27.12.19

2020

Bonne Année à tous les fans d'iris !

WISTER MEDAL (un sommet pour les grands iris)

Pendant longtemps les grands iris (TB) n'ont pas eu de médaille spécifique ! On considérait que la Dykes Medal était pour eux et qu'ils n'avaient donc pas besoin d'être autrement distingués. Mais à partir du jour où les autres catégories d'iris se sont hissées au plus haut niveau l'anomalie est devenue flagrante et pour les TB a été créée la « John C. Wister Medal ». Elle n'existe que depuis 1992. Au début elle était distribuée à un seul exemplaire, ce qui, compte tenu du nombre de TB enregistrés chaque année, en faisait une relative rareté. Mais depuis 1998 l'AIS a décidé d'en attribuer trois par an. Notre feuilleton photographique va illustrer toutes les variétés qui ont reçu cette ultime médaille. 

2011

Encore un grand sucès pour K. Keppel, avec deux futurs DM dans le lot !


'Florentine Silk' (Keith Keppel, R. 2004) 'Crystal Gazer' sibling X 'Poem Of Ecstasy'. 


'That's All Folks' (William Maryott, R. 2004) 'Barbara My Love' X semis Ghio inconnu. 

'Tour De France' (Keith Keppel, R. 2003) ('Magharee' x 'Overjoyed') X ('Électrique' x 'Romantic Evening').

DES NOUVELLES D'AMASYA

Entre les villes de Batoumi – en Georgie - , à l'Est, et de Sinope, à l'Ouest, le long de la mer Noire, s'étire une bande côtière où le plateau de Cappadoce s'incline vers la mer. On est maintenant en Turquie, mais dans l'Antiquité, c'était une région colonisée par les Grecs qui y ont fondé plusieurs cité prospères, soit en bordure de mer, comme les actuelles Trabzon (Trébizonde, dans l'ancien temps), Sinop (Sinope pour les Grecs) ou, surtout, Samsun (Amisos), soit plus haut dans les contreforts de la Cappadoce, comme Amasya (Amaseia en grec ancien). Amasya se situe dans la vallée encaissée du fleuve Yesilirmak, lequel se tortille dans la région avant de rejoindre la mer Noire. Dans l'Antiquité ce fleuve s'appelait l'Iris ! Voilà un nom bien prédestiné pour une rivière qui traverse la contrée d'où proviennent nos actuels iris tétraploïdes.

Pour que la ville d'Amasya trouve une place de premier plan dans le petit monde des iris il a fallu attendre la fin du XIXe siècle et les travaux de Sir Michael Foster, physiologiste et professeur à Cambridge, et fameux collectionneur d'iris. Il avait commencé par s'intéresser aux iris oncoclyclus, puis aussi aux iris spurias avec lesquels il se lança dans les hybridations interspécifiques. Il entreprit également l'hybridation de ce qu'on appelait alors les iris germanicas et obtint deux variétés restées célèbres : 'Mrs. George Darwin' et 'Mrs. Horace Darwin' qu'il baptisa en gage d'amitié avec deux de ses voisines. À propos de ces variétés on lit ceci dans The World of Irises : « Elles étaient blanches, la première avec une touche de doré dans la gorge qui la mettait au-dessus de toutes les autres. Elle avait aussi la particularité d'être très tardive ce qui la plaçait à son apogée quand la plupart des autres variétés avaient cessé leur floraison. Mais aussi belles que ces variétés puissent être, Foster était d'accord avec ceux qui disaient que de futures améliorations des iris barbus était impossibles , ou tout au moins improbables, sauf si de nouvelles espèces avec de nouvelles caractéristiques pouvaient être découvertes et utilisées comme parents. » Mais où trouver ces nouvelles espèces ? Foster avait entendu parler d'iris aux fleurs énormes (pour l'époque) que l'on trouvait en Asie Mineure. Il se mit donc en relation avec des missionnaires qui se rendaient alors dans ces régions dans un but religieux mais aussi scientifique. Il était en effet alors fréquent que des gens d'église profitent de leur mission pour herboriser, et bon nombre des plantes qui sont aujourd'hui fréquentes dans nos jardins proviennent de spécimens rapportés par des missionnaires. Les émissaires de Michael Foster lui ont envoyé des iris, des bons, des médiocres et des sans intérêt ; mais parmi les bons il y en eut qui révolutionnèrent le monde des iris barbus. Tout particulièrement une espèce découverte dans le nord dr l'Anatolie, dans la région d'Amasya et baptisée pour cette raison 'Amas'. En fait il y eut en Grande-Bretagne plusieurs arrivages de ces iris exceptionnels mais aucun n'a été précisément décrit et répertorié de sorte qu'on ne sait pas exactement lequel est à l'origine de quoi. Les variétés que l'on attribue à l'iris 'Amas' proviennent peut-être d'une autre plante, qui d'ailleurs était peut-être de la même espèce ! Toujours est-il que la renommée des ces iris d'Anatolie est revenue à 'Amas' et par contrecoup à la ville d'Amasya.

