27.3.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Hall of Fame 

 La TBIS, société associée à l'AIS mais uniquement vouée aux grands iris (TB), organise depuis sa création en 1997 son « America's Choice Poll » qui aboutit à son « Halll of Fame » (qu'on peut traduire en français par Panthéon) qui désigne ce qui a pour objectif d'être la liste de ce qui se fait de mieux en matière de grands iris. Il est décevant de constater que les votants ne se précipitent pas pour participer à ce sondage et que, de ce fait, le résultat soit assez peu probant. Quoi qu'il en soit on remarque que ce listing rassemble des variétés qui ont toutes fait leur preuve et ont été largement honorées par ailleurs. Sur trente variétés listées 20 ont reçu la Médaille de Dykes et seulement deux n'ont pas dépassé le stade des AM. Particularité : cet « America's Choice Poll » n'est pas réservé aux variétés d'origine américaine ; 'Louisa's Song' (B. Blyth, 2000) est entré dans ce Panthéon. 

Une place de choix 

 Le catalogue de Mid-America Iris Gardens a fait cette année une place à deux variétés françaises. Il s'agit de deux iris obtenus par Stéphane Boivin : 'Aime Bay' (2015) et 'Délectation' (2015). Leur obtenteur explique qu'il avait apporté ces deux plantes lorsqu'il est allé en Oregon et que Tom Johnson a bien voulu les accepter et les mettre en culture. Ce sont deux variétés exceptionnelles qui ont toute leur place dans l'énorme panel proposé par Mid-America. 

 Illustrations : 

- 'Aime Bay' 

- 'Délectation'

OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE

Pendant de très nombreuses années, les hybrideurs et pépiniéristes américains ont proposé chaque année à leurs client un nombre de nouveautés de dépassant guère la quinzaine. C'était le cas des grandes entreprises comme Schreiner ou, en son temps, Cooley. Quelques autres atteignaient la dizaine, beaucoup d'autres se contentaient d'une poignée de variétés nouvelles. Le commerce étant ce qu'il est, plus chacune de ces variétés se trouvait distribuée, et par conséquent visible dans les jardins, plus elle accroissait le nombre de notes qu'elle était susceptible de recevoir dans la course aux honneurs. Cela conférait un avantage aux iris commercialisés par les grandes firmes, pour peu qu'ils soient de qualité et/ou précédés d'une certaine renommée. Les autres, quelque soient leurs mérites, subissaient la contrainte de leur manque de visibilité. Néanmoins le travail des juges s'en trouvait simplifié : ils n'avaient à juger qu'un nombre somme toute restreint de variétés, et cela n'a jamais affecté la validité des résultats. 

Depuis quelques années les choses ont bien changé. Il est devenu assez facile d'obtenir, dans un semis, un nombre élevé de cultivars qui réunissent les qualités permettant de les enregistrer et de les mettre au commerce. Les hybrideurs se trouvent donc devant le dilemme suivant : ou bien je mets au compost de quantités d'iris de valeur qui, en d'autres temps, auraient fait le bonheur de leur obtenteur, ou bien je garde toutes ces belles plantes et je les propose à la vente. Et cette mise sur le marché va pouvoir intervenir assez peu de temps après la sélection puisque, pour satisfaire les futurs acheteurs, il ne sera plus nécessaire d'attendre qu'un stock important se soit constitué. C'est une aubaine que certains ont immédiatement exploitée. Car aux Etats-Unis – comme d'ailleurs dans les autres pays, mais avec encore plus d'acuité – l'attrait de la nouveauté est considérable. En proposant un large choix on ira dans le sens des désirs des clients, et les achats se trouveront évidemment répartis sur chacune des variétés présentées, ce qui rend possible une commercialisation rapide puisqu'il n'est plus nécessaire d'attendre des années avant de disposer d'assez de rhizomes pour satisfaire tout le monde. 

A l'heure actuelle où en est-on ? La phénomène n'a fait que prendre de l'ampleur car après Mid-America qui a lancé le mouvement, tous ceux qui en avaient la possibilité ont suivi l'exemple. A l'heure de l'ouverture des ventes pour la saison 2021, un rapide tour des catalogues montre un nombre impressionnant de nouvelles mises sur le marché : chez Schreiner (qui nous avait habitué à une moyenne de 15 nouveautés) on atteint les 26, auxquelles s'ajoutent celles de Joe Ghio qui se contente désormais de pratiquer l'hybridation, soit 16 iris. A noter que les iris nains ou médians, rares jusqu'à présent chez Schreiner, figurent en abondance dans le nouveau panel. Chez Sutton on tourne autour de 36 nouveautés, chez Stout on se limite à 21 dont de nombreux nains ou médians, Keith Keppel se contente de 15 variétés, mais il n'a pas la capacité de faire plus à lui tout seul !Cependant le record absolu revient à Mid-America, de l'équipe Black and Johnson, qui aligne au total 176 iris de quatre obtenteurs différents! 

