27.7.18

HOMMAGE A BARRY BLYTH (la suite)

Ne retenir qu'une vingtaine de variété sur une production qui doit dépasser les 1200, toutes catégories confondues, n'est ni simple ni juste. Nous nous contenterons cependant de cela, parce qu'il faut bien se fixer des limites... 

1/6 


'Adorée' (2006) : l’achèvement de la quête ? 


'Beachgirl' (1983) : la route est encore longue... 


'Chocolatier' (2014) : aussi dans ce coloris rare 


'Dance Man' (1989) : excellente variété génitrice

LE TRICHEUR DÉMASQUÉ

S'il est une chose avec laquelle il ne faut pas s'amuser, c'est la transcription du pedigree des variétés d'iris. Toute personne qui 'intéresse à la génétique ou qui, simplement, veut connaître d'où provient telle ou telle variété va dans la base de données de l'AIS vérifier son pedigree. Toute imprecision ou toute erreur dans ces renseignements risque de polluer les informations et troubler, voire rendre inexploitable le travail des hybrideurs. C'est encore plus grave évidemment quand il ne s'agit plus d'erreur mais de volontaire tricherie. Et cette tricherie est tout à fait possible et pratiquement indécelable.

 Car à moins d'effectuer une vérification d'ADN, il n'est pas possible de detecter l'anomalie. La fiabilité des renseignements donnés au moment de l'enregistrement d'une nouvelle variété repose donc sur le sérieux du travail de l'hybrideur et la sincérité de ses déclarations. C'est une grave lacune qu'il n'est malheureusement pas envisageable de combler. Par bonheur les hybrideurs sont dans leur quasi totalité des gens conscients de leurs responsabilité, qui n'hésitent pas, lorsqu'un incident les empêche d'être certains d'une origine, de déclarer la variété considérée comme « de parents inconnus » plutôt que de donner des informations qui pourraient être erronées. Déclarer un iris « de parents inconnus » n'est donc pas une présomption de laxisme, mais au contraire une certitude d'honnêteté.

Il arrive cependant que certains obtenteurs, sûrement très rares, se laissent aller à « dorer la pillule ». C'est une de ces supercheries que Keith Keppel décrit dans un article paru dans le numéro de printemps 2018 de la revue « Roots », organe de la HIPS (Historic Iris Preservation Society). Il avait déjà noté ces faits dans la chronique nécrologique de Chet Tompkins qu'il avait publiée en 2001 et dont j'avais parlé ici en septembre 2004 : « Ses contemporains ont reproché à Chet Tompkins non seulement d’être un peu touche-à-tout et de manquer plutôt de rigueur dans ses sélections, mais surtout d’être porté à tricher avec les pedigrees. Est-ce pour ces raisons que les iris signés Tompkins n’ont pas obtenu de distinctions majeures en dehors du Florin d’Or de 'Allaglow' ? » Cette fois Keppel traite le sujet de manière plus approfondie et raconte une série d'irrégularités, plus ou moins graves, mais qui, toutes, jettent le discrédit sur le travail de Chet Tompkins. Il explique en particulier comment le système de notation des différents croisements et d'identification des semis mis en culture, par sa complexité, était une source d'erreurs potentielles. Erreurs que Tompkins n'a cherché à faire disparaître mais qu'il a même accentué en inventant des pedigrees quand il avait perdu l'origine d'un semis ou quand le pedigree lui-même lui paraissait trop compliqué et, pour cela, peu vendeur ! Keith Keppel cite nommément plusieurs exemples de ces accommodements avec la réalité. Par exemple une variété nommées 'Fancy Wrappings', introduite en 1995, était illustrée sur la couverture du catalogue par la photo d'un frère de semis ; et quand le stock de 'Fancy Wrappings' a été épuisé, c'est le frère de semis en question qui a été envoyé aux clients, sans autre vergogne, jusqu'au jour où, deux ans plus tard, ce semis a lui-même été enregistré et vendu sous le nom de 'Restless Rebel'.

