30.10.20

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Concours de Munich 2020 

Avec beaucoup de retard les organisateurs du concours d'iris de Munich ont publié les résultats. 

Deux catégories : Variétés créée en Allemagne ; Variétés obtenues dans un autre pays. 

Allemagne : 

1 = 'Heraneuricon' (P. Altenhofer, 2017) 

2 = semis HM10. 7M (H. Moos) 

3 = semis G14-12A (M. Herrn) 

International : 

1 = 'Diva Bara' (Z. Seidl, 2017) Rep. Tchèque 

2 = Vlny Jadranu (Z. Seidl, 2016) 

3 = semis F05.09 (Z. Seidl) 

Pia Altenhofer a la particularité de donner à ses iris un nom totalement artificiel. Harald Moos est un vieux routier de l'hybridation. Il a remporté de nombreuses récompenses tant nationales qu'internationales. On ne présente plus Zdenek Seidl, hybrideur de renommée internationale dont la variété 'Chachar' (2013) a été couronnée à Paris en 2017 et à Florence également en 2017. Il triomphe ici de manière éclatante. A noter les places d'honneur obtenues par deux variétés françaises de Sébastien Cancade : 'Princesse Laura' (6e du concours international, avec les encouragements du jury) et semis 06-13F. 

Illustrations : 

 'Heraneuricon' 

 'Diva Bara' 

 'Vlny Jadranu' 

 'Princese Laura'

VOUS LES AIMEZ ONDULÉS ?

En littérature on parlait, au début du XVIIIe siècle, de la guerre des Anciens et des Modernes. Elle opposait deux courants distincts : 

les Classiques, ou Anciens, menés par Boileau ; 

les Modernes, représentés par Charles Perrault. 

Les iridophiles connaissent quelque chose d'assez voisin : la controverse entre les « modernes » qui apprécient les iris ondulés (ou frisés) et les « classiques » qui préfèrent les iris sans ondulations tels ceux des années 1920/30. 

Les iris ondulés sont aujourd'hui très largement représentés, surtout chez les grands iris (TB) et les iris médians (BB), (IB), et d'une manière générale chez les iris tétraploïdes. Mais les fleurs « plates » sont encore bien présentes là où la diploïdie règne encore. Les diploïdes sont les plus proches des iris indigènes de l'Europe. Et quand on examine un iris diploïde on remarque que les tépales ne comportent pas d'ondulations. Celles-ci en effet n'ont aucun rôle dans ce qui est la vocation de la fleur : assurer la pérennisation de l'espèce. Les pétales, disposés en dôme au-dessus des du cœur de la fleur ont pour mission de protéger les parties sexuelles : ce sont les éléments d'un parasol (et d'un parapluie) qui évitent que lesoleil ne déssèche le pollen ou que la pluie ne le disperse ; les sépales servent à faciliter l'atterrissage des bourdons chargés de la pollinisation : ils ne doivent en aucune façon gèner cette opération et toute ondulation pourrait l'entraver. Les iris les plus proches des iris « sauvages » sont donc sans ondulations. C'est l'aspect que présentent les iris que l'on qualifie d'anciens, c'est à dire ceux qui sont apparus avant la révolution tétraploïde, cependant les fleurs plates ont encore duré plusieurs années avant d'être supplantées par des variétés plus modernes . C'est le cas de 'Pluie d'Or' (F. Cayeux, 1928) ou de 'Polichinelle' (F. Cayeux, 1929). 

