30.12.22

EN AVANT POUR UNE NOUVELLE ANNÉE !

La chronique d'aujourd'hui est la dernière de 2022. C'est donc le moment de souhaiter à tous les lecteurs d'Irisenligne une bonne année 2023. Une année qui pourrait être la dernière pour ce blog, né en 2001. Je me fais vieux et j'ai tant écrit sur le domaine des iris que j'en viens à manquer d'inspiration ! Quoi qu'il en soit, pour l'instant, on continue !

LE PLUS GRAND ?

Si l'on se fie aux palmarès des courses aux médailles de l'AIS, il n'y a pas d'hésitation possible : le plus grand hybrideur de tous les temps ne peut être que Keith Keppel. Je me suis fait cette réflexion en étudiant le palmarès de 2022. Pourtant, cette fois, ce n'est pas une variété issue de son jardin de Salem en Oregon qui a remporté la Médaille de Dykes, et pas non plus la John C. Wister Medal. Il est vrai que pour la DM il a déjà été royalement servi ! Après s'être fait remarquer en 1972 en triomphant avec 'Babbling Brook' (1965), il a du attendre plus de trente ans pour placer en tête une de ses variétés. 


Ce fut avec 'Crowned Heads' (1996) en 2004. Mais à partir de là ce fut formidable : 
 'Sea Power' (1998) en 2006 ; 
'Drama Queen' (2002) en 2011 ; 
'Florentine Silk' (2004) en 2012 ; 
'Gypsy Lord' (2006) en 2015 ; 
'Montmartre' (2007) en 2017 ; 
'Haunted Heart' (2009) en 2018 ; 
'Reckless Abandon' (2009) en 2021. 
Neuf Dykes Medals pour un seul obtenteur ! Et on peut envisager qu'il y en aura d'autres car l'homme n'a pas dit son dernier mot et, à tout le moins, 'Volcanic Glow' (2011) est toujours dans la course et on peut prédire une carrière brillante à 'Magic Ring' (2019) ou 'Arctic Chill' (2019) entre autres. 

 En 2022 le panier de médailles de Keith Keppel c'est enrichi d'une Carpane-Welch Medal (celle destinée aux tout petits MDB), donnée à 'Rivulet' (2011). Mais aussi de nombreuses places d'honneur ont été décrochées : 
'High Desert' (2014) dans la liste des prétendants à la Wister Medal

 
'Marrying Kind' (2014) idem 
'Royalty Rememberer, (2016) pour l'attribution d'un Award of Merit 
'Shivaree', (2014) idem 
'Billowing Waves', (2014) idem 
'Espionage', (2014) idem 
'Mixted Signals', (2015) idem 
'Boondoggle' BB, (2016) idem 
'Moonglint', (2019) pour l'attribution d'une Honorable Mention

 
'Collusion', (2019) idem 
'True Colors', (2019) idem 
'Turkish Tapestry', (2019) idem 
'Wealth', (2019) idem 
'Color Capers, (2019) idem 
'Rainbow Road', (2018) idem
 Gentle Manner', (2019) idem 
'Fashion Event', (2019) idem 
'Hold the Line', (2019) idem 
'Tamale Time', (2019) idem 
'Bond Girl', (2016) idem

 
'Power Struggle', (2018) idem 
'Sugar High', (2017) idem 
'Musical Chairs', (2018) idem 


'Blank Verse' IB, (2018). 
Vingt quatre citations ! Et l'exploitation de Keith Keppel est l'une des plus petites que l'on trouve au pays des iris ! 

 Ces résultats exceptionnels résultent d'un travail intelligent, méticuleux et passionné, mais aussi d'une part de chance et enfin d'une réputation d'excellence que les juges ont forcément en tête lorsqu'ils accomplissent leur travail devant une variété signée Keppel. Quoi qu'il en soit l'escarcelle de celui qui se surnomme lui-même « plicataman » est la plus luxueuse de tous les temps, et je parierais fort qu'on n'est pas près d'en trouver une autre qui soit aussi bien remplie.

