29.5.21

LES SEVENTIES

« Les Seventies », c'est ainsi que l'on nomme, dans cet anglais qui a pris tant d'importance dans le monde des iris (comme dans tous les autres mondes...), les années de la décennie 1970. C'est une période majeure en iridophilie, à tel point qu'on la considère comme son âge d'or. Pendant ces dix ans il y a eu une véritable explosion de l'hybridation et un enrichissement considérable de la qualité des plantes et de la palette de leurs coloris. Même s'ils ont maintenant cinquante ans, de nombreux iris de cette période restent parmi les plus beaux et les plus réussis. Ce sont aujourd'hui les grands classiques de l'hybridation et le collectionneur qui se consacrerait entièrement à la culture des iris de ces années pourrait s'enorgueillir d'un somptueux jardin. 

Dans les lignes qui vont suivre on va s'efforcer de choisir les variétés qui malgré leur âge peuvent faire pièce aux variétés actuelles soit pour leur splendeur, soit pour leur facilité de culture, soit pour une originalité qui n'a pas encore été dépassée, soit pour le succès qu'elles ont obtenu de la part des hybrideurs du monde entier. Cette sélection a forcément un côté arbitraire, mais les qualités des variétés choisies sont indéniables. 

1970 : Parmi les iris blancs, 'Madeira Belle' (Quadros) est assurément une réussite avec des fleurs solides, bien proportionnées suffisamment frisées et ondulées, et d'un blanc absolument pur, même pour les barbes. Dans les roses on trouve 'Pink Sleigh' (Rudolph) qui fait partie des roses « pink », c'est à dire influencés par des pigments bleus, orné d'une magnifique barbe rouge. Dans les mauves, 'Caro Nome' (O. Brown) et 'Grand Waltz' (Schreiner) se partagent les suffrages des amateurs. Cependant la variété la plus remarquable de la décennie pourrait bien être ce 'Kilt Lilt' (Gibson, 1970), médaillé de Dykes en 1976, variegata exceptionnel à tous points de vue. 

1971 : Plusieurs iris parfaits ont été mis sur le marché cette année-là : 'Chapeau' (Babson) beige et mauve, 'Casino Queen (Gibson) délicat plicata rose, 'Mode Mode' (Gibson) autre plicata rose très réussi, 'Post Time' (Schreiner) « rouge » remarquable pour son époque, 'Outreach' (Nelson) jaune d'or au cœur blanc avec des bords laciniés, et 'Dream Lover' (E. Tams) deux tons d'indigo, apprécié au point d'obtenir la Médaille de Dykes en 1977. D'autres variétés ont eu un appréciable succès, comme le plicata brun 'Copper Capers', (Gibson), le mauve 'Tiburon', (Gaulter), ou le bleu vif 'St Louis blues, (Schreiner). Tout ce beau monde est cependant dominé par 'Chapeau' (Babson, 1971) qui peut être qualifié d'iris de l'année. 

1972 : Beaucoup de jolies choses dont la plupart ont encore leur mot à dire. C'est le cas de 'Maestro Puccini' (Benson) toujours un des meilleurs bleus, 'Going my Way' (Gibson) fameux plicata violet qui est toujours resté dans l'ombre de 'Stepping Out' même s'il a les mêmes qualités et qu'il a figuré dans les votes de popularité jusqu'en 2014, le beau blanc 'Wedding Vow' (Ghio), le jaune tendre 'Lemon Mist' (Rudolph) ou 'Winner's Circle' (Plough) bleu-violet foncé, qui sort de l'ordinaire avec son gros spot blanc. Peut-être peut-on délivrer le titre d'iris de l'année à 'Surf Rider' (Tucker, 1972 ) qui donne maintenant quelques signe de vieillissement, notamment pour son côté un peu trop raide, mais qui est aussi l'un des premiers amoenas inversés. 

1973 : Année particulièrement riche en iris de premier plan. C'est celle de 'Bride's Halo' (Mohr) et de 'Mary Frances' (Gaulter) tous deux couronnés d'une DM. Le premier en blanc finement liseré d'or et le second en mauve lilas éclairé d'un spot blanc ; l'un et l'autre sont restés populaires aux USA jusqu'en 2015 ! C'est aussi celle où les plicatas de Keith Keppel se montrent en majesté, avec 'Limerick', 'Meteor', et 'Thundercloud' le plus célèbre des trois. Admirons également le délicat 'Brook Flower' (Schreiner), l'étrange 'Secret Society' (Plough), le « noir » 'Interpol' (Plough) au succès universel, sans oublier le charmant 'Peach Spot' (Shoop) délicieux blanc marqué de rose pêche. Iris de l'année : 'Mary Frances' (Gaulter, 1973). 

