  signal sombre sur les sépales ». 

 Illustrations : 


 'Foreign Agent' (Keppel, 2016) – variegata moderne 


'Gibberish' (T. Johnson, 2018) - distallata 


'Instant Attraction' (P. Black, 2019) – association de couleurs inhabituelle 

'Latest Fashion' (T. Johnson, 2019) – amoena rose

13.3.20

ECHOS DU MONDE DES IRIS

l'iriseraie du Véron à l'honneur 

Surprise ! Les iris dont j'ai fait cadeau à ma commune figurent en tête d'un dépliant distribué par l'équipe du maire sortant... Au premier plan :'Bye Bye Blues' (G. Sutton, 1996), 1er Prix Franciris® 2005.

WISTER MEDAL (un sommet pour les grands iris)

Pendant longtemps les grands iris (TB) n'ont pas eu de médaille spécifique ! On considérait que la Dykes Medal était pour eux et qu'ils n'avaient donc pas besoin d'être autrement distingués. Mais à partir du jour où les autres catégories d'iris se sont hissées au plus haut niveau l'anomalie est devenue flagrante et pour les TB a été créée la « John C. Wister Medal ». Elle n'existe que depuis 1992. Au début elle était distribuée à un seul exemplaire, ce qui, compte tenu du nombre de TB enregistrés chaque année, en faisait une relative rareté. Mais depuis 1998 l'AIS a décidé d'en attribuer trois par an. 

Notre feuilleton photographique a illustré – et ceci est la dernière page de la série - toutes les variétés qui ont reçu cette ultime médaille. 

2019 

Les « anciens » n'ont pas dit leur dernier mot ! La preuve !

'Autumn Explosion' (R. Tasco, 2013) 'Mariposa Autumn' X 'Celestial Explosion'. 

'Daring Deception' (T. Johnson, 2012) 'By Jeeves' X ('Hold My Hand' x 'Brave Face'). 

'Insaniac' (T. Johnson, 2012) 'Bright Sunshiny Day' sibling X ' Painter's Touch'. 

CONVERGENCE DES ROUGES

'Mulled Wine' (K. Keppel, 81) est un iris « rouge » remarquable par le profondeur de son coloris et sa proximité avec le « vrai » rouge, celui qui n'existe pas naturellement chez les iris. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait été utilisé en abondance par les hybrideurs à la recherche de ce rouge introuvable. Pour s'en rapprocher le plus possible, ils ont appliqué une méthode éprouvée, celle consistant à associer dans un nouveau croisement deux variétés de la même origine et de la même couleur afin d'additionner les qualités de l'une et de l'autre. En grand maître de cette manipulation, Joe Ghio, pas forcément au premier degré, mis à un niveau ou un autre dans le pedigree des descendants. Trois de ses obtentions contiennent dans leur gènes ce 'Mulled Wine', champion des rouges de son époque, ainsi que 'Lady Firend' (J. Ghio, 1980), autre « rouge » presque parfait, et exact contemporain du précédent et comme lui fréquemment utilisé (et pour les mêmes raisons) par de nombreux obtenteurs.

C'est le cas de 'Battle Royal' (1992), un rouge sombre chez qui 'Mulled Wine' apparaît dans le « cluster » (Entourage x Homecoming Queen) x Mulled Wine) et 'Lady Friend' à deux reprises, d'abord dans (Praline x Lady Friend), puis dans le « cluster » plus compliqué (Lady Friend x (Act of Love x (Ballet in Orange x 73-122Z: (Hi Top x ((Ponderosa x Travel On) x Peace Offering))))). Sans oublier l'intervention d'un frère de semis de 'Lady Firend' dans (Lady Friend sib x ((Malaysia x Carolina Honey) x 73-122Z : (Hi Top x ((Ponderosa x Travel On) x Peace Offering)))). Quand on voit toutes ces parenthèse, on a un moment de recul tant la lecture de ces origines semble compliquée ! Car Ghio est un spécialiste de ces pedigrees à rallonge où interviennent quantité de semis non dénommés que j'appelle « cluster », mot qui n'a pas de véritable équivalent en français, mais que l'on peut tout de même traduire par « grappe » ou « groupement ». Un « cluster » est donc un assemblage de variétés dans un semis non enregistré mais conservé pour certaines de ses qualités, lesquelles ne sont pas suffisantes pour que la variété soit mise au commerce, mais le sont pour son usage en hybridation.

