2.10.20

A MOURIR DE RIRE

Il me semble que ce qu'on appelle les « broken-color » ou les iris aux couleurs brouillées sont en perte de vitesse. Ils ont eu beaucoup de succès pendant une trentaine d'années mais cela fait quelques temps qu'on en parle moins. Le modèle aurait-il épuisé toutes ses possibilités ? Ou bien ses supporters se sont-ils lassés ? A moins que cela ne soit le grand public, celui qui achète et fait vivre les pépinières. La grande période a été celle de Brad Kasperek, celui qui a mis sur le marché des dizaines de ces variétés bariolées, en perfectionnant la souche créée par Allan Ensminger dans les années 1980. Depuis qu'il s'est éloigné de la création d'iris, peu d'obtenteurs se sont lancés sur ses traces. 

 Ce modèle « broken-color » (en français « couleurs brouillées ») a suscité bien des controverses à propos de ses origines. Dans le monde horticole on le trouve aussi bien chez certains rosiers ( famille des Rosacées) que sur des œillets (Famille des Caryophyllacées). J'en connais aussi une application sur des œillets d'Inde (Tagetes – famille des astéracées) ou certaines belles de nuit (Mirabilis jalapa). Mais on ne peut pas dire que ce soit un modèle très répandu. Chez les iris son apparition est assez récente. Disons sans doute dans les années 1950. Mais comme toujours lorsque ce qui semble être une anomalie fait son apparition elle est rejetée et détruite. Ce fut le cas pour les « broken-color », naturellement. Jusqu'au jour ou un obtenteur en mal de nouveauté se dise qu'il pouvait en tirer parti. 

Et celui qui fut l'initiateur s’appelle Allan Ensminger. C’est en 1967 qu’il a découvert son premier iris barbouillé et le premier « broken color » réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 1977), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de ‘Stepping Out’. L’année suivante, il a recommencé avec ‘Inty Greyshun’ (1978), qui est mauve améthyste et barbouillé de blanc. ‘Batik’, le plus célèbre, au point d’en être devenu la variété-repère, est apparu en 1981. Par la suite vinrent ‘Painted Plic’ (1983), ‘Maria Tormena’ (1987), ‘Isn’t it Something’ (1993) puis ‘Brindled Beauty’ (1994) et ‘Autumn Years’ (1995). Depuis on a fait bien plus étrange, voire extravagant, mais il n’empêche que la paternité du modèle doit être attribuée à Ensminger. Kasperek n’est donc pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger, notamment ‘Maria Tormena’ et ‘Painted Plic’, pour commencer sa nouvelle lignée de « broken color ». Dès le début, ses iris ont été remarqués pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. La plupart de ces cultivars ont été honorés d’une récompense officielle, comme c’est le cas pour ‘Gnu’ (1994), ‘Tiger Honey’ (1994), ‘Bewilderbeast’ (1995) ou ‘Millenium Falcon’ (1998) qui ont atteint le stade de l’Award of Merit. C’est dire si ces iris ne passent pas inaperçus, même si beaucoup leur reproche d'être esthétiquement discutables. Par la suite un nombre considérable d'obtenteurs - même parfois ceux qui donnent plutôt dans le genre distingué – y sont allés de leur « broken color ». 

On sait maintenant que ces iris proviennent de plicatas chez qui les couleurs ne sont plus régulièrement réparties, mais cela fut longtemps discuté et l'on a cru un temps qu'il s'agissait d'une virose. Il reste que dans les semis de « broken color » il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup d’iris de petite taille (BB) dans la catégorie.

 Après l'engouement des premières années, la production a progressivement diminué et on pouvait même craindre son extinction quand des « broken color » d'un nouveau genre sont apparus. C'est Paul Black qui en a fait la découverte. Voici ce qu'il écrit dans son catalogue à propos de 'Claim to Fame' (2011) : « 'Claim to Fame' ouvre une nouvelle voie pour les iris « broken-color ». C'est un itinéraire tout à fait différent de celui de la lignée d'Ensminger. Les couleurs sont moins séparées et contrastées, mais on retrouve ces caractères à la génération suivante (...) » Et cette seconde génération, c'est 'Die Laughing' (2013). 

En voici le pedigree : 'Claim to Fame' X ('Oklahoma Centennial' x 'Just Kiss Me'). Cette plante présente la particularité de ne pas systématiquement offrir des fleurs répondant à la qualification « broken color », comme le dit Paul Black lui-même : « Vous allez mourir de rire avec toutes les folles variations de ce méli-mélo de fleurs. Certaines présentent une grande variation dans le contraste et le nombre de couleurs mélangées tandis que d'autres sont plus subtiles. Le unes et les autres sont tout à fait plaisantes. 'Die Laughing' est un développement de ma lignée de « broken-color » créée en vue d'obtenir une pousse plus forte, un meilleur branchement et un plus grand nombre de boutons que ce qui est la norme pour les « broken color » ». Et effectivement certaines fleurs sont du type « broken color » alors que d'autres tiennent soit du modèle plicata, soit du modèle distallata. Voilà qui relance le sujet ! 

L'origine de ce comportement peu banal est à rechercher dans le pedigree de 'Claim to Fame' ('Contemporary Art' x 'I've Got Rhythm') X ('El Cerrito' x 'Puccini') qui réunit le plicata ('I Got Rhythm') et le distallata ('Puccini'). 

A ces antécédents qui créent l'événement, Paul Black a ajouté à la génération suivante les surprenantes aptitudes de 'Wonders Never Cease' (Black, 2007) qui est un distallata évolué grâce à l'apport du couple ('Edna's Wish' x 'Wild Jasmine') que l'on trouve dans 'Time Will Tell' (Richard Ernst, 1999), son parent féminin. Cela a donné 'Variegated Wonder' (Black, 2012), qui a un feuillage panaché de crème et de vert. Et le croisement de (‘Variegated Wonder’ X ‘Die Laughing’) a donné une plante qui possède à la fois un feuillage panaché et des fleurs au couleurs brouillées. 

Tous ces curieux mélanges laissent planer l'espoir de nouveaux iris pleins de fantaisie. On les découvrira certainement dans un proche avenir ! 

 Illustrations : 


 

'Claim to Fame' 


 

'Die Laughing' (façon broken color) 


 

'Die Laughing' (façon distallata) 


(cl. Christine Cosi)

'Variegated Wonder'

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