26.12.22

LA FLEUR DU MOIS

‘SNOWBROOK’ 
Keith Keppel (1996) 
((('Vaudeville' sibling x 'Montage') x ('Vaudeville' x 'Charmed Circle')) x (('Montage' x ((('Gene Wild' x 'Majorette') x 'Rococo') x 'Vaudeville' sibling)) x 'Vaudeville' x 'Charmed Circle'))) X 'Charmed Life' 


 Voici une variété typique de ce que produit Keith Keppel. Elle a déjà 26 ans, mais elle n'a rien perdu de sa beauté. Son pedigree a cette complexité digne de ces quelques hybrideurs de génie qui maîtrisent absolument leur art et avancent infailliblement vers leur but. Cette fois celui-ci semble être un plicata minimaliste. La description officielle ne dit pas autre chose : « Standards white; falls white, columbine blue (M&P 42-G-10) hafts and precise 1/4" plicata edge; white beard, lemon yellow in throat ». Autrement dit :  « pétales blancs ; sépales blancs, épaules bleu vif de même qu'une fine bordure plicata d'environ 6 mm. Barbe blanche , jaune dans la gorge. » Le côté olicata se résume donc à la bordure des sépales. Les ondulations sont amples et élégantes mais n'ont rien à voir avec ce qui se fait aujourd'hui dans ce domaine. 

 En ce qui concerne les origines, on constate une complexité qui a de quoi amuser les spécialistes de la question. Avec un côté féminin qui réunit six variétés, dont certaines présentes plusieurs fois : 'Vaudeville' = un vieil amoena maison de 1969 aux pétales dans les tons de crème et aux sépales bleu aconit. 
'Montage' (Keppel 1970) = déjà un plicata original. 
Un « cluster » regroupant 'Gene Wild', 'Majorette' et 'Rococo, soit :
     'Gene Wild' (Craig 1952), un plicata très chargé, dans les tons vieux rose vif ; 
     'Majorette' (Miess, 1952), un autre plicata ancien, dans les tons de bordeaux ; 
     'Rococo' (Schreiner, 1959), encore un plicata, bleu  celui-ci, très classique, et universellement connu. 'Vaudeville' (sibling) = un frère de semis de 'Vaudeville' cité ci-dessus, dont on ne sait rien. 
'Charmed Circle' (Keppel 1968) = un plicata bleu, classique, descendant de 'Rococo'. 



Dans cette jolie famille tout le monde est du modèle plicata. Le côté paternel est constitué de 'Charmed Life' (Keppel 1983, encore un plicata ! Pour obtenir 'Snowbrook' on peut dire que Keppel avait mis tous les atouts de son côté pour obtenir un nouveau plicata. Et, évidemment, il atteint son but ! 

 Du côté de la végétation, je ne puis pas dire que ce 'Snowbrook' ait été chez moi une parfaite réussite : pousse capricieuse et nombre de boutons insuffisant. Mais il ne faut pas tirer de ce « succès en demi-teinte » comme on dit dans les journaux, des conclusions définitives. Beaucoup d'irisariens, professionnels comme amateurs en ont été tout à fait satisfaits. Pour preuve les quelque 67 descendants officiellement recensés, émanant des plus grands hybrideurs du moment. Les plus remarquables enfants sont nombreux, et en particulier: 

'Azure Angel' (Graeme Grosvenor, 1993), qui a triomphé en 1996 au concours de l'ISA, en Australie ; 'Belle Fille' (Marky Smith, 2011), Wister Medal en 2021, et, la même année Florin d'or à Florence ; 'Hey Dreamer' (Barry Blyth, 1994), excellent exemple du travail de son obtenteur ; 
'Irisades' (Richard Cayeux, 2007) vainqueur de l’éphémère compétition française éponyme de 2004 ; 'Noble Gesture' (Keith Keppel, 2009) 
'Pay the Price' (Graeme Grosvenor, 1999) 
'Splashacata' (Richard Tasco, 1997) 
'Starwoman' (Marky Smith, 1997) 


auxquels on pourrait ajouter bien d'autres. 



