30.10.15

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Un ami disparaît 

Lech Komarnicki, mon ami polonais, très malade depuis des mois, s’est éteint le 27 octobre 2015. Nous avions en cours un projet de beau livre sur les iris qu’il avait écrit et dont il terminait les corrections et les mises en forme. J’en assurais la traduction française, tandis que Zdenek Seidl travaillait à la version en tchèque et que Ann Blanco-White avait réalisé la version anglaise.

Cet ancien acteur et metteur en scène très connu dans son pays s’était pris sur le tard de passion pour les iris. Après bien des déboires avec les grands iris de jardin – le climat de sa région de Cujavie (nord-ouest de la Pologne), froid et humide l’hiver, n’est pas favorable à leur culture – il s’était intéressé aux iris de Sibérie et à leurs hybrides, avec un succès certain.

Le monde des iris a perdu un de ses piliers…

LES TB DE LECH KOMARNICKI

Mon ami Lech Komarnicki, qui vient de mourir, a commencé son histoire d’amour avec les iris par les grands iris de jardin (TB). Il a connu avec eux beaucoup de bons moments mais aussi de cruelles désillusions. Non pas tant à cause des iris eux-même, mais en raison de l’ingratitude du climat dans la région où se trouve sa résidence, le Nord-Ouest de la Pologne, un secteur au sol peu fertile, marécageux, glacé l’hiver sans pour autant qu’il y tombe beaucoup de neige. A deux reprises au moins la totalité (ou presque) de ses iris a gelé, détruisant non seulement le travail d’hybridation accompli, mais aussi tous ses géniteurs, à un moment où le rideau de fer n’étant pas encore tombé, il était très difficile de se procurer des variétés occidentales. Avec une belle constance, il est reparti deux fois à zéro et a réussi à obtenir quelques variétés intéressantes, même si ce ne sont pas des chef-d’œuvres.

A sa mémoire et à notre amitié je dédie ces quatre photos :

- ‘Exploding Sun’ (2003) (Laced Cotton X Memory Song) -

 - ‘Next Little Step’ (2009) (Biala Noc X Papapubren sib) -

- ‘Poranna Mgielka’ (2009) (Chinski Jedwab X ((Paradise x Silver Shower) x Victoria Falls)) -

- ‘Tajemnica’ (2005) ((Temple Gold x Saffron Robe) X Deltaplane)

UNE AFFAIRE DE MODE

La mode est une chose qui sévit partout. Dans le mode des iris comme ailleurs. Quand on regarde ce que les hybrideurs nous proposent aujourd’hui on est convaincu de cette influence. La première trace de la mode apparaît avant même d’avoir feuilleté le catalogue. Rares sont maintenant les hybrideurs qui se contentent de proposer quelques nouvelles variétés. Il en faut au moins une vingtaine pour ne pas passer pour un rigolo. Il y a là une véritable inflation dont on pourrait se réjouir mais qui, en fait, condamne à une disparition prématurée un grand nombre de plantes splendides. Pourquoi en proposer autant ? Il est certain que les progrès de l’hybridation, les qualités génétiques exceptionnelles de nombreuses variétés récentes aboutissent à l’apparition dans les pépinières d’un grand nombre de cultivars de grande classe. Devant cette hyper-production d’iris de valeur, il semble que les obtenteurs – d’abord américains, mais maintenant de tous les pays – aient renoncé à une de leurs prérogatives essentielles qui est la sélection. Pendant des années on a distingué un grand obtenteur d’un obtenteur ordinaire à son exigence dans le choix de ses nouveautés. Un homme comme Donald Charles Nearpass, par exemple n’a mis sur le marché qu’un nombre dérisoire de variétés tant il se montrait sévère avec ses obtentions. Mais ce sont toutes des variétés incontournables, qui ont encore du succès plus de trente ans après leur introduction. De nos jours même les meilleurs abandonnent l’idée de choisir par eux-même, et laisse faire ce choix à ceux qui vont acheter leur production. C’est un comportement lourd de conséquences.

Au lieu de vendre quelques dizaines (voire quelques centaines) d’un petit nombre de variétés méticuleusement sélectionnées, les hybrideurs vont commercialiser le même nombre de rhizomes, mais en quantités beaucoup plus faibles. Cela va compliquer leur travail à plusieurs points de vue : d’abord au plan de la mise en multiplication, car il devient nécessaire de disposer de davantage de place, même si, avantage discutable, la durée de culture pour disposer d’un stock suffisant va se trouver raccourcie ; ensuite au plan des cultures, car il va falloir multiplier les planches et allonger le travail d’arrachage, enfin au plan des expéditions, car la composition des lots va se diversifier et devenir plus délicate avec un accroissement des risques d’erreur.

