19.2.21

LES ANNÉES BLANCHES

Pour toutes les récompenses délivrées par l'AIS, 2020 a été une année blanche puisqu'aucun jardin où les plantes auraient pu être jugées n'a pu ouvrir en raison des restrictions sanitaires. C'est quelque chose d'extraordinaire que ni la grand dépression de 1929, ni la seconde guerre mondiale n'avaient provoqué. Pourtant des années blanches avaient déjà eu lieu, mais si ces années-là la Médaille de Dykes, par exemple, n'avait pas été attribuées, c'était pour des motifs bien moins graves. 

 Depuis sa création en 1927 et jusqu'à aujourd'hui la Médaille de Dykes n'a pas été décernée neuf fois. Et à chaque fois c'est pour une question de règlement. Nous allons examiner cela maintenant. 

Première défaillance, en 1928. A peine a-t-elle été créée qu'elle reste dans les tiroirs ! A cette époque de pionniers, le système d'attribution des quelques récompenses existantes repose pur la décision sans appel du « Board of Directors », autrement dit le Comité des Directeurs. Ces derniers attribuent la médaille – que la British Iris Society, autant par générosité que pour bien affirmer sa suprématie offre à quelques Sociétés sœurs – à une variété choisie dans un panel préalablement arrêté. En 1927, pour la première attribution, ils avaient voté pour le plicata 'San Francisco' ; en 1928 ils n'ont pas réussi à ce mettre d'accord sur un nom. Les variétés en compétition étaient peu nombreuses et il est effectivement possible qu'aucune n'ait été au niveau. 

 Deux ans plus tard, en 1930, on ignore la ou les raisons pour lesquelles la DM n'a pas été décernée. Dans aucun document on ne trouve d'explication. Ce silence prudent résulte-t-il d'une volonté de ne froisser aucun des Directeurs dont les voix n'ont pas réussi à s'accorder ? Le mystère restera sans doute éternellement entier. 

Nouvel échec l'année suivante, en 1931. Cette fois le règlement a été revu au cours de l'année 1930. Il exige que les plantes susceptibles de recevoir la DM aient pu être jugées pendant deux ans. Cela ne pouvait donc pas être le cas en 1931 puisque la nouvelle réglementation datait de l'année précédente. Exit donc la DM ! 

 Une période de douze ans va s'écouler avant une nouvelle année blanche. Ce sera en 1946. Cette fois l'incident a pour origine une autre clause du règlement. Celui-ci n'a pas prévu de solution pour le cas où plusieurs variétés obtiennent le même nombres de votes. Or cette année-là 'Daybreak' (Kleinsorge, 1941) et 'Ola Kala' (J. Sass, 1942) n'ont pas pu être départagés. Et pas un mot à propos de cette situation dans le fameux règlement qui aurait pu prévoir un système de prolongation analogue à ce qui se passe dans les sports d'équipe. Mais non, rien. Alors le Comité de Direction a pris la décision de ne pas accorder la médaille. C'est un coup dur pour Rudolph Kleinsorge parce que l'année précédente son 'Daybreak' avait échoué de quelques voix dans cette compétition et qu'il se voyait une nouvelle fois privé de récompense. 'Ola Kala' aura plus de chance et triomphera enfin en 1948. 

Quatorze ans plus tard, en 1960, une situation identique se présente. Cette fois ce sont 'Techny Chimes' (Reckamp, 1955) et 'Eleanor's Pride' (Watkins, 1952) qui font match nul. Donc pas de médaille puisqu'il n'est pas prévu d'en attribuer deux la même année. Charles Reckamp était un moine, ce qui n'est tout de même pas fréquent dans le domaine de l'horticulture. Mais ce n'est pas pour autant que le ciel lui ait donné un petit coup de pouce ! Edward Watkins aura plus de chance car les juges se raviseront et son 'Eleanor's Pride' décrochera la prestigieuse médaille l'année suivante. Mais pour 'Techny Chimes' il n'y aura pas de rachat... 

 En 1969 une autre clause du règlement va devoir être appliquée. Pour l'emporter il est prévu qu'une variété doit recueillir au moins 15% des voix de l'ensemble des votants. Or cette barrière n'est pas atteinte par la variété arrivée en tête, 'Skywatch' (Benson, 1963). Encore une année blanche, donc. Mais qu'à cela ne tienne, en 1970 les juges se rattraperont et 'Skywatch' recevra enfin la Médaille de Dykes. 

Incident identique en 1987. Malgré toutes ses qualités et en dépit de sa couleur totalement nouvelle, 'Copper Classic' (Roderick, 1977) ne franchira pas le seuil des 15%. En 1985 il avait été battu de peu par le célèbre 'Beverly Sills' (Hager, 1978) ; en 1986 c'est 'Song of Norway' (Luihn, 1977) qui l'avait devancé et pour sa troisième et dernière participation il n'a pas obtenu assez de voix. C'est le Poulidor de la DM ! 

 Il est curieux de constater qu'à cette époque les éternels seconds ne manquent pas. Prenez le cas de 'Laced Cotton' (Schreiner, 1978). C'est une variété qui a eu un succès colossal, mais cela ne l'a pas empêchée d'échouer trois fois à la DM. Une première en 1986 où ses challengers étaient 'Song of Norway' et 'Copper Classic' et où c'est 'Song of Norway' qui l'a emporté comme on vient de le voir ; en 1987 il fait encore match nul avec 'Copper Classic' et la DM lui a de nouveau échappé ; et en 1988 il s'est heurté à un autre malchanceux, 'Az Ap' (Ensminger, 1979) ainsi qu'à une pointure, 'Titan's Glory' (Schreiner, 1981), et c'est celui-ci qui s'est imposé. 

 En 1989, nouvelle application de la règle des 15%. Celui qui s'est le plus approché de ce pourcentage est l'intermédiaire Az Ap (Ensminger, 1979) mais il y avait à l'époque une sorte de « plafond de verre » qui rendait de fait inéligible toute autre catégorie que les TB. C'est cette krypto-règle qui, très vraisemblablement, a privé 'Az Ap' de la DM pour la deuxième fois. De même, en 1990, c'est ce même ostracisme qui, pour sa dernière tentative, l'a écarté pour la troisième fois. Du moins l'échec de 1989 a-t-il convaincu le Comité des Directeurs de l'AIS de modifier le règlement. Plusieurs voix s'étaient en effet élevées pour faire remarquer que dans la masse énorme de variétés produites aux USA chaque année il était bien improbable qu'il n'y en ait pas une seule en capacité d'être couronnée. Il est évident par ailleurs que plus il y avait de concurrents plus il était difficile de franchir le cap des 15%. Le règlement a donc été modifié et, depuis, il n'y a donc plus eu aucune année blanche. 

Les péripéties ci-dessus ont été fort bien décrite dans le bulletin d'automne 2020 de l'AIS par Kathy Oldham, irisarienne californienne bien connue, et je lui ai emprunté bon nombre des informations qui ont documenté ma propre chronique. 

 Illustrations :




'Daybreak' 



'Techny Chimes' 



'Copper Classic' 



'Laced Cotton'



'Az Ap'

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