22.6.07




HORS DES SENTIERS BATTUS

Le Petit Robert donne la définition suivante de l’adjectif « original » : « Qui paraît ne dériver de rien d’antérieur, ne ressemble à rien d’autre, est unique, hors du commun. » Il est évident que dans la réalité l’appréciation de ce qui est original est quelque chose de subjectif. Dans le sujet qui nous intéresse comme dans les autres.

Dans le train, en revenant de Jouy en Josas où j’avais été juge au concours d’iris FRANCIRIS®, je me faisais cette réflexion : « Y avait-il des iris originaux en compétition ? » J’ai repris ma liste et mes photos et je me suis dit qu’en fait ceux-là étaient peu nombreux. Tout au plus en ai-je dénombré neuf, et encore… La nouveauté, l’originalité deviendraient-elles rares chez les iris contemporains ? J’inclinerais plutôt à penser soit que les obtenteurs de fleurs originales ont boudé le concours, soit que les plantes aux fleurs hors du commun ayant peu de chances de plaire aux juges, réputés traditionalistes, ils n’ont pas fait concourir ces fleurs vouées d’après eux à rester dans l’anonymat.

A Jouy, je n’ai remarqué, donc, que neuf variétés que je puis qualifier d’originales. Dans l’ordre de l’alphabet, je citerai d’abord ‘Copper Bubble Bath’ (Cadd 2002) chez qui l’originalité se situe dans le coloris indéfinissable, entre le jaune cuivré et le mauve, sur des fleurs nombreuses et de taille modérée, mais particulièrement frisées. ‘Endearing Charm’ (L. Painter 2002) m’a paru original en ce sens que des fleurs grises rosées ne courent pas les rues. L’ocre des épaules, qui attire l’œil sur le cœur de la fleur, ajoute une part de ce charme qu’on attribue aux choses peu courantes. Il est un peu dommage que la plante n’ait pas un plus ample développement et que les fleurs se trouvent un peu serrées le long de la tige. Vient ensuite une plante dont la haute taille porte les fleurs au-dessus des autres et les rend plus évidemment remarquables. D’autant plus que leur teinte sombre accroît leur attirance. Il s’agit de ‘Espontaneo yo Tambièn’ (Murati 2004). Ce géant des iris provient du Sud de la France, mais son obtenteur n’est pas certain de ses origines. On ne saura donc pas qui sont les parents de ‘Espontaneo yo Tambièn’. Sans doute des variétés déjà anciennes car, et c’est son défaut majeur, cette fleur n’a pas l’aspect des iris modernes : sépales retombants, un peu mous, larges ondulations mais pas de frisottis. ( photo). ‘Lydia Schimpf’ (Beer 2006) est aussi une fleur sombre. Les pétales couleur parchemin, teintés de brun violacé sur les côtes, surmontent des sépales assez ondulés, dans les tons de violet fumé, à peine griffés de blanc sous les barbes qui sont jaune fumé. Vraiment des couleurs peu communes. Même si la plante en elle-même est assez banale. Je ne m’attarderai pas sur ‘Mamy Framboise’ (Fur/Laporte 2004) puisque je parlerai une autre fois de cette variété dont je pense le plus grand bien. ‘Mondsheinserenade’ (Diedrich 2003), avec son nom bien germanique que je crois pouvoir traduire par « sérénade au clair de lune » attire l’attention par la vive saturation de ses coloris : les pétales dressés, d’un beau jaune citron, couronnent des sépales, d’un grenat très sombre liseré de brun noisette, fortement striés de blancs sous les barbes (photo). Le type variegata n’est pas spécialement original, mais en l’occurrence l’association de pétales clairs et de sépales foncés s’éloigne de la banalité. Beaucoup de visiteurs du jardin de Jouy ont eu un faible pour ‘Ravissant’ (R. Cayeux 2005) dont les touffes n’étaient cependant pas spectaculaires, mais la fraîcheur du coloris fait plaisir à voir. L’originalité se situe dans le large liseré mauve rosé des sépales qui renouvelle le type « Emma Cook ». Un des attraits qui ont valu à ‘Solovinaya Noch’ de remporter la compétition est sûrement son coloris : des pétales violet améthyste soutenu, des sépales violet sombre presque noir, finement liserés d’améthyste et largement veinés de cette couleur, s’éclaircissant vers les barbes, prolongées d’une flamme claire. L’ensemble est sombre mais lumineux et l’impression laissée au spectateur est loin d’être maussade. Dans ce genre, je ne connais guère que ‘Romantic Evening’ pour allier des teintes sombres sans donner dans l’austérité. Pour terminer, ma sélection comportera ‘Winning Streak’ (M. Sutton 2003). Je lui trouve de l’originalité parce qu’il associe deux types de dessins, le type plicata et le type « broken colors » qui est un descendant perturbé de ce dernier. Les pétales sont nettement « broken colors », en crème barbouillé de lilas, les sépales sont plutôt plicatas avec un large centre crème et une bordure plicata lilas. Une barbe bronze, sur une gorge veinée d’amarante termine un portrait assez plaisant.