Dans le système américain de la course aux honneurs cela va disperser les votes des juges, au risque de récompenser des variétés moins valeureuses mais offertes en nombre un peu plus important et présentes dans un plus grand nombre de jardin. C’est quelque chose qui a desservi Richard Ernst, lequel mettait souvent sur le marché des variétés très proches les unes des autres mais dont chacune n’arrivait pas à être vue par un nombre suffisant de juges pour obtenir assez de points pour émerger au palmarès. En sens inverse c’est aussi quelque chose qui a aidé considérablement Keith Keppel qui, avec un nombre restreint de variétés excellentes et bien distribuées, écrase la concurrence depuis quelques années.

D’une façon générale cela va réduire à presque rien la vie de très nombreuses variétés qui, peu vendues, vont disparaître rapidement des catalogues pour laisser la place à de nouvelles vagues de variétés aussi éphémères. Avec le risque supplémentaire de condamner des variétés intéressantes au même titre que des plantes plus banales. De deux iris presque semblables lequel retenir, en effet, quand on n’a comme élément de jugement qu’une photographie plus ou moins retouchée et une description commerciale plus ou moins dithyrambique ?

Comme on le voit je ne suis guère favorable à un système qui, sous le couvert de laisser le choix de leurs favoris aux acheteurs d’iris, ne va qu’embarrasser ces amateurs qui ne seront plus guidés par la sélection rigoureuse de ceux qui sont les mieux placés pour les mener vers l’excellence et leur proposer uniquement des plantes de qualité. Un système – ou une mode – qui, au plan horticole, peut avoir pour conséquence d’affaiblir le potentiel génétique des iris en ne donnant plus la priorité aux meilleurs, mais en laissant les hasards du commerce déterminer quelles seront les variétés qui auront un certain avenir.

J’espère que, comme toutes les modes, celle-ci ne durera qu’un temps et que très vite chacun s’apercevra de ses dangers, pour revenir à une offre plus raisonnable.

29.10.15

PANNE D'ORDI

Mon ordi "de base" est en réparation. J'écris depuis l'ancien ordi, passablement obsolète. Je ne suis pas sûr de pouvoir publier demain!

23.10.15

ECHOS DU MONDE DES IRIS

L'inflation

Trente-huit nouveautés au catalogue Blyth de 2015/16 ! Toutes belles !

Cette inflation a quelque chose d' inquiétant. En effet elle entraîne, parce que les catalogues ne sont pas extensibles à l'infini et que le maintien en culture d'un grand nombre de variétés risque de devenir ingérable, une durée de présence de plus en plus courte. Des iris splendides vont donc n'avoir qu'une existence de quelques années, voire d'une seule...

Tant d'efforts pour si peu de chose.

Va-t-on vers l'iris « à jeter » ?

COYOTTE ATTEND - Première partie

Le titre de cette chronique est emprunté à Tony Hillerman, érudit et écrivain américain d'histoires policières, spécialiste des indiens Navajos. En effet aujourd'hui nous allons nous pencher sur le rapport des obtenteurs d'iris américains aux origines indiennes de leur nation. Les nations amérindiennes tiennent une large place dans la vie de tous les jours des Américains. Noms de lieux, de rivières, d'Etats, à tous moments les origines indiennes apparaissent dans le monde des USA. Le monde des iris n'échappe pas à cette emprise.

Il existe une foule de variétés d'iris qui portent un nom en rapport avec les indiens d'Amérique. Cela n'est pas le fait d'une récente toquade : cela a commencé dès les années 1920 et c'est plus fortement développé depuis une trentaine d'années. Cela va d'allusions générales à l'évocation des différentes nations indiennes, le plus souvent à propos de traits particuliers à chacune d'entre elles. Comme on va le voir, un grand nombre de tribus sont représentées dans cet inventaire.

Cela commence par des évocations très générales, comme :
     'Indian Chief' (Ayres, 1929), en deux tons de rose magenta ;
     'Zuni' (1931), autre iris de Wylie Ayres, un classique brun-rouge, très hâtif ;
     'Native Chief' (J. Gibson, 1966) (Henna Stitches X Wild Ginger), magnifique plicata clair ;
     'Native Dancer' (Fay, 1953), un rose « flamant », qui fait partie des fondamentaux, descendant de   'Mary Randall' ;
     'Brave Face' (Ghio, 2001) (inconnu X Starring), bicolore contrasté, avec pétales rose tendre et sépales pourpre vif ;
     'Seminole' (Farr, 1920), bitone violet pourpré.
Les indiens, dans ce cas, n'apparaissent que d'une façon superficielle, mais dans bien d'autres noms ils sont plus précisément évoqués.