Les iris tétraploïdes doivent résoudre un autre problême, en effet leurs fleurs sont beaucoup plus volumineuses que celles des précédents et leur poids aurait tendance à les laisser s'écrouler le long des tiges. Il faut éviter ça, c'est pourquoi, naturellement, des ondulations sont apparues : elles rigidifient les tépales. Les premiers iris tétraploïdes présentent donc de douces ondulations qui, à nos yeux d'humains, confèrent plus d'élégance à la fleur. Mais c'est une appréciation qui relève de l'esthétique, et pas de la botanique, laquelle a d'autres préoccupations ! Quand, spontanément, d'agréables ondulations sont apparues sur des iris hybrides, ce fut un événement considérable. Cela a fait le succès planétaire de 'Snow Flurry' (Rees, 1935) qui fut la première variété véritablement ondulée. Les gènes de 'Snow Flurry' sont présents maintenant dans pratiquement tous les TB et BB et, puisqu'ils en constituent l'un des éléments de base, dans les IB et SDB ; d'où les ondulations de la plupart de ces variétés. Un iris comme 'Roaring Twenties' (K. Keppel 2009) est un bel exemple de ce que peut être un iris récent et fortement ondulé. Par la suite, tout aussi fortuitement, sont apparues les fleurs frisées. On entend par là celles dont les bords (surtout ceux des sépales) présentent de fines dentelures qui les rapprochent des fleurs d'oeillet. On attribue la survenue de ce phénomène à 'Chantilly' (D. Hall, 1943), une variété blanche qui, en dehors de ça, n'a rien de sensationnel. Mais les hybrideurs, et le public, ont plébicité ce nouvel aspect des fleurs d'iris, de sorte que de très nombreux iris contemporains, héritiers de 'Chantilly', ont des fleurs dentelées. Avec le temps ce caractère a pris des proportions considérables et de nombreux iris actuels offrent des pétales et des sépales très vivement dentelés, au point que cela est arrivé parfois à contrarier l'éclosion des fleurs, les plumetis des bords s'entremêlant un peu comme font les picots du tissu Velcro, et entravant épanouissement des pétales. Quand on voit 'Super Model' (T. Johnson, 2007) on ne peut pas être surpris de ce phénomène. 

Tout excès entraînant une réaction en sens inverse, quelques hybrideurs ont décidé de rechercher l'obtention de fleurs dépourvues des ornements ci-dessus décrits. C'est ainsi que sont venues sur le marché des variétés aux fleurs plus petites et ni ondulées ni dentelées. En anglais on parle de fleurs « dainty », qui se rapprochent des fleurs anciennes et de celles des iris restés à la diploïdie, comme les MTB ou les MDB. Lawrence Ransom était un adepte de ces fleurs toutes simples. Il en a enregistré plusiuers, comme 'En Douceur' (2006). 

Un retour aux pétales lisses s'est produit accidentellement lorsque ont été développées certaines variétés du modèle « space-age ». En effet l'extension des appendices pétaloïdes a eu pour conséquence de créer des tensions à l'intérieur des sépales, ceux-ci de ce fait s'effondrant de chaque côté des appendices, en oubliant tout le reste. D'où certaines fleurs dotées d'éperons extravagants mais dont les sépales avaient retrouvé l'aspect récurvé des variétés du XIXe siècle. Lloyd Austin, qui par ailleurs a fait beaucoup progresser les space agers, s'est quelques fois laissé emporter par son enthousiasme et a enregistré des variétés qui ne méritaient pas tant d'honneurs. 'Lemon Spoon' (1960) fait partie de ces « nanars ». Les amateurs, passé l'effet de nouveauté, se sont rendu compte de ce que la fantaisie avait supplanté l'élégance et ont vite rejeté ces fleurs de mauvais goût. 

De nos jours on trouve des iris à fleurs plates, des iris à fleurs frisées et des iris à fleurs plus ou moins ondulées. Il y en a pour tous les goûts ! Néanmoins ceux qui semblent pour l'instant avoir le plus de succès sont ceux qui présentent des fleurs bouillonnées, qui font penser aux jupons des danseuses de french-cancan. 'All the Talk' (T. Johnson, 2016) est de ceux-là. Ce n'est pas ceux que je préfère, on l'aura compris. Dans ce domaine comme dans bien d'autres la mesure et la raison finiront par l'emporter et l'on reviendra aux fleurs aux ondulations modérées dont chacun admirera le chic et la grâce. C'est d'ailleurs ce qui se fait jour dès maintenant chez beaucoup d'obtenteurs comme chez Sébastien Cancade où 'Cé Cédille » (2017) réunit toutes les qualités : fleurs glamour, pétales légèrement ouverts et dentelés, ondulations raisonnables et petits éperons discrets. 

Illustrations : 

 'Polichinelle' 

 'Roaring Twenties' 

 'Super Model' 

 

'En Douceur' 

 'Lemon Spoon' 

 'All the Talk' 

 'Cé Cédille'

25.10.20

A LA SEMAINE PROCHAINE !

Pas de chroniques cette semaine, mais on se retrouve vendredi prochain, c'est promis !