Une autre pratique discutable est mise en évidence. Voici ce que dit Keith Keppel : « Pendant un temps, dans le but de ralentir la prolifération de nouvelles variétés, l'AIS limitait le nombre maximal d'enregistrements par un même hybrideur à dix par ans (les veuves et les enfants des hybrideurs ont commencé à remplir des formulaires d'enregistrement !). Chet n'avait pas de famille sous la main, mais il avait Mabel Framke, une personne qu'il avait connue du temps de son installation dans l'Iowa et qui l'aidait pour les travaux de bureau dans son jardin de l'Oregon. » Pour aller au-delà de son quota Chet Tompkins avait inventé le « nègre » en iridophilie et attribué à cette dame les variétés de son cru qu'il n'avait pas le droit d'enregistrer ! Ces paternités « bidon » ont ainsi duré de 1962 à 1990. On suspecte même que d'autres enregistrements sous des identités fictives n'aient eu lieu...

Ces pratiques douteuses et même franchement malhonnêtes ne retirent rien, cependant, aux qualités des obtentions de Chet Tompkins, dont certaines font parties des meilleures réalisations de leur époque. Ce n'est pas sans raisons que 'Allaglow' (1958) a obtenu le Florin d'or en 1960. Et des variétés comme le bicolore 'Camelot Rose' (1965) – qui frisa la DM - , le blanc crémeux 'Tinsel Town' (1967), le fameux rose 'Ovation' (1969) ou les plus modernes 'Amadeus' (1989) et Armageddon (1992) ont tout à fait mérité leur succès, de même que 'Apollodorus' (1988) ou 'Heavens Edge' (1996).

La chronique de Keith Keppel est surprenante en ce qu'elle dénonce une tricherie importante sans pour autant la traiter avec la sévérité qu'on aurait pu attendre. Mais quoi qu'il en soit mettre l'accent sur ces pratiques est tout à l'honneur de celui que tout le monde des iris considère aujourd'hui comme son maître absolu.

 Iconographie : 


 'Allaglow' 


'Ovation' 

'Armageddon' 


'Heavens Edge'

20.7.18

'JOYCE TERRY' (la fin)

Les variétés de modèle Joyce Terry sont très nombreuses et de nouvelles apparaissent chaque année. Voici un échantillonnage des plus belles réalisations de ces cinquante dernières années. 

Aujourd'hui 

Le caractère universel de l'iris se vérifie avec des variétés ukrainienne (Alla Chernoguz) et polonaise (Robert Piatek).

'Dan Angala' (A. Chernoguz, 2010) (Santa X (Chartreuse Ruffles x Sky Hooks) 


'Class Reunion' (M. Sutton, 2018) USA NR 


'Shanaynay Banaynay' (van Liere, 2016) (Tying Yellow Ribbons X That’s All Folks) 


'Flauntress' (Blyth, 2015) ((House Afire x Sunblaze) X Adoree) 


'Pierscien Saltoro' (Piatek, 2018) Pologne NR

HOMMAGE A BARRY BLYTH

Ce printemps 2018 fut à marquer d'une pierre noire. En effet Tempo Two, la mythique pépinière de Barry Blyth, a fermé définitivement. Le moment où il faut prendre une pareille décision arrive forcément, mais si c'est une grave question pour ceux qui y sont directement confrontés, c'est aussi un choc pour tous ceux qui connaissent la maison et l'apprécient depuis de longues années. Le nom de Tempo Two est indissociable de celui de Barry Blyth, son créateur. La pépinière a été créée en 1975, à Pearcedale dans l'Etat de Victoria, dans le sud-ouest de l'Australie, et, avec la complicité de son épouse puis, plus tard, celle de son fils Tim, il entreprit un colossal travail de recherche et d'hybridation. C'était une destinée quasi incontournable pour ce descendant de quatre générations de cultivateurs et de pionniers. Elle a duré plus de cinquante ans et elle s'achève maintenant après une contribution magistrale et essentielle à l'évolution de toutes les catégories.

Son domaine de prédilection, ce sont les iris bicolores ; son but ultime : obtenir l'amoena rose parfait. C'est un objectif que, au moment de la retraite, il estime n'avoir jamais atteint. En cours de route il a obtenu toutes sortes d'autres associations de couleurs, dont certaines ont été d'étonnantes réussites. Et les choses ont d'emblée pris une bonne tournure puisque le bicolore 'Sosténique' (1975) obtenait la Dykes Medal australienne en 1986 et triomphait partout dans le monde.