Foster réalisa de nombreux semis à partir de son 'Amas', mais ce n'est qu'après sa mort, en 1907, que ceux-ci ont été mis sur le marché, en même temps que d'autres hybrides de même origine obtenus par un ami de Foster, George Yeld. Citons parmi ces nouvelles plantes 'Caterina', 'Crusader' ou 'Kashmir White', de la production de Foster, et 'Halo' ou 'Neptune' de celle de Yeld. Toutes ces nouveautés n'étaient pas des chef-d'oeuvres et elles se sont révélées fragiles, souvent atteintes par la pourriture et assez peu rustiques. De plus presque toutes ces variétés étaient de couleur bleu-lavande ou violet. Elles ont néanmoins eu du succès en raison de leurs dimensions exceptionnelles et des espérances qu'on mettait en elles en vue d'un renouveau des iris barbus.

Il fallait bien de la persévérance et de la patience pour croire en ce renouveau car il ne s'est pas manifesté du jour au lendemain ! Les hybrideurs s'arrachaient les cheveux en constatant que les croisements réalisés entre ces iris d'Amasya et les iris d'Europe ne donnaient pas grand’ chose : presque pas de graines et des plantes, grandes, certes, mais stériles et sans autres qualités remarquables. Ce n’est qu’à la longue, après bien des essais infructueux, que l’on obtint des hybrides à la fois fertiles et beaux. Personne ne savait pourquoi. Un botaniste du nom de Strassburger avait bien, en 1882, observé la présence de chromosomes dans les plantes, mais cette découverte n’avait suscité aucun intérêt. Ce n’est qu’une quarantaine d’années plus tard que les premiers décomptes de chromosomes révélèrent la raison pour laquelle les iris balkaniques, et leurs rares hybrides féconds, étaient plus grands et plus beaux : ils avaient quatre paires de chromosomes au lieu des deux paires qui caractérisaient les iris anciens.

Pour bien expliquer ce phénomène, je n’ai rien trouvé de plus parfait qu’un texte signé de Ben Hager, l’hybrideur bien connu, publié dans la première partie d’un livre de photographies artistiques d’iris, « L’Iris », du néerlandais Josh Westrich. Voici cette explication :
« Tous les organismes vivants, plantes et animaux, se composent de cellules. Toutes les cellules possèdent une structure de base commune et comportent chacune un noyau. Dans une seule de ses entités infinitésimales se regroupent de nombreux chromosomes dont le nombre varie suivant les organismes. Les chromosomes portent une carte génétique qui contrôle le développement et les caractères du nouvel organisme après la fécondation. La cellule-œuf produit de nouvelles cellules en tous points identiques et destinées à former une structure entièrement rajeunie. Au moment où dans la fleur se forment les cellules reproductrices ou gamètes, le nombre de chromosomes est divisé en deux lots égaux mais avec, souvent, un brassage des caractères portés par les chromosomes. Des cellules mâle et femelle du même parent (autofécondation) ou provenant de parents différents, vont donner des cellules-œufs ayant un patrimoine génétique différent et produiront des plantes différentes. (…) »
" La nature préfère la simplicité. Les individus provenant de la fusion de deux lots réduits de chromosomes sont dits diploïdes. Mais les accidents arrivent : si, durant la formation des gamètes, les cellules ne réduisent pas correctement le nombre de chromosomes, l’œuf contient quatre jeux de chromosomes au lieu de deux. De telles cellules sont dites tétraploïdes ; du fait de l’accident auquel elles sont dues, elles possèdent tout en double ».

Pourquoi les premiers croisements entre les iris d'Amasya et les « anciens », originaires de nos contrées, ne donnèrent-ils que des plantes décevantes ? C’est que l’on avait mélangé des plantes tétraploïdes, les « nouveaux », avec des plantes diploïdes, les « anciens ». D’où l’obtention de plantes triploïdes (un lot de chromosomes du parent diploïde et deux lots de chromosomes du parent tétraploïde), qui sont presque toujours stériles. Et si des croisements plus tardifs se sont révélés superbes et fertiles c’est qu’ils étaient, toujours accidentellement, tétraploïdes, par le fait d’un gamète non réduit chez un parent diploïde. Mais personne n'était au courant de cela dans les années 1890 au moment des tentatives de Foster et de ses émules.

Par bonheur l'accident décrit ci-dessus s'est produit suffisamment souvent pour que la tétraploïdie des iris d'Amasya s'installe de façon stable et que les variétés obtenues à partir des années 1920 soient toutes tétraploïdes et associent les qualités des iris d'Anatolie et celles des hybrides européens, donnant naissance aux iris que nous connaissons aujourd'hui.

Voilà pourquoi l'on doit tant aux plantes récoltées par les missionnaires évangélisant les confins de l'empire ottoman. Voilà pourquoi la région d'Amasya et les rives du fleuve Iris (quelle coïncidence!) peuvent être considérées comme le berceau de l'iridophilie moderne.