16.10.20

ECHOS DU MONDE DES IRIS

« L'échelle de Jacob » 

 

La poétesse américaine Louise Glück a reçu le Prix Nobel de Littérature 2020. Dans son recueil « L'Iris Sauvage » on trouve le poème ci-dessous, intitulé « L'échelle de Jacob » : 

« Piégé dans la terre, 

ne souhaiterais-tu pas,

toi aussi, aller 

au paradis ? Je vis 

dans le jardin d'une dame. Pardonnez-moi, madame, 

si rêver m'a ravi. Je 

ne suis pas ce que vous vouliez. Mais 

tout comme hommes et femmes semblent 

se désirer les uns les autres, je désire moi aussi 

la connaissance du paradis – et maintenant 

ton chagrin,une tige nue 

élancée vers la fenêtre du porche. 

Et à la fin, quoi donc ? Une petite fleur bleue 

comme une étoile. Ne jamais 

quitter le monde ! N'est-ce pas 

ce que tes larmes signifient ? » 

 

(traduction de Marie Olivier pour la « Revue Po & sie » (2014)) 

Poème paru dans le journal "La Croix"

UN AMI QUI VOUS VEUT DU BIEN

Parmi les ingrédients qui composent le cocktail de nos iris actuels figure l'espèce Iris reichenbachii. C'est, comme nous l'apprend l'encyclopédie Wikipedia, « une espèce d'iris barbu vivace originaire de Bulgarie, du Monténégro, de Serbie, de Macédoine du Nord et du nord-est de la Grèce. Les fleurs sont d'un violet terne, jaune ou violet, chaque tige donnant une ou deux fleurs. » Cette description tout à fait neutre ne fait pas allusions aux capacités qui en font une pièce maîtresse dans le grand puzzle que sont nos iris hybrides, grands ou petits. Dans le Curtis's Botanical Magazine il est précisé que « l'espèce a été décrite en premier lieu par Heuffel(1) d'après des spécimens découverts en Transylvanie, poussant sur des rochers au bord du Danube », et qu'elle peut être regardée comme « le représentant balkanique de I. chamaeiris, espèce plus occidentale. » I. reichenbachii pour les hybrideurs, peut être considéré comme une plante magique. Il s'avère que ses chromosomes sont très similaires à ceux des grands iris barbus et sont compatibles avec eux. De plus, il en existe des formes diploïdes (deux paires de chromosomes) et tétraploïdes (quatre paires), ce qui en multiplie les possibles utilisations.  C'est tout d'abord Paul Cook qui s'est rendu compte de ses formidables aptitudes génétiques qu'il a utilisées pour obtenir les fameux iris amoenas qui sont sa contribution majeure à l'histoire des iris barbus. Son nom est cité dans tous les domaines de l’hybridation, mais tout spécialement lorsqu’il est question d’iris bleus. En effet, dès 1939 il s’était lancé dans un programme destiné à améliorer la vivacité du coloris de ces iris. C’est dans ce but qu’il a acheté à l’obtenteur Rex Pearce un lot de graines qui devaient être celles d’I. mellita, et qui se sont révélées comme étant celles d’I. reichenbachii. Paul Cook a réalisé en 1944 un croisement entre un de ces I. reichenbachii et le grand iris bleu 'Shining Waters' (Douglas circa 35). Le résultat n’a pas été brillant en nombre de graines, mais l’un des semis obtenus, croisé de nouveau avec 'Shining Waters', a donné un iris amoena bleu de grande qualité. Cook a alors réalisé que ce petit iris de rien du tout, issu de ces graines d’ I. reichenbachii, possédait le pouvoir d’inhiber le pigment bleu dans les pétales de ses descendants. Il l’a enregistré en 1951 en lui donnant le nom de 'Progenitor', lequel est à l’origine des iris néglectas, amoenas et bicolors actuels, et par conséquent de toutes leurs variantes comme celles que l’on rencontre chez les plicatas. Et les trois champions de cette immense descendance se nomment 'Melodrama' (Cook 56), 'Emma Cook' (Cook 57) et 'Whole Cloth' (Cook 58). 