C'est le début d'une grande épopée marquée par des étapes de renommée mondiale. Elles s'appellent dans les premiers temps 'Cabaret Royale' (1976), 'Lisa Ann' (1977), 'Embassadora' (1978), 'Love Chant' (1979), 'Aztec Dance' (1980)... Et les succès se sont accumulés. Barry Blyth, dès le début des années 1980, est devenu un des hybrideurs majeurs. Ses obtentions font l'admiration de ses confrères et ses iris voyagent à travers le monde en dépit de l'inconvénient de l'interversion des saisons entre les deux hémisphères. Ses propres progrès sont évidents à celui qui suit sa production. Prenons l'exemple des amoenas jaunes, à commencer par 'Alpine Sunshine' (1975) puis 'Alpine Journey' (1983), suivis de 'Neutron Dance' (1987), 'Breezes' (1991), Aura Light' (1996), 'Irish Squire' (2001), 'Shiver of Gold' (2006), etc. Les amoenas jaunes font partie de ses meilleurs iris, mais son catalogue est riche d'une incroyable diversité de coloris. Non seulement parmi les bicolores, mais aussi, au gré des découvertes au milieu de ses milliers de semis, parmi les selfs, les plicatas, les variegatas...

 Depuis des années une amitié profonde le relie à Keith Keppel et ils ont inauguré une collaboration originale : quand l'hiver contraint l'un et l'autre à l'inactivité dans son pays, ils traversent l'océan Pacifique et se retrouvent l'un chez l'autre à l'heure de la floraison, pour une fructueuse collaboration. Depuis que ces échanges existent, la production de Barry Blyth s'est ouverte à une variété de coloris encore plus grande, notamment dans les modèles chers à Keith Keppel. Leur collaboration a donné naissance, incidemment, à une nouvelle sorte de plicatas C'est ce que Keppel décrit, avec son incroyable enthousiasme : « Le rêve de tout hybrideur est de découvrir quelque chose d’entièrement nouveau et différent. Un tel événement s’est produit dans les rangs de la pépinière de Barry Blyth, en Australie, en 2007, quand le semis R41-4 a fleuri pour la première fois. Coup de chance pourrait-on dire, mais pas totalement immérité, car de nombreuses années et beaucoup d’efforts ont contribué à ce que cette chance se produise. » 

 L'amicale collaboration entre les deux hommes a attiré sur Barry Blyth une notoriété que son relatif isolement géographique ne lui aurait pas permis d'obtenir. Les variéiés signées Blyth les plus porteuses de succès ont été présentées par Keith Keppel dans la course aux honneurs des USA et plusieurs y ont atteint un degré élevé. C'est le cas de 'Decadence' qui a reçu la Wister Medal en 2010. Mais les deux compères ont senti venir le jour où leur fraternelle collaboration devrait cesser. C'est Thomas Johnson qui a repris le flambeau et qui, ces dernières années, a accompagné Keith Keppel en Australie. S'en est suivi un travail à six mains aussi agréable pour les trois protagonistes que fructueux au plan horticole. D'ailleurs, puisqu'il en avait la place, Johnson a transféré chez lui en Oregon les semis de Barry Blyth en cours d'évaluation et il se chargera d'en faire la sélection et de les enregistrer s'ils en valent la peine. C'est une forme de transition en douceur...

Barry Blyth n'a pas été un inconditionnel des compétitions. Il a participé néanmoins au Concorso Firenze à plusieurs reprises mais, peut-être handicapées par le décalage des saisons, ses variétés n'y ont jamais triomphé. Sa meilleure place a été pour 'Cameo Wine' (1982) en 1985, mais il a aussi récolté des places d'honneur avec 'Island Gypsy' (1975) en 1978, et 'Hostess Royale' (1994) en 1997. Ses participations à FRANCIRIS n'ont pas été plus glorieuses et, à Moscou, il n'a figuré qu'en 2009 au palmarès avec 'Glamazon' (2007).

 Pour tous ceux qui, depuis 50 ans parlent de Barry Blyth avec respect et admiration, la retraite du maître et de sa famille va laisser une vaste place. Ceux qui ont fait le voyage aux antipodes et qui ont été reçus à Tempo Two ne sont pas près d'oublier la chaleureuse hospitalité rencontrée là-bas. Quant à ceux qui ont fait sa connaissance lors de sa visite en France, ils conserveront toujours le souvenir d'un personnage courtois, agréable et passionné qui, en toutes circonstances a mis en avant le plus beau côté du monde des iris.