Il y avait beaucoup de fleurs agréables à voir, et ceux qui se sont procuré le CD que j’en ai établi ont pu s’en rendre compte, mais les quelques éléments repris ci-dessus se distinguaient par un trait ou un autre. On peut donc parler à leur sujet d’originalité. Les récompenses qui sont allées à ‘Solovinaya Noch’ et à ‘Mamy Framboise’ font mentir ceux qui disent qu’il faut être académique pour être distingué dans un concours.
LA FOI DU JARDINIER

Croire et espérer. Pour être un jardinier heureux, il faut en même temps de la foi et de l’espérance. Ces deux vertus théologales sont indispensables à qui possède un jardin dont il veut qu’il soit beau, agréable et gratifiant.

Pourtant, que d’obstacles se dressent sur sa route ! Celui pour qui le jardinage se résume à arracher quelques brins d’herbes et à revenir avec les bras chargés de fleurs ou de légumes n’a qu’une image de carte postale dans la tête. C’est un peu comme lorsque Madame de Sévigné déclarait : « Savez-vous ce que c’est que faner ? C’est ramasser de l’herbe en batifolant dans la prairie ! » Le pain sort du four : il sent bon et il grésille encore… Le résultat est là, mais où sont les déceptions, l’anxiété et la peine ?

Le jardinier doit avoir l’espoir chevillé au corps. Il imagine, il rêve du résultat, il voit son jardin réussi, ses bordures couvertes de fleurs, son potager regorgeant de superbes légumes… Mais il lui faut affronter tous les obstacles que la nature dresse contre son rêve.

Prenez l’amateur d’iris. Dans la chaleur d’août il a soigneusement préparé son terrain, détruit les mauvaises herbes, engraissé la terre, pioché, retourné, ratissé. Il a choisi avec ferveur les variétés nouvelles qu’il a l’intention de planter. Il reçoit son colis, le déballe, et constate que sur dix variétés commandées, trois ne sont pas livrées, stock épuisé… Justement celles sur lesquelles il comptait le plus, qu’il avait tellement hâte de posséder ! Bon, tant pis, ce sera pour l’année suivante !

Il a planté ce qu’il a reçu. Il a arrosé méthodiquement ses chers rhizomes. Il a eu le plaisir de voir la feuille centrale s’élever rapidement au-dessus des moignons des autres. Il a désherbé autour de ces trésors pour que, l’hiver venu, ils ne disparaissent pas parmi une végétation parasite et disgracieuse. Les fortes pluies, la neige, le gel sont passés. Le jardinier songe à la saison des fleurs qui arrivera dans quelques semaines : déjà les pousses nouvelles grandissent de chaque côté des rhizomes plantés. De tous les rhizomes ? Non ! Il y en a deux qui n’ont qu’une malheureuse pousse, qui ne grandit guère, ceux-là ne fleuriront pas, c’est garanti. Il faudra attendre un an de plus… Mais l’année prochaine, ils auront eu le temps de s’implanter solidement, ils seront magnifiques, avec plusieurs tiges florales, c’est sûr ! Mais ceux qui ont leurs trois pousses sont en pleine forme ! Il est temps de leur donner un peu d’engrais pour les booster. Il est également temps de retirer de nouveau ces fameuses herbes qui s’insinuent malignement partout. C’est agaçant, mais l’idée de voir des hampes solides se dresser dans le jardin, avec plein de boutons lourds de promesses, fait oublier les efforts dans le vent glacé de mars, entre deux averses.