 On se serait bien contenté de ce résultat, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il y a quelques semaines, Tom Waters, un chercheur américain, diplômé de physique et d'astronomie, passionné d'iris, qui demeure dans le comté de Santa Fé, au Nouveau-Mexique, a publié dans le blog de l'AIS un article racontant ses expériences avec cet I. reichenbachii, dans le but d'améliorer les iris de table (MTB) et les MDB, les plus nains des iris nains. Il explique que « I. reichenbachii existe à la fois dans les formes diploïdes et tétraploïdes. Sous la forme diploïde il peut être utilisé avec les MTB diploïdes, tandis que les formes tétraploïdes sont compatibles avec les TB, les BB et les MTB tétraploïdes. » Mais comment faire la distinction ? Les graines mises sur le marché ne précisant pas s'il s'agit de plantes diploïdes ou tétraploïdes, et à défaut de disposer des moyens nécessaires pour effectuer un décompte de chromosomes, il ne reste qu'à les faire pousser, les croiser avec les différentes catégories citées et attendre les résultats ! Par pur hasard il s'est trouvé que les plantes que Tom Waters avait à sa dispositions étaient de plantes tétraploïdes. Les semis obtenus étaient tous de la taille des SDB et avaient les tiges minces des I. reichenbachii. « Aucun ne sont capables de rivaliser avec les hybrides moyens modernes, ondulés et vivement colorés que l'on obtient actuellement ; mais leur intérêt est pour l'avenir, parce que ces plantes sont assez petites et délicates pour être utilisées afin d'ajouter ces qualités aux programmes d'hybridation de MTB tétraploïdes ou d'iris de bordure (BB). » 

Quant à l'utilisation de I. reichenbachii en vue d'améliorer les MDB, « il faut savoir que ces iris sont pour la plupart des SDB qui n'atteignent pas la hauteur minimale pour être classés dans cette catégorie. Ces MDB peuvent être remarquables en terme de forme et de couleur de fleurs, mais ils peuvent aussi devenir trop grands pour rester dans leur catégorie, et souvent ils manquent de la délicatesse et de la précocité que l'on est en droit d'attendre d'un vrai iris nain. » L'ajout de I. reichenbachii peut remédier à ces défauts. » Voilà en quoi I. reichenbachii peut être une aubaine pour les hybrideurs en mal de moyens pour apporter du nouveau à leurs croisements. Certains hybrideurs ont récemment redécouvert les vertus de I. aphylla, l'apport de I. reichenbachii est un nouvel élément de progrès, et c'est rassurant à un moment où l'on pouvait douter de l'évolution future de nos plantes favorites. 

 

(1) Janos Heuffel est un botaniste hongrois du début du 19e siècle. 

 

Illustrations :  



 

deux formes de I. reichenbachii.

9.10.20

QUELQUES DAMES DU TEMPS JADIS

Une dernière série de photos concernant de jolis iris des années dites "folles".





 

PORTRAITS D'IRIS

En deux cents ans d'hybridation des iris, l'aspect des plantes à bien changé. Et ces changements sont normaux puisque l'hybridation a pour but d'améliorer constamment les produits obtenus, et les organismes créés par les amateurs et les hybrideurs pour mettre de l'ordre dans ces travaux ont largement contribué à ces transformations et améliorations. Pour s'en rendre compte nous allons ci-dessous faire les portraits de quatre variétés mises sur le marché au cours de ces presque deux cents ans, des années 1850 à nos jours. 

 'Faustine' (J.N. Lémon, 1859) 

Il s'agit d'une obtention qui date de la fin de la production de Jean-Nicolas Lémon. C'est une fleur qui, du seul point de vue de son modèle et de sa coloration, ne déparerait pas une collection moderne : un bitone avec des pétales bleu lilacé uni et des sépales d'un beau violet réticulé de blanc. Blanche, aussi, est la barbe. Ne revenons pas sur l'aspect de la fleur (on a déjà évoqué cette question, ici, à plusieurs reprises) mais contentons nous d'examiner la plante elle-même. 

 Comme chez tous les iris diploïdes issus des espèces autochtones, les feuilles d'un vert moyen, plutôt étroites, très raides, persistent tout l'hiver et ne se renouvellent qu'au printemps. Une seule tige florale plutôt grêle s'élève peu au-dessus du feuillage. Elle donne naissance à deux branches latérales très fines et courtes, qui s'écartent peu de la tige principale. Elle porte des boutons étroits et allongés propres aux iris diploïdes, en général au nombre de cinq à sept (au maximum) qui se répartissent par deux ou trois à l'extrémité de la tige principale et un ou deux par tige secondaire. La hauteur de la tige ne dépasse que rarement les 70cm ce qui est un cas fréquent. Si fréquent que certains des cultivars de cette époque ont été classés d'abord parmi les iris intermédiaires (IB) avant de regagner la catégorie des TB quand la définition des IB a été précisée. Du fait de l'étroitesse des feuilles et de la maigreur des panaches, les touffes conservent une allure étriquée qui est compensée par un développement rapide et serré. 

