30.1.03

INTERMÉDIAIRES, MAIS FERTILES.

On a longtemps affirmé que les iris intermédiaires étaient stériles du fait de leur nombre impair de chromosomes. Dans un article sous-titré « Un mythe anéanti », publié en 1998 (1) dans la revue « The Medianite » dédiée, comme l’indique son nom, aux iris moyens, l’obtenteur américain Marky Smith fait une synthèse de ses travaux sur les iris intermédiaires. Pour démontrer qu’ils n’étaient pas tous aussi stériles qu’on voulait bien le dire, il a effectué de nombreux croisements entre des intermédiaires utilisés comme parent femelle et, soit des nains standards, soit des grands iris. Au début de 98 il a choisi trente-trois IB (intermédiaires) qu’il a d’abord fécondé avec du pollen prélevé sur des SDB (iris nains), alors en fin de floraison, puis, un peu plus tard, avec du pollen de TB (grands iris). Cette expérience a été tentée avec des variétés dont il pouvait espérer obtenir des semis intéressants et dont la fertilité pollinique était reconnue.

Certains des iris fécondés n’ont rien donné, mais les plus nombreux ont produit, au moins dans l’un ou l’autre des croisements, quelques voire de nombreuses graines. Certaines variétés comme BOLD STROKE (E. Jones 93), un bleu drapeau à barbes sombres issu de CODICIL, DARK WATERS (Aitken 92), un self violet foncé, fils de GYRO, PROTOCOL (Keppel 94), un amoena jaune dont le père est AMBER SNOW, ou SMITTEN KITTEN (Aitken 91), amoena rose issu de MARMALADE SKIES, se sont montrés particulièrement performants tant avec les SDB qu’avec les TB. D’autres comme IMPERATIVE (P. Black 97), un néglecta pourpre sombre, PRISM ( M. Smith 95), qui tient de sa « mère » CHUBBY CHEEKS une tonalité violet grisé et des veines bleutées sous les barbes, STARWOMAN (M. Smith 97), un autre plicata grisé provenant également de CHUBBY CHEEKS, et cousin du précédent, ou THIS AND THAT (P. Black 98), très original rose pourpré et argenté, autre descendant du petit CHUBBY CHEEKS, n’ont bien réussi qu’avec les TB. D’une manière générale cette expérience a été un véritable succès.

L’intérêt d’une telle démonstration se situe notamment dans la perspective d’obtenir, par cette voie, des iris de bordure (BB) qui soient plus élégants et mieux proportionnés que ceux enregistrés jusqu’ici, lesquels ne sont que des grands iris déclassés pour cause de tiges trop courtes, et, de ce fait, généralement dotés de fleurs trop grosses pour la taille des plantes. Le mélange IB/TB aboutit à des iris moyens en taille, mais avec des fleurs petites et fines. Un autre intérêt est qu’on peut envisager que des traits caractéristiques des iris nains (SDB) comme la macule brune héritée des I. pumila apparaissent sur des grands iris (TB) ou tout au moins sur les BB de nouvelle génération. De même les couleurs si diverses et riches des SDB pourraient être transmises à des plantes de haute taille, renouvelant le choix de coloris de ces variétés.

En dépit d’un taux de germination des graines provenant des ces croisements assez faible, un champ de recherches original s’ouvre ainsi pour les hybrideurs à l’affût de renouveau. Pouvait-on craindre que l’hybridation finisse par ne plus produire que sans fin les mêmes iris ? Par ce chemin, cette hypothèse est sans doute à négliger.

(1) article repris dans le bulletin n° 313 (avril 99) de l’AIS.

