26.2.21

L'HORTICULTEUR DE PALAISEAU

à la manière de Georges Simenon (une enquête du commissaire Maigret) 

 Ici même, en janvier 2016, un pastiche de Fred Vargas a été publié sous le titre de « Mortel Iris ». Le même sujet revient aujourd'hui, mais cette fois à la manière de Simenon et de son illustre commissaire Maigret. L'affaire se passe dans les années 1930... 

Quand Maigret, avec un soupir de lassitude, se leva de son bureau, il n'avait vraiment aucune envie de se rendre en banlieue, à Vitry précisément. Il aurait bien préféré y envoyer Lucas ou Torrence, mais l'un et l'autre étaient en vacances pour le pont de la Pentecôte. Le premier était dans sa famille à Lyon, le second quelque part dans Paris, mais comme d'habitude, il n'avait pas donné d'adresse où le joindre en cas de nécessité. Et puis le ministre de l'agriculture lui-même lui avait demandé d'intervenir... Il descendit lentement l'escalier poussiéreux et rejoignit Janvier dans la cour de la Préfecture où ce dernier l'attendait au volant de la vieille C6 Citroën de service. Après quelques minutes il se tourna vers Janvier, qui conduisait lentement le long des quais et le trouva pâle et préoccupé, ce qui le dissuada de lui adresser la parole. Ils continuèrent ainsi en silence dans cette voiture fatiguée et qui sentait l'essence. Passant devant la gare d'Austerlitz, il se dit que par ce matin de mai gris et humide il ne devait pas trop regretter de ne pas pouvoir aller à Meung sur Loire où pourtant il aurait bien aimé retrouver sa petite maison. Un peu somnolent, il se remémora l'appel du ministre : « Bonjour, commissaire. C'est une affaire un peu spéciale qui m'amène à vous déranger. Figurez-vous que mon ami Christian Joyeux, vous savez, le grainetier du quai de la Mégisserie, vient de m'apprendre une bien mauvaise nouvelle. Il est chez lui à Vitry, avec quelques collègues, à propos d'iris... Et ce matin, alors qu'il se penchait sur une fleur pour en apprécier le parfum, un de ses invités, son confrère Gabriel Millon, s'est écroulé, mort ! Mon cher Maigret vos m'obligeriez en vous rendant là-bas pour essayer d'élucider ça... » 

 C'est un homme plutôt âgé, portant beau, qui vint au devant du commissaire au pied du perron d' une superbe maison de maître. 

« - Vous êtes de la police, demanda-t-il, dès qu'il fut à la portée des deux visiteurs ? Je suis Christian Joyeux. 

- Commissaire Maigret, et voici l'inspecteur Janvier. 

- Je suis bouleversé, reprit le maître des lieux. Quelle affaire !  Pensez que se trouvent ici des personnalités américaines, anglaises et allemandes !» 

Il avait une vague ressemblance avec l'ancien Président Raymond Poincaré ce qui amena un vague sourire sur le visage du commissaire. Un autre personnage s'avançait à son tour, petit, rondouillard, et dont on devinait instantanément qu'il faisait partie de la police. On sentait en lui, dès le premier contact, l'homme jovial et bon vivant mais manifestement imbu de lui-même. Il connaissait visiblement les deux arrivants, qu'il salua chaleureusement. Janvier eut même droit à une bourrade amicale dans l'épaule qu'il encaissa sans sourciller avant de prendre congé et de ce diriger vers le jardin où s'agitaient plusieurs personnes. Le commissaire et les deux autres entrèrent dans la maison ; Joyeux les dirigea vers un petit salon élégamment meublé dans le style Napoléon III. Coulomb, le policier local entama aussitôt le récit des faits tels qu'ils les connaissaient : 

 «  - La victime s'appelait Gabriel Millon, de Palaiseau, c'était un confrère de Monsieur Joyeux dit-il cérémonieusement. Il était ici pour un participer à une réunion professionnelle à propos de la culture d'iris dans laquelle Monsieur Joyeux est une personnalité connue dans le monde entier. 