  Ces caractéristiques ne sont pas l'apanage de cette seule variété, la plupart des iris de cette époque ont les mêmes. C'est le cas de 'Comtesse de Courcy' (Verdier, 1860), un plicata aux dessins très légers, déclaré comme IB, ou de 'Mme Louesse' (Verdier, 1860), autre plicata, mais de plus haute taille. 

'Ambassadeur' (Vilmorin, 1910?) 

Dans mon jardin il y a une touffe de 'Ambassadeur'. Elle s'y trouvait déjà il y a trente ans et elle continue de prospérer bien que je ne lui assure pas les soins qu'elle mériterait. Elle a de nombreux traits semblables à ceux de 'Faustine' qu'on vient de voir, mais elle en diffère sur de nombreux autres. On remarque tout de suite que ce cultivar a hérité des caractères de l'iris importé de Turquie et baptisé 'Amas' par son importateur britannique Michael Foster. La plante, à plein développement, atteint une hauteur d'environ 1,20m. La tige est plus épaisse mais elle conserve une certaine souplesse. Ce renforcement est nécessaire pour soutenir de fleurs plus volumineuses et donc plus lourdes. Les feuilles aussi sont plus grandes, plus larges surtout. Leur couleur est un peu plus vive. La hampe qui porte les fleurs s'élève nettement au-dessus du feuillage. Autre trait singulier : les boutons floraux sont différents : ils sont plus larges et plus aplatis. 

 Ces différences de taille avaient bien été remarquées par les hybrideurs de l'époque, et c'est pour cela qu'ils avaient croisé l'iris 'Amas' ( ou plus exactement I. trojana ou I. mesopotamica) avec les iris autochtones. La plante résultant des ce croisement a hérité de traits nouveaux et l'observateur informé le distingue au premier coup d’œil. Ce sont les traits des iris tétraploïdes. 'Ambassadeur' est une variété typique de cette mutation. Mais on remarque les mêmes changements chez le célèbre iris bleu 'Souvenir de Laetitia Michaud' (Millet, 1923) ou chez 'Andrée Autissier' (Denis, 1921) autre variété fameuse mais dont il ne reste que le souvenir... 

  'Gai Luron' (J. Cayeux, 1958) 

 Celui-là fait partie des tous premiers éléments de ma collection personnelle d'iris des jardins. On connait exactement son pedigree car les renseignements fournis lors de l’enregistrement d'une nouvelle variété sont au fil du temps devenus plus complets. Le voilà : (Mexico X Technicolor). Que l'on remonte ces deux origines et l'on aboutit invariablement aux iris levantins du groupe I. trojana. 'Gai Luron' est bien un hybride de variétés tétraploïdes (d'ailleurs depuis les années 1930 tous les grands TB sont des iris tétraploïdes). Mais d'autres espèces ont été ajoutées au « mix ». En particulier le petit I. variegata qui a apporté la couleur jaune et le modèle qui porte son nom, variegata. Quelles sont les conséquences de cet apport sur l'apparence de la plante ? 

A vrai dire il semble qu'on soit plus proche de 'Faustine' que d''Ambassadeur ! Cela tient en particulier à ce que, sous l'effet de I. variegata la plante a perdu de sa hauteur. De 120cm on est revenu à 85, ce qui est plus raisonnable. Les tiges ont, par la même occasion, perdu de leur volume, mais elle restent très résistantes. Quant au feuillage, sa densité a diminué ce qui donne à cet iris une allure plus frêle, au demeurant très plaisante. 

'Iriade' (B. Laporte, 2004) 