24.1.03

MEZZA CARTUCCIA

Si je m’intéresse un peu à autre chose que les grands iris, je le dois essentiellement à Augusto Bianco et à l’iris intermédiaire qu’il m’a envoyé il y a six ans. Il n’était alors identifié que par un numéro de semis et je devais le printemps suivant fournir une appréciation sur les qualités de cette variété sous un autre climat que la douceur piémontaise. Et j’ai été tout à fait séduit par MEZZA CARTUCCIA (Bianco 98). Il s’agit donc d’un iris intermédiaire, joli et original, avec des pétales bleu argenté, et des sépales violet clair, accompagnés de barbes assorties dans les tons lilas, un peu sombre. La fleur est gentiment frisottée et ondulée, les sépales se tiennent très horizontaux. La plante pousse très bien chez moi et j’ai déjà du la dédoubler : elle a en partie émigré vers Orléans, chez ma fille, et en Auvergne chez mon fils cadet. Je ne sais pas si d’autres amateurs français se la sont procurée, mais je les invite vivement à le faire s’ils veulent disposer d’une variété en tous points intéressante.

Elle provient d’un croisement entre le pollen du SDB CHUBBY CHEEKS (P. Black 84) et les ovaires d’un semis de PACIFIC TIDE (Cowdery 86) x TOUCH OF BRONZE (B. Blyth 83). Avec de tels parents on pouvait évidemment espérer un bon iris. Car CHUBBY CHEEKS est un iris nain super original et très apprécié des obtenteurs. Paul Black est l’auteur de variétés qui sortent souvent de l’ordinaire, ainsi en est-il de GLITZ AND GLITTER (88) comme de GOLDKIST (93) ou de DUDE RANCH (2000), dernier vainqueur du Concours de Florence. Concours que SIGHS AND WHISPERS (89) avait remporté en 92, ce qui situe Paul Black dans la petite famille des doubles triomphateurs de Florence. CHUBBY CHEEKS est blanc, veiné de violet et liseré de jaune chartreuse. Il descend du côté maternel de DAISY (C. Palmer 76), blanc veiné de jaune, et de plicatas violets, dont CARROUSEL PRINCESS (Warburton 71), et du côté paternel d’un autre iris de Bee Warburton, SOFT AIR (72) qui est de couleur crème et qui compte parmi ses ancêtres l’incontournable SNOW FLURRY (Clara Rees 39), tout comme DAISY compte le bleu drapeau PIERRE MENARD (Eva Faught 48), l’une des pierres angulaires de l’hybridation des iris bleus.

TOUCH OF BRONZE a fourni à MEZZA CARTUCCIA sa barbe foncée, qu’il tient lui-même de EVENING ECHO (Melba Hamblen 77), lequel est un descendant de SWAN BALLET (Muhlestein 57 – DM 59). PACIFIC TIDE est un beau bleu marine à barbes rouges. Il a pour géniteurs VIVIEN (Keppel 79) et FULL TIDE (Opal Brown 72), et par conséquent pour grand parent le célèbre bleu BABBLING BROOK (Keppel 69 – DM 72).

Voilà donc ce MEZZA CARTUCCIA que je guette à fleurir chaque printemps, car il sonne le début de la saison des grands iris, alors que les petits SDB sont déjà sur leur fin. C’est un peu les trois coups du grand spectacle qui va durer jusqu’à la mi-juin.

16.1.03

JOSEPH ALFRED GATTY

Les iris roses sont maintenant innombrables et tous les obtenteurs se sont astreints à en sélectionner quelques-uns : cela doit faire partie de ces choses incontournables qui interviennent dans la vie de chacun d’entre nous. Mais peu nombreux sont ceux qui ont eu la main aussi heureuse que Joe Gatty dans l’hybridation des iris roses. Il est probable que cette couleur correspondait à sa sensibilité et à la délicatesse de son caractère.

Sa disparition en janvier 92 a mis un terme à trente-cinq ans de dévotion aux iris. Joseph Alfred Gatty était originaire de la côte Est des Etats-Unis, du New Jersey exactement il y vécut jusqu’en 1969, moment où il émigra vers l’une des terres de prédilection des iris, la côte Ouest, et précisément la Californie.