 Les iris plicatas, quel qu'en soit l'apparence, sont le sujet de prédilection de Keith Keppel. Il en a créé les plus remarquables. 'Snowbrook fait partie des meilleurs.

18.12.22

AU COEUR DE L'EUROPE

La chute du mur de Berlin et les bouleversements politiques qui ont accompagné cet événement ont eu des répercussions considérables dans le monde des iris. On a déjà pris connaissance de ce qui s'est passé en Allemagne à cette occasion. On va voir maintenant ce qui a eu lieu dans ce qu'on appelait les républiques populaires. Le bouleversement n'a pas eu les mêmes conséquences partout mais là où il s'est produit il a donné naissance à un nouveau pan du monde des iris, et non des moindres. Ce mouvement a eu pour cadre la Tchécoslovaquie (devenue d'une part la République Tchèque et d'autre part la Slovaquie), la Pologne, la Lituanie, la Slovénie puis, dans une moindre mesure, la Hongrie et la Roumanie. Les autres Etats n'ont été que très peu touchés, soit du fait de leur situation géographique et climatique, soit de circonstances particulières ou historiques. Le cas de la Russie et de l'Ukraine fera l'objet d'une autre étude. 

 Bien avant les années 1990 la culture des iris s'était développée en République Tchèque. Avec des moyens génétiques dérisoires des gens habiles et ingénieux avaient entrepris des hybridations. C'est le cas de Vojtech Smid qui a réussi a s'imposer à Florence en 1985 avec 'Libon', une variété qui n'a jamais été enregistrée malgré ce succès. Mais aussi, dès ce temps-là, le grand botaniste Milan Blazek s'est essayé à des croisements audacieux au plan horticole, bien dans la ligne de ses études de génétique. Notamment sur les iris plicatas et les variétés tardives. Isolé dans son pays il n'a réussi à enregistrer ses obtentions qu'en 2013, de sorte que celles-ci, malgré l'intérêt qu'elles présentent, au plan esthétique, accusent tout de même leur âge. C'est le cas par exemple pour le rose 'Jarni Sem' (1979). Dès qu'ils ont pu librement se procurer des variétés américaines pour leur servir de matériel d'hybridation, de nombreux amateurs tchèques se sont mis à l'ouvrage. Plusieurs ont fait immédiatement preuve de leur habileté. Prenons le cas de Pavel Nejedlo qui a réussi un coup de maître avec le croisement  'Desert Echo' X ('Rancho Rose' x 'Sketch Me') et les trois variétés plicatas qu'il en a retenu : 'Moonlight Sketch', 'Spacelight Sketch' et 'Sunlight Sketch' ; ou de Jiri Dudek dont les obtentions, peu nombreuses, ont été remarquées partout où on a pu les voir. Témoin : 'Papapubren' (2000). 





 Cependant le leader incontesté de l'iridophilie tchèque s'appelle Zdenek Seidl. Cet homme de conviction s'intéresse à toutes les catégories d'iris. En trente ans d'activité il est arrivé à la célébrité et ses variétés ont été distinguées partout où elles ont été en compétition, que ce soit à Munich, à Florence ou à Paris. Dès ses premiers enregistrements, que ce soit les jaunes 'Pozdni Leto' (1997) ou 'Zlatohlavek' (1998) ou le noir 'Bratislava Noc' (1997, )les spécialistes ont tout de suite vu en lui un obtenteur remarquable, et son talent n'a fait que s'affirmer. 'Nad Oblaky' (2019) à triomphé à Paris cette année, 'Chachar' (2013) l'avait précédé à cette place en 2017, avant d'aller l'emporter à Florence l'année suivante. A noter ses iris intermédiaires, qui se distinguent par leur petite taille, bien dans les limites et l'apparence de la catégorie. 