Illustrations : 

 'Faustine' (Lémon, 1858) -variété diploïde 


'Amas' (Foster, 1885) 


 'Caterina' (Foster, 1909 ) 


 'Asia' (Yeld, 1920)

20.12.19

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Lamentations 

Keith Keppel s'exprime souvent sur Facebook. Il présente ses meilleurs croisements et commente leurs caractéristiques. Mais aussi quelque fois il laisse parler ses préoccupations. Comme dans le commentaire ci-dessous, à propos d'un joli iris qui ne verra sans doute jamais la terre de nos jardins... 

« Toutes les sélections ne sont pas marquées comme étant des introductions potentielles. (J'espère que non!) Il y a environ 500 plants numérotés qui poussent ici, pour une raison ou une autre. La plupart sont là en vue de leur donner une autre chance de faire leurs preuves ou de les étudier simplement parce qu'ils sont différents, et peut-être être utiles pour de futurs croisements. Cett fois il s'agit de 13-58A, provenant de Mood Ring X Cinderella's Secret. Un peu fade à mon goût, mais que porrait-il donner à la prochaine génération ? Il a une bonne profondeur de couleur darktop et si vous regardez de près, vous pouvez voir une bande très précise de pigment carotènoïde sur les sépales. La barbe lumineuse ne fait pas mal non plus. Peut-être un liseré plus sombre et une croissance moins précoce dans la prochaine génération ? Ah, tant de croisements à faire, si peu de temps ... et avec des printemps comme 2019, comportant tant de complications météorologiques qui limitent la réussite des fécondations et la production de semences. Espérons que 2020 sera meilleur ...»

Amère constatation d'un passionné qui sait que le temps lui est compté...

WISTER MEDAL (un sommet pour les grands iris)

Pendant longtemps les grands iris (TB) n'ont pas eu de médaille spécifique ! On considérait que la Dykes Medal était pour eux et qu'ils n'avaient donc pas besoin d'être autrement distingués. Mais à partir du jour où les autres catégories d'iris se sont hissés au plus haut niveau l'anomalie est devenue flagrante et pour les TB a été créée la « John C. Wister Medal ». Elle n'existe que depuis 1992. Au début elle était distribuée à un seul exemplaire, ce qui, compte tenu du nombre de TB enregistrés chaque année, en faisait une relative rareté. Mais depuis 1998 l'AIS a décidé 'en attribuer trois par an. 

Notre feuilleton photographique va illustrer toutes les variétés qui ont reçu cette ultime médaille.

2010 

Comme l'année précédente un iris non-américain est distingué. Et un troisième amoena inversé de K. Keppel reçoit la médaille.

'Crackling Caldera' (J. Terry Aitken, R. 2003) (('Sunshine Express' x 'Brown Lasso') x ('Peach Float' x 'Irene Nelson')) x ('Winterbourne' x 'Blazing Light')) X 'Color Fusion'. 


'Decadence' (Barry Blyth, R. 2001) 'Temple Of Time' X 'Louisa's Song', 

'Wintry Sky' (Keith Keppel, R. 2002) 'Crowned Heads' X ('Spring Shower' x 'Modern Times').

AU FÉMININ (2)

Voici la suite d'une chronique débutée il y a quelques semaines ...et que j'avais oublié de publier !


France :

La situation en France n'est pas des plus brillantes, et on est loin de la parité à propos de laquelle nos politiques se montrent si pointilleux ! Mais s'il existe une société française des iris, c'est bien à une femme qu'on le doit, mais à une dame d'origine britannique installée de France.

 Tous les hybrideurs de la Belle Époque, qui ont tenu une place aussi brillante, sont des hommes. On ne voit apparaître des femmes dans cette activité que dans les années 1970, et ces pionnières font partie de la famille Anfosso. Monique Anfosso, la mère, n'a que sept variétés à son actif, mais 'Champagne Braise' (1979/82) et 'Fondation Van Gogh' (1989) font partie des plus beaux succès de « Iris en Provence ». Ces deux variétés ont eu une histoire curieuse : elles ont été enregistrées deux fois ! Avant de s'appeler 'Champagne Braise' la première se nomma 'Chiloé' et la seconde s'appelait 'Enfin' avant d'être dédiée à la Fondation Van Gogh à l'occasion du centenaire du célèbre peintre.

La fille, Laure Anfosso, qui dirige actuellement la pépinière familiale, est l'auteure en nom propre d'une dizaine de variétés, BB, LA, SDB et TB, mais elle s'est aussi fait la porte-parole de sa famille pour l'enregistrement de ses dernières obtentions. Parmi celle qu'elle a signées, ma préférence va au sombre 'Draco' (1988).

 Violette Sazio, la belle-fille, n'a pas un « book » très épais, mais ses trois frères de semis issus du croisement ('Vanity' X 'Venetian Dancer') sont des fleurs très agréables à voir. Cependant son 'Rive Gauche' (enregistré sous le vocable 'Rive Gauche Paris') est très bien décrit comme « Une avancée vers l'Iris rouge, en rouge prune clair à reflets bourgogne aux pétales très ondulés et ouverts, sur des sépales plus rouges, veloutés, larges et frisés » et a obtenu un incroyable succès partout dans le monde.