Longtemps, a-t-il dit lui même, il a cherché un but pour son existence. Vers l’âge de 25 ans il a découvert enfin ce qu’il voulait faire. Dès ce moment il s’est consacré aux iris, aidé au début par quelques grands noms de l’époque, le long de la côte atlantique : Robert Graves. Ed Watkins, Kenneth et Catherine Smith. et Stedman Butrick. Il s’était lancé dans l’hybridation en iris et il était très fier de son premier cultivar qu'il présentait un concours, quand quelqu'un derrière lui demanda : « Et ça, qu’est-ce que c’est? » Toute honte bue, le jeune Joe se dit qu’il devait se montrer plus rigoureux et sélectif, et attendit dix ans pour oser présenter de nouveau une de ses obtentions. Ce fut le point de départ d’une brillante carrière : ce premier iris fut considéré comme le plus beau de ceux présentés à la convention de 1960 qui se tenait Newark près de chez lui. Il s’appelait FRIENDSHIP.

En 1967 il prit la décision de faire le grand saut et de traverser les Etats-Unis de part an part pour trouver une terre où ses projets d’hybridation auraient les meilleures conditions pour se réaliser. Il y transporta ses graines et ses meilleurs jeunes plants, et la nouvelle vie commença, avec, tout de suite, des iris roses de grande classe venus de l’est. PRINCESS (72) et LIZ (72). Le ton était donné, Joe Gatty allait sélectionner de préférence des iris dans les couleurs tendres et surtout des roses.

En 1975, c’est un blanc à barbe jaune cadmium, WHITE LIGHTNING (74), qui fut particulièrement remarqué à la convention de San Diego et obtînt la Franklin Cook Cup (le plus apprécié des participants parmi les iris « invités »). Par la suite nombre de ses obtentions retinrent l’attention des juges mais il n’eut pas la chance de se voir décerner la fameuse Dykes Medal rejoignant en cela quelques grands hybrideurs malheureux, comme Melba Hamblen ou Gordon Plough et bien d’autres à qui il a manqué ce je ne sais quoi qui emporte l’enthousiasme des juges.

Sa renommée dépassa rapidement les frontières américaines et de très nombreuses variétés signées Gatty ont été retenues, entre autres, par nos producteurs nationaux. Presque toutes dans les tons pastels, mais également avec de belles réussites vivement colorées comme JEAN HOFFMEISTER (82), en bleu, BOLD GOLD (87), en or, SYNCOPATION (84) en jaune et pourpre. Néanmoins son goût le pousse à retenir essentiellement des iris clairs : des blancs comme WHITE LIGHTNING déjà cité, RISQUE (74), PANACHE (78) ou SYMMETRY (81) : des lilas comme DESIGNING WOMAN (90) ; des jaunes pâles comme DREAM AFFAIR (78) ; des abricot comme LOVELY GLOW (87) ; des blanc-bleutés comme FLAIR (76) et surtout des roses, les fameux roses de Gatty, du rose clair de PRINCESS (72) au rose pourpré de PRESENCE (87), en passant par toutes les nuances : rose pur - LIZ (72). ou rose tendre - BONBON (77), rose dragée - PLAYGIRL (77) ou FRENCH PASTRY (87) ou encore FEMME FATALE (83), rose pêche - LYRICAL (78) ou PARADISE (80) ou SOFT CARESS (91), rose corail - SATIN SIREN (87), rose vif – COMING UP ROSES (92).

Joe GATTY ne s’intéressait pas qu’aux grands iris, il a aussi créé des iris intermédiaires comme. VAMP (72), en violet carminé, VOILA (72), en rose orchidée, VIRTUE (76), en pourpre, BUTTER COOKIE (80), en jaune clair, RARE EDITION (80), magnifique plicata violet, TCHIN-TCHIN (88), en rose tendre, ou MEMO (91), en jaune citron. Enfin on doit citer ses iris nains standard (que certains appellent de rocaille, ou lilliput), notamment JOYFUL (77), jaune citron clair, MUCHACHA (83), petit plicata crème bordé de jaune, PAL SAM (87), ivoire bordé de pourpre et TOY CLOWN (91), jaune bordé de brun.