 En Slovaquie voisine le champion du changement qui s'est produit après l'effondrement de l'empire soviétique s'appelle Ladislav Muska. C'est le type même de l'amateur averti. Comme bien des hybrideurs de l'Est, il a commencé avec de petits moyens génétiques. Ceux-ci se sont développés avec la libération des échanges et peu à peu il a pu se procurer les meilleurs géniteurs américains. Sa production a été importante et il a même réussi à éditer un petit catalogue artisanal qu'il a diffusé chez toutes ses connaissances en Europe et aux Etats-Unis de sorte que ses variétés se sont répandues un peu partout. Tous ces iris ne sont pas des chefs d’œuvre mais il y en a beaucoup qui méritent de figurer dans les plus belles collections. En particulier ses plicatas chargés ('Dreaming Clown' (1999) est le plus fameux, il a même été utilisé par Keith Keppel), mais aussi quelques autres comme le mauve 'Elegaball', primé au concours de Moscou. 


 Le successeur de Ladislav Muska s'appelle Anton Mego. Cet homme discret n'en finit pas d'offrir au monde des obtentions superbes tant par la modernité et l'élégance de leur aspect et par l'originalité de leur coloris. Cela fait un peu plus de vingt ans que son nom est apparu dans le monde des iris et il n'y a guère d'année qui n'ai pas été celle d'une révélation. Le premier choc a été 'Slovak Prince' (2002) avec ses pétales finement ourlés d'or. Il a eu un succès immédiat aux Etats-Unis où il a reçu la plus haute récompense possible pour un grand iris, une Wister Medal, en 2009. 'Clotho's Web' (2009) est arrivé en troisième position au concours Franciris® 2015. 'Bratislavan Prince' (2010) s'est classé premier au concours de Moscou en 2015. 'Horske Oko' (2015) est sans doute le premier iris « à fleur de pensée », et 'The Majestic' marque une étape dans ce coloris moderne et exotique qui fait penser aux iris arils. A n'en pas douter on peut encore compter sur Anton Mego pour renouveler l'iridophilie. 


 Plus au sud, la Slovénie, issue de l'ancienne Yougoslavie, est la patrie d' Izidor Golob, lequel allie à ses qualités d'hybrideur une personnalité enjouée. Il n'a pas attendu les bouleversements politique pour s'intéresser aux iris, puisque dès 1978 il enregistrait une première nouveauté 'Mojka', un iris abricot, suivi par la suite d'une vingtaine de cultivar sans prétention mais réussis, comme  'Majski Dotik' (2009) au pedigree duquel on trouve une agréable variété blanche obtenue par le tchèque Milan Blazek dont il a été question ci-dessus. 


 On imagine pas forcément que des iris puissent être obtenus en Lituanie. C'est pourtant le cas, de la part de Laimondis Zakis, un hybrideur apparemment talentueux, qui travaille sur cette plante depuis 2006 au retour d'un voyage à Florence, mais qui se refuse à faire enregistrer ses obtentions, ce qui le maintient malheureusement en marge du reste du monde des iris. Nombre de ses variétés mériteraient une diffusion internationale mais il ne peut en être question tant qu'elles resteront dans une semi-clandestinité. La photo de 'Abavas Perle' donne une idée de sa production. 


 La pièce principale de cet inventaire est-européen est la Pologne. C'est le pays le plus étendu et le plus peuplé, et c'est celui où la culture de l'iris a pris le plus d'extension. En fait les hybrideurs n'y sont pas spécialement nombreux mais ils sont apparus dès la fin du bloc soviétique et se sont renouvelés régulièrement depuis cette période. L'un des tout premiers a été Lech Komarnicki. Personnage intéressant et atypique, cet ancien artiste dramatique s'est pris d'intérêt pour les iris dès qu'il a quitté la scène et qu'il s'est retiré dans sa propriété de l'Ouest polonais. Il a commencé par hybrider les grands iris (TB) – 'Poranna Mgielka' (2010) est un exemple de son travail - mais il a connu avec ceux-ci bien des mésaventures dues à la rigueur et l'humidité du climat dans sa région. Il a préféré les Iris de Sibérie puis la réalisation de croisements interspécifiques exclusifs. 


