20.12.19

MEMOIRES D'UN BOEUF DE PALESTINE

Conte de Noël

24 Décembre :

Quoi! Des humains dans mon étable ? On aura tout vu ! J'arrive, tout content de rentrer pour me mettre au chaud et qu'est-ce que je trouve ? Un homme et une femme qui s'agitent autour de ma mangeoire et aménagent je ne sais pas quoi avec mon foin ! C'est invraisemblable ! Comment faire pour qu'ils déguerpissent? Ils ont amené avec eux un âne, un vieil âne qui a l'air fatigué. Il reste immobile devant la porte, résigné.

« Que faites-vous là ?» lui demandé-je.

En hochant la tête il me fait comprendre qu'ils sont arrivés un peu avant que je ne revienne et qu'ils se sont installés là parce qu'il n'y avait plus de place à l'hôtellerie et qu'il faut que la femme s'arrête car elle va mettre incessamment un enfant au monde. C'est bien ça ma chance : en plus de retrouver ma cabane envahie, il va y avoir un remue-ménage pas possible, et qui va sans doute durer toute la nuit ! Il va me falloir rester dehors jusqu'à ce qu'ils s'en aillent, alors que j'ai faim et que je m'apprêtais à ruminer tranquillement un bon foin bien sec. Dehors le ciel est absolument noir et il fait froid. Il va certainement neiger. Après une journée à terminer les labours j'aurais pourtant bien mérité de me reposer, allongé dans la paille !

L'âne m'explique qu'ils viennent de loin, dans le nord. Qu'ils ont marché quatre pleines journées, traversé la Samarie, traîné dans Jérusalem sans trouver un endroit pour passer la nuit et continué jusqu'ici où ils doivent faire je ne sais pas quoi ! Ce n'est tout de même pas un temps pour s'embarquer dans un voyage comme ça avec une femme qui va accoucher ! Et pourquoi s'installer dans mon étable alors que tout autour il y a plein de grottes abandonnées ? Puisque c'est ça, je vais aller moi-même me réfugier dans une de ces grottes, ce sera moins désagréable que de rester là dans la nuit froide et sous la neige qui va arriver.

25 décembre :

Mais d'où vient ce grand bruit qui vient de me réveiller ? La nuit est encore profonde et cependant ue rumeur monte du village. Les hommes semblent en effervescence ! Cela bouge partout ! Du ciel proviennent des voix et des appels mélodieux. Une lueur étrange baigne ma malheureuse étable. Et voilà l'âne qui vient vers moi de son pas lourd et lent. Que me veut-il ? Il ne peut pas me laisser tranquille, tout de même ?

« Le petit est né », parvient-il à me faire comprendre, parce qu'entre animaux, si on ne s'exprime pas de la même façon, on a un langage commun, muet mais connu de tous. Cette nouvelle ne m'émeut guère ; il n'y en a qu'une qui me ferait plaisir, c'est d'apprendre que les parents et leur nouveau-né sont partis je ne sais où !

« Il a froid » continue l'âne. « Et alors ? » « Faudrait faire quelque-chose . » « Qu'ils se débrouillent ! Ce n'est pas mon affaire ! »

« J'ai une idée » poursuit l'âne. « Si on allait souffler dessus, pour le réchauffer de notre haleine ? »

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit oui. Je me suis relevé et j'ai suivi le vieil âne aux pas pesants.

On est entré dans mon étable, sens dessus dessous. Avec cette étrange lumière qui venait du ciel et qui éclairait tout autour de nous. Le grand homme sec se penchait au-dessus de la mangeoire d'où montaient des petits cris plaintifs. La jeune femme, elle, était allongée dans un coin ; elle semblait dormir mais elle baignait dans une clarté infiniment douce. L'âne et moi, on s'est approché de la mangeoire où se trouvait l'enfant : et je l'ai vu...

L'âne s'est mis d'un côté, moi de l'autre, et doucement nous avons uni nos respirations pour qu'un souffle douillet vienne caresser le nouveau-né et tièdir un peu ses petits membres. Le grand homme sec est sorti un moment. Il est revenu peu après avec une brassée de ces jolies fleurs bleu pâle et parfumées que l'on trouve par ici en cette saison. Et tandis que l'âne et moi soufflions sur le petit enfant, la jeune femme qui s'était éveillée s'approchait de l'auge où il reposait. Le grand homme sec , alors, lui a mis les fleurs entre les bras, et moi, gros bœuf grognon, je n'avais plus du tout envie qu'ils s'en aillent...

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