Tous ces iris portent la patte de Joe Gatty, c’est à dire une forme pleine et gracieuse, et des bords souplement ondulés.

Il n’a jamais tenté de commercialiser tout seul ses obtentions : ce n’était pas son affaire. Pendant vingt ans il a été associé Keith KEPPEL dans le catalogue présenté par ce dernier, et il a donné quelques fleurs à introduire à des amis producteurs, comme cela se pratique couramment aux USA, dans un esprit de « business » bien compris tout autant que de courtoisie bien sympathique.

Ses dernières sélections sont apparues quelques années après son décès, toujours chez Keppel, l’ami de toujours. Ce sont le superbe blanc ARCTIC EXPRESS (95) ou encore des roses : HAUTE COUTURE (96), rose pêche, MALLOW DRAMATIC (96) rose mauve. Mais ce tour d’horizon ne serait pas complet si l’on ne citait pas deux splendeurs : le bitone jaune pastel OVERJOYED (94) et l’amoena inversé IN REVERSE (93), l’un des plus contrastés du genre, qui démontre la maîtrise de Joe Gatty, l’un des grands seigneurs de l’iris de notre époque.

DONALD CHARLES NEARPASS

Le monde des iris est comme le monde tout court, il est constitué de gens très différents. En matière de différence, Donald Charles Nearpass fut tout à fait remarquable. Tout d’abord ce n’était pas à proprement parler un professionnel de l’iris. Son activité principale a toujours été l’agronomie. Il a travaillé toute sa vie comme spécialiste du sol dans un organisme qui correspond, pour nous en France, à l’INRA. Les iris étaient sa seconde activité, mais c’est celle qui a fait sa célébrité. Et pourtant ! En trente-sept ans d’hybridation, il n’a enregistré que seize variétés ! Ce n’est pas lui qui a encombré nos jardins de cultivars ordinaires ou redondants. Les critères qu’il s’était donné pour sélectionner ses iris étaient d’une extrême sévérité, et ses rares choix ont tous été des variétés exceptionnelles.

Dans ses débuts, il a été impressionné par les travaux de Paul Cook, et il s’est efforcé de poursuivre le travail de cet illustre obtenteur. Dans les années 60 ses efforts ont été récompensés par un iris bleu des plus élégants de l’époque, LORD BALTIMORE (69), un néglecta qui inclut dans sa parenté des incontournables comme SNOW FLURRY et WHOLE CLOTH, mais aussi, par son « père » le bleu violacé INDIGLOW (Schortman 59 – FO 62), SABLE et CHIVALRY. Voilà une belle carte de visite ! Au cours des années 70, deux de ses iris se sont fait particulièrement remarquer. Il s’agit de l’amoena DOVER BEACH (72), un fils de WINTER OLYMPICS (O. Brown 63 –DM 67), et du plicata SPINNING WHEEL (74). Dans le pedigree de ce dernier on trouve les plicatas bien connus que sont le britannique DANCER’S VEIL (Hutchison 59 –BDM 63), et CHARMED CIRCLE (Keppel 69). SPINNING WHEEL est l’un des tout premiers néglecta-plicatas, c’est à dire qu’il réunit les dispositions des deux types : les pétales clairs, les sépales foncés des néglectas, et le fond blanc poudré et liseré de sombre des plicatas. Souvent d’ailleurs on prend SPINNING WHEEL comme modèle de ce type de fleurs. Des quantités d’iris ont, depuis, reproduit cette disposition des couleurs. Dans le type des plicatas, un autre enfant de D. C. Nearpass a connu la célébrité, c’est PURPLE PEPPER (86), et c’est encore une réussite. C’est d’ailleurs un descendant direct de SPINNING WHEEL.

