30.10.15

UNE AFFAIRE DE MODE

La mode est une chose qui sévit partout. Dans le mode des iris comme ailleurs. Quand on regarde ce que les hybrideurs nous proposent aujourd’hui on est convaincu de cette influence. La première trace de la mode apparaît avant même d’avoir feuilleté le catalogue. Rares sont maintenant les hybrideurs qui se contentent de proposer quelques nouvelles variétés. Il en faut au moins une vingtaine pour ne pas passer pour un rigolo. Il y a là une véritable inflation dont on pourrait se réjouir mais qui, en fait, condamne à une disparition prématurée un grand nombre de plantes splendides. Pourquoi en proposer autant ? Il est certain que les progrès de l’hybridation, les qualités génétiques exceptionnelles de nombreuses variétés récentes aboutissent à l’apparition dans les pépinières d’un grand nombre de cultivars de grande classe. Devant cette hyper-production d’iris de valeur, il semble que les obtenteurs – d’abord américains, mais maintenant de tous les pays – aient renoncé à une de leurs prérogatives essentielles qui est la sélection. Pendant des années on a distingué un grand obtenteur d’un obtenteur ordinaire à son exigence dans le choix de ses nouveautés. Un homme comme Donald Charles Nearpass, par exemple n’a mis sur le marché qu’un nombre dérisoire de variétés tant il se montrait sévère avec ses obtentions. Mais ce sont toutes des variétés incontournables, qui ont encore du succès plus de trente ans après leur introduction. De nos jours même les meilleurs abandonnent l’idée de choisir par eux-même, et laisse faire ce choix à ceux qui vont acheter leur production. C’est un comportement lourd de conséquences.

Au lieu de vendre quelques dizaines (voire quelques centaines) d’un petit nombre de variétés méticuleusement sélectionnées, les hybrideurs vont commercialiser le même nombre de rhizomes, mais en quantités beaucoup plus faibles. Cela va compliquer leur travail à plusieurs points de vue : d’abord au plan de la mise en multiplication, car il devient nécessaire de disposer de davantage de place, même si, avantage discutable, la durée de culture pour disposer d’un stock suffisant va se trouver raccourcie ; ensuite au plan des cultures, car il va falloir multiplier les planches et allonger le travail d’arrachage, enfin au plan des expéditions, car la composition des lots va se diversifier et devenir plus délicate avec un accroissement des risques d’erreur.

Dans le système américain de la course aux honneurs cela va disperser les votes des juges, au risque de récompenser des variétés moins valeureuses mais offertes en nombre un peu plus important et présentes dans un plus grand nombre de jardin. C’est quelque chose qui a desservi Richard Ernst, lequel mettait souvent sur le marché des variétés très proches les unes des autres mais dont chacune n’arrivait pas à être vue par un nombre suffisant de juges pour obtenir assez de points pour émerger au palmarès. En sens inverse c’est aussi quelque chose qui a aidé considérablement Keith Keppel qui, avec un nombre restreint de variétés excellentes et bien distribuées, écrase la concurrence depuis quelques années.

D’une façon générale cela va réduire à presque rien la vie de très nombreuses variétés qui, peu vendues, vont disparaître rapidement des catalogues pour laisser la place à de nouvelles vagues de variétés aussi éphémères. Avec le risque supplémentaire de condamner des variétés intéressantes au même titre que des plantes plus banales. De deux iris presque semblables lequel retenir, en effet, quand on n’a comme élément de jugement qu’une photographie plus ou moins retouchée et une description commerciale plus ou moins dithyrambique ?

Comme on le voit je ne suis guère favorable à un système qui, sous le couvert de laisser le choix de leurs favoris aux acheteurs d’iris, ne va qu’embarrasser ces amateurs qui ne seront plus guidés par la sélection rigoureuse de ceux qui sont les mieux placés pour les mener vers l’excellence et leur proposer uniquement des plantes de qualité. Un système – ou une mode – qui, au plan horticole, peut avoir pour conséquence d’affaiblir le potentiel génétique des iris en ne donnant plus la priorité aux meilleurs, mais en laissant les hasards du commerce déterminer quelles seront les variétés qui auront un certain avenir.

J’espère que, comme toutes les modes, celle-ci ne durera qu’un temps et que très vite chacun s’apercevra de ses dangers, pour revenir à une offre plus raisonnable.

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