La St Georges approche. Déjà les iris hâtifs montrent la pointe de leurs sépales enroulés autour des pétales que l’on ne voit pas encore. Une nuit bien claire, un coup de gel, adieu mes beaux iris !… Mais, du moins les autres, ceux qui ne fleuriront qu’à la mi-mai, n’ont pas souffert. Cela va être formidable. Demain, il devrait faire plus doux, Laurent Romejko l’a assuré !

Pour faire plus doux, il a fait plus doux ! En deux jours le thermomètre a dépassé les 20°. Un soleil royal inonde le jardin. Un soleil qui n’a fait que devenir chaque jour plus brûlant. Du coup les iris se sont empressé de fleurir : ils ont même pris de l’avance par rapport au calendrier prévisionnel. Pourvu qu’ils tiennent le coup jusqu’à la venue des amis qui vont faire une longue route pour les voir, dans quinze jours !

Le soleil n’a pas cessé de chauffer. Les fleurs, au lieu de durer trois ou quatre jours comme c’est normal, commencent à se recroqueviller dès la fin de leur seconde journée. Au moins les iris tardifs, les plus majestueux, seront au mieux de leur forme à la date fatidique…

On pourrait continuer sur ce ton presque indéfiniment. L’espoir fait vivre, mais la nature s’amuse à le mettre à rude épreuve ! Heureusement, en plus de l’espoir, le jardinier cultive la foi. L’amateur d’iris, plus peut-être que les autres. Il croit à ce qu’il fait. Il croit que les « moyennes de saison » ne sont pas des élucubrations de météorologistes. Il croit que les plantes qu’on lui décrit comme « florifères » et « poussant bien » sont bien en possession de ces qualités. Il croit que les efforts qu’il fait pour que ses chers iris soient beaux et en bonne santé serviront à quelque chose… Et il a raison ! A un moment ou à un autre il sera gratifié d’une floraison somptueuse. Parce que les déconvenues, un jour ou l’autre, cèderont à la chance et que les mauvais jours sont toujours suivis des bons.

15.6.07







JOLIS MONSTRES
(n° 3)

Autres anomalies plus ou moins stables

1) Les « flatties »

Des iris sans pétales. Ou, plutôt, des iris de jardin dont les pétales, retombants, s’insèrent entre les sépales et constituent des fleurs plates, assez semblables à des iris du Japon. Cela existe, mais cela reste une anomalie plutôt rare dont les représentants enregistrés sont peu nombreux. Cette anomalie n’est pas d’apparition récente. Dans les tout premiers se trouvent ‘May Allison ( May 1920) et ‘Japanesque’ (Farr 21). Le nom de ce dernier dit parfaitement l’impression laissée par la fleur à celui qui la regarde. Au fil des années une vingtaine de ces variétés aplaties ont été enregistrées, aux USA et en Australie. Ce ne sont pas des iris éminemment commerciaux. Ils restent des curiosités qui n’intéressent que les collectionneurs. Ceux-ci se plaignent, par ailleurs, de ce que l’aspect « six sépales » ne soit évident que sur les fleurs du haut des tiges, sur les fleurs inférieures, l’aspect normal à tendance à réapparaître. Enfin une autre doléance concerne la monotonie des coloris, toutes les plantes enregistrées se situent en effet dans les tons de bleu ou indigo.