Entamons un tour d'Amérique des nations indiennes. J'en ai noté une vingtaine qui figurent dans le dictionnaire des noms d'iris ! Cela confirme mon propos liminaire.

Voici : Les Apaches : Plus qu'une nation, c'est un groupe de tribus du sud-ouest des USA.
      'Apache Chief' (R. Brown, 1954) (Grand Canyon X Sandalwood), brun à barbe jaune ; 
      'Apache Sweetheart' (Tolman, 1960) ((Suzette x Fire Dance) X sib), jaune piqueté de brun, façon 'Wild Jasmine' ;
      'Wild Apache' (Gibson, 1964) (Henna Stitches X Wild Ginger), beau plicata ocre, frère de semis de 'Native Chief', cité plus haut.

 Les Cherokees : importante nation installée principalement dans l'Etat d'Oklahoma ;
     'Cherokee Nation' (Hedgecock, 1991) (Caramba X inconnu), brillant variegata jaune/brun ;
     'Cherokee Blaze' (J. Painter, 2012) (Valentino X House Afire), somptueux « rouge » centré de bleu ;
     'Cherokee Tears' (Hager, 1990) (((((semis Babson x Brass Accents) x Golden Bonanza) x Tucson) x Dutch Chocolate) X (Conversation Piece x semis)), brun sombre infus de bleu sous les barbes.

Les Cheyennes : l'une des plus célèbres et importantes tribus des Grandes Plaines. Elle a inspiré de nombreux obtenteurs, notamment Jim Hedgecock, qui, d'une manière générale, a fait très souvent appel aux Indiens pour donner un nom à ses iris.
     'Cheyenne Warrior' (L. Pinegar, 2002) (Light Beam X Tanner), plicata amarante aux dessins traditionnels ;   
     'Cheyenne Summer' (Hedgecock, 1996)(Caramba X inconnu),, jaune éclatant avec de fines veines brunes sous les barbes ;
     'Cheyenne Sky' (Schreiner, 2008), abricot clair, plus rosé sur les sépales, barbes mandarine, pedigree très complexe.

 Les Comanches : C'est aussi un groupe de tribus, réputées pour leur caractère batailleur.
     'Comanche Gold' (Hedgecock, 1992) ((Countryman X Miss Illini), jaune pur et lumineux ;  
     'Comanche Drums' (Tompkins, 1985)), bicolore ivoire et violet pourpré.
     'Comanche Winter' (Hedgecock, 2002), (Agape Love X inconnu), blanc avec un peu de jaune au cœur.

Les Chiricahuas ; sous-groupe des Apaches ;
     'Chircahua Canyon' (Hedgecock, 1997) ((Space Dragon x Tuxedo) X Sophistication), amoena violacé, sépales cernés de brun.

Illustrations : 


 'Native Chief' 


'Seminole' 


'Cheyenne Warrior' 


'Comanche Drums' 
                                                                                                                                             (à suivre)

15.10.15

HONNEUR À KEITH KEPPEL

Avec six Médailles de Dykes, Keith Keppel est actuellement le plus « capé » des obtenteurs d'iris. C'est l'occasion de l'honorer, en images, comme il le mérite, après cinquante ans de carrière et encore plein de projets. 

Huitième épisode :  Demain, c'est chaque jour du nouveau !

La complexité des semis plicatas s'accentue. Keith Keppel s'amuse à jouer sur tous les leviers de son domaine d'activité de prédilection. Les quatre semis ci-dessous tournent le projecteur sur quatre présentations d'un même sujet.


 semis n° 1 


 semis n° 2 


semis n° 4 


 semis n° 18 

NB : Il ne s'agit pas de n° de semis donnés par l'obtenteur, mais des n° de photos attribués par moi.

LA VOÛTE SEMÉE D'ÉTOILES

« Ciel » et « Étoile » font partie des mots qui reviennent souvent dans les noms donnés aux iris. Mais il ne faut pas confondre : il y a « Étoile » et Étoile » ! Ou plutôt « Étoile » et « Star », au sens de vedette du monde du spectacle. Ces étoiles-là ne sont pas celles auxquelles ces quelques lignes sont consacrées. Restons-en aux étoiles du ciel.

 En feuilletant ma base de données, j'ai relevé une quinzaine de noms de grands iris qui évoquent les étoiles du ciel et j'ai essayé de distinguer les différentes thématiques auxquelles les obtenteurs font allusion.