 Iconographie : 


'Sostenique' 


'Cabaret Royale' 


'Love Chant' 


'Aura Light' 


'Island Gypsy' 

 Pour continuer cet hommage, le feuilleton des prochaines semaines sera consacré à des illustrations de nombreuses variétés signées Barry Blyth.

15.7.18

'JOYCE TERRY' (la suite)

Les variétés de modèle Joyce Terry sont très nombreuses et de nouvelles apparaissent chaque année. Voici un échantillonnage des plus belles réalisations de ces cinquante dernières années. 

Les années 2000 (bis) 

Le modèle prend une tournure mondiale : des USA à l'Australie et à la Pologne (Krupka)...

'In the Spotlight' (M. Sutton, 2005) (Aura Light X Fashion Designer) 


'Sunset Street' (Krupka, 2003) (Howdy Do X Rustler) 


'Silk and Honey' (Blyth, 2006) (de Affaire, Chocolate Vanilla, Yes, Mandarin Morning...) 


'Lemon Frappucino' (M. Sutton, 2007) (Silverado X Barbara’s Lace) 


'Lemonella' (Hedgecock, 2008) (Sophistication X Golden Surrey)

LA FLEUR DU MOIS

'Land Art' (Augusto Bianco, 2008) 
'Confusione' X (((( 'Surf Rider' x 'Winter Adventure') x 'Beachgirl') x ( 'Sun Dappled' x 'Beachgirl')) x 'Earthborn'). 


C'est Augusto Bianco lui-même qui m'a envoyé cet iris. C'est un des derniers à être entré dans ma collection puisqu'il y est apparu en 2010 et que j'en ai fait don en 2015. Depuis son transfert, il continue sa vie dans le jardin du presbytère de Champigny sur Veude et ce printemps il a abondamment fleuri, comme tout le reste des iris transférés, d'ailleurs, ce qui est une chance peu banale quand on sait qu'un peu partout dans la région, la saison a été modeste, voire médiocre. Il a également bien fleuri ici, chez moi, où j'en ai conservé une touffe, pour le plaisir. Le plaisir ? Assurément parce que c'est une plante généreuse et une fleur dont le coloris me plait. Par non-conformisme en effet j'affectionne les fleurs peu banales, les iris gris, les iris plicatas compliqués, les iris verts... Ces derniers sont représentés par mon propre 'Kir' dont la couleur de base est un jaune un peu fumé, issu de 'Sky Hooks', couleur qu'on retrouve sur 'Land Art', en plus franc peut-être.

 La description officielle de 'Land Art' est la suivante : « Pétales, sépales et styles jaune verdâtre, sépales touchés de gris en leur centre ; barbes moutarde à la pointe, vieil or dans la gorge. » Cependant, quand on examine le pedigree de 'Land Art', on peut vraiment s'étonner de trouver une fleur jaune dans cet environnement. 'Confusione' (Bianco, 2005) est un bicolore améthyste et grenat, 'Surf Rider' ( Tucker, 1970) est in amoena bleu inversé de la première génération, de même que 'Winter Adventure' (P. Black, 1991) qui en est une version plus moderne et contrastée, Beachgirl' (Blyth, 1983) est un amoena orange, 'Sun Dappled' (Niswonger, 1983) est un amoena jaune (la variété chez laquelle on trouve un coloris qui s'approche du jaune de 'Land Art') et 'Earthborn' (Hager, 1992) un bicolore orchidée / beige. 'Confusione, la « mère » a par ailleurs un pedigree voisin de celui de 'Land Art' : ((((Surf Rider x Edge of Winter) x Beachgirl) x (Sun Dappled x Beachgirl)) x Fascinator) X Crimson Twist. Ce qui change : 'Fascinator' (Hager, 1989) et 'Crimson Twist' (Ernst, 1996). Le premier porte des sépales dorés surmontés de pétales infus de violet, le second, plicata dans les tons de grenat, est issu du couple mythique (Edna's Wish x Wild Jasmine). Aux yeux de A. Bianco ce 'Confusione' doit présenter bien des opportunités parce qu'il en a fait un usage abondant, pour obtenir jusqu'à ce jour, des variétés au nombre de treize, toutes fort différentes les unes des autres. Avec ses douze cousins 'Land Art' constitue toute une famille très diversifiée et originale.