 Plusieurs autres ont suivi son exemple, Zbigniew Kilimnik,  Henryk Polaszek, puis plus récemment, Józef Koncewicz  et surtout Jerzy Wożniak . Ce dernier a eu une carrière brillante mais brève.  Il fut considéré comme le plus habile hybrideur de son pays et sa réputation s’étendit bien au-delà dans toute l’Europe de l’Est mais également en Europe de l’Ouest. Cependant il disparut rapidement (réorientation ? décès?). En fait, de véritablement actif et même productif, il n'y a plus guère que Robert Piątek. Ce fonctionnaire des Eaux et Forêts d'une cinquantaine d'années fait désormais partie des hybrideurs européens les plus renommés. Il agit dans toutes les catégories d'iris barbus, mais avec une prédilections pour les grands iris des jardins (TB), et nous gratifie chaque année d'une demi-douzaine de nouveautés au moins. Ces fleurs commencent à être diffusées à travers le monde et il les fait participer aux différentes compétitions : Florence, Paris, Munich... Il choisit de leur donner des noms à connotation anglo-saxonne pour, dit-il, rendre leur accès plus facile que cela pourraient être avec des noms strictement polonais. Il aborde tous les modèles de fleurs, ainsi que font désormais la plupart des hybrideurs. S'en tenir à quelques lignées n'est plus nécessaire du fait des facilités données par le croisement des variétés modernes. Il a cependant une affection particulière pour les coloris pastel et les plicatas de toutes sortes.  

 Avant de quitter la Pologne, saluons Kat Zalewska, qui se crée peu à peu une place dans un monde où les femmes ne sont pas si nombreuses. Le superbe rose 'Axis Mundi' (2018), à défaut d'être le centre du monde, témoigne à tout le moins d'un véritable talent émergent. 


 L'Europe de l'Est continue de s'ouvrir à la culture des iris. La Roumanie pourrait être son prochain champ d'expansion, de même que la Hongrie. On devrait en parler sérieusement dans un ou deux ans. Mais d'ores et déjà cette partie du monde est devenue un foyer majeur de ce domaine de l'horticulture.




9.12.22

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Blanc de blanc 


Keith Keppel a l'intention de proposer à la vente l'an prochain une variété remarquable par sa couleur. Il s'agit d'un iris glaciata blanc. Absolument blanc ! Les glaciatas étant incapables de synthétiser les pigments anthocyaniques, présentent des fleurs qui peuvent être colorées de jaune (pigments caroténoïdes) mais sans trace de violet. Celui-ci (non encore baptisé), a la particularité d'être aussi sans pigment jaune. Quelque chose d'inconnu jusqu'à présent.

AUS DEUTSCHLAND

1972/2022 cinquante ans d'iris en Allemagne 

 Sur le site de la GDS (section Iris) on peut lire ce qui suit :  « Après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les succès d'hybridation de Steffen, Werckmeister, Hanselmayer, Dorn, Steiger et von Martin, qui ont assuré une présence constante des obtenteurs d'Europe centrale dans le développement de l'iris. (…) l'intérêt du lecteur doit être attiré vers les obtenteurs d'iris encore vivants et actifs de la zone de chalandise de la GDS, dont les travaux contribuent au développement mondial des nouvelles variétés d'iris. Tous ont commencé comme jardiniers amateurs puis, poussés par une passion pour la création végétale, sont devenus des spécialistes dans leurs domaines de création. Ils vendent souvent les iris qu'ils ont eux-mêmes cultivés, mais généralement uniquement pour couvrir le coût de leur passe-temps et jamais pour en vivre pleinement. Pour leur public, ils sont en concurrence avec la prédominance presque écrasante des variétés d'iris élevées par les grandes pépinières des États-Unis. Dans tous les cas, les variétés élevées chez nous ont l'avantage de mieux s'adapter à nos conditions climatiques. » 