1974 : Tout amateur d'iris a en tête des variétés comme 'Autumn Leaves' (Keppel) plicata dans les tons de brun, or et lie-de-vin, 'Round-Up' (Keppel) grenat deux tons sur fond crème, 'Carnaby' (Schreiner) bitone mauve rosé, 'Joyce Terry' (Muhlestein) jaune marqué de blanc devenu la référence pour cet type de coloris, ''Queen of Hearts' (O. Brown) rose saumon et blanc, 'Pistachio' (Ghio) en vert ou 'White Lighning' (Gatty) l'une des obtentions les plus célèbres de son hybrideur, blanc sculptural avec une barbe mandarine clair. Le titre de Variété de l'année pourrait être attribué à 'Joyce Terry' (Muhlestein,1974), variété très appréciée puisqu'elle n'a disparu des votes de popularité qu'après 2012, et qui restera un modèle. 

 Les cinq années que l'on vient d'évoquer recèlent donc des iris qui figurent dans la mémoire de tous les amateurs. La semaine prochaine nous verrons que les cinq années suivantes n'ont pas été moins riches. (à suivre...) 

Illustrations :



'Kilt Lilt' 



'Chapeau' 



'Surf Rider' 



'Mary Frances' 



'Joyce Terry'


 Pour illustrer ces développements, les semaines à venir apporteront des photos de toutes les autres variétés citées.

21.5.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Fête des iris 

Malgré un temps très incertain la fête des iris de Champigny sur Veude, le 16 Mai 2021, a attiré beaucoup de visiteurs (environ 1500). Les iris, bichonnés par l'équipe organisatrice, étaient bien portants et en pleine floraison. Une belle fête à la gloire de nos fleurs favorites.

WALTER MOORES

WALTER MOORES

Le bibliothécaire du Mississippi 

La renommée internationale d'un hybrideur ne tient pas à la quantité de variétés obtenues, mais plutôt à la qualité de celles-ci, et peut-être un peu à la chance. Ce sont certainement ces deux dernières raisons qui ont fait que Walter Moores ait connu en France une certaine célébrité. Il a commencé à se faire connaître quand Iris en Provence, toujours à l'affût de nouveautés intéressantes, a mis à son catalogue plusieurs de ses variétés remontantes. En effet, au début de sa carrière d'hybrideur, il a enregistré de nombreux grands iris sélectionnés pour leur aptitude à refleurir après la floraison traditionnelle du mois de mai. À l'époque, c’est-à-dire au tournant des années 1970/1980, ils n'étaient pas nombreux les obtenteurs qui avaient fait de la remontrance leur cheval de bataille. Walter Moores était de ceux-ci, en compagnie de Lloyd Zurbrigg, Monty Byers et Ben Hager. C'est ainsi que cet hybrideur semi-professionnel a acquis sa réputation en France. 