En dehors des grands barbus, D.C. Nearpass s’est intéressé aux MTB (Miniature Tall Bearded, que l’on désigne chez nous sous le nom d’Iris de Table) tétraploïdes solides et vivement colorés. Pour cela il a fait usage de l’Iris aphylla et obtenu d’intéressants semis dont certains sont aussi des iris remontants.

Pour l’originalité et la différence, D.C. Nearpass a eu la particularité d’être un descendant des premiers colons venus avec le Mayflower pour peupler les futurs Etats-Unis, et d’appartenir à l’Eglise Mormone, pour laquelle il a mis en œuvre ses connaissances en généalogie. Père Pèlerin, mormon, généalogiste, agronome et iridophile, tel était cet homme qui a apporté aux iris son savoir et son exigence et obtenu la reconnaissance de ses pairs.

11.1.03

SE SONT-ILS TROMPÉS ?

Quelqu’un que j’aime bien, et qui se reconnaîtra s’il lit ce texte, me fait part de son étonnement de voir que c’est MESMERIZER qui a remporté la Dykes Medal cette année. Pour lui, cet iris est « mal foutu », et ne mérite pas la récompense qu’il a reçue. Moi, qui admire MESMERIZER, cette opinion m’a étonné. Je ne cultive pas cette variété, mais je l’ai vue à plusieurs reprises dans des jardins d’amis et je ne lui ai pas trouvé de gros défauts. La plante m’a parue « normale », et la fleur, bien proportionnée par rapport à la taille des tiges, est à la fois belle, originale, et tellement prometteuse ! Ce n’est pas que je sois un fanatique des fleurs doubles, mais je conçois qu’on puisse s’y intéresser, et, en l’occurrence, on a fait un grand pas en avant avec cet iris là. La route de l’iris « flore pleno » me semble ouverte grâce à MESMERIZER, de même qu’avec son pendant bleu, SCENTED BUBBLES.

Au demeurant, l’observation de mon ami, grand connaisseur d’iris, dont la sincérité ne peut pas être mise en doute, m’amène à m’interroger. Et si les juges avaient commis une erreur ? S’ils avaient couronné une variété discutable ? Est-ce possible ?

Quand on connaît le système d’attribution des récompenses, cela semble difficile à admettre. Il est hautement improbable qu’un quelconque lobby pro-Mesmerizer, ait réussi à convaincre le panel des juges. Le long et lent cheminement pour arriver à la consécration suprême rend la chose quasiment impossible. Mais d’autres raisons ont pu entraîner la conviction des juges : l’effet de mode et le souci de marcher avec son temps, la difficulté de trancher entre des variétés de valeur équivalente, l’opportunité de rendre un hommage posthume à un hybrideur de génie…

L’effet de mode a certainement eu un impact. Distinguer un cultivar à éperons (pour ce type j’ai inventé le terme de « rostrata »), c’est aller avec l’air du temps : de plus en plus d’hybrideurs enregistrent des iris de ce type, pas toujours de très bon goût d’ailleurs, et ceux qui font de la résistance sont de moins en moins nombreux. Dans le type également récent des iris « broken colors » les enregistrements se multiplient et les juges semblent apprécier car les HM et AM attribués à ces iris deviennent abondants : il est probable qu’un « broken colors » obtiendra la DM dans quelques années. Mais déjà deux iris à éperons de Monty Byers avaient été couronnés : THORNBIRD en 97 et CONJURATION en 98. Etait-il nécessaire d’en rajouter ?