 En France on connaît peu la production d'iris allemande. En particulier en raison de cette absence presque complète de commercialisation expliquée ci-dessus. Pourtant elle est importante, plus importante même que la production française dans les années 1980/1990. Surtout, les obtenteurs allemands, sérieux et disciplinés, ont toujours fait enregistrer leurs nouvelles variétés, à une époque où les obtenteurs français, convaincus que leur travail n'avait guère de valeur, ne le proposait pas à l'enregistrement. Il est temps de faire connaissance avec ces hybrideurs germaniques, longtemps isolés de l'autre côté du Rhin. On ne dira qu'un mot de la période de l'immédiat après-guerre, celle où l'activité des obtenteurs s'est peu à peu réveillée, avec pour matériel d'hybridation des variétés américaines anciennes retrouvées au fond des jardins. L'activité est devenue plus intéressante à partir des années 1970. Elle a accompagné la nouvelle prospérité de l'économie allemande, essentiellement à l'Ouest, évidemment. 

La berlinoise Eva Heimann se situe parmi les précurseurs du mouvement. Sa courte production s'est déroulée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. A peu près dans les mêmes moments Erhard Wörfel, qui fut le président de la GDS, l'association des amateurs de plantes d'Allemagne, a hybridé pour son plaisir et obtenu quelques jolis iris, comme le blanc 'Berthalda' (1984). 


Lothar Denkewitz a été actif un peu plus tard. Ce citoyen de Hamburg s'est surtout intéressé aux iris nains standard (SDB) comme en témoigne son amoena jaune 'Sonnentrude' de 1985, de même que le TB 'Alstersegel' (1980) très classique amoena bleu lavande. 


La période d'activité de Eberhard Fischer est encore un peu plus tardive puisqu'elle s'étend jusqu'à la fin du 20e siècle. Ce savant a hybridé des iris avec le même sérieux que celui qu'il mettait dans ces travaux scientifiques. Cela se remarque chez 'Krystallpalast' (1993) – rose orangé - ou 'Shneewittchen' (1999) – blanc pur. 


Plus considérable a été le travail de Harald Moos, qui porte essentiellement sur les grands iris (TB). Il dure depuis près de quarante ans avec une tranquille régularité. Il a été remarqué à Florence, principalement avec 'Leibniz' (1989) dont on apprécie la forme parfaite et le coloris orangé clair. Le blanc 'Weisse Duene' (2009) a été présenté à Franciris où plusieurs collectionneurs s'en sont fait envie. 


Ensuite il faut évoquer Manfred Beer. Lui aussi est un spécialiste des grands iris, lui aussi travaille depuis plus de trente ans et expose régulièrement dans tous les concours d'Europe. Il n'y a pas de domaine où il excelle plus que dans un autre et son catalogue fait preuve d'un bel éclectisme mais reste dans un pur classicisme. Ce que l'on remarque c'est que la plupart de ses variétés portent des noms féminins. Parmi ces dames se distinguent 'Melanie Steuernagel' (1999), 'Renate Leitmeyer' (2001) et la sombre 'Lydia Schimpf' (2006). 


Siegmar Görbitz fait partie de ces infatigables amateurs qui hybrident essentiellement pour leur plaisir. Ses premiers enregistrements datent des années 1980. Il s'est fait une spécialité des iris bleus ou mauves et ceux qui se sont aventurés hors de leur jardin natal démontrent un réel talent. C'est le cas par exemple de 'Fürstin Pauline' (1997) ou de 'Detmolder Schlossgarten' (2009). 