Originaire du Texas, il est venu s'installer dans le nord du Mississippi, un peu au sud de Memphis (Tennessee), à la limite sud de la zone climatique où l'on peut cultiver les grands iris avec succès. Il disait qu'il appréciait le défi supplémentaire engendré par cette situation, et il est vrai que ses semis ont quelquefois souffert d'une température excessive et surtout de l'absence de gel hivernal. Comme beaucoup de gens il avait fait connaissance avec les iris sous la forme de ceux que son père et sa grand-mère avaient dans leur jardin, mais il fut véritablement accroché lors d'une visite à une exposition dans sa ville natale de Fort Worth en 1966. Il a raconté lui-même : « J'ai rejoint sur le champ la Fort Worth Iris Society et je n'ai jamais bougé de mon amour pour le genre iris. » Il a commencé aussitôt l'hybridation et ses premiers enregistrements datent de 1976 et ont été tout de suite des succès commerciaux. C'est le cas de 'Pepper Blend' (1976) et de 'Dante's Inferno' (1978). Ce dernier fait partie des variétés présentées au catalogue Iris en Provence, avec quelques autres comme 'White Reprise' (1984) ou 'Pink Reprise' (1991). Mais on peut en citer quelques autres tout aussi intéressants : le brun et lumineux 'Burnt Offering' (1976), le variegata-plicata 'Off Broadway' (1991), les violets 'Violet Reprise' (1993),' Scorpio Star' (1994), ou 'Libra Star' (1998), ces derniers enrichis d'un spot blanc sous les barbes. Comme on peut le constater sa recherche sur les remontants ne s'est jamais arrêtée. Mais il s'est aussi attaché à toutes sortes d'autres variétés, ce qui nous vaut 'Purgatory' (1987), descendant de 'Dante's Inferno', 'Ascii Art' (1995), dont il a été question ici il y a quelques mois, 'Violet Shimmer' (1995), plicata issu de 'Purple Pepper' (Nearpass, 1986), 'Lemonade Springs' (2003), joli jaune façon 'Joyce Terry', 'Night Train to Memphis' (2008), sombre descendant de 'Hello Darkness' (Schreiner, 1999) ou son tout dernier, 'Yalobusha Desert' (2010), rose saumoné infus de mauve. Et, comme l'écrit Renée Frazer en 2012 pour le blog « World of Irises », les derniers temps, il s'est focalisé sur les iris dit « zonals », avec différentes couleurs d'arrière-plan. Rappelons que le terme de « zonals » désigne un type de fleur, intermédiaire entre le type « glaciata », chez qui les pigments anthocyaniques sont totalement inhibés et le type « luminata », où cette inhibition est limitée à la zone située dans la partie supérieure des sépales. Cette nouvelle dénomination convient à des variétés comme le célèbre 'Clarence' ( Zurbrigg, 1991), c’est-à-dire des iris présentant sous les barbes une vaste plage blanche qui confère à la fleur une clarté très agréable. C'est le cas pour 'Opal Essence' (2011). 

Cependant, les grands iris n'ont pas été les seuls à retenir sa curiosité. Dans ses opus on trouve également des arilbreds et des intermédiaires, ainsi que quelques « species », c’est-à-dire des iris issus d'autres espèces botaniques que celles que se trouvent en mélange dans les catégories horticoles habituelles. 

Walter Moores est décédé le 2 novembre dernier. Il fait partie de ces hybrideurs qui ont la main heureuse et qui ne sont pas près d'être oubliés des amateurs. 


 Illustrations : 



'Dante's Inferno' 



'White Reprise' 



'Burnt Offering' 



'Night Train to Memphis'


16.5.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Bonne nouvelle 

Roland Dejoux, hybrideur français sage et rigoureux, m'annonce que son iris 'Noces de Diamant', dont il a été question ici la semaine dernière, «est commercialisé cette année chez Iris Cayeux » qui « a aussi mis à son catalogue 'Nuage de Lait' de Stéphane Boivin. » Ce sont là d'excellentes nouvelles. Cayeux S.A., en faisant de la place à ces variétés françaises dans un catalogue qui ne contient que des iris de qualité, valorise une production qui est parvenue au niveau international. 

 

 

 Florence 2021 

Malgré les circonstances, le concours international de Florence s'est tenu cette année encore. Voici les premiers résultats : 1) 'Belle Fille' (Marky Smith, 2011 ), magnifique luminata, très recherché, au pedigree particulièrement complexe ; 2) 'Mimmimaria' (S. Luconi, 2021) ; 3) 'Cloud Dweller' (Schreiner, 2018). 



'Belle Fille'



- 'Mimmimaria' 



- 'Cloud Dweller'


IL S'APPELAIT 'SAMARCANDE'

Ce n'est pas la première fois que l'on aborde ici la problématique du nom des iris. C'est une question importante car elle impacte gravement toute l'existence d'une nouvelle variété. Lawrence Ransom disait que, pour lui, c'était une étape plus délicate que le choix des parents ou la sélection des semis. Tous les hybrideurs ne rencontrent pas ces difficultés, mais le choix d'un nom reste un moment essentiel. 