Les autres candidats à la DM avaient de farouches partisans CLARENCE (Zurbrigg 91) et FANCY WOMAN (Keppel 95) notamment. Chacun dans leur genre, se sont des variétés remarquables, et, surtout, elles proviennent d’obtenteurs qu’il serait justifié d’honorer. Alors, à défaut de se départager sur ces deux là, les juges ont-ils opté pour un outsider, lequel, de plus, permet de donner un signe marqué de reconnaissance posthume à Monty Byers, qui n’a plus aucune chance ensuite d’être salué.

Sans doute toutes ses considérations ont pu et du jouer. Mais MESMERIZER n’a-t-il pas les qualités nécessaires pour emporter seul la décision ? La plante est-elle disgracieuse ? Pousse-t-elle difficilement ? Sa médaille est-elle en conséquence usurpée ? Personnellement je ne le pense pas, mais l’autorité de mon ami en cette matière me met le doute à l’esprit. Et je me demande si, dans le passé, les juges se sont trompés. J’ai regardé dans le classement des vingt dernières années.

En 83 RUFFLED BALLET l’a emporté devant VICTORIA FALLS et ENTOURAGE. Il avait fini deuxième l’année précédente et sa récompense était prévisible. Cependant cette victoire n’a pas eu d’effet sur sa commercialisation, qui est restée plutôt médiocre, ce qui veut dire que les juges n’ont pas été du même avis que le public. VICTORIA FALLS s’est vengé l’année suivante et justice a été rendue à cette variété de haute qualité. Le triomphe de BEVERLY SILLS en 85 était amplement mérité et l’énorme succès commercial de cet iris est là pour démontrer qu’il avait toutes les qualités pour l’emporter. En 86 les juges ont choisi SONG OF NORWAY, devant COPPER CLASSIC et LACED COTTON. Cette fois, je ne suis pas certain qu’ils aient été bien inspirés. SONG OF NORWAY est-il un iris blanc ? Bleu ? Amoena inversé ? Sa couleur n’est pas nette, même un peu grisâtre. Son port est raide et ses fleurs assez peu gracieuses. Son principal mérite tient dans la teinte bleue de sa barbe. COPPER CLASSIC est autrement intéressant, au moins pour son coloris unique. LACED COTTON a une fleur profondément laciniée, superbe, et de plus possède des aptitudes génétiques intéressantes. Le choix de SONG OF NORWAY est peut-être du à l’impossibilité de séparer les deux autres !

Pas de DM en 87 ni en 89. Mais le choix de TITAN’S GLORY en 88 n’est pas discutable. En revanche celui de JESSE’S SONG en 90 peut sûrement l’être. Sans doute doit-il sa gloire au fait que son concurrent le plus dangereux était le petit intermédiaire AZ AP (Ensminger 79), et que jamais un intermédiaire n’a réussi à triompher jusqu’à présent. Un autre plicata, EVERYTHING PLUS, l’a emporté en 91. Ses concurrents immédiats étaient le brillant EXTRAVAGANT (Hamblen 83) et le fameux bleu TIDE’S IN (Schreiner 83). C’est sans doute celui-là qui était le plus méritant, notamment en raison de ses aptitudes génétiques largement utilisées par la suite. De 92 à 95 les choix des juges ont été incontestables. Aussi bien DUSKY CHALLENGER que EDITH WOLFORD, SILVERADO et HONKY TONK BLUES ont marqué leur époque et porté aux nues la qualité Schreiner. Mais BEFORE THE STORM était-il vraiment le meilleur de 1996 ? Encore une fois la fleur, surprenante par sa couleur sombre pratiquement noire, manque de souplesse, et la plante a la réputation de souvent pousser difficilement. Le tout petit BUMBLEBEE DEELITE aurait sans doute plus justement mérité de l’emporter n’eut été le fait qu’il ne soit pas un grand iris.