Il y a tout d'abord les noms qui restent dans le domaine des généralités. En témoignent :
     'In the Stars' (B. Blyth, 1999) (Crazy for You X About Town), un amoena aux pétales blancs et aux sépales vieux rose cernés de blanc, sans aucun excès de frisottis ;
     'Moon and Stars' (Nearpass, 2005), introduit par Don Spoon bien après le décès de son obtenteur, qui est un iris blanc très classique doté d'une belle barbe jaune, avec un pedigree un peu compliqué pour une plante plutôt banale ((Abridged Version x (Hager 2542, sib to Puppy Love pollen parent, x (Peach Paisley x April Melody))) X (Payoff x (My Katie x Memphis Delight))) ;
     'Stardusted' (L. Markham, 2010), en bleu tendre un peu argenté, qui n'a rien de transcendant, si ce n'est, lui-aussi, un pedigree délicat à interpréter : (Midnight Fragrance X (((Angel Feathers x (Sheaff 60-3: (Hall pink sdlg. x Celestial Snow) x Arctic Flame)) x Black Taffeta) x (Blackbeard x Secret Weapon)).

 D'autres noms font référence au mouvement des étoiles :
     Depuis le statique 'Tranquil Star' (B. Blyth, 1978), amoena jaune sans prétention, mais accompagné d'une descendance remarquable ('Electrique', 'Imprimis', 'Alpine Journey'...). Son pedigree explique en partie son intérêt génétique:((Champagne Music x Snowlight) X (Eloquent x Outer Limits)) ;
     Jusqu'à 'Dancing Star' (T. Johnson, 2009), très joli amoena blanc/bleu marine, descendant des vedettes que sont 'Queen's Circle' et 'Starring' ; En passant par le fugace mais éclatant 'Shooting Stars' (Ernst, 1993), issu du couple mythique (Edna's Wish X Wild Jasmine).

Il y a les amateurs d'expressions poétiques. Cela donne :
     'Dreaming Star' (Terrada, 1997) (Sweet Musette X Inga Ivey) aux douces teintes rose pastel ;
     Et 'Star of the Morn' (Grosvenor, 2005) (Pay the Price X Rhonda Fleming), aux fines broderies plicata bleues.

 En Amérique, il semble que, comme la lune, les étoiles soient jaunes, voire même orangées ; du moins si l'on en croit les noms choisis par certains hybrideurs :
     le « vieux » 'Flaming Star' (Plough, 1966) (Marilyn C X Orange Parade), ascendant direct d'un des plus beaux oranges, 'Son of Star', et qui se trouve dans le pedigree d'un grand nombre d'iris oranges aussi connus que 'Avalon Sunset', 'Cajun Rhythm', 'Fresno Frolic' ou 'Marcel Turbat'.
     L'éclatant 'Orange Star' (Hamblen, 1980) ((Azure Gold sib x ((Valimar sib x June's Sister) x Tomeco)) X Hilight ), fréquemment rencontré en France et « père » d'une variété que j'adore : 'Podzni Leto' (Seidl, 1997) ;
    'Risen Star' (Maryott, 1991) (Radiant Energy X Sound of Gold), dans la même thématique, sera plus jaune qu'orange.

 Et puis les étoiles évoquent aussi les contrées lointaines et la beauté des ciels que l'on voit ailleurs. C'est sans doute le cas pour :
     'Aegean Star' (Plough, 1971) (((Jaipur x (My Darling x Copper Halo)) x Jakarta sib) X Stepping Out), classique plicata, fils de 'Stepping Out' et mère de 'Batik' ;
     'Baltic Star' (Stahly, 1994) (Wagontrail Night X Night Lady), dans un autre genre, plus sombre et franchement original ;
     ou 'Exotic Star' (Plough, 1974) (Winner's Circle X 66-73-19: sib), autre plicata couramment rencontré encore aujourd'hui.

C'est bien connu, les étoiles font rêver. Leur lueur ou leur éclat portent à la réflexion, tandis que les immenses distances qui nous en séparent font naître admiration en enthousiasme pour les merveilles de la nature. Pas étonnant que les obtenteurs d'iris, souvent lyriques dans le choix de leurs noms, aient appelé « Star » un bon nombre de leurs cultivars.

 Illustrations : 


'Dancing Star' 


 'Shooting Stars' 


 'Orange Star' 


 'Baltic Star'

9.10.15

HONNEUR À KEITH KEPPEL

Avec six Médailles de Dykes, Keith Keppel est actuellement le plus « capé » des obtenteurs d'iris. C'est l'occasion de l'honorer, en images, comme il le mérite, après cinquante ans de carrière et encore plein de projets.