Une telle profusion va forcément perturber le marché, mais ce n'est pas là le seul inconvénient. Du point de vue de l'horticulture cela entraîne une durée de vie réduite de chaque cultivar. En effet les surfaces de chaque pépinière ne sont pas indéfiniment extensibles. Il faut donc sacrifier très rapidement des iris qui n'ont pas eu le temps de vieillir (et de perdre de leur attrait, ni même de leur valeur marchande) et qui n'auront pas eu le temps de se répandre à travers le monde de manière à devenir célèbres et véritablement appréciés. L'iris devient ainsi une marchandise banale qui n'a plus pour raison d'exister que de procurer des recettes à leur obtenteur. On peut parler d'obsolescence programmée ! Son rôle dans l'amélioration de l'espèce sera considérablement limité : les croisements qui en seront issus seront mathématiquement peu nombreux et par conséquent les chances de découvrir un nouveau modèle, de nouvelles couleurs, de nouvelles formes de fleurs vont devenir plus rares, voire exceptionnelles... 

Un autre casse-tête se profile, à relativement brève échéance : celui qui va impacter la course aux honneurs et la sélection des meilleurs iris. Tous les classements qui ponctuent cette course sont le résultat du travail des juges américains. Ces personnes agréées après une formation scrupuleuse, visitent les jardins où elles vont voir et pouvoir apprécier les divers variétés en course. Des juges, il y en a dans toutes les régions et ceux-ci visitent les jardins qui se trouvent à proximité de leur lieu de résidence : ils ne parcourent pas tout l'immense pays à la recherche des variétés listées sur le document qui leur est remis chaque année. Ont donc le plus de chances d'être notées les variétés largement diffusées à travers l'Union. Les autres, moins bien distribuées ou émanant de petits obtenteurs, ne seront vues que de temps en temps et ne recevront donc que peu de points. C'est ce qui va se passer quand les variétés en compétition, même si elles émanent de grandes pépinières ne pourront se rencontrer qu'en de rares jardins. Chacune n'aura que peu de points et il y aura très fréquemment des ex-aequos. Comment dans ces conditions attribuer les places et les médailles ? Le risque sera pour les variétés trop rares, même si elle sont très belles et très prometteuses, le bénéfice ira à celles qui auront pu être plus largement distribuées, même si ce ne sont pas les meilleures, et l'on pourra avoir de vrais doutes sur la valeur des récompenses attribuées... Dans ces circonstances peut-être faudra-t-il modifier le règlement des compétitions. 

La mode actuelle à la multiplication des nouveautés ne frappe pas seulement les Etats-Unis, mais elle atteint aussi l'Europe. Mais dans nos contrées les conséquences sont moins graves puisqu'il n'y a pas de courses aux honneurs. Elles peuvent même être favorables dans la mesure où les mises sur le marché pourront intervenir plus rapidement et où le choix à la disposition des amateurs plus vate et plus diversifié. Cela peut même éviter d'avoir recours aux importations hors de l'Union Européenne, à un moment où les tracasseries sanitaires deviennent vraiment contraignantes.

19.3.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Hall of Fame 

 La TBIS, société associée à l'AIS mais uniquement vouée aux grands iris (TB), organise depuis sa création en 1997 son « America's Choice Poll » qui aboutit à son « Halll of Fame » (qu'on peut traduire en français par Panthéon) qui désigne ce qui a pour objectif d'être la liste de ce qui se fait de mieux en matière de grands iris. Il est décevant de constater que les votants ne se précipitent pas pour participer à ce sondage et que, de ce fait, le résultat soit assez peu probant. Quoi qu'il en soit on remarque que ce listing rassemble des variétés qui ont toutes fait leur preuve et ont été largement honorées par ailleurs. Sur trente variétés listées 20 ont reçu la Médaille de Dykes et seulement deux n'ont pas dépassé le stade des AM. Particularité : cet « America's Choice Poll » n'est pas réservé aux variétés d'origine américaine ; 'Louisa's Song' (B. Blyth, 2000) est entré dans ce Panthéon.