C'est également le cas d'un autre iris qui n'est pas rouge à proprement dit (qualifions-le plutôt de pourpre) mais chez qui on note des influences rouges, qui se nomme 'Ennoble' (1998) où 'Mulled Wine' est présent sous la forme du « cluster » (Entourage x Homecoming Queen) x Mulled Wine) et où 'Lady Friend' et son frère de semis apparaissent plusieurs fois : d'abord dans (Praline x Lady Friend) puis dans (Lady Friend x (Flareup x (Capitation x Coffee House))), ainsi que dans (Capitation x Coffee House) x Lady Friend sib) et (Lady Friend sib x 76-110L) dans lequel 76-110L représente une longue série de croisements.

 Dans les deux cas ci-dessus on est en présence de variétés plus ou moins rouges, certes, mais dont la descendance contient des rouges vineux significatifs, comme 'Chinese New Year' (Ghio, 1996), 'Trial by Fire' (Ghio, 2005) ou les obtentions de Graeme Grosvenor issues du croisement (Picante x Ennoble), prolifique croisement largement présent chez cet obtenteur australien, comme 'Pokolbin' (2008), 'Rhapsody in Red' (2010) ou 'Ulladulla' (2008).

Le cluster (Entourage x Homecoming Queen) x Mulled Wine) apparaît encore dans une autre variété de Ghio : 'Lightning Bolt' (1992) où l'on retrouve aussi 'Lady Friend' sous la forme de (Act of Love x Lady Friend) dans lequel 'Act of Love' (Ghio, 1979) est un joli rouge cerise, peu connu, sans doute plus présent dans les croisements de son obtenteur que dans les jardins américains.

 'Lady Friend' qui, en matière de couleur rouge, n'est pas franchement différent de 'Mulled Wine', possède une descendance encore plus abondante que son contemporain. L'un et l'autre constitue ce qu'il y avait de plus rouge à leur époque. Il n'est donc pas étonnant qu'individuellement ou à eux deux ils aient produit des rouges puissants qui ont eux-mêmes engendré de nouveaux rouges s'approchant de plus en plus de ce rouge parfait qui attire tant de convoitises. Ah ! Quelle victoire (et quel profit commercial) pour celui qui obtiendrait enfin cette couleur mythique. Il est fort possible qu'un jour quelqu'un y parvienne, et il est très probable que cela sa produira par une convergence des rouges encore imparfaits qui existent aujourd'hui.

 Illustrations : 

 'Mulled Wine' 


'Lady Friend' 

'Battle Royal' 


'Chinese New Year' 


'Rhapsody in Red'

6.3.20

LA FLEUR DU MOIS

'Codicil' ( Sterling Innerst, 1984) 

('Appalachian Spring' x 'Navy Strut') X 'Evening Echo' 