- Et ce monsieur est mort dans quelles circonstances ? Intervint Maigret 

- Il souhaitait apprécier le parfum d'une fleur. Il s'était penché sur elle pour la sentir, et il s'est écroulé presque immédiatement ! 

- Crise cardiaque ? 

- Eh bien non, justement, le légiste, le docteur Poisson, est affirmatif, il parle d'une mort par absorption d'un poison qui aurait été vaporisé sur les fleurs ! Il en a récupéré plusieurs, qu'il va faire analyser. 

- C'est tout à fait exact approuva Christian Joyeux. Pour compléter votre information, Monsieur le Commissaire, j'ajouterai que c'est un vrai miracle qu'aucun autre de mes amis n'ait été intoxiqué ! Pensez que notre ami Hermann Goetz était à deux doigts de faire le même geste ! » 

Une dame fit son entrée. Les cheveux coupés au carré, toute vêtue de blanc, elle était à la fois à la dernière mode et d'une sobre élégance. 

« - Commissaire, je vous présente Mrs. Blake, de Boston, dit Christian Joyeux avec une certaine emphase. Elle accompagnait notre ami Gabriel Millon à l'instant fatal. Elle souhaite témoigner, mais je vous informe de ce qu'elle ne s'exprime pas en français ». 

Maigret, lui-même ne parlant pas anglais, se contenta de saluer sobrement, mais le petit Coulomb voulut montrer tout de suite ses dons pour la langue de Shakespeare. La dame américaine, malgré la gravité de la situation, fut sensible à cette attention qui lui évitait la perspective de baragouiner dans un idiome dont elle ne connaissait quasiment rien. S'en suivit une conversation dont Maigret ne saisit pas un mot. Il manifesta une certaine impatience et, reprenant son chapeau qu'il avait déposé devant lui sur un guéridon, se leva : 

«  - Je vous laisse !, Coulomb, vous me résumerez ce témoignage tout à l'heure, je vais faire un tour dans le parc... » 

 Tout autour du domaine de Christian Joyeux on constatait un mélange de vastes pépinières et de pavillons de banlieue tout neufs. La ville mangeait la campagne et il était évident que peu à peu ces terres pleines d'arbrisseaux et de fleurs seraient bientôt converties en petites parcelles où pousseraient d'innombrables pavillons de meulière, tous semblables et anonymes. Maigret eut un soupir désabusé et se dirigea vers le groupe où il apercevait la haute silhouette un peu voutée de l'inspecteur Janvier. Partout autour de lui, ce n'était que touffes d'iris. Ils étaient plantés deux par deux, sur de longues plate-bandes rectilignes. La plupart se trouvaient en fleur, mais certains, qui avaient mal poussé, restaient à l'état de plantes chétives, quelques-uns étaient morts et laissaient un espace vide parmi leurs frères, exubérants. Consigne avait été donnée de ne pas se pencher pour humer les fleurs et plusieurs employés de la maison Joyeux, reconnaissables au tablier de jardinier qu'ils arboraient, répétaient l'interdiction à tous ceux qui s'approchaient. Maigret ignorait que les Ets. Joyeux et Mauclair, renommés pour leur graines et plantes potagères, s'adonnait aussi à la culture des iris. Les grandes fleurs somptueuses qu’il côtoyait à cet instant lui inspiraient plus de curiosité que d'intérêt. En fait il repassait dans son esprit les événements que Coulomb avait racontés, mais il lui était arrivé tant de fois de faire face à des situations extravagantes, de côtoyer des individus tellement bizarres, que la mort d'un renifleur de fleurs ne lui paraissait pas plus étrange qu'une autre. Il s'intéressait, en fait, à la physionomie des personnes présentes, à leur accoutrement, à leur démarche, à leur attitude... Janvier, l'ayant aperçu se détacha du groupe pour venir à sa rencontre (..).

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