LES INSOLITES

Dans la banlieue ouest de Dallas, Texas, à Grand-Prairie, on travaille essentiellement pour l'aéronautique et l'armement, mais on produit aussi des iris.Et pas n'importe lesquels ! Ceux de Tom Burseen, un obtenteur qui n'a rien de traditionnel. Ce vétéran de la guerre du Viet-Nam s'est forgé une jolie réputation de non conformiste qu'il entretient en se désignant lui-même comme « savant fou » et en baptisant ses iris de noms fréquemment extravagants où s'entremêlent des jeux de mots douteux et des transcriptions d'expressions américaines en langage populaire. Sa production est considérable. Je n'ai pas fait le compte exact de ses enregistrements de grands iris mais il doit y en avoir plus ou moins 600 ! En trente et quelques années de labeur cela représente tout de même une moyenne de 20 nouveautés chaque année ! Cette masse n'est pas uniquement constituée de variétés aux caractéristiques insolites. Il a y aussi beaucoup de fleurs traditionnelles, mais ce n'est pas celles qui sont à l'origine de l'idée que le public s'est faite sur Tom Burseen. 

Au début de son travail d'hybrideur, il a proposé des variétés si ce n'est banales, du moins que l'on peut qualifier de classiques. C'était à la fin des années 1980 puis au début des années 1990. Vu la quantité, on ne peut pas toutes les citer mais voyons au moins : 

'Ace of Lace' 1989. Un iris très ondulé, dans les tons de lilas très tendre avec des barbes blanches. Un descendant du célêbre 'Soap Opera'. 

'Lilac Laser' 1989, issu du croisement hyper classique 'Rancho Rose' X 'Art Shades', avec des pétales lavande rosé et des sépales lavande balayés de pourpre et égayés de barbes orange. 

'Fundango' (1991) : 'Afternoon Delight' X ( 'Glory Bound' x 'Latin Lover') est un croisement typique des années 1980 qui rassemble trois variétés très connues ; le produit est un unicolore améthyste clair aux sépales centrés de mauve pâle. 

'Call Ripley's' (1990), sans doute le plus joli de la série, bicolore contrasté avec des pétales rose légèrement saumoné clairs, et des sépales pourpre sombre hérités de son parent mâle 'Tropical Tempo' (D. Mohr, 1981). 

'Step Beyond' (1991) affiche déjà plus d'originalité avec ses origines « broken color » et plicata et un coloris violet vif très agréable. 

Ce n'est pas du jour au lendemain que Tom Burseen est passé d'une hybridation traditionnelle à la recherche de l'insolite. D'ailleurs on ne peut toujours pas dire qu'il s'y soit intégralement converti. Encore aujourd'hui le catalogue de ses nouveautés comporte beaucoup d'iris très sages. Il en est ainsi pour : 

'Seea Chia Smile' (2014), joli mauve amplement ondulé. 

'Fire Inside' (2016), blanc crémeux au cœur doré et aux barbes minium. 

'Sheeza Breeze' (2016), sage bitone rose pourpré. 

Neanmoins dès la fin des années 1990 on sent qu'il est attiré par ce qui se distingue de l'ordinaire . 

'Ozone Alert' (1997) retient tout de suite l'attention par son coloris gris, l'un des plus gris qui aient jamais été enregistrés. 

Tout ce qui peut retenir l'attention par un côté hors du commun va faire l'affaire. Ce n'est pas toujours ni d'un très bon goût ni d'une grande qualité horticole mais, comme on dit aujourd'hui, cela fait le buzz ! Des mélanges de couleur heurtées, des éperons volumineux ou agressifs, des fleurs ébouriffées, apparaissent chaque années. Mais ces fantaisies souvent vulgaires sont peut-être là pour allécher le client et lui mettre sous les yeux des choses beaucoup plus académiques qui, si elles sont suffisamment distribuées seront remarquées par les juges et pourront prétendre à une distinction honorifique. C'est le cas de 'Notta Lemon' 2009 qui poursuit une belle carrière : President's Cup 2013, Award of Merit 2014, Wister Medal 2018, et qui n'a pas dit son dernier mot puisqu'il est encore en course pour la Dykes Medal ! 