Même si cet iris est maintenant âgé de 16 ans (et de 25 si l'on se rapporte à la date du croisement), c'est encore une variété récente et il ne présente aucun signe de vieillissement. On peut donc considérer qu'il est un parfait exemple des iris d'aujourd'hui. Il fait partie de la première fournée d'enregistrements de son hybrideur. C'est une plante très réussie qui a été remarquée en2003 au concours « Iriade », éphémère substitut de FRANCIRIS©. Elle a tous les traits des iris contemporains. Robuste, elle pousse activement et, une fois établie, produit des touffes volumineuses, drues et saines. Les fleurs sont portées par de fortes hampes qui s'élèvent à la hauteur moyenne de 90cm, ce qui est désormais la norme. Une dizaine de boutons, sur une tige triple garantissent une floraison prolongée. Comme la plupart des variétés d'aujourd'hui le feuillage sèche et disparaît au cours de l 'été, ce qui ne laisse en place que des moignons vert tendre pour toute la durée de la mauvaise saison. C'est un caractère hérité de I. aphylla, une espèce introduite dans le cocktail dès que les hybrideurs se sont aperçus de son aptitude à renforcer la saturation des couleurs. Il s'agit d'une espèce de petite taille, ce qui a pour avantage de limiter la hauteur des hampes et donc de les rendre moins sensibles au vent et à la verse. En même temps elle réduit aussi la taille des fleurs, ce qui n'est pas plus mal puisque des fleurs trop volumineuses peuvent manquer d'élégance et surtout, par leur poids, contribuer également à la verse des tiges, ce qui est un mal fréquent chez les grands iris. Mais ces avantages de I. aphylla s'accompagnent d'un inconvénient : le feuillage n'est pas persistant et, dès la période de dormance estivale des plantes, disparaît en ne laissant apparents que les amorces du feuillage de l'année suivante, ce qui ne donne pas au jardin d'iris, en été, un aspect bien agréable... En cela 'Iriade' ne sort pas de l'ordinaire. 

De 'Faustine' à 'Iriade' on a suivi le chemin parcouru par les grands iris hybrides en 160 ans. Plus d'un siècle et demi de recherche, de sélection rigoureuse, de perfectionnements ininterrompus a fait de nos iris des plantes de jardin aux qualités reconnues et appréciées par tous. 

Illustrations :


 

'Faustine' 


 

'Ambassadeur' 


 

'Gai Luron' 


 

'Iriade'

2.10.20

LA FLEUR DU MOIS

'Humoresque' (Keith Keppel, 1961)
 Snow Flurry X (Maisie Lowe x Stratosphere)
 
Cette fois on va parler d'un iris que je n'ai jamais vu mais qui est intéressant à plus d'un titre. 
I - C'est la première introduction d'un hybrideur qui deviendra l'un des plus brillants et des plus titrés du monde ; 
II – C'est un iris unique dans l'histoire de son obtenteur, et un précurseur d'un modèle qui se répandra partout dans le monde quelques années plus tard ; 
III – C'est une variété qui doit beaucoup à ses ancêtres français ; 
IV – Ses deux parents-mâles avaient trente ans d'âge quand ils ont été croisés, ce qui est extrêmement rare dans l'hybridation moderne. 
 
Keith Keppel était un tout jeune homme lorsqu'il a créé cette variété. C'est la première d'une longue liste (486) qui regorge de plantes splendides, inventives, originales, qui ont exploré tous les modèles et toutes les combinaisons possibles de coloris. En soixante ans de carrière il a enmagasiné tout ce que le monde des iris a créé comme récompenses, coupes et médailles. Il en donne lui-même la liste dans la biographie parue dens le n° spécial « Centenaire » du bulletin de l'AIS : 180 AM ; 6 Knowlton Medals ; 2 Carpane-Welch Medals ; 3 Sass Medals ; 2 Cook-Douglas Medals ; 1 Mohr Medal ; 17 Wister Medals ; 8 Dykes Medals ; 4 Premio Firenze ! Sans compter les médailles strictement honorifiques ! Personne n'a jamais fait mieux. 
 
 'Humoresque' est unique dans le catalogue de Keith Keppel. Seule la variété 'Broken Dreams' (1997) présente un semblant de caractère « broken color ». La description ci-dessous est parfaite : « Un iris qui n'a jamais deux tiges avec la même couleur de fleurs ! Les fleurs d'une même tige se ressemblent assez mais ne sont pas tout à fait semblables aux fleurs de la tige voisine. La couleur varie du blanc avec quelques traces de violet à un violet moyen avec des taches de blanc en passant par toutes les étapes intermédiaires, et surtout entre les deux ! Phénoménalement différent. Et ces caractéristiques son transmissibles : le modèle se retrouve sur les semis. » Ce sont les caractéristiques de ce que l'on a appelé le modèle « broken color » (BC), un modèle dont le champion sera Allan Ensminger, qui prendra son essor dans les années 1970/1980 avec des variétés qui se nomment 'Doodle Srudel' (1976), 'Inty Greyshun' (1978), 'Purple Streaker' (1979), 'Pandora's Purple' (1980), 'Painted Plic' (1982)... 
 