Dès la réunification de l'Allemagne il y a eu dans l'ex-Allemagne de l'Est un véritable engouement pour la culture des iris. Parmi tous ces nouveaux venus Günter Diederich, Wolgang Landgraf, Bernhard Lesche, Margitta Herm, Klaus Burkhardt, font preuve d'une grande inventivité et obtiennent des variétés très modernes qui peuvent rivaliser avec ce qui se fait ailleurs en Europe. En porte témoignage le variegata 'Mondsheinserenade' (Diederich, 2003), 'Plauen' (Landgraf, 2007) descendant de 'Edith Wolford' (Hager, 1984) ou 'Broken Cleopatra' (Burkhardt, 2021) sombre petit fils de 'Tiger Honey' ((Kasperek, 1993). 


Pia Altenhofer est une autre des jeunes pousses de l'iridophilie allemande. On a déjà parlé ici des ses créations, souvent originales, qui se singularisent par leur nom constitué d'un assemblage de lettres, sans aucune signification. Cette jeune femme n'hésite pas à hybrider toutes sortes de catégories d'iris barbus. Son TB 'Jachitropan' (2021) a été remarqué à Florence. Son petit MTB jaune moutarde 'Imprikasa' (2020) répond tout à fait à la mode d'aujourd'hui. On devrait entendre parler d'elle au plus haut niveau dans les années à venir. 


Les obtenteurs qui précèdent ont surtout travaillé avec les grands iris de jardin (TB), mais d'autres se sont intéressé à d'autres catégories, les SDB essentiellement, mais aussi les arilbreds, comme c'est le cas pour Harald Mathes et son superbe 'Anacrusis' (1992), grenat sombre, qui a connu un succès mondial. Eckhard Berlin, lui, s'est montré beaucoup plus éclectique. Son petit nombre d'enregistrements concerne MDB, SDB, SIB et, originalité supplémentaire, une série d'I. pseudacorus dont fait partie 'Beuron' (1979) cultivé en France par Jean Claude Jacob. Frank et Christine Kathe, à Dresde, se sont spécialisés dans les iris nains standard (SDB) comme 'Pastell Ballet' (2006), crème et ciel, frais et gracieux. Quant à Tomas Tamberg, de Berlin, c'est le plus célèbre des irisariens allemands. Cet ingénieur chimiste est aussi un hybrideur curieux et inventif. Dans son catalogue, à côté d'un grand nombre d'iris de Sibérie, on trouve une quantité de croisements interspécifiques de premier ordre. Le bleu vif 'Versilaev Princess' (2001) est une de ces remarquables créations. Son activité exceptionnelle lui a valu l'attribution par l'AIS d'un Hybridizer's Award en 1999. 



Ainsi se termine ce tour d'horizon de ce qui se passe en Allemagne depuis cinquante ans. Cela confirme qu'il existe outre-Rhin une vive activité dans le domaine des iris, avec beaucoup d'originalité et beaucoup de talent.

2.12.22

BON APPÉTIT !

S'il était cuisinier, Joë Ghio aurait sans doute ses trois étoiles. Il improvise, mais il sait où il va ! C'était sûrement le cas quand il a entrepris de réaliser la magistrale salade génétique qui a abouti à son iris baptisé 'Puccini' (98) ! 

 Coucher sur le papier le pedigree de cette variété n’est pas quelque chose de simple et facile. Pas moins de 34 variétés différentes interviennent, souvent à plusieurs reprises, de sorte que les parenthèses s’ajoutent aux parenthèses dans un imbroglio qui doit bien amuser le spécialiste du genre qu’est Joë Ghio, lui qui jongle avec tout cela avec une incroyable dextérité. En tout cas le résultat est là : croisées et recroisées ces trente quatre variétés ont donné naissance à un iris particulièrement original et nouveau, ce 'Puccini' qui se présente avec des pétales bien blancs (mais avec un filet d’or à la crête des styles), des barbes mandarine et des sépales dont le fond blanc est orné d’or aux épaules et parcouru de fines veinures violacées. C’est là toute la nouveauté de cette fleur. Une nouveauté qui a amené Keith Keppel, autre utilisateur de la même série de croisements, à donner au modèle ainsi créé le nom de « distalata », de « distal », néologisme américain qui me paraît signifier « éparpillé » ou quelque chose comme ça. 