On entre ensuite dans l’ère Byers, avec THORNBIRD puis CONJURATION. Le choix de THORNBIRD a été vivement contesté, voire même déploré par les adversaires à la fois des iris à éperons et par ceux de son coloris très inhabituel. Pour moi, THORNBIRD, qui marque une rupture, est un choix justifié. Je ne pense pas la même chose de celui de CONJURATION. Je reproche à celui-ci sa raideur, la disproportion entre ses tiges très élevées et ses fleurs plutôt petites, et l’intérêt mitigé de ses éperons bien riquiqui. Mais, cette année là, la concurrence était assez faible, tant en ce qui concerne ACOMA, banal, que CITY LIGHTS, un peu trop délicat. HELLO DARKNESS était bien le meilleur en 99. Nettement plus intéressant que son aîné BEFORE THE STORM. Le succès de STAIRWAY TO HEAVEN en 2000 a constitué une surprise. Je ne suis pas apte à émettre un avis à son sujet car je ne l’ai vu qu’en photo et je ne sais rien de ses dispositions botaniques. En tout cas il ne semble pas devoir faire une grande carrière commerciale, car s’il est présent dans la plupart des catalogues américains, il n’a pas une bonne distribution en Europe. En 2001 YAQUINA BLUE a ramené au premier rang le savoir-faire de l’entreprise Schreiner. Il est probable que celle-ci triomphera encore une fois en 2003 car on ne voit pas de réel concurrent à CELEBRATION SONG qui a fait jusqu’à aujourd’hui un parcours sans faute.

De cette énumération il ressort que les juges américains n’ont pas toujours fait le meilleur choix, même si les variétés distinguées ne sont jamais des plantes médiocres. Alors pourquoi ne se seraient-ils pas égarés en désignant MESMERIZER ? En ce qui me concerne je ne suis pas convaincu de leur erreur, mais la question peut bien être posée !

4.1.03

JOSEPH ALFRED GATTY

Les iris roses sont maintenant innombrables et tous les obtenteurs se sont astreints à en sélectionner quelques-uns : cela doit faire partie de ces choses incontournables qui interviennent dans la vie de chacun d’entre nous. Mais peu nombreux sont ceux qui ont eu la main aussi heureuse que Joe Gatty dans l’hybridation des iris roses. Il est probable que cette couleur correspondait à sa sensibilité et à la délicatesse de son caractère.

Sa disparition en janvier 92 a mis un terme à trente-cinq ans de dévotion aux iris. Joseph Alfred Gatty était originaire de la côte Est des Etats-Unis, du New Jersey exactement il y vécut jusqu’en 1969, moment où il émigra vers l’une des terres de prédilection des iris, la côte Ouest, et précisément la Californie.

Longtemps, a-t-il dit lui même, il a cherché un but pour son existence. Vers l’âge de 25 ans il a découvert enfin ce qu’il voulait faire. Dès ce moment il s’est consacré aux iris, aidé au début par quelques grands noms de l’époque, le long de la côte atlantique : Robert Graves. Ed Watkins, Kenneth et Catherine Smith. et Stedman Butrick. Il s’était lancé dans l’hybridation en iris et il était très fier de son premier cultivar qu'il présentait un concours, quand quelqu'un derrière lui demanda : « Et ça, qu’est-ce que c’est? » Toute honte bue, le jeune Joe se dit qu’il devait se montrer plus rigoureux et sélectif, et attendit dix ans pour oser présenter de nouveau une de ses obtentions. Ce fut le point de départ d’une brillante carrière : ce premier iris fut considéré comme le plus beau de ceux présentés à la convention de 1960 qui se tenait Newark près de chez lui. Il s’appelait FRIENDSHIP.

En 1967 il prit la décision de faire le grand saut et de traverser les Etats-Unis de part an part pour trouver une terre où ses projets d’hybridation auraient les meilleures conditions pour se réaliser. Il y transporta ses graines et ses meilleurs jeunes plants, et la nouvelle vie commença, avec, tout de suite, des iris roses de grande classe venus de l’est. PRINCESS (72) et LIZ (72). Le ton était donné, Joe Gatty allait sélectionner de préférence des iris dans les couleurs tendres et surtout des roses.