Si les fleurs non conformistes abondent, ce n'est pas le seul moyen découvert pour se mettre en avant. Bien des noms attribués à ces variétés fait partie de ces artifices utilisés pour justifier la réputation de fantaisiste de l'obtenteur. En Europe, les jeux de mots faciles, les à-peu-près douteux ne font pas partie des choix des obtenteurs pour baptiser leurs semis. On recherche davantage les expressions poétiques ou les appellations évocatrices, mais tel n'est pas le choix de Tom Burseen. Quelques exemples ? 

'Somssee Somsigh' (1990) 

'Izitme Orizitu' (2013) 

'Fefifofun' (2017) 

et on pourrait en citer bien d'autres. 

Cependant, à mon avis, ce qui caractérise le mieux le travail de Tom Burseen ce sont les fleurs aux couleurs étranges, souvent sombres, mais qu'on ne peut pas oublier. J'en ai trouvé plusieurs qui interrogent le lecteur des catalogues ou les visiteurs des jardins, en voici quelques unes, parmi les plus emblématiques et les plus récentes : 

'Chompin Atabit' (2014) 

'Chronic Sonic' (2015)

 'No Fear No Peer' (2014) 

'Mosey Along' (2017). 

Tom Burseen n'est pas le seul, actuellement à présenter ces variétés sophitiquées, c'est même devenu un « must » et chacun se doit d'en avoir créé, mais il les additionne ent en fait l'un de ses signes distinctifs. Avec tout cela on est bien obligé de reconnaître que Tom Burseen est un obtenteur attachant par son côté « double face » et, évidemment, « hors norme » comme on dit aujourd'hui. 

Illustrations : 

'Lilac Laser' 

'Seea Chia Smile' 

'Notta Lemon' 

'Chompin Atabit' 

'Chronic Sonic' 

'Mosey Along'

13.3.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Une fin glorieuse 

 Le Symposium des Grands iris Barbus, compilé chaque année par l'AIS, démontre combien la société américaine se montre conservatrice (alors que par ailleurs elle raffole de nouveautés !). Sur les 100 variétés classées il y en a cette année exactement 1/3 (33) qui sont antérieures à l'année 2000, dont 'Stepping Out', le plus ancien, qui date de 1964 et se situe à la 30eme place. Mais on trouve aussi des variétés indéboulonnables comme 'Beverly Sills' (1979) classé 18eme, 'Superstition' (1977), classé 36eme, de même que 'Victoria Falls' (1977). 'Going my Way' (1972) est 40eme, et 'Vanity' (1975) est 43eme. L'évènement de cette année est le déboulonnage de 'Dusky Challenger' (Schreiner, 1986) par 'That's All Folks' (Maryott, 2005), après un règne de 26 ans ! Les variétés classées les plus récentes sont 'Royston Rubies' (Cordes, 2017), à la 54eme place, et 'Rise Like a Phoenix' (P. Black, 2017) à la 76eme.

 Illustrations :


- 'That's All Folks'

- 'Dusky Challenegr'

- 'Royston Rubies'

- 'Rise like a Phoenix'  

TENDANCES...

Quand on feuillette les catalogues (enfin, feuilleter n'est pas le verbe qui convient lorsqu'il s'agit de parcourir les pages d'un site Internet...) on se rend compte de l'évolution des tendances, car, comme dans la mode, le monde des iris est fort sensible aux goûts du moment. Dans les dernières années nous avons vu se répandre le modèle amoena inversé, d'abord majoritairement mauve/blanc puis qui s'est ouvert à d'autres couleurs, ainsi que le modèle « distallata » et son avatar le modèle « line and speckle », puis il y eut une recrudescence du modèle bicolore rose/pourpre, avant que n'apparaisse, très récemment les iris « à fleur de pensée » ... 