On ne sait pas encore si ce 'Land Art' aura une descendance. Pour l'instant il n'y a rien de ce côté-là mais il est encore un peu tôt pour parler d'absence de postérité.

 Au jardin, 'Land Art', qui pousse facilement, constitue des belles touffes bien construites avec de nombreuses tiges florales et beaucoup de fleurs. C'est donc une bonne plante de jardin que je recommande à ceux qui sont attirés par les coloris rares.

Iconographie : 


 'Land Art' 


'Confusione' 


'Winter Adventure' 


'Earthborn'

LES MYSTÈRES DE L'EST

Dans les années 1970 j'aimais bien à la télé regarder une série appelée « Les Mystères de l'Ouest » où l'on suivait les aventures de James West et d'Artemus Gordon. Cela se passait dans un Ouest américain mythique, au cours des années 1870, ou à peu près... Aujourd'hui, dans la matière qui nous intéresse, les mystères ne viennent plus d'Amérique mais plutôt de l'Est de l'Europe et de l'ex-empire soviétique.

Depuis la disparition de Rideau de Fer, dans les pays devant lesquels il se situait, un engouement considérable pour les iris s'est développé à grande vitesse. Dès que cela a été possible pour eux, ceux qui avaient envie d'hybrider les iris se sont procuré à l'Ouest des variétés récentes avec lesquelles ils ont entrepris un gros travail qui n'a pas tardé à porter ses fruits. Plusieurs fois j'ai raconté l'histoire des pionniers qui ont nom Ladislav Muska, Adolf Volfovitch-Moler ou Sergeï Loktev. Ces trois-là nous ont quitté et une nouvelle génération d'hybrideurs est apparue. Elle s'est implantée dans les länder allemands de Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, en République Tchèque, en Slovaquie, en Pologne, en Lituanie, et surtout en Russie et en Ukraine. Un grand nombre de nouveaux hybrideurs sont apparus. Les carnets d'enregistrement de l'AIS on été envahis de variétés nouvelles obtenues dans ces pays. On découvre régulièrement les photos de nouvelles variétés qui semblent intéressantes en terme de coloris et de forme, mais on ne sait pas grand' chose d'autre à propos de ces variétés car très peu sont arrivées jusqu'à nous.

Les hybrideurs américains et australiens ont distribué leurs productions à travers le monde en faisant l'effort de les expédier chez les pépiniéristes et amateurs de tous pays. Les variétés américaines constituent la base de nos catalogues (un peu moins maintenant que les européens se montrent moins timides et proposent beaucoup de leurs obtentions). Mais où sont les variétés allemandes, polonaises et autres ? Les iris participants aux concours ouest-européens proviennent largement des pépinières américaines ou australiennes, mais, en dehors du concours de Munich, on n'y voit guère de variétés orientales. C'est de là que proviennent les mystères de l'Est.

Essayons de les élucider.

Les hybrideurs de l'Est de la première génération n'avaient pas la fibre commerciale. Sergeï Loktev hybridait à tour de bras, enregistrait des légions de nouveautés, mais faisait tout cela essentiellement pour sa satisfaction personnelle. Les autres travaillaient également pour leur plaisir et ils n'ont jamais vraiment essayé de diffuser leur production. Pour plusieurs raisons : Ils ne disposaient pas de surface importante de culture, souvent ils se contentaient d'un petit jardin ouvrier ; ils de maîtrisaient pas la langue anglaise qui leur aurait permis de se faire connaître ailleurs que dans leurs pays d'origine ; la législation de leurs propres pays, longtemps restée inspirée par les lois autarciques héritées du régime communiste, interdisait pratiquement l'exportation de plantes vivantes (1). Ainsi Viacheslav Gavriline, obtenteur russe, venu en touriste en France, a-t-il apporté dans sa valise trois ou quatre rhizomes de sa production, qu'il a remis discrètement à la présidente d'alors de la SFIB, en lui demandant de les cultiver et de les inscrire au concours FRANCIRIS 2011.