Septième épisode : Aujourd'hui. 

Keith Keppel poursuit sa recherche dans la diversité des plicatas, sans oublier que quelques dispositions classiques réservent encore de belles surprises. Quatre modèles de ces orientations :


'Fire Danger' (2014) ((Inside Track x Spice Lord) X Sorbonne) 


 'High Desert' (2014) ((Inside Track x Spice Lord) X Reckless Abandon) 


 'Painted Shadows' (2014) ( Silk Road X Roaring Twenties) 


 'Swedish Lullaby' (2014) ( Silk Road X Roaring Twenties)

COMME UNE FLEUR développement, épanouissement, flétrissement

Lorsque le printemps s'avance, l'amateur d'iris, impatient de voir ses plantes fleurir, passe un doigt fébrile sur la base des bouquets de feuilles qui commencent à s'élever. S'il sent un léger renflement, il sait qu'une fleur est en formation et il se met à rêver de ce qu'il pourra admirer dans quelques semaines. Car les fleurs d'iris se développent dès le début de la poussée printanière. Elles naissent au cœur des trois feuilles qui se dressent, bien verticales, à l'extrémité du rhizome. Comme le reste de la plante, elles croissent avec une extraordinaire rapidité. Le début se situe vers la mi-février, ici, dans les contrées tempérées comme l'Ouest de la France. Il faut que tout soit prêt pour la mi-mai, soit environ 90 jours plus tard. C'est à dire que la croissance va atteindre et même dépasser un centimètre par jour ! Combien de millions de cellules cela représente-t-il par période de 24 heures ? La différenciation est immédiate, de sorte que, en effet, très vite l'amorce des fleurs et de la tige qui les porte est sensible au toucher avant d'être visible à l’œil nu sous la forme d'un renflement qui peu à peu s'élève et s'arrondit au centre de son triple bouquet de feuilles.Tous les éléments de la future fleur sont là. Si, comme pour une future maman, on faisait une échographie de l'iris à ce moment, on distinguerait les différents éléments qui constitueront la sommité de la hampe florale. Le rameau porteur, les boutons blottis dans leur enveloppe qui deviendra chitineuse, les pétales qui seront roulés comme un cigare dans l'enveloppe formée par les sépales, eux-même délicatement enroulés. Plus le temps passe, plus ces différents éléments se distinguent et s'accroissent. Le jardinier qui se projette dans l'avenir peut mesurer chaque jour les progrès accomplis. Il se gardera bien de serrer ce renflement entre ses doigts de peur d'écraser les tépales encore tellement fragiles, mais il pourra mesurer la progression des ces promesses de fleur.

Peu à peu le bouton prend sa forme caractéristique, lenticulaire, irrégulière chez les iris tétraploïdes (l'un des côtés est presque droit, l'autre s'arrondit, les deux se rejoignent au sommet de la future fleur en une pointe plus ou moins acérée).À quelques jours de leur éclosion, les fleurs pointent leur nez hors de leur enveloppe verte. Ce que l'on voit, c'est l'extérieur des sépales. Le reste de la fleur est encore précieusement abrité. Au fil des jours, la couleur se précise, puis, brusquement, l'ensemble se déploie. Les sépales s'écartent et libèrent les pétales qui prennent aussitôt leur forme plus ou moins en dôme. Le plus souvent deux fleurs s'ouvrent à peu près au même moment : l'une sur la partie basse de la tige, l'autre vers le sommet. Sur les plantes les meilleures à ce point de vue, la floraison va être progressive : pour une meilleure durée de la floraison, il ne faut pas que toutes les fleurs s'épanouissent en même temps, ni même en quelques jours ; un étalement permettra de profiter plus longtemps de la floraison. Autant d'un point de vue esthétique que de solidité de la tige, les fleurs ouvertes doivent se répartir tout au long de la hampe. Il en est dont ce sont les fleurs de l'extrémité qui éclosent toutes en même temps ; elles s'entassent et se gênent, elles donnent trop de poids à cette partie haute et, à la première occasion – coup de vent ou averse – la tige va verser... Quelque fois les rameaux inférieurs, au nombre de deux ou trois, ne réussissent pas à s'écarter de la tige principale ; les fleurs, de ce fait, s'écrasent sur cette tige et ne parviennent pas à leur plein épanouissement... Ce sont là des défauts qui n'apparaissent pas forcément aux yeux d'un admirateur subjugué par les couleurs de la fleur, mais que les obtenteurs qui aiment tendre vers la perfection autant qu'ils redoutent le verdict de leurs juges savent bien reconnaître et tentent d'éliminer en ne sélectionnant pas les plantes ainsi constituées. Une autre anomalie qui vient parfois perturber la floraison est aussi la conséquence d'une aspect de la fleur pourtant très positif sur un autre plan : des tépales très abondamment frisés se trouvent étroitement imbriqués les uns dans les autres et ne parviennent pas à se séparer complètement ; c'est comme une salade trop frisée dont on ne peut pas détacher les feuilles sans les déchirer...Il reste encore quelque chose qui peut venir gâcher le bonheur de l'amateur d'iris. Il s'agit de la durée de vie de chaque fleur. Les fleurs un peu molles, dont la matière est mince ou fragile, vont se faner très rapidement. Les fleurs d'iris sont importantes. Ce sont de grosses fleurs qui offrent aux intempéries et à l'action du soleil une grande surface sensible aux altérations. Pour qu'elles durent il faut qu'elles soient épaisses et résistantes. Souvent, dans les catalogues, les producteurs insistent sur la nature cireuse de la matière des tépales. Ils ont raison car c'est un gage de durée autant que d'élégance. Mais on rencontre aussi des fleurs minces et sensibles à la moindre pression...