Dans les catalogues de 2020 j'ai repéré deux ou trois modèles de plus en plus présents. Tout d'abord un modèle qui n'a pas encore de nom mais qui rencontre de plus en plus de succès. Je veux parler de cette fleur dont je crois que l'inventeur est l'inclassable Tom Burseen, grâce à 'No Fear No Peer' (2013) qui est décrit comme « pétales et bras des styles ocre mêlé de pourpre clair , éclairci sur les bords ; le centre des sépales est un mélange de rouge rubis, de noir et de brun, les bords sont lavés de brun doré ; les grosses barbes sont d'un orange mandarine brillant ». Cette variété fut suivie de peu par 'The Majestic' (2016) obtenu par le slovaque Anton Mego. C'est une variété surprenante décrite comme suit par celui qui la mise sur le marché aux USA, Sutton's Iris Garden : « Les pétales bleu glycine sont fortement veinés de jaune grisâtre, couleur que l'on retrouve sur les nervures. Surprenants sépales violet-rouge enrichis de pourpre et ornés d'un liseré bleu glycine qui devient jaune grisâtre vers le bord. Ce coloris dramatique se rencontre aussi sur 'Logistical' (T. Burseen, 2015) ou 'Venus Visit' (2014), et s'assombrit encore sur 'Creature of the Night' (P. Black, 2018) ou 'Rum is the Reason' (Schreiner, 2017) dont la description est : « pétales gris lavande veiné de violet et infus de rose au centre ; sépales rouge bourgogne tachés de jaune paille et liserés d'ocre ; barbes orange ». A noter que dans le pedigree de cette originale variété on découvre la présence de 'Condottiere' décidément mis à toutes les sauces. En France, La Maison Cayeux n'est pas en reste : son 'Nelly Tardivier' est bien dans cette veine. Une autre formule qui devient assez fréquente est celle de 'Spicy Serving' (T. Burseen, 2015), descendant du prolifique 'Decadence' , dont les pétales jaune citron surmontent des sépales difficiles à décrire où domine un grenat mat, veiné de jaune paille et grisé sur les bords. On pourrait baptiser ce modèle du nom de « variegata maculé ». Ce genre de veinures n'est pas nouveau mais il s'affirme de plus en plus. En dehors des deux modèles décrits ci-dessus, un autre arrangement des couleurs suscite une véritable émulation parmi les hybrideurs. Il s'agit du modèle bicolore bleu/jaune. On peut même affirmer que c'est là quelque chose de tout à fait au goût du jour. 'Wonderful to See' (F. Kerr, 2000) a constitué une avancée majeure dans ce domaine. Son obtenteur en a donné une description concise mais impeccable : « Pétales et bras de styles d'un bleu violacé moyen ; sépales d'un jaune moyen, les bords sont plus clairs ; barbes dorées ». Cela fait vingt ans déjà mais au cours des douze premières années, de 2000 à 2012, il ne s'est pas passé grand chose d'intéressant. La variété de Frederic Kerr etait la première -ou l'une des toute premières fois qu'apparaissait l'association bleu/jaune avec un contraste suffisant. Ses origines amoena inversé bleu lavande expliquent la présence des pétales bleus ; le jaune des sépales provient de 'Arc de Triomphe' (F. Kerr, 1995) lui-même issu de 'Echo de France' (P. Anfosso, 1984) créé en hommage au travail de Barry Blyth sur les iris bicolores. C'est Duane Meek qui a relevé le gant et proposé les deux frères de semis 'Dancing on Air' (D. Meek, 2004) et 'Party's Over' (D. Meek. 2005), élégants et originaux, issus eux aussi d'amoenas inversés et de notre célèbre 'Condottiere' (J. Cayeux, ). Mais pour trouver de nouveau quelque chose de réussi dans le genre il a fallu attendre 'Saphir Jaune' (R. Cayeux, 2012), immédiatement suivi de 'Infusion Tilleul' (R. Cayeux, 2013) et 'Grande Coquette' (R. Cayeux, 2013). 

C'est une nouvelle fois à Tom Burseen, l'obtenteur texan qui sort des sentiers battus, que l'on doit la reprise de ce modèle attrayant mais sans doute difficile à obtenir, à l'origine de la mode actuelle. Cela a commencé avec 'Get Go Glamour' (T. Burseen, 2015) dont le « père » 'Along Came Fame' (T. Burseen, 2012) présentait une amorce. 'Half Past Happy' (T. Burseen, 2017) est l'étape suivante. On ne peut pas déduire l'apparition de ce modèle de la liste de ses antécédents ; au contraire on aurait pu s'attendre à un iris dans le genre de 'No Fear No Peer' (T. Burseen, 2013) dont il a été question au début de cette chronique ou de 'Hopen Fer Rain' (T. Burseen, 2014) qui en est proche. 

Plusieurs autres hybrideurs américains se sont mis sur les rangs pour obtenir ce nouveau modèle. C'est l'excellente maison Schreiner qui me paraît avoir eu la main la plus heureuse avec 'Let Evening Come' (Schreiner, 2018), amélioration sensible de 'Secret Rites' (K. Keppel, 2004), qui doit être ce qui s'est fait de mieux dans le genre et qui, en plus, porte un nom particulièrement bien choisi. 