Il semble que la génération suivante n'ait plus autant de handicaps. Pourtant ses iris n'atteignent ni la France, ni le reste de l'Occident, d'ailleurs il est rare qu'on puisse voir une de ses obtentions dans nos jardins. Cela doit signifier qu'il reste des obstacles. Lesquels ?
- La langue. L'anglais n'est toujours pas très répandu parmi les hybrideurs est-européens. Alors que je recherchais des juges étrangers pour le concours FRANCIRIS 2013, Anton Mego, slovaque et remarquable hybrideur, n'a pas souhaité participer au motif que sa pratique de l'anglais était déficiente. Pour le concours FRANCIRIS 2017, Igor Khorosh, ukrainien, était accompagné d'une interprète afin de pouvoir participer aux discussions avec les autres juges.
- Les structures commerciales. Les obtenteurs ne disposent pas des moyens commerciaux nécessaires pour diffuser leurs iris à l'étranger. De plus les réglementations de leurs pays pour l'exportation restent encore archaïques et contraignantes. Il leur faut user de stratagèmes pour que leurs plantes parviennent jusqu'à nous.
- Le comportement végétatif. Les iris d'Europe de l'Est, de Russie et d'Ukraine sont nés sous des climats continentaux rigoureux. Si j'en juge par les performances des variétés envoyées en France pour le dernier concours FRANCIRIS, l'adaptation aux conditions météorologiques de l'Europe Occidentale a été difficile. Elles n'ont pas été à la mesure des espoirs qu'avaient mis en elles ceux qui les avaient expédiées au concours.
- Enfin la frilosité de certaines pépinières françaises à accueillir des variétés dont on ne connaît pas la valeur horticole et qu'il n'est pas facile de se procurer. Peut-être même la graphie et la prononciation des noms de variétés exprimés en langues slaves contribuent-t-elles à cette méfiance.

Cela fait, ou contribue à faire, que malgré une production importante, et des fleurs présentées par des photos flatteuses, tous ces iris nous restent à peu près inconnus.

(1) La législation russe, par exemple, dans les années 1990, ne prévoyait pas que l'on puisse exporter des quantités de marchandises inférieures à la charge d'un camion ou d'un wagon … De plus il n'existait pas de contrôle phytosanitaire.

Iconographie : 


 'Fakel Nadezhdy' Факел надежды (Loktev, 2006) 


'Bely Popugay' Белый попугай (Gavrilin, 2006) 


'Polski Tancerz' (Piatek, 2013) 


'Zvuky Trembity' (Khorosh, 2011)

6.7.18

'JOYCE TERRY' (la suite)

Les variétés de modèle Joyce Terry sont très nombreuses et de nouvelles apparaissent chaque année. Voici un échantillonnage des plus belles réalisations de ces cinquante dernières années. 

Les années 2000 

Le Triomphe ! 'That's All Folks' hisse le modèle au pinacle.

'Sunshine and Snow' (Schreiner, 2001) (de Lady Madonna, Lilac Champagne, Breaking Dawn...) 


'Happy Again' (Schreiner, 2002) (semis X First Interstate) 


'Pure and Simple' (Maryott, 2003) (Barbara My Love X Ghio U94-1A) 


'House Guest' (Blyth, 2004) (((All Silent sib x Goldie the Pirate sib) x Natural Grace sib) X ((Over The Blues x China Walk) x Street Talk sib)) 


'That's All Folks' (Maryott, 2004) (Barbara My Love X Ghio U94-1A)

ERREURS

Un lecteur attentif - et fort au fait des événements concernant les Etats-Unis a remarqué deux erreurs dans l'article de la semaine dernière "La voie vers l'Ouest I" :

 1) "Il ne faut cependant pas faire d'un cas particulier une généralité. Car à peu près au même moment c'est en Pennsylvanie, à Wyomissing exactement, que Bertrand Farr, qui vendait aussi des pianos, s'est intéressé aux fleurs et a créé une pépinière où il a commencé à hybrider des iris. Nous sommes bien sur la côte ouest, et ma démonstration peut commencer.
Il fallait lire "sur la côte est".
2) "Les premiers colons arrivés aux Etats-Unis, en provenance d'Angleterre et d'Allemagne, ont pris pied dans le nord-est du territoire, dans ce que l'on appelle la Nouvelle Angleterre." Notre lecteur avisé précise : "les premiers colons arrivèrent au sud de la Virginie et fondèrent la première colonie à Jamestown en 1607. La Colonie de Plymouth en Nouvelle Angleterre est historiquement la plus connue mais elle fut la seconde colonie permanente anglaise après Jamestown."