Les trois parents de cet iris pour le moins original sont : 
'Snow Flurry' (Rees, 1939) (Purissima X Thaïs), le point de départ des fleurs ondulées ; 
'Stratosphere' (Donahue,1931) (Sensation x inconnu) 
'Maisie Lowe' (J. L. Gibson, 1930) (Dominion X Souvenir de Mme Gaudichau), un récipiendaire de la Médaille de Dykes britannique. 
Les uns comme les autres remontent, comme on peut le voir, à des variétés françaises d'une grande célébrité : 'Thaïs' (F. Cayeux, 1926), 'Sensation' (F. Cayeux, 1925) et 'Souvenir de Mme Gaudichau' (Millet, 1914). Toutes les trois sont dans les tons de mauve ou de violet, et tous les trois ont eu une riche descendance tant en France qu'aux Etats-Unis. 
 
Il est remarquable que pour cette toute première variété enregistrée Keppel ait choisi des cultivars âgés d'une trentaine d'années. C'était un risque important parce qu'en ce laps de temps la forme des fleurs d'iris avait subi des transformations importantes dont a priori Keppel s'est affranchi, osant parier que ses semis n'auraient pas un air vieillot, peu propice à une vie commerciale évidente. Mais les ondulations de 'Snow Flurry' sont réapparues sur cet 'Humoresque' et l'originalité du coloris obtenu pouvait faire un peu oublier le côté historique de la fleur. 
 
 Est-il surprenant que 'Humoresque' n'ait pas eu une descendance nombreuse ? Le fait qu'à cette époque le modèle BC n'était pas franchement adopté dans le monde des iris a sans doute conduit les obtenteurs à ne pas poursuivre dans la voie ouverte. D'ailleurs il a fallu entre 20 et 40 ans pour voir des obtenteurs s'intéresser aux caractéristiques de 'Humoresque'. Ce faible retour en grâce n'a d'ailleurs pas eu de suite. Il est vrai que le travail d'Allan Ensminger et de Brad Kasperek son successeur avait rendu 'Humoresque' tout à fait d'une autre époque! 'Just for Laughs' (Hager, 1983) est un de ces rares descendants. 
 
 Quoi qu'il en soit, par son côté révolutionnaire et son apparence étrange 'Humoresque' constitue une originalé dans le monde des iris qui donne à cette variété une importance particulière. 
 
 Illustrations : 
 

 'Humoresque' 
 

'Doodle Strudel' 
 

 'Maisie Lowe' 
 

 'Just for Laughs'

A MOURIR DE RIRE

Il me semble que ce qu'on appelle les « broken-color » ou les iris aux couleurs brouillées sont en perte de vitesse. Ils ont eu beaucoup de succès pendant une trentaine d'années mais cela fait quelques temps qu'on en parle moins. Le modèle aurait-il épuisé toutes ses possibilités ? Ou bien ses supporters se sont-ils lassés ? A moins que cela ne soit le grand public, celui qui achète et fait vivre les pépinières. La grande période a été celle de Brad Kasperek, celui qui a mis sur le marché des dizaines de ces variétés bariolées, en perfectionnant la souche créée par Allan Ensminger dans les années 1980. Depuis qu'il s'est éloigné de la création d'iris, peu d'obtenteurs se sont lancés sur ses traces. 

 Ce modèle « broken-color » (en français « couleurs brouillées ») a suscité bien des controverses à propos de ses origines. Dans le monde horticole on le trouve aussi bien chez certains rosiers ( famille des Rosacées) que sur des œillets (Famille des Caryophyllacées). J'en connais aussi une application sur des œillets d'Inde (Tagetes – famille des astéracées) ou certaines belles de nuit (Mirabilis jalapa). Mais on ne peut pas dire que ce soit un modèle très répandu. Chez les iris son apparition est assez récente. Disons sans doute dans les années 1950. Mais comme toujours lorsque ce qui semble être une anomalie fait son apparition elle est rejetée et détruite. Ce fut le cas pour les « broken-color », naturellement. Jusqu'au jour ou un obtenteur en mal de nouveauté se dise qu'il pouvait en tirer parti. 

