6.3.21

QUAND LA NATURE TROMPE SON MONDE

On imagine que la duplicité, la tromperie ne peuvent être que le fait des êtres humains, erreur ! La nature sait parfaitement abuser des autres. La baudroie qui agite un leurre au-dessus de sa gueule en vue d'attirer les petits poissons dont va se nourrir, l'orchidée qui prend l'apparence d'un insecte pour qu'un véritable insecte vienne vers elle en vue d'assurer sa fécondation, ce sont deux exemples bien connus. Mais les iris, nos chers iris, procèdent d'une manière analogue dans le but, identique, d'utiliser la mobilité des insectes pour accomplir ce qu'ils ne peuvent pas faire eux-même du fait de leur sédentarité. 

La problème était de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'autofécondation d'une fleur. Il fallait absolument transférer le pollen d'une fleur sur le pistil d'une autre. Cette équation se rencontre sur toutes les fleurs, mais chacune a inventé son propre système pour la résoudre. L'iris a choisi de faire appel à un gros insecte, le bourdon, le gros bombyle bleu. Pour l'attirer il fallait y mettre le prix, ce fut fait en offrant à la bête une friandise qu'elle adore et qui lui est nécessaire, le nectar. Mais sur une fleur importante comme celle de l'iris, ce nectar se trouve au fond d'un puits et il faut aller l'y chercher. Elle va manigancer un stratagème pour le faire venir vers elle, et pour lui faire accomplir les mouvements qu’elle ne peut pas exécuter elle-même. Les insectes vont voler de fleur en fleur à la recherche de ce nectar qui est leur carburant. Les brillantes couleurs des iris, de même que la délicieuse odeur que certains d’entre eux exhalent, vont être tentés. Ils vont utiliser la piste d’atterrissage que constitue le sépale, et la barbe va leur montrer le chemin qu’ils doivent emprunter pour parvenir à leurs fins. Cette barbe n'est en fait qu'un leurre qui laisse croire au bombyle qu'il est arrivé où il veut aller, alors qu'il a encore un bon bout de chemin à parcourir. Il va cheminer le long du chemin ainsi balisé et atteindre enfin son but. Au passage il aura dans un sens déposé le pollen qu'il a involontairement pris en charge sur une fleur précédemment visitée, et dans l'autre raclé l'étamine et emporté les minuscules grains dorés du pollen. Le tour est joué ! La supercherie naturelle a fait son office. 

Quand l'homme s'est mêlé de se charger lui-même de la pollinisation des fleurs d'iris, il n'avait évidemment pas besoin de ce mécanisme pour réaliser son projet. Entre ses mains la barbe n'avait plus son rôle à jouer. Sans doute aurait-il trouvé, s'il en avait eu envie, un moyen de la faire disparaître, mais il lui a trouvé un intérêt esthétique ; il s'est donc mis en capacité d'en tirer tous les profits possibles. 

Sur les iris qui constituent la base des variétés hybrides,ceux que l'on appelle improprement Iris germanica) la couleur la barbe varie selon les espèces originelles, de blanc chez I. pallida ou I. albertii à bleu pâle (I. aphylla) et à jaune (I. albicans). Mais chez certaines espèces botaniques elle peut être bleue et il arrive même qu'elle soit orangée. Cette diversité a inspiré les hybrideurs. Dès l'apparition de la tétraploïdie et des immenses possibilités qu'elle offre, ils ont tenté, avec succès, d'obtenir des barbes de toutes les couleurs. Avec le temps une mutation a été exploitée pour ajouter à la barbe un appendice pétaloïde qui, au début a pris l'apparence d'un discret petit éperon, mais qui s'est développé vers un important pseudo-pétale, au point de devenir disgracieux. Cette mode s'est heureusement assez vite assagie et actuellement ces exagérations ont cessé. Mais certains n'ont pas renoncé à sélectionner des appendices en forme de pompons dont ils espèrent qu'ils dériveront vers une sorte de fleur franchement double ayant quelques ressemblance avec les œillets. Enfin n'oublions pas ces grosses barbes proéminentes qui, étant de couleur qui tranche avec celle des sépales, attirent l’œil des visiteurs du jardin et confèrent à la plante qui les exhibe un intérêt supplémentaire. 

Pendant la période que l'on peut qualifier de franchement historique, c'est à dire entre les années 1850 et les années 1930 les hybrideurs n'avaient pas encore entrepris d'explorer la couleur des barbes ; sans doute étaient- ils plus préoccupés par celle des pétales et des sépales. D'ailleurs dans les descriptions données à l'époque il n'était pas question des barbes. Cependant sur les photos dont on dispose et quand on peut encore trouver l'une ou l'autre de ces variétés dans une collection, on constate que la plupart des barbes étaient jaunes, jaune clair, avec des pointes blanchâtres. Rares étaient les barbes blanches. 

Peu à peu néanmoins la couleur des barbes a évolué. D'abord les fleurs violettes ont hérité de barbes assorties. Ensuite on a vu apparaître des barbes orangées ou rouge minium. Ce fut un héritage des iris roses et de ce qu'on appelle le « facteur mandarine ». Puis vinrent des barbes franchement bleues, suivies des barbes bronze ou moutarde, violet vif s'accordant aux nouvelles couleurs qui apparaissaient. Pendant un temps on est allé jusqu'au noir, ce qui fut un domaine exploré par Melba Hamblen ou Barry Blyth dans les années dites de l'âge d'or (1970/1980). Aujourd'hui il n'est pas rare de trouver des mélanges de couleur pouvant aller jusqu'à trois sur une même barbe. Mais le dernier cri, ce sont les barbes bleues sur les iris jaunes. Ce n'est pas encore tout à fait au point, mais cela vient ! 

Nul ne sait si ces accessoires faits à l'origine pour tromper- et même abuser – les insectes vecteurs de la pollinisation vont continuer d'exciter l'imagination des hybrideurs. Mais il est certain que ces derniers en ont bien profité, pour notre plus grand plaisir. 

Illustrations : 

Iris pallida botanique 

'Antiope' (JN Lémon, 1840) 

'Twice Thrlling' (M. Osborne, 1984) 

'Chenille' (K. Keppel, 2011)

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