En 1975, c’est un blanc à barbe jaune cadmium, WHITE LIGHTNING (74), qui fut particulièrement remarqué à la convention de San Diego et obtînt la Franklin Cook Cup (le plus apprécié des participants parmi les iris « invités »). Par la suite nombre de ses obtentions retinrent l’attention des juges mais il n’eut pas la chance de se voir décerner la fameuse Dykes Medal rejoignant en cela quelques grands hybrideurs malheureux, comme Melba Hamblen ou Gordon Plough et bien d’autres à qui il a manqué ce je ne sais quoi qui emporte l’enthousiasme des juges.

Sa renommée dépassa rapidement les frontières américaines et de très nombreuses variétés signées Gatty ont été retenues, entre autres, par nos producteurs nationaux. Presque toutes dans les tons pastels, mais également avec de belles réussites vivement colorées comme JEAN HOFFMEISTER (82), en bleu, BOLD GOLD (87), en or, SYNCOPATION (84) en jaune et pourpre. Néanmoins son goût le pousse à retenir essentiellement des iris clairs : des blancs comme WHITE LIGHTNING déjà cité, RISQUE (74), PANACHE (78) ou SYMMETRY (81) : des lilas comme DESIGNING WOMAN (90) ; des jaunes pâles comme DREAM AFFAIR (78) ; des abricot comme LOVELY GLOW (87) ; des blanc-bleutés comme FLAIR (76) et surtout des roses, les fameux roses de Gatty, du rose clair de PRINCESS (72) au rose pourpré de PRESENCE (87), en passant par toutes les nuances : rose pur - LIZ (72). ou rose tendre - BONBON (77), rose dragée - PLAYGIRL (77) ou FRENCH PASTRY (87) ou encore FEMME FATALE (83), rose pêche - LYRICAL (78) ou PARADISE (80) ou SOFT CARESS (91), rose corail - SATIN SIREN (87), rose vif – COMING UP ROSES (92).

Joe GATTY ne s’intéressait pas qu’aux grands iris, il a aussi créé des iris intermédiaires comme. VAMP (72), en violet carminé, VOILA (72), en rose orchidée, VIRTUE (76), en pourpre, BUTTER COOKIE (80), en jaune clair, RARE EDITION (80), magnifique plicata violet, TCHIN-TCHIN (88), en rose tendre, ou MEMO (91), en jaune citron. Enfin on doit citer ses iris nains standard (que certains appellent de rocaille, ou lilliput), notamment JOYFUL (77), jaune citron clair, MUCHACHA (83), petit plicata crème bordé de jaune, PAL SAM (87), ivoire bordé de pourpre et TOY CLOWN (91), jaune bordé de brun.

Tous ces iris portent la patte de Joe Gatty, c’est à dire une forme pleine et gracieuse, et des bords souplement ondulés.

Il n’a jamais tenté de commercialiser tout seul ses obtentions : ce n’était pas son affaire. Pendant vingt ans il a été associé Keith KEPPEL dans le catalogue présenté par ce dernier, et il a donné quelques fleurs à introduire à des amis producteurs, comme cela se pratique couramment aux USA, dans un esprit de « business » bien compris tout autant que de courtoisie bien sympathique.

Ses dernières sélections sont apparues quelques années après son décès, toujours chez Keppel, l’ami de toujours. Ce sont le superbe blanc ARCTIC EXPRESS (95) ou encore des roses : HAUTE COUTURE (96), rose pêche, MALLOW DRAMATIC (96) rose mauve. Mais ce tour d’horizon ne serait pas complet si l’on ne citait pas deux splendeurs : le bitone jaune pastel OVERJOYED (94) et l’amoena inversé IN REVERSE (93), l’un des plus contrastés du genre, qui démontre la maîtrise de Joe Gatty, l’un des grands seigneurs de l’iris de notre époque.