« Un iris qui n'a pas de nom n'existe pas ». C'est par cette phrase que Valeria Romoli, l'ancienne directrice du concours de Florence, commençait il y a quelques années un article sur le sujet dans une publication italienne. Son but était de sensibiliser ses compatriotes à la nécessité de faire enregistrer leur production avant de la mettre sur le marché. Car pendant longtemps les amateurs italiens d'iris n'ont pas considéré que leurs obtentions méritaient un enregistrement, du moment qu'elles n'avaient pas vocation à sortir de leurs jardins d'origine. Pendant de nombreuses années, donc, l'Italie n'existait pas aux yeux du monde des iris. Pourtant à cette époque des variétés très intéressantes ont été obtenues par des hybrideurs (et surtout des hybrideuses) de talent, dont certaines ont essaimé un peu partout en Europe où on les trouve encore ! Mais l'absence de renseignements sur leur pedigree rend hasardeuse leur utilisation en hybridation et les empêche pratiquement d'avoir la descendance que leurs qualités pouvaient laisser espérer. C'est une perte pour le monde des iris. Une perte et un risque de confusion et de quiproquos. 

Car l'absence d'enregistrement du nom choisi, de même qu'un enregistrement tardif (après la commercialisation de la plante) est une opération à risque. En effet, si le nom n'est pas retenu officiellement, un autre hybrideur peut le choisir à son tour, en toute bonne foi, de sorte qu'il y aura deux variétés homonymes. C'est, par exemple, ce qui est arrivé à la famille Anfosso avec la variété désignée au catalogue d'Iris en Provence sous le nom de 'Samarcande'. Un iris remarquable signé Pierre-Christian Anfosso, commercialisé en 1992 mais enregistré seulement en 2012. Oui, mais un vieil iris de 1934 avait été à l'époque enregistré sous le nom de 'Samarcand'. L'appellation moderne a donc été refusée. D'où l'obligation de modifier le nom initial d'une variété diffusée depuis vingt ans, et de l'appeler officiellement 'Samarcande Grège' ce qui d'une part sent à plein nez le raccommodage, et d'autre part écorne le caractère évocateur du nom d'origine. La même mésaventure est arrivée à la Maison Cayeux avec la variété qui porte aujourd'hui le nom officiel de 'Aigle Marine' (2011), ce qui n'a guère de sens, mais qui a été mise au catalogue avant enregistrement sous celui de 'Aigue Marine', lequel avait déjà été donné, en 1938, à un iris de Ferdinand Cayeux. Un tel pataquès est difficilement explicable ! 

Certains hybrideurs ont du mal à accepter les exigences exprimées par le service d'enregistrement de l'AIS, et préfèrent renoncer à l'enregistrement plutôt que de se plier aux règles édictées. Ils ont tort. Certes ces règles sont contraignantes, mais elles ont le but louable d'éviter toute confusion et tout excès. Encore faudrait-il qu'elles soient appliquées à la fois avec rigueur et avec discernement, ce qui n'est pas toujours le cas et dépend bien souvent de l'humeur du « registrar ». Ainsi, comme on vient de le voir, 'Samarcande' a été refusé parce qu'il y avait 'Samarcand' alors qu'a été accepté 'Sardane' (Dejoux, 2008) alors qu'on trouve 'Sardana' (Peckham, 1942) ! Certaines décisions du « registrar » peuvent paraître franchement discutables, voire arbitraires. Ainsi, cette année, 'Vanille Citron' (B. Habert, 2021) a finalement été refusé au motif que les deux mots constituant le nom étaient deux adjectifs désignant des couleurs (association effectivement interdite), alors que ce sont d'abord des substantifs attribués à des fruits ! Et alors que le nom de 'Chocolate Vanilla' avait été accordé à Barry Blyth en 1991. Mais dans ce domaine il n'est pas possible de faire appel, et le plus sage est d'accepter la sanction... 

Ce sont là de petits incidents désagréables mais inévitables et cette controverse ne doit pas éloigner les hybrideurs de la nécessité de faire enregistrer le nom des variétés qu'ils ont l'intention de commercialiser. Il y va de l'ordre qui est nécessaire en horticulture comme en tout autre domaine et de la bonne harmonie qui doit régner dans le petit monde des iris. 

Illustrations : 


'Samarcande' (devenu 'Samarcande Grège') 


'Aigue Marine' (devenu 'Aigle Marine') 


'Vanille Citron' (maintenant 'Coeur de Citron') 



'Chocolate Vanilla' . 