Et celui qui fut l'initiateur s’appelle Allan Ensminger. C’est en 1967 qu’il a découvert son premier iris barbouillé et le premier « broken color » réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 1977), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de ‘Stepping Out’. L’année suivante, il a recommencé avec ‘Inty Greyshun’ (1978), qui est mauve améthyste et barbouillé de blanc. ‘Batik’, le plus célèbre, au point d’en être devenu la variété-repère, est apparu en 1981. Par la suite vinrent ‘Painted Plic’ (1983), ‘Maria Tormena’ (1987), ‘Isn’t it Something’ (1993) puis ‘Brindled Beauty’ (1994) et ‘Autumn Years’ (1995). Depuis on a fait bien plus étrange, voire extravagant, mais il n’empêche que la paternité du modèle doit être attribuée à Ensminger. Kasperek n’est donc pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger, notamment ‘Maria Tormena’ et ‘Painted Plic’, pour commencer sa nouvelle lignée de « broken color ». Dès le début, ses iris ont été remarqués pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. La plupart de ces cultivars ont été honorés d’une récompense officielle, comme c’est le cas pour ‘Gnu’ (1994), ‘Tiger Honey’ (1994), ‘Bewilderbeast’ (1995) ou ‘Millenium Falcon’ (1998) qui ont atteint le stade de l’Award of Merit. C’est dire si ces iris ne passent pas inaperçus, même si beaucoup leur reproche d'être esthétiquement discutables. Par la suite un nombre considérable d'obtenteurs - même parfois ceux qui donnent plutôt dans le genre distingué – y sont allés de leur « broken color ». 

On sait maintenant que ces iris proviennent de plicatas chez qui les couleurs ne sont plus régulièrement réparties, mais cela fut longtemps discuté et l'on a cru un temps qu'il s'agissait d'une virose. Il reste que dans les semis de « broken color » il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup d’iris de petite taille (BB) dans la catégorie.

 Après l'engouement des premières années, la production a progressivement diminué et on pouvait même craindre son extinction quand des « broken color » d'un nouveau genre sont apparus. C'est Paul Black qui en a fait la découverte. Voici ce qu'il écrit dans son catalogue à propos de 'Claim to Fame' (2011) : « 'Claim to Fame' ouvre une nouvelle voie pour les iris « broken-color ». C'est un itinéraire tout à fait différent de celui de la lignée d'Ensminger. Les couleurs sont moins séparées et contrastées, mais on retrouve ces caractères à la génération suivante (...) » Et cette seconde génération, c'est 'Die Laughing' (2013). 

En voici le pedigree : 'Claim to Fame' X ('Oklahoma Centennial' x 'Just Kiss Me'). Cette plante présente la particularité de ne pas systématiquement offrir des fleurs répondant à la qualification « broken color », comme le dit Paul Black lui-même : « Vous allez mourir de rire avec toutes les folles variations de ce méli-mélo de fleurs. Certaines présentent une grande variation dans le contraste et le nombre de couleurs mélangées tandis que d'autres sont plus subtiles. Le unes et les autres sont tout à fait plaisantes. 'Die Laughing' est un développement de ma lignée de « broken-color » créée en vue d'obtenir une pousse plus forte, un meilleur branchement et un plus grand nombre de boutons que ce qui est la norme pour les « broken color » ». Et effectivement certaines fleurs sont du type « broken color » alors que d'autres tiennent soit du modèle plicata, soit du modèle distallata. Voilà qui relance le sujet ! 

L'origine de ce comportement peu banal est à rechercher dans le pedigree de 'Claim to Fame' ('Contemporary Art' x 'I've Got Rhythm') X ('El Cerrito' x 'Puccini') qui réunit le plicata ('I Got Rhythm') et le distallata ('Puccini'). 

A ces antécédents qui créent l'événement, Paul Black a ajouté à la génération suivante les surprenantes aptitudes de 'Wonders Never Cease' (Black, 2007) qui est un distallata évolué grâce à l'apport du couple ('Edna's Wish' x 'Wild Jasmine') que l'on trouve dans 'Time Will Tell' (Richard Ernst, 1999), son parent féminin. Cela a donné 'Variegated Wonder' (Black, 2012), qui a un feuillage panaché de crème et de vert. Et le croisement de (‘Variegated Wonder’ X ‘Die Laughing’) a donné une plante qui possède à la fois un feuillage panaché et des fleurs au couleurs brouillées. 

Tous ces curieux mélanges laissent planer l'espoir de nouveaux iris pleins de fantaisie. On les découvrira certainement dans un proche avenir ! 

 Illustrations : 


 

'Claim to Fame' 


 

'Die Laughing' (façon broken color) 


 

'Die Laughing' (façon distallata) 


(cl. Christine Cosi)

'Variegated Wonder'