En dehors de cette famille exceptionnelle, il n'y a à l'heure actuelle que trois autres obtentrices : Michelle Bersillon, franc-tireur aux succès remarquables, notamment aux concours allemand de Munich, agit en marge du monde français des iris, mais obtient des fleurs parmi les plus estimables ; Rose-Linda Vasquez-Poupin, elle aussi un peu isolée, travaille dans un espace façon mouchoir de poche, mais surprend avec des iris très réussis comme son 'Rose-Linda Vasquez' (2007) qui est à la fois un « broken-color » et un « space-age », ce qui est peu courant ; Joelle Frangeulle n'a encore enregistré que deux TB, on attend ses prochaines « couvées ».

Notre pays ne se distingue donc pas par sa féminisation, du moins dans le domaine qui nous intéresse, mais à défaut de la quantité on peut dire qu'il y a la qualité !

Ailleurs :

Après les pays que l'on vient de visiter, on a presque fait le tour de l'Europe des iris. Ailleurs en effet soit le gôut pour les iris n'a pas pénétré, soit les conditions climatiques ne sont pas favorables à leur culture, soit les femmes ne s'y sont pas encore exprimé. C'est pourquoi je ne vois que deux personnes qui peuvent entrer dans cadre du présent article.

En Suisse ce sera Gaby Martignier. Il en va un peu de cette dame comme de Suzanne Weber en Allemagne. Remarquable sur le plan théorique, sur le plan de la création c'est au château de Vullierens, au pied du Jura, au-dessus de Lausanne, qu'elle exerça son art sur la propriété du docteur Bernard Bovet. Seulement deux variétés d'origine locale ont été officiellement enregistrées dans les années 1980, mais une bonne douzaine, ont figuré au catalogue du château-pépinière, Parmi ces variétés, j'en avais acquis, par curiosité, quelques-unes pour ma collection personnelle. Ce sont des iris de bonne facture, d'apparence un peu vieillotte, dont mon préféré a été le jaune pur 'Etoile', mais un autre jaune, plus ondulé, 'Vega', n'est pas mal non plus..

Aux Pays-Bas, tout récemment, Marianne Joosten, qui dirige une pépinière qui sort de l'ordinaire, s'est risquée à enregistrer quelques variétés de son crû, avec la bénédiction de son ami Loïc Tasquier. Le blanc crémeux 'Boterkrul' (2010) semble bien réussi.

Dans les autres pays d'Europe (si l'on admet que la Russie ou l'Ukraine, ce n'est plus l'Europe), l'iris ne se décline qu'au masculin. On a attendu jusqu'en 2018 pour voir un iris signé d'une polonaise (Jolanta Piatek, épouse de Robert Piatek) et on est toujours dans l'attente d'une obtentrice slovaque ou tchèque. Cela devrait venir un jour prochain car la place des femmes, dans le domaine des iris comme ailleurs, s'étale d'année en année. Cela ne pourra qu'enrichir notre petit monde.

 Illustrations :


 - 'Fondation Van Gogh'

- 'Rive Gauche Paris'

- 'Comédie Française'

- 'Etoile'

MEMOIRES D'UN BOEUF DE PALESTINE

Conte de Noël

24 Décembre :

Quoi! Des humains dans mon étable ? On aura tout vu ! J'arrive, tout content de rentrer pour me mettre au chaud et qu'est-ce que je trouve ? Un homme et une femme qui s'agitent autour de ma mangeoire et aménagent je ne sais pas quoi avec mon foin ! C'est invraisemblable ! Comment faire pour qu'ils déguerpissent? Ils ont amené avec eux un âne, un vieil âne qui a l'air fatigué. Il reste immobile devant la porte, résigné.

« Que faites-vous là ?» lui demandé-je.

En hochant la tête il me fait comprendre qu'ils sont arrivés un peu avant que je ne revienne et qu'ils se sont installés là parce qu'il n'y avait plus de place à l'hôtellerie et qu'il faut que la femme s'arrête car elle va mettre incessamment un enfant au monde. C'est bien ça ma chance : en plus de retrouver ma cabane envahie, il va y avoir un remue-ménage pas possible, et qui va sans doute durer toute la nuit ! Il va me falloir rester dehors jusqu'à ce qu'ils s'en aillent, alors que j'ai faim et que je m'apprêtais à ruminer tranquillement un bon foin bien sec. Dehors le ciel est absolument noir et il fait froid. Il va certainement neiger. Après une journée à terminer les labours j'aurais pourtant bien mérité de me reposer, allongé dans la paille !

L'âne m'explique qu'ils viennent de loin, dans le nord. Qu'ils ont marché quatre pleines journées, traversé la Samarie, traîné dans Jérusalem sans trouver un endroit pour passer la nuit et continué jusqu'ici où ils doivent faire je ne sais pas quoi ! Ce n'est tout de même pas un temps pour s'embarquer dans un voyage comme ça avec une femme qui va accoucher ! Et pourquoi s'installer dans mon étable alors que tout autour il y a plein de grottes abandonnées ? Puisque c'est ça, je vais aller moi-même me réfugier dans une de ces grottes, ce sera moins désagréable que de rester là dans la nuit froide et sous la neige qui va arriver.