Chaque année ou presque est marquée par l'apparition d'un modèle nouveau. C'est un signe de la vitalité remarquable de l'hybridation des iris. Et comme chaque fois qu'un hybrideur présente une nouveauté plusieurs autres lui emboîtent le pas, on a la preuve que l'on n'a pas encore épuisé le sujet et que la mode peut servir à quelque chose. 

Illustrations : 


'Rum is the Reason' 


'Spicy Serving' 


'Infusion Tilleul' 


'Half Past Happy' 


'Let Evening Come'

6.3.21

LA FLEUR DU MOIS

'OPERA BOUFFE'

 L. Ransom, 1991 

'Debby Rairdon' X 'Spirit Of Memphis' 

C'est le premier grand iris enregistré par Lawrence Ransom. C'est aussi sa première grande réussite. Il est remarquable de constater que dès cette première, le style Ransom n'a pas évolué. On y retrouve tout ce qui fait la qualité,le charme et le bon goût qui caractérisent le travail d'hybrideur de ce personnage assez particulier et, il faut bien le dire, pas toujours d'un abord facile. 

'Opéra Bouffe' résulte du croisement 'Debby Rairdon' X 'Spirit Of Memphis'. Un croisement de tout repos entre deux variétés éprouvées et de grande qualité. 'Debby Rairdon' (L. Kuntz, 1964), dont l'histoire exceptionnelle est bien connue de tous les amateurs d'iris est une jolie fleur aux pétales jaunes et aux sépales blancs liserés du jaune des pétales, avec une substance solide, c'est une plante vigoureuse, bien branchue, résistant aux intempéries : bref une belle fleur. Son obtention est le fruit d'un hasard heureux qui a couronné le travail d'une amatrice, surprise de son résultat, et qui n'avait pas noté les noms des plantes dont son semis était issu. On reste donc sur notre faim quant aux origines de cet iris miraculeux. Mais on peut émettre des présomptions. L'histoire se passant en Utah, on peut s'imaginer que Mrs. Kuntz a utilisé un iris obtenu par sa compatriote Melba Hamblen, laquelle a à son catalogue plusieurs variétés ayant une apparence similaire à celle de 'Debby Rairdon'. Par exemple 'Coraband' (1963). 

Du côté mâle on trouve 'Spirit of Memphis' (L. Zurbrigg, 1976) décrit comme « unicolore ondulé et brillant, d'un jaune moyen, avec barbes jaunes ». On connaît ses parents : ('Miss Illini' x 'Grand Baroque') X 'Halloween Party' . 'Miss Illini' (S. Varner, 1965) est un joli iris jaune pur ; 'Grand Baroque' (1968) est un des chevaux de bataille de Lloyd Zurbrigg dans sa recherche sur les iris remontants. Il n'est cependant pas spectaculaire, décrit comme « un frais amoena chartreuse avec une barbe jaune clair et juste une pointe de violet au centre des sépales » ; 'Halloween Party' (J. Gibson, 1970) fait partie de la grande famille des variegata-plicata de Jim Gibson, avec des « pétales d'un riche jaune veiné d'acajou, et des sépales au fond blanc liseré de jaune et taché d'acajou à l'intérieur du liseré, barbes jaunes ». Cela fournit à 'Spirit of Memphis' des gènes de plicata qui n'ont pas été amenés à s'exprimer mais dont on présume l'existence quand on voit sur certaines fleurs des épaules légèrement veinées de brun, veines que l'on retrouve sur 'Opéra Bouffe'. 

Avec ce matériel Lawrence Ransom a obtenu ce qu'on peut appeler un « amélioration » de 'Debby Rairdon' puisque 'Opéra Bouffe' est décrit par Ransom, avec sa minutie habituelle, comme « Pétales jaune crémeux, crêtes et bras de styles d'un jaune plus soutenu ; sépales blancs entourés de jaune, jolies veines brunes aux épaules, revers jaune crémeux ; barbes jaunes».