Une curiosité, donc, mais les hybrideurs n’en font apparemment pas un de leurs chevaux de bataille. La photo ci-dessus représente ‘Judy Mogil’ (McWirther 99), l’un des plus récent, et peut-être le plus joli.

2) Les barbus sans barbes

Je ne sais pas si j’ai bien fait de mettre le sous-titre ci-dessus au pluriel. En effet je ne connais qu’une seule variété ainsi amputée qui ait été enregistrée. Il s’agit de ‘Close Shave’ (Joyce Meek 95), un iris en deux tons de rose léger, qui n’a pas de barbes. La fleur est élégante, et l’absence de barbe ne nuit pas à son aspect. Evènement unique ou phénomène qui peut se reproduire ? Je ne suis pas en mesure de répondre…

3) Les 4x4

La loi pour les iris, c’est de tout multiplier par trois. Mais il arrive que la nature bégaie un peu et que des fleurs présentant plus de trois paires de pièces florales fassent leur apparition. C’est ce qui est arrivé à la Texane Margie Valenzuela qui a découvert dans ses semis un iris portant quatre pétales et quatre sépales, parfaitement constitué par ailleurs et plutôt joli à voir. Si curieux et joli même qu’elle l’a enregistré cette année sous le nom de ‘Grand Canyon Gold’ (photo). Cet iris s’est révélé fertile et parmi ses descendants on trouve des 4x4, comme lui. Cela veut-il dire que cette mutation est stable ? C’est encore trop tôt pour l’affirmer.

4) de vraies monstruosités

A côté de ces anomalies qui paraissent susceptibles de se reproduire assez régulièrement, on trouve plus ou moins souvent des fleurs franchement anormales. La plupart de ses monstruosités sont bien connues des professionnels et des scientifiques. Elles ne sont pas spécifiques aux iris.

Ce sont, par exemple, des fleurs qui ne comportent que quatre pièces florales, ou bien deux sépales seulement, d’autres qui arborent des barbes doubles comme sur la fleur dont George Sutton a publié une photo (voir ci-dessus). L’intérêt, si l’on peut dire, de cette fleur, c’est que si elle se reproduit de génération en génération, elle peut aboutir, une fois croisée avec un iris à ornements, à une fleur avec quatre éperons pétaloïdes et, pourquoi pas, aller jusqu’à une fleur franchement double, un peu comme peuvent l’être les pivoines ou les roses.

Une monstruosité originale, mais pas laide, est apparue chez Jean Ségui lors d’un croisement bien banal, ‘Princess’ X ‘Buffy’ : des ornements en forme de petites trompettes poussant au cœur de la fleur. L’iris a été enregistré ; il s’appelle ‘Aïda Rose’ (88). Mais à ma connaissance ces excroissances ne se sont pas reproduites.

Assez souvent, une monstruosité apparaît, de façon aléatoire. Les pièces florales sur une fleur ou sur toute la tige, sont bizarrement colorées. C’est à dire que les couleurs qui devraient se trouver juxtaposées ou intimement mêlées, se trouvent séparées brutalement et nettement. Les botanistes ont donné le nom de « chimère » à ce phénomène. La photo ci-dessus présente un cas remarquable.

Sans doute ai-je oublié dans cet inventaire des anomalies quelques autres cas de fleurs déboussolées. La nature quelque fois se prend les pieds dans le tapis. Chez les iris, comme chez les autres plantes. En ce qui concerne nos iris de jardin, chacune de ces manifestations est étudiée avec curiosité par les hybrideurs qui les constatent. Leur réaction va de l’intérêt pour quelque chose qui peut devenir un argument commercial à la crainte de laisser s’ouvrir une boîte de Pandore dont le contenu, répandu dans nos bordures, sèmerait le désordre et le malheur. C’est pourquoi des anomalies comme les éperons ou les taches aléatoires, par exemple, ont mis si longtemps à s’imposer. Cette prudence est tout à fait à l’honneur des hybrideurs en particulier, et du petit monde des iris en général.
ECHOS DU MONDE DES IRIS

Vincennes

Peut-être la plus belle collection publique d’iris de France se trouve au Parc Floral de Vincennes. Elle a été constituée en 1969, lors de la création du Parc Floral. Elle s’est enrichie au cours des années et comporte actuellement environ 2000 cultivars.
1500 TB (grands iris) ;
132 IB (intermédiaires) ;
92 SIB (iris de Sibérie) ;
59 JA (iris du Japon) ;
56 SPU (iris spurias) ;
51 iris botaniques ;
41 SDB et autres iris nains ;
27 LA (iris de Louisiane) ;
20 Pseudacorus et autres iris d’eau.