25 décembre :

Mais d'où vient ce grand bruit qui vient de me réveiller ? La nuit est encore profonde et cependant ue rumeur monte du village. Les hommes semblent en effervescence ! Cela bouge partout ! Du ciel proviennent des voix et des appels mélodieux. Une lueur étrange baigne ma malheureuse étable. Et voilà l'âne qui vient vers moi de son pas lourd et lent. Que me veut-il ? Il ne peut pas me laisser tranquille, tout de même ?

« Le petit est né », parvient-il à me faire comprendre, parce qu'entre animaux, si on ne s'exprime pas de la même façon, on a un langage commun, muet mais connu de tous. Cette nouvelle ne m'émeut guère ; il n'y en a qu'une qui me ferait plaisir, c'est d'apprendre que les parents et leur nouveau-né sont partis je ne sais où !

« Il a froid » continue l'âne. « Et alors ? » « Faudrait faire quelque-chose . » « Qu'ils se débrouillent ! Ce n'est pas mon affaire ! »

« J'ai une idée » poursuit l'âne. « Si on allait souffler dessus, pour le réchauffer de notre haleine ? »

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit oui. Je me suis relevé et j'ai suivi le vieil âne aux pas pesants.

On est entré dans mon étable, sens dessus dessous. Avec cette étrange lumière qui venait du ciel et qui éclairait tout autour de nous. Le grand homme sec se penchait au-dessus de la mangeoire d'où montaient des petits cris plaintifs. La jeune femme, elle, était allongée dans un coin ; elle semblait dormir mais elle baignait dans une clarté infiniment douce. L'âne et moi, on s'est approché de la mangeoire où se trouvait l'enfant : et je l'ai vu...

L'âne s'est mis d'un côté, moi de l'autre, et doucement nous avons uni nos respirations pour qu'un souffle douillet vienne caresser le nouveau-né et tièdir un peu ses petits membres. Le grand homme sec est sorti un moment. Il est revenu peu après avec une brassée de ces jolies fleurs bleu pâle et parfumées que l'on trouve par ici en cette saison. Et tandis que l'âne et moi soufflions sur le petit enfant, la jeune femme qui s'était éveillée s'approchait de l'auge où il reposait. Le grand homme sec , alors, lui a mis les fleurs entre les bras, et moi, gros bœuf grognon, je n'avais plus du tout envie qu'ils s'en aillent...

13.12.19

WISTER MEDAL (un sommet pour les grands iris)

Pendant longtemps les grands iris (TB) n'ont pas eu de médaille spécifique ! On considérait que la Dykes Medal était pour eux et qu'ils n'avaient donc pas besoin d'être autrement distingués. Mais à partir du jour où les autres catégories d'iris se sont hissés au plus haut niveau l'anomalie est devenue flagrante et pour les TB a été créée la « John C. Wister Medal ». Elle n'existe que depuis 1992. Au début elle était distribuée à un seul exemplaire, ce qui, compte tenu du nombre de TB enregistrés chaque année, en faisait une relative rareté. Mais depuis 1998 l'AIS a décidé d'en attribuer trois par an. 
Notre feuilleton photographique va illustrer toutes les variétés qui ont reçu cette ultime médaille. 

2009 

Trois événements :1) La nouvelle génération de plicata signée Keppel prend sa place au palmarès. 2) Un iris non-américain crée la surprise en atteignant le plus haut niveau dont il puisse espérer. 3) En plus il y a dead head pour la troisième place !


'Drama Queen' (Keith Keppel, R. 2002) 'Tangled Web' X 'Epicenter'. 


'Italian Ice' (Anna and David Cadd, R. 2000) 'America's Cup' X 'Branching Out'. 


'Paul Black' (Thomas Johnson, R. 2002) 'Tom Johnson' X 'Star Fleet'. 


'Slovak Prince' (Anton Mego, R. 2002) 'Edith Wolford' X 'Queen In Calico'. 2010

LES OUBLIÉS

« Il y a quelques années (1926), M. F. Cayeux présentait à la Société Nationale d'Horticulture de France une nouvelle race d'iris nommée « iris de Vitry », caractérisée par l’extrême floraison des sujets, leur taille variant entre 0,75 m et 0,90 m et leur coloris où le jaune domine avec des combinaisons de teintes inédites et merveilleuses, des coloris fondus, harmonieusement disposés qu'on a dénommé Teintes d'Art (Art Shade).
Cette race très élégante, tardive, prolonge la floraison du groupe Iris des Jardins. Les fleurs aux divisions souvent ondulées, les inférieures semi-étalées ou étalées horizontalement, sont de grandeur moyenne, fréquemment dégradées et bordées.
Cette race certifiée le 10 juin 1926 par la SNHF compte maintenant un certain nombre de variétés (...) »

J'ai trouvé ce texte dans le compte-rendu du travail de la Commission des Iris de l'année 1933, sous la plume de son Président, J. M. Duvernay. Suit la description d'une douzaine de variétés portant toutes des noms d'artistes (peintres, sculpteurs, musiciens...) dont la plupart se trouvent répertoriées dans « Iris Encyclopédia », mais sans autre renseignement qu'un code de couleur correspondant à la charte en usage dans les années 1930/40. Mais qu'est-ce que c'est que ces « Hybrides de Vitry » ?