 Ces fleurs-là vont se flétrir rapidement. L'amateur n'aura guère le temps de tirer de chacune tout le profit esthétique qu'il en espère. Son plaisir sera de courte durée. Surtout si le nombre de boutons floraux est peu important. Cependant, quelle que soit la résistance des parties florales, leur espérance de vie est malgré tout réduite (pas plus de deux ou trois jours avant le début de la flétrissure). Celle-ci va se manifester par un épuisement progressif de l'eau qui imprègne la matière florale, ce liquide interstitiel qui assure la cohésion entre les cellules. Les parties extérieures, les plus minces, vont s’assécher et commencer à se recroqueviller. Le phénomène va progressivement gagner l'ensemble de la fleur. En se desséchant les sépales vont se refermer autour des pétales, un peu comme un parapluie inversé ; le liquide va s'écouler si le soleil n'est pas là pour l'absorber. En peu de temps, la fleur séchée aura perdu toute sa substance et se résumera à uns sorte de petit morceau de papier chiffonné, grisâtre, tandis que, si la fleur a été fécondée, la base commencera à se gonfler. Le cycle floral est terminé, mais commence celui de la multiplication. Le jardinier, s'il n'a pas pratiqué l'hybridation manuelle de ses iris, va devoir s'éloigner de son domaine de rêve, pour une longue période d'attente et de réflexion, qui va durer sept ou huit mois, avant que ne recommence le cycle de la nature.

2.10.15

LA FLEUR DU MOIS

‘MORSKOY PRIBOY’ 
Pétales blanc bleuté ; Sépales blanc bleuté rehaussé de crème, épaules jaune pâle, barbes lavande pointées jaune pâle, jaune pâle dans la gorge. 'Pink Sleigh' X 'Laced Cotton' 

En russe, cela s'écrit « Морской прибой » et cela signifie quelque chose comme « le ressac de la mer » ou « surfer sur la mer ». Cela fait évidemment allusion à la couleur de la fleur qui peut être comparée à celle de la crête d'une vague qui s'apprête à se briser. Je ne sais pas si l'obtenteur de cet iris, Adolf Volfovitch-Moler, a jamais vu la mer qui se situe tout de même à quelques milliers de kilomètres de Tashkent où il habitait, mais il peut aussi avoir choisi ce nom pour ce qu'il évoque plus que pour ce qu'il représente de réel pour lui.

'Morskoy Priboy' fait partie du lot d'iris qui m'est parvenu d'Ouzbékistan en 1997 lors de mon premier échange avec son obtenteur. J'avais eu la curiosité de voir ce qu'un hybrideur du bout du monde pouvait bien obtenir avec un stock de géniteurs des plus pauvres. Le succès à Florence en 1995 de 'Ikar' et de 'Sinfonyia' m'avait intrigué. Comment pouvait-on obtenir ce que les Américains appellent un « winner » quand on ne dispose que de quelques anciennes variétés mystérieusement parvenues au fin fond de l'Asie Centrale ? L'échange a pu se faire assez simplement en 1997 : j'ai reçu un gros paquet de variétés inconnues et j'ai fait expédier par Lawrence Ransom un nombre à peu près équivalent de variétés françaises parmi les plus récentes et les plus belles.