7.5.21

LES SAISONS

L'hiver 

  Je regarde par la fenêtre qui est à côté de moi. Le ciel est gris, les arbres sont agités par une bise vigoureuse qui arrache les chatons des noisetiers après les avoir bien secoués pour en faire s'envoler le pollen. C'est l'hiver. Au jardin, dans les bordures d'iris, on ne voit encore que des moignons rabougris qui attendent des jours meilleurs pour lancer vers le ciel les épées vertes de leur feuillage. Souffrent-t-ils par ces températures négatives ? 

Nos grands iris des jardins, que l'on appelle TB en langage international, ont pour origine un grand nombre d'espèces de plantes provenant de diverses régions du monde. L'élément de base, c'est I. germanica, mais l'apport de I. aphylla est important et celui de I. mesopotamica (ou de ses cousins proche-orientaux) primordial. Forcément toutes ces espèces ont apporté des aptitudes, des forces et des faiblesses qui influencent le comportement de nos iris. Du point de vue climatique, avec I. germanica on a le type parfait de la plante adaptée aux climats tempérés de l'hémisphère nord. En compagnie de I. pallida, autre plante des régions tempérées d'Europe, il constitue le fondement de ce cocktail très élaboré que représentent nos iris d'aujourd'hui. En ajoutant les gènes de I. aphylla, plante des montagnes du sud de l'Europe, on renforce la résistance au grand froid. C'est d'ailleurs pour contourner l'effet des morsures du gel que les feuilles disparaissent et ne laissent apparentes que les amorces du feuillage de l'année suivante. Pour faire face à l'hiver, nos grands iris ont donc toutes les armes nécessaires. La neige peut être à la fois un danger et un secours. Côté secours, elle maintient un température basse mais constante autour des rhizomes, ce qui leur évite les accidents dus au gel profond. Mais côté danger il y a l'humidité. Car nos iris recèlent des trésors génétiques qui proviennent de régions qui ignorent les ondées. Ils sont venus du Moyen-Orient, de Turquie d'Asie, de Palestine, d'Irak... Autant de contrées à la limite de situations désertiques. Il y pleut peu et l'eau qui tombe sur ces terres assoiffées est rapidement absorbée. Plus encore qu'au froid, la présence de gènes d'iris originaires de cette région confère à nos hybrides modernes une aversion confirmée à l'eau stagnante. C'est pourquoi il faut tout faire pour que l'eau ne séjourne pas autour des rhizomes. L'hiver, c'est surtout l'humidité permanente qu'il faut éviter. 

 Le printemps 

Quand les beaux jours reviennent, la saison la plus ingrate est passée. Dès les premiers jours de mars les iris vont se réveiller et se lancer dans une croissance effrénée. En deux mois les tiges vont devoir s'élever de 90cm. Cette poussée va exiger la mise en œuvre de nutriments importants. Ils se trouvent dans les réserves que constitue la chair des rhizomes, dans les éléments que les racines vont chercher dans le sol et dans l'eau que les averses printanières vont apporter. Cependant certains incidents peuvent se produire à cette saison et compromettre la floraison. Le plus grave est le gel printanier. Ce n'est pas à craindre dans la zone méditerranéenne, mais ailleurs, plus on s'oriente vers le nord, si. Les variétés hâtives sont les plus sujettes au gel. En effet, dès la mi-avril les tiges florales portent des boutons qui commencent à s'arrondir. Les frimas du matin peuvent atteindre les délicates parties florales en train de se développer et les détruire sans pardon. Passé le 10 mai, et les journées dites des saints de glace, les iris sont sauvés. Les fleurs vont pouvoir s'épanouir, mais certains dangers les guettent ! D'abord la « verse ». Les tiges, hautes, et les fleurs, lourdes, peuvent avoir pour conséquence de précipiter vers le sol les hampes pas assez robustes ou dont le réseau racinaire est insuffisant, pour toutes sortes de raisons. Ce phénomène est surtout fréquent chez les iris de plantation récente, dont les racines peuvent être faibles et dont les tiges peu nombreuses ne vont pas se soutenir les unes les autres. Et d'autres dangers menacent. Les vers ou les escargots qui vont dévorer en partie les tiges et les rendre cassantes, les cétoines qui adorent les pétales de fleur et peuvent massacrer bien des touffes, surtout les plus claires qui les attirent particulièrement. Par bonheur ces incidents laissent tout de même, le plus souvent, beaucoup de fleurs s'épanouir et conférer à nos jardins cette splendeur qui enthousiasme tous ceux qui passent par là. 