En dehors de ce qui est dit ci-dessus je n'ai trouvé aucune littérature concernant ces « Hybrides de Vitry », sinon quelques répétitions dans d'autres numéros du Bulletin de la SNHF ou de la Revue Horticole. Voilà qui est surprenant car si ceux qui ont pu les voir en font des descriptions aussi enthousiastes, il semblerait naturel que le monde des iris s'y soit intéressé et que des commentaires apparaissent ici et là dans les revues spécialisées. Mais rien ! J'ai interrogé Richard Cayeux à leur propos mais il m'a affirmé qu'aucun document en sa possession ne faisait allusion à ces iris. Le mystère est profond : pas d'enregistrements dans les papiers de l'AIS, pas de traces dans la documentation de la famille Cayeux, pas d'autres apparitions que dans les revues citées plus haut, rien non plus à la HIPS !

 A défaut donc de renseignements précis, on est réduit aux conjectures. Une première semi-certitude : si ces iris n'ont pas eu d'avenir, et même qu'ils ont été abandonnés, c'est sans doute parce que ces hybrides étaient stériles. Il devrait donc s'agir de croisements entre espèces (ou variétés) diploïdes et tétraploïdes, donnant naissance à des iris triploïdes. Mais lesquelles ? J'ai pensé un temps qu'il s'agissait de croisements entre SDB et TB, donc d'iris intermédiaires, mais leur taille, leur période de floraison ne correspondent pas à celles de cette catégorie. La même constatation s'applique à d'éventuels MTB. Voilà deux pistes qui ne mènent à rien... On est alors bien forcé de miser sur de véritables TB, le fait qu'ils soient vraisemblablement stériles n'aurait rien d'anormal quand on sait qu'à l'époque on croisait des espèces tétraploïdes du type I. macrantha, avec d'anciens iris diploïdes, avec un taux d'échec considérable vu qu'une réussite ne pouvait résulter que d'un accident génétique forcément rare, voire exceptionnel.Des hybrides triploïdes, donc, stériles, soit, mais pourquoi presque exclusivement de couleur jaune ou voisine du jaune ? En fait, en examinant les descriptions de toutes ces variétés on constate qu'il s'agit essentiellement de fleurs du type variegata ou variegata-plicata, jaune ou dans les tons de jaune aux pétales, jaune aux sépales, soit vivement teinté de grenat, soit simplement poudré ou strié de brun ou de pourpre. Ce qui laisse à penser qu'on est en présence d'hybrides de I. variegata, espèce dont on est certain qu'elle est diploïde et qui se présente avec des pétales jaunes et de sépales veinés de brun violacé. Voilà qui pourrait expliquer à la fois la stérilité et la coloration dominante.

 L'abandon sans hésitation de ces fleurs considérées comme fort jolies (mais je n'ai trouvé aucune photo confirmant cela) ne peut, à mon avis, se justifier que par l'existence, en parallèle, de variegatas tétraploïdes, donc fertiles. Leur destin malheureux me fait penser à celui des célèbres castrats qui ont enchanté les mélomanes de leurs voix puissantes, pures et aiguës jusqu'à la fin du XIXe siècle, mais qui ont disparu quand on a pris conscience de la mutilation abominable infligée à ces garçons, et de la possibilité de leur remplacement par des femmes au timbre de mezzo-soprano, enfin autorisées à monter sur scène.

 Quoi qu'il en soit la disparition totale et sans laisser de trace de ces « hybrides de Vitry » reste à la fois mystérieuse et surprenante. C'est une incroyable énigme du monde et de l'histoire des iris.

6.12.19

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Bee Warburton Medal 

L'American Iris Society (AIS) vient d'attribuer la Bee Warburton Medal à Roland Dejoux, actuel Président de la SFIB. Cette médaille honore les plus éminents membres étrangers de l'AIS.

Félicitations à l'heureux récipiendaire qui recevra sa décoration à l'occasion de la prochaine Convention de l'AIS, en mai 2020, à Montclair (NJ) et du concours international d'iris qui s'y déroulera.

WISTER MEDAL (un sommet pour les grands iris)

Pendant longtemps les grands iris (TB) n'ont pas eu de médaille spécifique ! On considérait que la Dykes Medal était pour eux et qu'ils n'avaient donc pas besoin d'être autrement distingués. Mais à partir du jour où les autres catégories d'iris se sont hissés au plus haut niveau l'anomalie est devenue flagrante et pour les TB a été créée la « John C. Wister Medal ». Elle n'existe que depuis 1992. Au début elle était distribuée à un seul exemplaire, ce qui, compte tenu du nombre de TB enregistrés chaque année, en faisait une relative rareté. Mais depuis 1998 l'AIS a décidé 'en attribuer trois par an. 

Notre feuilleton photographique va illustrer toutes les variétés qui ont reçu cette ultime médaille.

2008 

Pour la première fois un « broken color » reçoit une des plus hautes distinctions.