Cette collection a cependant un peu vieilli et, du fait des diverses transplantations, certains cultivars sont mal identifiés. Pendant la prochaine saison des fleurs la remise à chacun de sa bonne identité sera tentée.

Quoi qu’il en soit, la collection du Parc Floral de Vincennes mérite le déplacement.

8.6.07


ECHOS DU MONDE DES IRIS

Renouvellement

Le Parc Floral de la Source, à Orléans, a décidé de rajeunir sa collection d’iris. Pour les visiteurs, c’est sans doute une nécessité car les habitués pourraient prendre moins de plaisir à revoir chaque année les mêmes variétés. Il faut faire de la place aux variétés nouvelles. Mais que faire des variétés qui n’auront plus leur place ? La SFIB, informée de ces intentions il y a quelques semaines s’est efforcée de trouver un point de chute aux iris en déshérence. Elle en a trouvé deux : d’une part la Maison de l’Arbre et de l’Oiseau, à Verrières le Buisson, au Sud de Paris, dans le parc de ce qui fut la propriété de la famille de Vilmorin ; d’autre part dans un lycée horticole également proche de Paris. Mais cet emplacement n’est peut-être pas le plus judicieux. Il y en a un qui devrait s’imposer, ce sont les Jardins de Brocéliande, en Bretagne, près de Rennes, qui ont la qualité de Conservatoire National de l’Iris et qui abritent déjà les espèces et variétés issues de la collection Simmonet.

Il reste que, si j’en juge par ce que j’ai constaté, il y de nombreuses erreurs d’identification parmi les iris orléanais. Il faudra tenter de remettre à chacun la bonne étiquette, et cela ne sera pas une tâche des plus aisées.

En illustration, une variété photographiée au Parc de la Source, ‘Fidgi’ obtenue par Bernard Lecaplain, mais jamais enregistrée. Donc, en espérant qu’il n’y ait pas eu d’interversion de pancarte !



JOLIS MONSTRES
(n° 2)


« Broken Colors » ou « maculosa »

Dans « The World of Irises », qui date de 1978, il n’est même pas question des « broken colors » dans le chapitre consacré aux nouveautés. C’est qu’il a fallu effectivement attendre les années 70 pour que, timidement, certains hybrideurs avides d’originalité, se décident à préserver dans leurs semis ces iris dont on dirait qu’ils ont reçu par mégarde les éclaboussures d’un pinceau maladroit. Celui qui, en la matière, fut un initiateur s’appelle Allan Ensminger. C’est en 1967 qu’il a découvert son premier iris barbouillé et le premier « maculosa » réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 77), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de ‘Stepping Out’. L’année suivante, il a recommencé avec ‘Inty Greyshun’ (78), qui est mauve améthyste et barbouillé de blanc. ‘Batik’, le plus célèbre de tous les « maculosas » au point d’en être devenu la variété-repère, est apparu en 81. Par la suite vinrent ‘Painted Plic’ (83), ‘Maria Tormena’ (87), ‘Isn’t it Something’ (93) puis ‘Brindled Beauty’ (94) et ‘Autumn Years’ (95).