Volfovitch-Moler ne m'a jamais expliqué comment il s'était procurer 'Pink Sleigh' et 'Laced Cotton', les parents de 'Morskoy Priboy'. Cette année, rencontrant Zdenek Seidl lors du concours FRANCIRIS, je lui ai demandé comment on faisait, du temps de rideau de fer, pour acheter des iris américains. Sa réponse a été sincère et conforme à ce que j'imaginais : « par fraude ». Les chanceux qui pouvaient aller à l'ouest rapportaient dans leur valise quelques précieux rhizomes, cultivés comme des plantes précieuses, et échangés en grand secret entre amateurs.

Arrivés en France, les rhizomes ouzbeks ont tranquillement poussé. 'Morskoy Priboy' a fleuri dès 1998, puis assez fidèlement, environ une année sur deux jusqu'en 2008. Puis il a connu une longue et inexplicable éclipse jusqu'en 2013, avant de reprendre son rythme habituel. Son développement est plutôt faible. La touffe grossit lentement, mais la plante est parfaitement saine, et les floraisons sont belles. Dans ma terre ingrate et avec le peu de soins que j'apporte à mes iris, disons qu'elle se comporte à peu près comme la plupart de celles des autres variétés cultivées.

La photo jointe montre que ce 'Morskoy Priboy' est un iris très classique, d'une forme conforme à ce qu'on peut attendre d'un croisement entre deux excellents géniteurs de l'époque classique ('Pink Sleigh' date de 1970 et 'Laced Cotton' de 1978). Il n'a eu aucun frère de semis et aucun descendant enregistré. Ce n'est pas le cas de 'Pink Sleigh' (Rudolph, 1970) qui est gratifié de plus de 150 rejetons, ni de 'Laced Cotton' (Schreiner, 1978) à qui l'on en attribue plus de 130. Chez Volfovitch-Moler, si 'Pink Sleigh' a été utilisé à plusieurs reprises, 'Laced Cotton' ne figure qu'une fois dans le pedigree de ses variétés. Parmi celles qu'il a obtenues avec 'Pink Sleigh', il m'en a envoyé trois que je continue d'apprécier chaque printemps : 'Babyie Leto' (1995), bitone vieux-rose ; 'Happy Childhood' (1997), jaune pâle infus de blanc ; 'Vecherniaya Skazda' (1997), mélange de mauve et de brun noisette.

Aucun de ces iris ne peut être considéré comme un chef d’œuvre, mais ce sont de bonnes variétés classiques qui sont tout à fait représentatives de ce qui se faisait dans l'ancienne Union Soviétique, avec peu de moyens, mais beaucoup d'envie.

Illustrations : 


'Morskoy Priboy' 


'Pink Sleigh' 


'Laced Cotton' 


'Babiye Leto'

HONNEUR À KEITH KEPPEL

Avec six Médailles de Dykes, Keith Keppel est actuellement le plus « capé » des obtenteurs d'iris. C'est l'occasion de l'honorer, en images, comme il le mérite, après cinquante ans de carrière et encore plein de projets. 

 Sixième épisode : La période contemporaine. 

De 2010 à 2013, il y a déjà plus de 30 TB enregistrés. La notoriété de K. Keppel atteint des sommets. A mon point de vue le terme qui qualifie le mieux les iris signés Keppel, c'est « raffinement ». En voici quatre exemples.


 'Dancing Days' (2012) (Silk Road X Roaring Twenties) 


 'Ringtone' (2010) (Jazz Band X (Starship Enterprise x (frère de semis de Sharpshooter, x Sharpshooter))) 


'Strawberry Shake' (2011) (In Love Again X (Crystal Gazer x frère de semis de Adoregon)) 


 'Volcanic Glow' (2011) (Montmartre X Lip Service)

IRIS ET COMPAGNIE

Un jardin d'iris, c'est beau pendant deux mois et même grandiose pendant un seul. Le reste du temps, avec les feuilles qui sèchent, puis disparaissent presque complètement, cela fait négligé, voire triste. D'où l'intérêt qu'il y a à donner des compagnons aux iris. Mais ceci n'est pas une mince affaire ! Voici un certain nombre des problèmes que l'on doit résoudre si l'on veut constituer un jardin où dominent les iris, mais qui reste plaisant tout au long de la belle saison. En premier lieu, les iris restent en place pendant plusieurs années et se développent largement, finissant par constituer de touffes importantes qui laissent peu de place pour d'autres plantes qui pourraient se substituer à eux pendant leur période de végétation ralentie. Autre difficulté, les compagnons qu'on peut leur donner doivent être discrets au moment où les hôtes privilégiés sont en fleur. Ajoutons que tout le monde ne doit pas manger au même râtelier, c'est à dire que chacune des plantes vivant ensemble doit se nourrir dans une strate différente du sol, de manière à ne point se gêner les unes les autres. Enfin il est nécessaire de ne faire cohabiter que des plantes qui ont à peu près les mêmes besoins en eau et en ensoleillement. Ce sont-là quelques-uns des principaux obstacles que doit surmonter le jardinier.