'Heartstring Strummer' (Ben Johnson, R. 1997) 'Rapture In Blue' X 'Conjuration' 

'Hollywood Nights' (Roger Duncan, R. 2000) 'Dusky Challenger' X ('Spin-Off' x 'Street Walker'). 


'Millennium Falcon' (Brad Kasperek, R. 1998) 'Gnus Flash' X ('Batik' x ('Rustic Dance' x 'Maria Tormena')).

LA FLEUR DU MOIS 'Vanity'

'Vanity' 
(Ben Hager, 1974) 
'Cherub Choir' X 'Pink Taffeta' 

 Pour se rendre parfaitement compte de l'évolution des iris en quelques années, il suffit de planter côte à côte, comme je l'ai fait, 'Beverly Sills' et 'Vanity'. Une seule génération sépare ces deux variétés, la première étant la « fille » de la seconde. On se rend compte que la fleur a pris de l'ampleur, du velouté, des ondulations... 'Vanity' a maintenant quarante-cinq ans, ce qui doit paraître une éternité à beaucoup de jeunes amateurs d'iris. Mais quelles qu'aient été les évolutions au cours de ces années, cela reste un iris remarquable et qui mérite bien cette petite chronique.

La définition, laconique, fournie par Ben Hager pour l'enregistrement de son iris est la suivante : « Unicolore rose, barbes rouge corail clair ». C'est presque la même que celle de 'Beverly Sills', les frisettes en moins. Mais cela reflète exactement la réalité : 'Beverly Sills' est presque du même rose, mais ses fleurs sont nettement plus dentelées. Ce qui est un trait issu de l'évolution d'une génération à l'autre et de l'apport de l'autre parent. Le parcours dans l'échelle des honneurs est approximativement le même : Honorable Mention 1976; Award of Merit 1978; American Dykes Medal 1982. C'est un parcours express puisqu'il n'y a que huit ans entre l'introduction sur le marché et la consécration suprême.

'Cherub Choir' (G. Corlew, 1966) est un rose de premier choix, issu de 'One Desire' (G. Shoop, 1960) qui est considéré comme l'un des roses les plus saturés qu'on ait pu obtenir depuis l'apparition de cette couleur. Voici la description qu'en a donné la pépinière de son introduction : « Un iris distinctement différent, combinant du blanc et un rose clair et brillant, qui est complètement exempt des nuances jaunes qui viennent souvent troubler la couleur rose. De couleur essentiellement blanche, les pétales sont veinés de rose et les sépales ont la même nuance de rose s'éclaircissant vers le blanc au centre. La partie visible de la barbe est blanche, se transformant en mandarine pâle au cœur de la fleur. »

'Pink Taffeta' (N. Rudolph, 1965), l'autre parent, est également parvenu jusqu'à la Médaille de Dykes, en 1975. Cette récompense était méritée car récompensant le plus beau rose de sa génération. Elle est aussi pour beaucoup dans le succès de 'Pink Taffeta' en tant que géniteur, puisque 144 variétés enregistrées sont porteuses de ses gènes au premier ou second degré, et parmi elles quelques produits Cayeux ('Vahiné', 'Volute' et surtout 'Alizés'), ainsi qu'un brand nombre d'iris roses que l'on apprécie toujours, comme 'Cherub's Smile' (Schreiner, 1982), 'Elsie Richardson' (G. Richardson, 1992), 'Erleen Richeson' (E. Roderick, 1978), 'Fantasy Faire' (J. Nelson, 1977, 'Magic Wish' (B. Hager, 1989), 'Pink Sleigh' (N. Rudolph, 1970)...

Compter les descendants de 'Vanity' n'est pas une petite affaire puisque l'AIS en a enregistré 204. Et parmi ceux-ci, des noms fort connus comme 'Beverly Sills', bien sûr, mais aussi 'Indiscreet' (J. Ghio, 1987), 'Power Surge' (J. Ghio, 1990), 'Somersault' (J. Ghio, 1994) et plusieurs obtentions de la famille Anfosso ('Coup de Coeur', (P. Anfosso, 1986) et les BB de Vivette Sazio 'Hoggar', 1990 ; Prairial', 1989)... Sans oublier les iris signés Lawrence Ransom : 'Damoiselle', 1994 ; 'Menestrel', 1994 ; 'Oloroso', 1999 ; 'Parfum de France', 1999. Tout cela sent un peu « le bon vieux temps », mais c'est un temps que les amateurs d'iris ne peuvent pas méconnaître et que l'on appelle aussi «  l'âge d'or » tant il recèle de variétés superbes et inoubliables.

Illustrations : 


'Vanity' 


'Cherub Choir' 


'Pink Taffeta' 


'Oloroso'

A LA MANIÈRE D'HONORÉ DE BALZAC « Honorine »

Il y a longtemps que je ne me suis pas livré à cette distraction jubilatoire qui s'appelle le pastiche. Pour ne pas changer, nous retournons à Balzac, inépuisable sujet.