 Mea culpa... et merci de ces mises au point.

LA VOIE VERS L'OUEST II. du Mississipi au Pacifique

Dans leur progression vers l'ouest les iris ont traversé le Mississipi et ont été cultivés dans la grande prairie du Middlewest. Dans ces contrées continentales ils ont rencontré des conditions de culture difficiles qui ont renforcé leur rusticité et leur résistance aux climats extrêmes. Ce fut un acquis important pour leur diffusion partout dans le monde.

Les frères Sass sont les principaux hybrideurs officiant dans cette région. Nés en Allemagne et arrivés aux Etats-Unis en 1884, ils se sont installés dans le Nebraska comme de nombreux immigrants de l’époque. L'aîné, Hans, botaniste de formation, a enregistré son premier iris 'Midwest' en 1923. La célébrité lui est venue grâce à 'Rameses' (1930) qui a reçu la Médaille de Dykes en 1932. Un autre de ses titres de gloire est d’avoir eu l’idée de croiser les grands iris avec les petits pumilas et obtenu les tout premiers iris intermédiaires. Lui et son frère Jacob avaient les mêmes objectifs en matière d’hybridation, et des goûts très voisins. Jacob a commencé à enregistrer des iris, comme son frère, dès 1923, mais il a lui aussi attendu longtemps la consécration. Le succès est venu avec 'The Red Douglas' (1934) qui a obtenu la Médaille de Dykes en 1941. Au-delà se situent d’autres réussites notoires comme 'Blue Shimmer' (1942) et l’indétrônable 'Ola Kala' (1943). Les frères Sass sont évidemment à classer dans le monde de l’iridophilie au rang des obtenteurs fondamentaux.

Un autre immigré en provenance d'Allemagne a acquis dans cette région une renommée qui a fait le tour du monde. Il s'agit de Frantz-Xaver Schreiner, le fondateur d'une dynastie qui règne encore sur le monde des iris cent ans après son apparition. C'est en 1920 que F. X. Schreiner commencera à s'intéresser aux iris à la suite d'une rencontre fortuite avec John Wister, le fondateur de l'AIS. Cette rencontre sera déterminante pour le restant de sa vie et pour celle de sa famille. Très vite il se constitue une belle collection d'iris et envisage d'en faire son activité principale. A l'époque les iris étaient encore peu répandus notamment dans le Minnesota et F. X. Schreiner a compris qu'il y avait une belle opportunité de concilier sa nouvelle passion et les affaires de sa famille. Mais l'âpre climat du Minnesota n'offre pas les conditions idéales pour cultiver les grands iris ! Frantz- Xaver en est bien persuadé, surtout après les fameuses tempêtes de sable de l'année 1930 qui ont dévasté les plantations d'iris, et une tornade, l'année suivante, qui a aggravé la situation. C'est pourquoi, avant de mourir prématurément en 1931 il fait à ses enfants la recommandation suivante : « Si vous continuez l'aventure, il faudrait que vous envisagiez de la transférer dans une région dont le climat serait plus favorable. » Ses deux fils et sa fille ont en effet l'intention de continuer ensemble et ils transfèreront l'entreprise beaucoup plus à l'ouest, dans l'Oregon et la vallée de la Willamette. Ils continueront ainsi la progression du monde des iris, à l'image du peuplement des Etats-Unis.

La prairie du Middlewest s'achève brusquement devant l'énorme barrière des Montagnes Rocheuses. Les pionniers ont néanmoins franchi cet obstacle et les iris étaient du voyage. C'est ainsi qu'à la fin des années 1940 Tell Muhlestein a ouvert une pépinière à Orem, dans la banlieue de Salt Lake City, dans l'Utah. Il commercialisait lui-même les iris qu'il produisait et son catalogue présentait cette caractéristique de contenir des informations et des conseils de culture et d’hybridation marqués par son humour et son talent didactique. Car c'était un homme généreux, ouvert aux autres et curieux de plein de choses. N’a-t-il pas été pianiste et compositeur avant de devenir éleveur de canaris, tout en s’adonnant avec passion à l’hybridation des iris ? Les premières variétés qui attirèrent sur lui le regard des iridophiles, furent sans aucun doute 'Pink Formal' (1949) et 'Party Dress' (1950) deux iris roses, de ce rose qui porte sa marque. Cependant les roses ne furent pas ses seules réussites. Au fil des ans, ses variétés furent de nombreuses fois à l’honneur. En 1956 'Swan Ballet' (1953) reçut, à Florence, le Florin d’or, et continua sur sa lancée pour obtenir la Médaille de Dykes l’année suivante. Melba Hamblen, une de ses voisines, a repris le flambeau qu'il avait abandonné bien trop tôt.