C'est vrai que dans ces « Fleur du Mois » je ne parle guère que de variétés largement historiques (au sens que les Américains donnent à ce mot, c'est à dire « variété enregistrée il ya plus de trente ans »). Les jeunes gens qui s'intéressent aujourd'hui aux iris vont regarder ça avec un soupir de lassitude : « Humm ! Encore un de ses vieux trucs ! » Mais cela doit venir d'un goût personnel : quand j'étais collégien mes meilleures notes étaient en Histoire et Géographie ; maintenant je continue de m'intéresser aux choses de l'Histoire et la variété dont on va parler ce jour ne va pas dépareiller la collection ! Je me suis intéressé à cet iris à cause de son pedigree et surtout à cause de 'Evening Echo'. Très tôt j'ai été attiré par les variétés à barbes noires – parce qu'elles sont rares et originales – et 'Evening Echo' est un des plus beaux iris à barbes noires. Et si cette attirance est apparue c'est parce qu'Igor Fedoroff, qui fut l'un de mes mentors en iridologie, m'en avait envoyé un rhizome en m'expliquant qu'il avait lui-même reçu cette variété directement des mains de Melba Hamblen, son obtentrice, et qu'il s'agissait d'une rareté. 'Codicil' fait partie de la famille très sélect des iris à barbes noires (quand on dit noir, il faut faire la part de l'approximation car il s'agit en fait de barbes très sombres, allant du brun au violet profond). A ce titre il mérite bien que l'on dresse son portrait.

Puisque sa « mère » n'a pas de nom non plus que d'image connue, il nous faut remonter à la génération précédente et parler de 'Appalachian Spring' et de 'Navy Strut'. Le premier, 'Appalachian Spring' (Raymond Thomas, 1969) n'est pas le produit d'un hybrideur chevronné mais celui d'un simple amateur qui n'a enregistré en tout et pour tout que neuf variétés au cours des années 1965/1985. 'Appalachian Spring' est sa variété la plus connue. Dans le bulletin d'avril 1970 par l'intermédiaire duquel cet iris a été mis sur le marché, il est décrit comme : « (…) il a des boutons d'un vert extraordinaire qui s'ouvrent en de grosses fleurs blanc verdâtre frisées et ondulées avec une barbe orange. » La photo ci-jointe manque de netteté, hélas. C'est un descendant directe du célèbre 'Whole Cloth' (Cook, 1956) lui-même à l'origine d'une grande partie des variétés amoenas. Pour sa part, 'Navy Strut' (Schreiner, 1972) est un self bleu marine violacé très apprécié en son temps. Le côté paternel de 'Codicil' est celui qui lui a légué son caractère principal, sa barbe sombre héritée de 'Evening Echo' (Hamblen, 1977). Celui-ci est lui-même le descendant de trois variétés très différentes, dont 'Azure Accent' (Durrance 1967), un gris-bleu à barbes sombres qui lui viennent d’un parent aril, 'Arabi Pasha'. Le côté blanc provient de 'Swan Ballet', une variété de T. Muhlestein qui a obtenu la médaille de Dykes en 1959. Il faut se souvenir que ce genre de barbes noires a été exploité par plusieurs obtenteurs dont Sterling Innerst bien sûr avec notre 'Codicil', bleu vif à barbes très foncées, Melba Hamblen, avec 'Fontaine' (1989), Joë Ghio et son très original 'Intuition' (1977), et, surtout, Barry Blyth, en Australie, avec 'Inca Queen' (1983) et tous ses descendants. Quant à Walt Luihn, il a obtenu 'Song Of Norway' (1977), blanc bleuté à barbes bleu marine, par l'association de 'Noble Man' (Babson, 1970) et 'Blue Luster' (O. Brown, 1973), deux bleu profond excellents. En Europe, il y peu d’hybrideurs qui se soient intéressés aux barbes noires. En dehors de Lawrence Ransom et de son 'Barbouze' (2001) il n’y a guère que le Britannique Cy Bartlett qui ait effectué des recherches dans cette direction. Il a obtenu, à partir de 'Touch Of Bronze' (descendant de 'Inca Queen') , 'River Pearl' (1998), et à partir de 'Codicil', les deux frères de semis 'Space Mist' (1996) et 'Alien Mist' (1998) tous dans les tons de bleu avec barbes marine ou bronze foncé.

