27.7.18

LE TRICHEUR DÉMASQUÉ

S'il est une chose avec laquelle il ne faut pas s'amuser, c'est la transcription du pedigree des variétés d'iris. Toute personne qui 'intéresse à la génétique ou qui, simplement, veut connaître d'où provient telle ou telle variété va dans la base de données de l'AIS vérifier son pedigree. Toute imprecision ou toute erreur dans ces renseignements risque de polluer les informations et troubler, voire rendre inexploitable le travail des hybrideurs. C'est encore plus grave évidemment quand il ne s'agit plus d'erreur mais de volontaire tricherie. Et cette tricherie est tout à fait possible et pratiquement indécelable.

 Car à moins d'effectuer une vérification d'ADN, il n'est pas possible de detecter l'anomalie. La fiabilité des renseignements donnés au moment de l'enregistrement d'une nouvelle variété repose donc sur le sérieux du travail de l'hybrideur et la sincérité de ses déclarations. C'est une grave lacune qu'il n'est malheureusement pas envisageable de combler. Par bonheur les hybrideurs sont dans leur quasi totalité des gens conscients de leurs responsabilité, qui n'hésitent pas, lorsqu'un incident les empêche d'être certains d'une origine, de déclarer la variété considérée comme « de parents inconnus » plutôt que de donner des informations qui pourraient être erronées. Déclarer un iris « de parents inconnus » n'est donc pas une présomption de laxisme, mais au contraire une certitude d'honnêteté.

Il arrive cependant que certains obtenteurs, sûrement très rares, se laissent aller à « dorer la pillule ». C'est une de ces supercheries que Keith Keppel décrit dans un article paru dans le numéro de printemps 2018 de la revue « Roots », organe de la HIPS (Historic Iris Preservation Society). Il avait déjà noté ces faits dans la chronique nécrologique de Chet Tompkins qu'il avait publiée en 2001 et dont j'avais parlé ici en septembre 2004 : « Ses contemporains ont reproché à Chet Tompkins non seulement d’être un peu touche-à-tout et de manquer plutôt de rigueur dans ses sélections, mais surtout d’être porté à tricher avec les pedigrees. Est-ce pour ces raisons que les iris signés Tompkins n’ont pas obtenu de distinctions majeures en dehors du Florin d’Or de 'Allaglow' ? » Cette fois Keppel traite le sujet de manière plus approfondie et raconte une série d'irrégularités, plus ou moins graves, mais qui, toutes, jettent le discrédit sur le travail de Chet Tompkins. Il explique en particulier comment le système de notation des différents croisements et d'identification des semis mis en culture, par sa complexité, était une source d'erreurs potentielles. Erreurs que Tompkins n'a cherché à faire disparaître mais qu'il a même accentué en inventant des pedigrees quand il avait perdu l'origine d'un semis ou quand le pedigree lui-même lui paraissait trop compliqué et, pour cela, peu vendeur ! Keith Keppel cite nommément plusieurs exemples de ces accommodements avec la réalité. Par exemple une variété nommées 'Fancy Wrappings', introduite en 1995, était illustrée sur la couverture du catalogue par la photo d'un frère de semis ; et quand le stock de 'Fancy Wrappings' a été épuisé, c'est le frère de semis en question qui a été envoyé aux clients, sans autre vergogne, jusqu'au jour où, deux ans plus tard, ce semis a lui-même été enregistré et vendu sous le nom de 'Restless Rebel'.

Une autre pratique discutable est mise en évidence. Voici ce que dit Keith Keppel : « Pendant un temps, dans le but de ralentir la prolifération de nouvelles variétés, l'AIS limitait le nombre maximal d'enregistrements par un même hybrideur à dix par ans (les veuves et les enfants des hybrideurs ont commencé à remplir des formulaires d'enregistrement !). Chet n'avait pas de famille sous la main, mais il avait Mabel Framke, une personne qu'il avait connue du temps de son installation dans l'Iowa et qui l'aidait pour les travaux de bureau dans son jardin de l'Oregon. » Pour aller au-delà de son quota Chet Tompkins avait inventé le « nègre » en iridophilie et attribué à cette dame les variétés de son cru qu'il n'avait pas le droit d'enregistrer ! Ces paternités « bidon » ont ainsi duré de 1962 à 1990. On suspecte même que d'autres enregistrements sous des identités fictives n'aient eu lieu...

Ces pratiques douteuses et même franchement malhonnêtes ne retirent rien, cependant, aux qualités des obtentions de Chet Tompkins, dont certaines font parties des meilleures réalisations de leur époque. Ce n'est pas sans raisons que 'Allaglow' (1958) a obtenu le Florin d'or en 1960. Et des variétés comme le bicolore 'Camelot Rose' (1965) – qui frisa la DM - , le blanc crémeux 'Tinsel Town' (1967), le fameux rose 'Ovation' (1969) ou les plus modernes 'Amadeus' (1989) et Armageddon (1992) ont tout à fait mérité leur succès, de même que 'Apollodorus' (1988) ou 'Heavens Edge' (1996).

La chronique de Keith Keppel est surprenante en ce qu'elle dénonce une tricherie importante sans pour autant la traiter avec la sévérité qu'on aurait pu attendre. Mais quoi qu'il en soit mettre l'accent sur ces pratiques est tout à l'honneur de celui que tout le monde des iris considère aujourd'hui comme son maître absolu.

 Iconographie : 


 'Allaglow' 


'Ovation' 

'Armageddon' 


'Heavens Edge'

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