 L'été 

La grande floraison est terminée ; les tiges qui ont porté avec tant de prestance les fleurs magnifiques et terminé leur rôle dans la reproduction vont se dessécher peu à peu. Le feuillage lui-même, qui avait pour rôle essentiel d'attirer l'eau du ciel vers les racines et d'apporter à la plante le carbone dont elle a besoin, va très vite perdre de sa superbe , brunir et se recroqueviller. Les iris entrent en dormance. C'est la saison qui laisse le plus de répit au jardinier. Pendant cette période les iris ne sont cependant pas sans une certaine activité. Ils ont à mener à maturation les graines qu'on a bien voulu leur laisser porter : c'est une fonction majeure mais exigeante en nutriments que la sève va devoir véhiculer du fond du sol vers les précieuses capsules. La chaleur ne nuit pas, au contraire, mais la sécheresse peut avoir de fâcheuses conséquences, même si nos iris, grâce à leurs origines balkaniques et proche-orientales, savent s'en accommoder. Un peu d'eau, de temps en temps, si besoin, sera la bienvenue. Elle sera néanmoins la cause d'une pousse active des herbes adventices. Avec ses feuilles sèches et ses herbes qui se dépêchent de venir à graine, le jardin d'iris ne va pas avoir belle allure. C'est une situation que leurs détracteurs ne vont pas manquer de reprocher aux iris. Cependant la grande affaire de l'été va être, après la maturation des capsules, la récolte des graines. Si l'on n'y prenait garde, ces graines mûres tomberaient au sol dès l'éclatement des capsules. Mais le jardinier averti saura veiller à se trouver là au bon moment pour recueillir les précieuses graines. C'est sur cet événement que se termine l'été des iris. 

L'automne 

Les iris se sont réveillés après la dormance estivale. Ils ont repris, doucement, leur croissance. Sur les côtés des rhizomes des pousses nouvelles vont se développer. Ce sont elles qui porteront les fleurs de l'année suivante. On entame un nouveau cycle. Les iris, comme toutes les plantes et même tous les êtres vivants ont pour raison d'être essentielle la reproduction. Les iris mettent tous les atouts de leur côté. Non seulement ils produisent des graines qui vont donner naissance à des plantes nouvelles, mais encore ils émettent des plantules destinées à les reproduire éternellement de façon végétative (pour peu que le hasard – ou la main de l'homme – ne vienne pas arrêter cette vie destinée à ne pas avoir de fin). Pour atteindre leur but ils ont mis tous les moyens que la nature a imaginés. Par exemple ce qu'il faut pour attirer les insectes pollinisateurs. Car la couleur des fleurs n'est pas là pour faire joli mais pour être le plus attirante possible. Et en modifiant cette couleur l'homme s'est immiscé dans la vie des plantes. Celles-ci sont des instruments dont l'homme use pour parvenir à ses fins d'ordre esthétique. En automne on assiste à une double évolution : d'une part les plantes « anciennes » continuent aveuglément leur multiplication , d'autre part les graines issues de croisements,spontanés ou organisés, vont être mises en terre et vont débuter leur existence. C'est à ce moment que les manipulations humaines vont produire leur effet. Qu'il s'agisse des croisements interspécifiques comme ceux qui ont eu lieu fréquemment dans les débuts de l'hybridation et qui interviennent encore parfois, ou des fécondations entre hybrides provoquées manuellement. L'automne est un moment crucial dans la vie des iris. Les plantes elles-même, indifférentes aux manipulations qui les affectent, vont se préparer pour le nouvel hiver. Elles vont profiter des derniers rayons du soleil pour reconstituer leurs réserves, réduire leur voilure de feuillage et protéger leurs bourgeons. Certaines, dans une hâte compulsive de floraison, vont tenter – et réussir très souvent – de développer des tiges florales et porter jusqu'au gelées des fleurs incongrues mais appréciées des jardiniers. Mais la froidure aura raison de tout cela et, dans le secret du jardin endormi, les iris vont préparer une explosion colorée dont les amateurs jouiront dès le retour des beaux jours.