Mais, comme il se doit, le maître devait être dépassé par l’élève. Ce dernier se nomme Brad Kasperek. Non seulement il a repris le matériel créé par Ensminger, mais il l’a extrapolé, et a effectué en plus le travail scientifique permettant d’expliquer les origines du phénomène, ce qui a permis de le reproduire autrement que par le simple effet du hasard. C’est lui qui a inventé le nom de « Broken Color », adopté depuis par tout le monde anglo-saxon des iris. En dehors de leurs noms souvent franchement ridicules pour nous, Français, les « maculosas » de Kasperek se distinguent par l’originalité et la variété de leurs coloris. ‘Gnu’ (94), ‘Tiger Honey’ (94), ‘Bewilderbeast’ (95), ‘Kinkajou Shrew’ (99) en sont la démonstration.

Devant ce succès, d’autres obtenteurs ont tenté leur chance chez les « maculosas ». Dès 83 Joyce Meek avait enregistré ‘Wild Card’, qui est presque un « maculosa » en ce sens qu’il n’y a pas deux fleurs marquées de la même façon, mais qui reste néanmoins plus proche de la catégorie plicata, un peu comme était ‘Hey Looky’ (W. Brown 70), instabilité qu’on trouve également chez ‘Barletta’ (Peterson 74). En 95, Maryott a proposé ‘Out of Control’, violet pourpré balafré de blanc, puis Keith Keppel lui-même a trouvé dans ses semis de plicatas un iris irrégulièrement coloré, joliment baptisé ‘Broken Dreams’ (98), rose aspergé de blanc aux sépales. Cet iris « maculosa » conserve néanmoins un air distingué qui tranche sur le côté un peu vulgaire des productions Kasperek. Il faut dire que dès le début de sa carrière d’obtenteur, Keppel avait créé ‘Humoresque’ (61) (photo), un iris parme, avec des dessins aléatoires bleus. Il n’est donc pas vraiment débutant dans le modèle.

Maintenant la pompe est amorcée. Chacun sait comment faire pour obtenir des iris barbouillés. C’est d’autant plus intéressant pour un obtenteur qui débute, que le modèle n’est pas encore saturé (ou « overlooké » comme on dit en franglais), et qu’il y a de la place pour de nouveaux venus. De plus, les nouveaux peuvent à juste titre avoir l’ambition de créer des fleurs réellement jolies, élégantes, robustes, voire raffinées, ce qui n’est pas encore le cas général. Cependant le défi est difficile car, dans les semis de « maculosas » il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup de BB dans la catégorie : une façon de commercialiser malgré tout des plantes qui n’atteignent pas la hauteur minimale pour les TB. C’est aussi pourquoi il faut être particulièrement rigoureux quand on sélectionne un « maculosa » car la tentation peut être forte de mettre sur le marché quelque chose d’imparfait, ou simplement d’esthétiquement discutable. C’est essentiellement de ce côté qu’on peut avoir des craintes. Car pour ce qui est de la fantaisie, de la variété des couleurs et de l’intensité des taches, on peut faire confiance aux hybrideurs. Regardez simplement ce ‘Peggy Anne’ (Sutton 2007) (photo) et vous comprendrez que l’imagination n’est pas près de manquer.

Quoi qu’il en soit, il ne manque plus à ce modèle de fleur que la reconnaissance d’une grande récompense. Je suis sûr que cela va venir : le BB ‘Anaconda Love’ (Kasperek 98) n’a-t-il pas déjà obtenu la Knowlton Medal en 2006 ?


(à suivre)

1.6.07

DERNIERE MINUTE

J'ai créé un fichier des photos en gros plan de toutes les variétés fleuries à Jouy-en-Josas pour le concours FRANCIRIS R. Soit 113 images. Pour l'obtenir sur un CD, me le demander en m'envoyer 5 € pour les frais de port. Utiliser le "commentaire" pour passer commande.

CAYEUX ET EVE

L’une des sorties organisée pour les juges de FRANCIRIS ® a consisté en un voyage à Pithiviers, chez le rosiériste André Eve, puis à Gien, à la pépinière Cayeux.