 'Puccini' a pour partie maternelle une variété nommée 'Prototype', enregistrée en 2000 seulement, de sorte qu’elle n’apparaît pas sous son nom dans le pedigree de 'Puccini', mais dans le détail de ses composants. Pour faire simple on peut donc résumer 'Puccini' à : (Prototype x 88-180 P) X 92-75 D4, sachant que la partie mâle de ce 92-75 D4 est aussi… 88-180 P !! 


 Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces numéros de semis plutôt rébarbatifs ? 

 Les éléments majeurs se trouvent dans 88-180 P (et par conséquent dans 92-75 D4) et s’appellent 'Fancy Tales' et 'Strawberry Sundae'. Penchons-nous un peu sur ces deux variétés dont la seconde, au moins, n’est guère connue chez nous. 


 'Fancy Tales' (Shoop 80) se présente avec des pétales blancs et des sépales en dégradé de mauve violacé avec des épaules pêche. C’est une variété sur les origines de laquelle Shoop est resté peu disert, se contentant de dire qu’il s’agit d’un semis dans lequel on remonte à 'Whole Cloth', 'Wine And Roses' et à des semis amoenas roses. 'Strawberry Sundae' (Schmelzer 77) est un amoena orange clair dans le pedigree duquel on retrouve ce 'Wine And Roses' cité ci-dessus. Il ne peut pas faire de doute que le coloris de 'Puccini' (et de sa « mère » 'Prototype') tienne dans ces deux variétés-là. Le blanc des pétales vient de 'Whole Cloth', les griffures pourpres en bas des sépales, de même que les épaules marquées de jaune, proviennent de 'Wine And Roses' et des semis amoenas rose ou orange, même si ce n’est pas évident quand on regarde 'Wine And Roses', mauve vif et grenat. 


Voilà pour le point de départ. Mais Ghio ne s’est pas arrêté à ces deux variétés, il a poursuivi son travail et tenté, d’année en année, d’améliorer le résultat obtenu. 


 Au départ il y a donc eu 'Prototype', le bien nommé. Puis est venu 'Puccini'. Ensuite est apparu 'Expose' (2003). Pour celui-là, Ghio a pris l’élément maternel de 'Puccini', il y a ajouté 'Romantic Evening', une des variétés les plus recherchées du moment pour ce qu’elle apporte en brillant des couleurs, en grâce de la fleur et en vigueur de la plante, et un élément nouveau, 'Impulsive' (Ghio 2001). Et cela c’est une idée de génie car cet 'Impulsive' descend de 'Cinnamon Sun', une des premières variétés à présenter les fameuses griffures violacées, tenues elle-même de 'Peach Sundae' par qui l’on remonte encore une fois à 'Wine And Roses'. Voilà donc cette particularité présente deux fois, dans 'Puccini' et dans 'Impulsive'. Comme il fallait s’y attendre, 'Expose' enrichit la panoplie, notamment grâce à une fleur plus ondulée et à la teinte abricot des épaules qui a gagné du terrain sur les sépales. En 2005, Ghio a proposé une étape supplémentaire sous le nom de 'Magic Happens' où les griffures violettes sont accentuées, les couleurs plus vives et la fleur encore mieux formée et ondulée. Joë Ghio ne s’avance pas sur le pedigree de cette variété, sans doute a-t-il perdu les éléments d’identification, mais je parie volontiers qu’il a repris les éléments précédents auxquels il a ajouté quelque chose : une sorte d’épice qui rend le plat encore plus appétissant ! 


 Ghio est ainsi à l'origine d'un plat qui a rencontré un succès phénoménal. Tous les bons hybrideurs ont mis à leur catalogue (ou à leur menu !) au moins un iris distallata. Peu à peu cependant ce modèle a perdu de son attrait. On est est maintenant passé à autre chose, mais la cuisine reste toujours aussi bonne.