Nous voilà donc avec une variété plaisante et originale, bien dans le goût de son époque, qui ne pouvait qu'avoir un véritable succès. Succès qui, cependant, n'apparaît pas vraiment dans la descendance de 'Codicil'. A peine une vingtaine de variétés enregistrées en sont issues. Et les deux traits caractéristiques n'apparaissent pas forcément dans ces descendants. Celui qui en a obtenu les meilleurs produits est Sterling Innerst lui-même. A son palmarès il y a trois variétés intéressantes : 'Continuity' (1993) en bleu très frais, 'Helen K. Armstrong' (1993), bitone d'un joli bleu, et surtout l'amoena 'Cee Cee' (1995) qui se distingue par une superbe barbe presque noire. Darlène Pinegar a eu la chance d'obtenir 'Sister-my-Karen' (2002), en rose magenta, et 'Space Station' (1997) en bleu lavande clair, orné de barbes bleu vif et de longs éperons mauves, une incontestable réussite. Les autres n'ont pas franchement profité des apports de 'Codicil'. C'est dommage. Peut-être que le gêne de la barbe sombre ne se transmet pas automatiquement, qui sait ?

Quoi qu'il en soit, encore aujourd'hui 'Codicil' a sa place dans une collection de variétés si l'on veut y voir figurer des plantes qui sortent franchement de l'ordinaire.

Illustrations : 


'Codicil' 


'Appalachian Spring' 

'Navy Strut' 


'Evening Echo' 


'Cee Cee' 


'Space Station'

DANS LES COLLINES D'OCCITANIE

Dans les collines d'Occitanie se trouve l'une des plus belles collections d'iris de France et peut-être d'Europe. Elle porte le nom de « Les Iris de Laymont », et c'est celle de l'actuel Président de la SFIB. Avec une humilité qui l'honore, Roland Dejoux n'avait jusqu'à présent enregistré aucune variété de son crû. Il s'était contenté d'inscrire dans les registres de l'AIS cinq variétés obtenues par son ami René Dauphin, après la disparition de celui-ci. Mais en 2019 il s'est rattrapé ! Pas moins de 14 nouveautés. Dans la vie de cet iridophile au grand cœur, il y a eu un événement qui a tout changé : son amitié avec Barry Blyth, le fameux obtenteur australien. Auprès de ce personnage essentiel du microcosme irisarien, auquel il a rendu visite par deux fois, il a appris des tas de choses concernant les iris, leur hybridation et leur sélection. Il ne pouvait pas être à meilleure école. Au cours de ces deux voyages en Australie, il a réalisé un grand nombre de croisements parmi les variétés enregistrées et les semis de Barry Blyth. Il a reçu les graines issues de ces croisements, les a semées dans sa terre gersoise et aujourd'hui il dispose d'un énorme potentiel de plantes aptes à engendrer des variétés superbes, ce qui commence à apparaître et lui permettra dès l'an prochain de proposer des iris remarquables.

 Car ses iris ne sont pas seulement jolis, ce sont des plantes généreuses, avec beaucoup de fleurs, parce qu'un des points sur lesquels Roland Dejoux est intraitable, c'est la qualité du branchement et le nombre des boutons floraux. Les plantes un peu trop pauvres en fleurs sont donc éliminées. C'est avec une rigueur comme celle-là que la qualité générale des iris s'améliore d'année en année, comme on peut le constater partout dans le monde des iris. Dans le passé le déchet dans un semis était considérable, tant pour ce qui est de la tenue de la fleur que pour le nombre et l'implantation des branches ou la quantité de boutons floraux. Il fut un temps où l'on considérait comme convenable une plante avec six ou sept boutons, aujourd'hui on en exige au moins neuf et les plantes portant une douzaine de boutons ne sont plus rares. Celle de Roland Dejoux sont de ce calibre. L'amélioration générale se manifeste également par le nombre de frères de semis dignes d'être sélectionnés et mis au commerce. Keith Keppel disait il y a quelques semaines qu'il lui est de plus en plus difficile de faire un choix parmi les variétés en observation tant il y a de plantes de grande valeur. Cela pose d'ailleurs un autre problème. Le nombre de nouveautés mises en vente chaque année ne cesse de croître et, comme je l'ai déjà écrit dans d'autres chroniques, cela disperse l'attention et complique sérieusement la tâche des juges, dans la course aux honneurs américaine comme dans les concours internationaux européens. Ce fut le cas cette année pour Roland Dejoux puisqu'il a enregistré quatorze variétés, ce qui fait beaucoup !