Eve

Il faut passer par une étroite allée entre deux murs pour pénétrer dans le jardin d’André Eve. Au bout de ce boyau, on débouche dans une sorte de paradis fleuri, soigné, léché même, où les plantes bichonnées par leur propriétaire utilisent le moindre espace, dans une luxuriance exceptionnelle. Les rosiers, évidemment, ruissellent de fleurs, les ails, les iris, les sisyrinchiums, se glissent partout, dans un savant mélange de fleurs et de feuilles. Un délice, qui laisse à penser combien d’heures, chaque jour, doivent être consacrées au jardin pour parvenir à cette perfection. Les bordures impeccablement taillées, le gazon du type Wimbledon, confirment qu’André Eve est un jardinier hors pair, aussi passionné que méticuleux.

Difficile de s’arracher à cet Eden ; même si l’on sait que l’étape suivante est la pépinière de rosiers créée par le même André Eve et exploitée aujourd’hui par ses successeurs. L’homme, jovial, nous guide au milieu d’une foule de rosiers de toutes sortes, dont les parfums mêlés enivrent les visiteurs. On nous explique les croisements, on nous montre les semis, les jeunes plants, les plants plus anciens déjà sélectionnés, jusqu’aux rares élus qui viendront enrichir les collections. On comprend mieux l’engouement permanent pour les rosiers quand on a passé une heure dans une pépinière comme celle-là.

Cayeux

A la Carcaudière, chez Richard Cayeux, les iridophiles que nous sommes sont davantage en pays de connaissance. La splendeur est également au rendez-vous, très différente, plus rustique en même temps qu’extrêmement raffinée : le miracle des iris.

Le maître des lieux nous décrit son entreprise, la plus importante d’Europe, qui traite environ 10000 commandes chaque année, dont 1/3 pour l’étranger, principalement la Grande Bretagne, l’Irlande et l’Allemagne.

Ensuite on va arpenter les étendues caillouteuses où poussent les innombrables semis en attente de sélection ou en cours de multiplication. Richard Cayeux a quatre programmes de recherche en cours : les iris roses, les iris oranges, les bicolores très contrastés, du genre noir sous blanc, et les incontournables bleu-blanc-rouge, dont il s’est fait une spécialité et qui continuent de l’intéresser. Au fil des croisements, apparaissent des variétés d’une autre couleur, qui se font remarquer par leurs qualités et leurs coloris, comme ce ‘Ravissant’, blanc façon ‘Emma Cook’, mais avec une bordure rose neyron si fraîche.

Il nous emmène devant un de ces futurs chevaux de bataille, le semis qui s’appelle encore 01/194B (photo), une fleur qui « crache » sur une plante volumineuse et saine. Un peu plus loin, une amélioration de ‘Noctambule’, encore plus sombre aux sépales, promet un contraste extraordinaire. Un rose pêche, avec de beaux éperons, ne sera peut-être jamais enregistré et commercialisé : trop sensible à la verse… C’est dommage. Beaucoup des nouveaux semis sont des iris « space age », descendants en général de ‘Conjuration’. Richard Cayeux qui, dans son livre, parlait avec réserves de l’intérêt présenté par ces iris, semble maintenant complètement convaincu.

L’accueil aimable et souriant de Madame Cayeux attendait les visiteurs pour un petit pot de l’amitié, bienvenu en cette fin d’après-midi plutôt chaude. Sur la colline morainique de Poilly lès Gien, la journée s’achevait, laissant aux visiteurs plein d’images délicieuses.



JOLIS MONSTRES

Les obtenteurs d’iris ont toujours eu des scrupules à mettre sur le marché des variétés qui comportaient des anomalies par rapport à l’aspect des espèces d’origine. La question qu’ils se posent dans ces cas-là est de savoir s’ils ne vont pas, en quelque sorte introduire le loup dans la bergerie. Accessoirement ils se posent aussi la question : « Cela va-t-il se vendre ? »

Bien souvent, d’ailleurs, ne sachant pas quelle est l’origine de l’anomalie, ils se résignent à détruire la plante monstrueuse plutôt que de la multiplier avec le risque de provoquer un cataclysme horticole. Il n’y a que si l’anomalie se représente souvent qu’ils finissent par la considérer comme « intéressante », voire comme « commerciale ».