 'Opéra Bouffe', aussi intéressant qu'il soit, n'a pas inspiré d'autres obtenteurs que Lawrence Ransom lui-même. A vrai dire je pense qu'il s'agit plutôt du fait que les iris signés Ransom n'ont pas eu une large distribution. Leur obtenteur n'était pas intéressé par la diffusion de ses plantes, son catalogue (une simple feuille de quatre ou six pages) n'atteignait que quelques dizaines de destinataires, et, tout occupé à son travail d'hybridation, il ne souhaitait surtout pas qu'on aille visiter son jardin au moment de la floraison ! Ses iris sont donc restés confidentiels. Dans ces conditions ils n'avaient guère de chance d'être à leur tour utilisés par d'autres hybrideurs. Mais Ransom lui-même n'a pas manqué de tirer profit de son 'Opéra Bouffe '. Il en a obtenu cinq variétés que je trouve délicieuses : 

'Thalasso' (1999), surprenante fleur bleu lavande clair ornée d'une barbe bleu-marine ; 

'Titanium' (1999), magnifique blanc pur, joliment frisé ; 

'Carte d'Or' (2002), nouveau jaune et blanc du modèle Joyce Terry comme sa « mère », 'Opéra Bouffe', vif et profondément ondulé ; 

'En Douceur' (2006), variegata jaune clair/mauve, qui porte bien son nom tant ses teintes pastel charment par leur délicatesse ; 

'Lady Opéra' (2006), évolution intéressante du modèle Joyce Terry vers un amoena jaune inversé ; un iris rare et, comme toujours, impeccable à tous points de vue. 

Carlos Ayento, l'administrateur du Brighton Park de Chicago et admirateur inconditionnel des variétés Schreiner, a eu l'heureuse idée de dresser une liste de toutes ces fleurs, avec une appréciation de leur degré de rareté voire même de risque d'extinction. On devrait faire la même chose pour les iris Ransom car, vu leur faible diffusion, beaucoup doivent être en grand danger. S'il en est qui disparaissent dans les années qui viennent, ce sera une perte désolante pour le monde des iris. En effet ce sont tous des iris intéressants, sélectionnés avec scrupule et sens de la perfection. Évidemment 'Opéra Bouffe' est de ceux-là. 

 Illustrations : 


'Opéra Bouffe' 

'Coraband' 

'Carte d'Or' 

'Lady Opéra'

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Nouveau modèle ? 

L'excellent hybrideur italien Augusto Bianco présente cette année un nouvel iris baptisé ′ Albarosa ′. Voici comment son obtenteur le décrit :

« La particularité de cette variété est que le centre des sépales a un tissage veiné, je l'appellerais : côtelé, ceux qui parviennent à agrandir l'image peuvent le remarquer à la base des sépales. » 

 A un amateur qui lui demandait si cette nouveauté avait un lien avec la variété 'Vertigine' (2001), il a répondu  : 

« La parenté de 'Vertigine' a été perdue, en fait il a peut-être hérité cette structure de 'Tropical Magic' (1994) de George Shoop que j'avais utilisé comme parent à l'époque. » 

Illustrations : 

- 'Albarosa' 

- 'Vertigine' 

- 'Tropical Magic'

QUAND LA NATURE TROMPE SON MONDE

On imagine que la duplicité, la tromperie ne peuvent être que le fait des êtres humains, erreur ! La nature sait parfaitement abuser des autres. La baudroie qui agite un leurre au-dessus de sa gueule en vue d'attirer les petits poissons dont va se nourrir, l'orchidée qui prend l'apparence d'un insecte pour qu'un véritable insecte vienne vers elle en vue d'assurer sa fécondation, ce sont deux exemples bien connus. Mais les iris, nos chers iris, procèdent d'une manière analogue dans le but, identique, d'utiliser la mobilité des insectes pour accomplir ce qu'ils ne peuvent pas faire eux-même du fait de leur sédentarité. 

La problème était de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'autofécondation d'une fleur. Il fallait absolument transférer le pollen d'une fleur sur le pistil d'une autre. Cette équation se rencontre sur toutes les fleurs, mais chacune a inventé son propre système pour la résoudre. L'iris a choisi de faire appel à un gros insecte, le bourdon, le gros bombyle bleu. Pour l'attirer il fallait y mettre le prix, ce fut fait en offrant à la bête une friandise qu'elle adore et qui lui est nécessaire, le nectar. Mais sur une fleur importante comme celle de l'iris, ce nectar se trouve au fond d'un puits et il faut aller l'y chercher. Elle va manigancer un stratagème pour le faire venir vers elle, et pour lui faire accomplir les mouvements qu’elle ne peut pas exécuter elle-même. Les insectes vont voler de fleur en fleur à la recherche de ce nectar qui est leur carburant. Les brillantes couleurs des iris, de même que la délicieuse odeur que certains d’entre eux exhalent, vont être tentés. Ils vont utiliser la piste d’atterrissage que constitue le sépale, et la barbe va leur montrer le chemin qu’ils doivent emprunter pour parvenir à leurs fins. Cette barbe n'est en fait qu'un leurre qui laisse croire au bombyle qu'il est arrivé où il veut aller, alors qu'il a encore un bon bout de chemin à parcourir. Il va cheminer le long du chemin ainsi balisé et atteindre enfin son but. Au passage il aura dans un sens déposé le pollen qu'il a involontairement pris en charge sur une fleur précédemment visitée, et dans l'autre raclé l'étamine et emporté les minuscules grains dorés du pollen. Le tour est joué ! La supercherie naturelle a fait son office. 