 Une des originalités des Iris de Laymont, c'est l'idée des « Iris-Box ». L'obtenteur a sélectionné un certain nombre de variétés qu'il juge dignes d'avoir un avenir et il propose au public, moyennant une somme qui revient à la SFIB, d'en devenir l'attributaire, d'en choisir le nom, et d'en obtenir un certain nombre de rhizomes. C'est ainsi que parmi les 14 nouveautés de cette année il y en a plusieurs qui proviennent de ce système. C'est astucieux, généreux puisque l'argent va à l'association, et cela devrait prendre de l'extension dans l'avenir.

Mais voyons un peu ce que sont ces iris aux origines plus américaines qu'australiennes.

Il y a une majorité d'amoenas. A commencer par le sage 'Boivin', en blanc glacier et bleu glycine, puis vient 'Princesse Emma', pour ceux qui aiment les tons pastel, avec des pétales blanc pur et des sépales très ondulés mauve pâle ; 'Paul Henri' donne également dans les teintes tendres, des pétales blanc crémeux, des sépales devenant rose indien vers les bords avec des marbrures violacées : presque un « broken color » ; 'Romain Eliot' offre un contraste plus prononcé car les pétales blanc bleuté surmontent des sépales pourpre aubergine ; 'Daniel Collin' a des pétales blancs et des sépales jaune vif devenant orange brûlé plus on va vers les bords ; quant à 'Minou et Minette' c'est un amoena inversé dont les pétales, violet grisé, s'éclaircissent vers la pointe, tandis que les sépales blanc grisé, s'ornent d'une vive barbe jaune orangé entourée de jaune moutarde. On trouve ensuite un variegata fortement contrasté, 'Garrigues Basses', qui tient beaucoup de ses ascendants 'Reckless Abandon' (Keppel, 2009) et 'Treasure Trader' (Blyth, 2008).'Miltiade' qui partage avec le précédent une partie de ses gènes, se présente en rose et violet ; fait-il allusion au vainqueur de Marathon ? 'Noces de Diamant' ainsi nommé en référence aux 60 ans de la SFIB, est un luminata grenat marqué par ses origines ouest-américaines. Les autres sont des unicolores bien classiques : deux blancs, 'Alban Eliot' et 'Henri Eliot' ; deux roses, 'Isabelle Petit', aux sépales presque blancs, et 'Notre Sicilienne', tirant sur le beige avec des barbes rouge minium ; enfin un flamboyant jaune 'Soleil de Laymont', proche de sa « mère » 'Sunblaze' (Keppel, 2003), en plus ondulé, une merveille.

Dans ce panel le travail avec Barry Blyth n'est pas encore franchement apparent : ce sera pour les années à venir ! Mais dès maintenant on peut dire que Roland Dejoux a frappé fort et qu'il prend d'emblée sa place parmi les obtenteurs français.

 Illustrations :


 'Alban Eliot' ('Love Match' x 'Friendly Advice') X (((('Ostentatious' x ('Burst' x 'Epicenter')) x (('Burst' x 'Epicenter') x 'Zestful Miss')) x frère de semis de 'Heart Of Dreams' ) x 'Magical'). 


 'Boivin' ('Parisian Dawn' x 'Undercurrent') X 'Edge Of Heaven'. 


'Daniel Collin' ('Ghost Writer' x (('Puff The Magic' x (('Enjoy The Party' x 'Kathleen Kay Nelson') x 'Calling')) x frère de semis de 'Poster Girl')) X (('Buccaneer's Prize' x frère de semis de 'Megarich') x inconnu). 

'Soleil de Laymont' 'Sunblaze' X 'Pretty Bubbles'.