 La fonction de secrétaire vous amène à vivre au plus près de celui qui est votre patron. Peu à peu vous entrez sans le vouloir véritablement au plus intime de sa vie. C'est ce qui m'est arrivé avec le comte Octave de Bauvan auprès de qui mon bon oncle l'abbé Loraux m'avait obtenu cette place qui devait constituer mon entrée dans le monde après mon doctorat en Droit. Dès mes premières journées au contact de cet important personnage j'avais remarqué cette immense tristesse qui semblait l'accabler par moment. Alors qu'il me dictait quelqu'une de ces décisions qui incombent à un Premier Président de la Cour de Cassation, il s'interrompait, tournait la tête, appuyait son menton dans la paume de sa main et laissait son regard se troubler. Dans la condition qui était la mienne il n'était pas question de manifester ma curiosité à propos de cet étrange attitude. La discrétion et le respect du à un personnage comme le comte Octave m'imposaient de feindre de ne m'apercevoir de rien, ce qui était hypocrite, mais que je n'avais pas la possibilité d'éviter. Certains jours, souhaitant visiblement que je ne rendisse compte de rien, il me disait avec sa bonhommie habituelle : «  Maurice, cet après-midi je n'aurai pas besoin de vous, vous pouvez donc disposer de votre temps. » Je me contentais alors de le remercier et, soit je restais dans mon petit appartement dans l'aile gauche de l'immense hôtel, soit je sortais pour aller rendre visite à mon oncle dans sa paroisse des Blancs-Manteaux, ou pour passer quelques heures dans l'un des musées parisiens. Cependant ce comportement de mon patron, associé à ses brusques crises de mélancolie, ne faisait qu'accroître ma curiosité, d'autant plus qu'un jour, alors que je sortais du jardin du Luxembourg par la rue de l'Ouest, je le vis en conversation sur le boulevard du Montparnasse avec une vieille femme qui avait l'air d'une concierge ou de quelqu'un de ce genre, personnages qu'à l'accoutumé un haut magistrat n'a pas lieu de rencontrer. Je fis en sorte qu'il ne me vît point, mais je revins vers la rue Payenne plus intrigué que jamais. Le comte Octave est un homme de bien : chacun s'accorde à le considérer comme totalement incorruptible, soucieux du bien public, attentif à l'équité, imprégné de la foi catholique. Dans mes conjectures à propos des étrangetés dont j'étais le témoin involontaire, je ne pouvais l'imaginer mêlé à quelque affaire oblique ou à quelque compromission avec le vice. Je me rendais compte que je ne connaissais de lui que les apparences et que le fond de sa personnalité m'échappait. Il s'en suivait un certain malaise qui me faisait redouter les longues heures que nous passions à travailler ensemble. Ce sentiment ne fit que s 'amplifier lorsque, le printemps venu, je le vis se rendre au jardin, derrière la maison, et passer de longues minutes auprès de ses fleurs. Monsieur de Bure, le frère de l'éditeur du Moniteur, qui consacrait son temps et sa fortune à la culture des iris, était aussi un habitué de l'hôtel de Bauvan. En compagnie de l'austère comte de Granville, de l'aimable comte de Sérisy, mon cher patron recevait fréquemment à dîner Monsieur de Bure qui apportait à ses trois commensaux un peu de la fraîcheur qu'il trouvait au milieu de ses fleurs. Il avait offert au comte Octave quelques-uns des iris merveilleux qu'il trouvait parmi les plantes qu'il cultivait en grand nombre sur sa terre de Malétable en Normandie. Ces iris étaient différents de ces fleurs violettes, d'une grande banalité, que l'on trouve un peu partout ; c'était plutôt des variantes d'une autre espèce d'iris, avec des fleurs blanches, plus ou moins bordées de dessins bleus. Je m'aperçus que mon patron vouait à ces fleurs peu courantes une sorte de vénérations à laquelle on ne pouvait pas s'attendre de la part d'un homme parvenu au sommet de la hiérarchie de la magistrature. Mais ce qui porta dans mon âme le trouble le plus intense fut de le voir consacrer toute son attention non pas aux fleurs les mieux épanouies, mais à celles qui étaient fanées ! J'eus plusieurs fois l'occasion de le suivre des yeux depuis la croisée du bureau qu'il m'avait affecté, tout à côté du sien. Lorsqu'une fleur qui en avait terminé avec le rôle que la nature lui avait attribué commençait à replier ses pétales, il en humait longuement le parfum un peu morbide, la caressait avec un geste qui pouvait être aussi un geste amoureux, puis la détachait de la tige et l'enfermait dans son mouchoir. Aux yeux de quelqu'un qui n'aurait pas côtoyé journellement cet homme sensible et grave, ce comportement eut pu faire douter de sa raison. Mais par ailleurs l'acuité de son raisonnement, la finesse de son langage, le sérieux de ses autres actes montraient une personne absolument lucide. Quelles étaient donc les causes de tous ces mystérieux agissements ? Plus les jours passaient plus j'étais saisi de doutes angoissants. Mais ce ne fut que bien des semaines plus tard que j'appris de sa bouche tout ce que je brûlais de savoir, et à évoquer ces événements je sens encore les larmes mes venir aux yeux.