Quand l'homme s'est mêlé de se charger lui-même de la pollinisation des fleurs d'iris, il n'avait évidemment pas besoin de ce mécanisme pour réaliser son projet. Entre ses mains la barbe n'avait plus son rôle à jouer. Sans doute aurait-il trouvé, s'il en avait eu envie, un moyen de la faire disparaître, mais il lui a trouvé un intérêt esthétique ; il s'est donc mis en capacité d'en tirer tous les profits possibles. 

Sur les iris qui constituent la base des variétés hybrides,ceux que l'on appelle improprement Iris germanica) la couleur la barbe varie selon les espèces originelles, de blanc chez I. pallida ou I. albertii à bleu pâle (I. aphylla) et à jaune (I. albicans). Mais chez certaines espèces botaniques elle peut être bleue et il arrive même qu'elle soit orangée. Cette diversité a inspiré les hybrideurs. Dès l'apparition de la tétraploïdie et des immenses possibilités qu'elle offre, ils ont tenté, avec succès, d'obtenir des barbes de toutes les couleurs. Avec le temps une mutation a été exploitée pour ajouter à la barbe un appendice pétaloïde qui, au début a pris l'apparence d'un discret petit éperon, mais qui s'est développé vers un important pseudo-pétale, au point de devenir disgracieux. Cette mode s'est heureusement assez vite assagie et actuellement ces exagérations ont cessé. Mais certains n'ont pas renoncé à sélectionner des appendices en forme de pompons dont ils espèrent qu'ils dériveront vers une sorte de fleur franchement double ayant quelques ressemblance avec les œillets. Enfin n'oublions pas ces grosses barbes proéminentes qui, étant de couleur qui tranche avec celle des sépales, attirent l’œil des visiteurs du jardin et confèrent à la plante qui les exhibe un intérêt supplémentaire. 

Pendant la période que l'on peut qualifier de franchement historique, c'est à dire entre les années 1850 et les années 1930 les hybrideurs n'avaient pas encore entrepris d'explorer la couleur des barbes ; sans doute étaient- ils plus préoccupés par celle des pétales et des sépales. D'ailleurs dans les descriptions données à l'époque il n'était pas question des barbes. Cependant sur les photos dont on dispose et quand on peut encore trouver l'une ou l'autre de ces variétés dans une collection, on constate que la plupart des barbes étaient jaunes, jaune clair, avec des pointes blanchâtres. Rares étaient les barbes blanches. 

Peu à peu néanmoins la couleur des barbes a évolué. D'abord les fleurs violettes ont hérité de barbes assorties. Ensuite on a vu apparaître des barbes orangées ou rouge minium. Ce fut un héritage des iris roses et de ce qu'on appelle le « facteur mandarine ». Puis vinrent des barbes franchement bleues, suivies des barbes bronze ou moutarde, violet vif s'accordant aux nouvelles couleurs qui apparaissaient. Pendant un temps on est allé jusqu'au noir, ce qui fut un domaine exploré par Melba Hamblen ou Barry Blyth dans les années dites de l'âge d'or (1970/1980). Aujourd'hui il n'est pas rare de trouver des mélanges de couleur pouvant aller jusqu'à trois sur une même barbe. Mais le dernier cri, ce sont les barbes bleues sur les iris jaunes. Ce n'est pas encore tout à fait au point, mais cela vient ! 

Nul ne sait si ces accessoires faits à l'origine pour tromper- et même abuser – les insectes vecteurs de la pollinisation vont continuer d'exciter l'imagination des hybrideurs. Mais il est certain que ces derniers en ont bien profité, pour notre plus grand plaisir. 

Illustrations : 

Iris pallida botanique 

'Antiope' (JN Lémon, 1840) 

'Twice Thrlling' (M. Osborne, 1984) 

'Chenille' (K. Keppel, 2011)