Dans la plupart des ouvrages traitant des iris on trouve un chapitre consacré à la cohabitation entre iris et autres fleurs. Mais bien souvent les informations données sont succinctes, voire même insuffisantes (1). C'est comme si ceux qui parlent d'iris ne savaient pas quoi dire sur un sujet essentiel, et qu'ils doivent pourtant aborder, mais sur lequel ils sont un peu à court d'idées.

Je ne suis pas moi-même le mieux placé pour traiter de cette question, mais au cours de mes quarante ans de fréquentation des iris, j'ai pu faire quelques observations que je vais livrer ici.

Prenons, dans l'ordre, les différents problèmes évoqués ci-dessus. Le développement des touffes d'iris, tout d'abord. Certaines variétés poussent fortement et se multiplient à l'envi. Mais pas toutes, et certaines, qui prolifèrent ici, seront moins exubérantes ailleurs. D'où la difficulté à prévoir la place qui doit être réservée à chacune au moment de leur plantation. Il faut adopter une règle moyenne et ajuster au fil des ans en retirant une partie des touffes qui viendraient à prendre trop de place. Cette règle peut d'ailleurs s'appliquer aux plantes commensales qui, elles-aussi, peuvent avoir une propension à occuper plus de terrain qu'on ne souhaiterait leur en allouer. Bref, je crois qu'en laissant de 50 à 60cm entre deux touffes d'iris, on aura assez de place pour planter autre chose dans l'intervalle.

Quand les iris perdent leur attrait, il est souhaitable que leurs voisins soient là pour prendre leur succession, mais quand ils sont au sommet de leur floraison, il ne faut pas que ces voisins soient eux-même en plein développement. Autrement dit il importe de choisir pour ce rôle de substitut des plantes à floraison estivale et à développement tardif. Dans ce rôle, j'ai un faible pour les dahlias. En mai ils sortent tout juste de terre, en juin ils atteindront leur hauteur maximale et déploieront leurs premières corolles, lesquelles se renouvelleront jusqu'aux gelées. En choisissant des variétés de taille moyenne, on ne crée pas de hiatus avec les iris. Mais d'autres fleurs d'été peuvent jouer le même rôle. Pour leur côté linéaire, échinops et éryngium ou verveines de Buenos-Aires ont tout leur intérêt ; pour leur souplesse, coréopsis et gaillardes ou rudbeckias sont à considérer. Enfin n'oublions pas les phlox, sans soucis et bien florifères, et certains fuchsias rustiques qui sont en fleur tout l'été. Mais j'oublie certainement d'autres plantes qui ont les mêmes qualités.

Si, pour varier les plaisirs, on alterne les iris et d'autres fleurs de printemps, on doit penser aux lupins – dans les terrains plutôt acides – aux achillées ou aux délicats omphalodes. Les pavots d'orient peuvent avoir leur place : ils ne l'occupent pas longtemps, mais sont très volumineux au printemps. Pour leur caractère graphique, les grands alliums sont aussi recommandés. Les photos de la pépinière Schreiner, en Oregon, montrent des compositions d'iris, d'allium et de lupins à faire rêver... Ces fleurs ont des racines plus profondes que celles des iris et ne se nourrissent pas au même étage. Il n'y a pas de concurrence pour les nutriments.

 Les iris ont besoin de beaucoup d'ensoleillement. Les bordures où ils sont plantés doivent donc se trouver en plein soleil et leurs commensaux doivent aussi aimer la chaleur. C'est le cas des plantes que j'ai citées, mais lors du choix du panel de fleurs à planter ensemble, il faut tenir compte de ce fait, comme il faut aussi penser à ce que les iris craignent l'humidité stagnantes et savent se contenter de la moindre goutte de rosée pour s'abreuver. En premier plan, il est facile de faire pousser des népétas qui fleurissent tout l'été et, comme de nombreuses labiacées, adorent le soleil, ou de petits géraniums vivaces (ils poussent vite et beaucoup, mais sont faciles à éclaircir).

Tout cela n'est pas rien à prendre en compte quand on veut créer des massifs diversifiés. Mais la difficulté rend la tâche encore plus passionnante. Ce n'est pas cela qui va arrêter le bon jardinier !

(1) Le livre de Richard Cayeux « L'Iris, une fleur Royale » est au contraire parfaitement documenté et source de la meilleure inspiration.