C’est ce qui s’est produit avec les phénomènes qui sont maintenant communément admis, comme les ornements bizarres des « Space Age » ou les couleurs mélangées des « Broken Colors ». C’est aussi ce qui est arrivé avec les fleurs « plates », c’est à dire avec des pétales absents ou remplacés par de pseudo-sépales, même si ces sortes de fleurs n’ont pas acquis une notoriété bien évidente.

« Space Age » ou « Rostrata »

Avant que Lloyd Austin ne s’intéresse aux iris à ornements, ceux-ci étaient considérés comme des monstres et systématiquement envoyés au compost. Pourtant dans les années 50 Tom Craig, un nom célèbre au milieu du XXeme siècle chez les hybrideurs, avait remarqué que ce genre de plante apparaissait souvent dans ses semis, essentiellement parmi les descendants des plicatas de Sydney Mitchell et particulièrement ceux provenant de ‘Advance Guard’. A noter que tous ces iris avaient pour origine les plantations des frères Sass, dont le nom apparaît toujours lorsqu’il s’agit d’une nouveauté dans le monde des iris.

Il a fallu toute la détermination de Lloyd Austin pour imposer ces iris dont les barbes s’agrémentaient soit de fines pointes soit de spatules pétaloïdes. Les bonnes gens ont longtemps considéré que c’était là non pas des ornements, mais bien plutôt des malformations. Néanmoins Austin a persévéré et quelques autres on timidement suivi : Tom Craig a introduit ‘Bearded Lady’ (55), un plicata bruyère sur blanc, mais dont la description ne fait même pas état de l’existence des fameuses barbes prolongées. La même année 55, une autre Californienne, Madame Lohman, a osé enregistrer ‘Gay Nineties’, un variegata-plicata dont les barbes jaunes portent des éperons. Je ne sais pas quel a été l’accueil commercial de ces deux variétés…

Le premier des iris à éperons de Lloyd Austin s’est appelé ‘Unicorn’, il date de 1952. A partir de 59, Austin n’a plus enregistré que des « Space Age », dénomination dont il est l’inventeur pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Les noms qu’il a donnés à ses iris font toujours allusion aux appendices qui les décorent : ‘Horned Rosyred’ (58) (photo), ‘Flounced Marvel’ (60), ‘Spoon of Gold’ (60), ‘Lemon Spoon’ (60), ‘Spooned Blaze’ (64)…

Les iris à éperons se sont peu à peu installés et d’autres hybrideurs se sont lancés dans l’aventure, utilisant les cultivars de Lloyd Austin comme base de leurs recherches. Manley Osborne, Henry Rowlan ont été parmi les premiers à reprendre le flambeau. Tout le monde connaît ‘Moon Mistress’ (Osborne 76), iris de couleur pêche, ou ‘Battle Star’ (Osborne 78), bicolore chamois et fuchsia, ‘Hula Moon’ (Rowlan 78), chamois marqué de violet, ou ‘Space Dawn’ ( Rowlan 82) blanc influencé de jaune citron. Ce sont des variétés qui sont à l’origine des SA actuels, avec les descendants de ‘Moon Mistress’ que sont ‘Twice Thrilling’ (Osborne 84), mais surtout ‘Sky Hooks’ (Osborne 80). C’est cependant le visionnaire Monty Byers qui a bien compris la charge esthétique des nouveaux iris. Il en a produit un grand nombre dont ‘Conjuration’ (89), ‘Thornbird’ (89) et ‘Mesmerizer’ (91), les trois Médailles de Dykes issus de ‘Sky Hooks’.

Maintenant plus personne ne conteste que les « rostratas » aient constitué une étape importante du développement des iris. Tout le monde en fabrique, et depuis que par trois fois ils ont remporté la médaille de Dykes ils ont été définitivement adoptés. Mais leur évolution est-elle terminée ? Non point : témoin cet ‘Oghab’ (Muska 2006) (photo), qui arbore deux éperons !

(à suivre)