Melba Hamblen, guidée par son compatriote de l'Utah, Tell Muhlestein, s'est lancée dans l'iridophilie dès 1936. Elle a commencé l'hybridation en 1943, avec les conseils de son illustre mentor, et enregistré ses premières variétés en 1954. 'Glittering Amber' (1955) et 'Pretty Carol' (1956) font partie des premières variétés qui l'ont fait connaître. Ses nombreux iris – plus de deux cents - étaient considérés dès les années 1960 comme parmi les meilleurs et, en raison de ses connaissances étendues de l'irisdom, elle fut chargée de rédiger une grande partie de la célèbre « bible » « The World of Irises ».

Lors de la disparition de Melba Hamblen, en 1992, il y avait bien longtemps que les iris avaient conquis la Californie et l'Oregon, sur la côte du Pacifique.

Ils ne sont sans doute pas parvenus à San Francisco par la voie terrestre, mais plutôt par la voie maritime et ils se sont implantés dans la région de Sacramento où ils ont rencontré une terre et un climat parfait pour leur développement. On est alors après la fin de la Première Guerre Mondiale. Et celui qui est à l'origine de leur expansion est le bibliothécaire de l'université de Berkeley, Sydney B. Mitchell. Celui-ci est né à Montréal au Canada en 1878. Cet intellectuel, quand il était étudiant à l'Université McGill, s'est lié d'amitié avec le jardinier de l'Université, qui lui fit cadeau de ses premiers plans d'iris. Il les cultiva dans une partie du jardin de son frère et il se constitua bientôt une collection de belle taille. Celle-ci le suivit à Berkeley quand il gagna la Californie, en 1911. Ce fut son amour des grands iris barbus qui accompagna toute son existence. Il hybrida de nombreuses variétés, en particulier de nouveaux grands plicatas et des iris jaunes. Cependant ses plus grandes réussites en hybridation vinrent de sa collaboration avec d'autres, en particulier de son travail avec William Mohr. Après la disparition tragique de ce dernier, Mitchell continua de travailler avec ses semis, introduisant les meilleurs et en continuant la lignée. L'une des premières introductions de ces semis fut 'San Francisco' (1927), qui fut le premier à recevoir la Médaille de Dykes, l'année de son enregistrement.

Les iris avaient séduit un grand nombre d'amateurs californiens et leur culture a pris une rapide extension. C'est au point qu'en une vingtaine d'année la Californie est devenue ce qu'on pourrait appeler le pays des iris ! Dans les années 1940 on parlait de Lloyd Austin, le promoteur des iris à éperons, de Tom Craig, Jim Gibson, Clara Rees, Carl Salbach...

Plus au nord, les Etats d'Oregon et Washington, se révélèrent rapidement comme encore plus favorables à la culture des iris que la Californie elle-même. Curieusement,ce n'est pas dans la fertile vallée de la Willamette que les premiers obtenteurs s'étaient installés, mais plutôt sur le plateau, au-dessus. Gordon Plough et Opal Brown habitaient par là. C'est sans doute l'arrivée des frères Schreiner, en 1947, en provenance du Minnesota, qui a déclenché l'implantation de nombreux hybrideurs, attirés par les conditions de culture idéales de la basse vallée de la Willamette.

Les iris avaient accompli leur migration. Et même si, aujourd'hui, on trouve des pépinières d'iris un peu partout, les plus importantes, et les obtenteurs les plus éminents se trouvent toujours dans cet eldorado que constitue la côte Ouest.

Iconographie :


'Rameses' (Sass, 1930) 


'Party Dress' (Muhlestein, 1950) 


'Tabasco' (Tom Craig, 1951)


'Pretty Carol' (Hamblen, 1956)