LA FLEUR DU MOIS

'Noces de Diamant'

 ( Roland Dejoux, 2019)

 Montmartre X Duplication

 Cela s'est passé à St Pol de Léon. Les participants à l'Assemblée Générale de la SFIB regardaient tomber la pluie en espérant que le temps allait se lever pour leur permettre de se rendre, comme prévu, à l'île de Batz pour un pique-nique « horticole ». Mais cela se présentait plutôt mal ! Roland Dejoux en a profité pour exposer aux personnes présentes son projet d'offrir à la SFIB, pour ses soixante ans, une variété de sa production. L'idée a été appréciée de tous et le choix s'est porté sur un semis luminata, d'une belle couleur bordeaux, typique du modèle, avec ses bords clairs et la pure clarté qui émane du cœur de la fleur. L'affaire était faite, restait à trouver un nom pour cette nouveauté superbe. Chacun y est allé de sa proposition et c'est 'Noces de Diamant' qui a été choisi. Pour fêter les soixante ans de l'association dédicataire, on ne pouvait pas trouver plus approprié. Ainsi est né 'Noces de Diamant', une variété de premier choix. 

Cet iris luminata est issu d'un croisement entre deux luminatas, donc réunissant toutes les chances de voir réapparaître le modèle escompté. Un luminata présente les mêmes dessins qu’un plicata, sur les mêmes fonds légèrement colorés. Ces fonds tiennent leur couleur, plus ou moins prononcée, de la présence dans leurs cellules d’un pigment caroténoïde – donc plus ou moins rouge ou orangé – à concentration variable. Les dessins, eux, sont constitués par les pigments anthocyaniques – bleus ou violet – et leur application a été faite sur les sépales ( et d’habitude aussi sur les pétales). Une caractéristique du modèle luminata est que la pigmentation anthocyanique tend à s’éclaircir notablement au fur et à mesure qu’elle approche des bords. Un autre trait typique des luminatas, ce sont les veines plus claires qui apparaissent habituellement dans les parties colorées. En général les fleurs d’iris sont veinées de sombre, dans le cas des luminatas, c’est le contraire. Pour 'Noces de Diamant' ces veines s'étalent au-dessous des barbes. Mais ce qui définit absolument le modèle luminata, c’est une zone claire absolument pure de part et d’autre de la barbe. Pas une seule trace de la couleur de couverture. Au cœur de la fleur les pigments ont été totalement inhibés et par conséquent la surface apparaît dans son exacte teinte de base. 

'Montmartre', le « parent-capsule » de 'Noces de Diamant' est une plante caractéristique du travail de Keith Keppel. C'est un cocktail de variétés plicatas et luminatas où l'on retrouve ce qui se fait de mieux dans le genre, avec l'addition de 'Moonlit Water' (Keppel, 2004), 'New Leaf' (Ghio, 1996) et 'High Master' (Blyth, 2000). 'Montmartre', mis sur le marché en 2008, a recueilli dès son apparition l'approbation du public et des juges américains qui lui ont accordé leurs suffrages dans la course aux honneurs et lui ont fait parcourir la cycle complet aussi rapidement que possible : Honorable Mention 2010, Award of Merit 2012, Wister Medal 2014, American Dykes Medal 2017. 

'Duplication' (Brandon Sutton, 2010) est aussi un bon luminata issu de la production de la tribu Sutton, avec parmi ses géniteurs 'Entangled' (Ghio, 1999), 'Fancy Woman' (Keppel, 1994) et 'Suky' (Mahan, 1988). 

'Noces de Diamant' est un iris parfait en tous points, et on sait combien son obtenteur est exigeant sur les qualités de la plante. Il est actuellement commercialisé uniquement chez son obtenteur, mais il faut espérer que les grands pépiniéristes européens vont lui trouver une place dans leurs catalogues, car il le mérite. Il est assez regrettable que les obtentions de semi-professionnels français, bien souvent d'une qualité que pourrait leur envier bien des variétés américaines, ne connaissent pas une diffusion à leur mesure. Espérons que les choses évoluent dans le bon sens et que dans un avenir proche des variétés comme 'Noces de Diamant' se rencontreront partout, comme on rencontre les variétés des hybrideurs mondialement connus. 

Illustrations : 



'Noces de Diamant' 



'Montmartre' 



'Duplication'