18.12.22

AU COEUR DE L'EUROPE

La chute du mur de Berlin et les bouleversements politiques qui ont accompagné cet événement ont eu des répercussions considérables dans le monde des iris. On a déjà pris connaissance de ce qui s'est passé en Allemagne à cette occasion. On va voir maintenant ce qui a eu lieu dans ce qu'on appelait les républiques populaires. Le bouleversement n'a pas eu les mêmes conséquences partout mais là où il s'est produit il a donné naissance à un nouveau pan du monde des iris, et non des moindres. Ce mouvement a eu pour cadre la Tchécoslovaquie (devenue d'une part la République Tchèque et d'autre part la Slovaquie), la Pologne, la Lituanie, la Slovénie puis, dans une moindre mesure, la Hongrie et la Roumanie. Les autres Etats n'ont été que très peu touchés, soit du fait de leur situation géographique et climatique, soit de circonstances particulières ou historiques. Le cas de la Russie et de l'Ukraine fera l'objet d'une autre étude. 

 Bien avant les années 1990 la culture des iris s'était développée en République Tchèque. Avec des moyens génétiques dérisoires des gens habiles et ingénieux avaient entrepris des hybridations. C'est le cas de Vojtech Smid qui a réussi a s'imposer à Florence en 1985 avec 'Libon', une variété qui n'a jamais été enregistrée malgré ce succès. Mais aussi, dès ce temps-là, le grand botaniste Milan Blazek s'est essayé à des croisements audacieux au plan horticole, bien dans la ligne de ses études de génétique. Notamment sur les iris plicatas et les variétés tardives. Isolé dans son pays il n'a réussi à enregistrer ses obtentions qu'en 2013, de sorte que celles-ci, malgré l'intérêt qu'elles présentent, au plan esthétique, accusent tout de même leur âge. C'est le cas par exemple pour le rose 'Jarni Sem' (1979). Dès qu'ils ont pu librement se procurer des variétés américaines pour leur servir de matériel d'hybridation, de nombreux amateurs tchèques se sont mis à l'ouvrage. Plusieurs ont fait immédiatement preuve de leur habileté. Prenons le cas de Pavel Nejedlo qui a réussi un coup de maître avec le croisement  'Desert Echo' X ('Rancho Rose' x 'Sketch Me') et les trois variétés plicatas qu'il en a retenu : 'Moonlight Sketch', 'Spacelight Sketch' et 'Sunlight Sketch' ; ou de Jiri Dudek dont les obtentions, peu nombreuses, ont été remarquées partout où on a pu les voir. Témoin : 'Papapubren' (2000). 





 Cependant le leader incontesté de l'iridophilie tchèque s'appelle Zdenek Seidl. Cet homme de conviction s'intéresse à toutes les catégories d'iris. En trente ans d'activité il est arrivé à la célébrité et ses variétés ont été distinguées partout où elles ont été en compétition, que ce soit à Munich, à Florence ou à Paris. Dès ses premiers enregistrements, que ce soit les jaunes 'Pozdni Leto' (1997) ou 'Zlatohlavek' (1998) ou le noir 'Bratislava Noc' (1997, )les spécialistes ont tout de suite vu en lui un obtenteur remarquable, et son talent n'a fait que s'affirmer. 'Nad Oblaky' (2019) à triomphé à Paris cette année, 'Chachar' (2013) l'avait précédé à cette place en 2017, avant d'aller l'emporter à Florence l'année suivante. A noter ses iris intermédiaires, qui se distinguent par leur petite taille, bien dans les limites et l'apparence de la catégorie. 


 En Slovaquie voisine le champion du changement qui s'est produit après l'effondrement de l'empire soviétique s'appelle Ladislav Muska. C'est le type même de l'amateur averti. Comme bien des hybrideurs de l'Est, il a commencé avec de petits moyens génétiques. Ceux-ci se sont développés avec la libération des échanges et peu à peu il a pu se procurer les meilleurs géniteurs américains. Sa production a été importante et il a même réussi à éditer un petit catalogue artisanal qu'il a diffusé chez toutes ses connaissances en Europe et aux Etats-Unis de sorte que ses variétés se sont répandues un peu partout. Tous ces iris ne sont pas des chefs d’œuvre mais il y en a beaucoup qui méritent de figurer dans les plus belles collections. En particulier ses plicatas chargés ('Dreaming Clown' (1999) est le plus fameux, il a même été utilisé par Keith Keppel), mais aussi quelques autres comme le mauve 'Elegaball', primé au concours de Moscou. 


 Le successeur de Ladislav Muska s'appelle Anton Mego. Cet homme discret n'en finit pas d'offrir au monde des obtentions superbes tant par la modernité et l'élégance de leur aspect et par l'originalité de leur coloris. Cela fait un peu plus de vingt ans que son nom est apparu dans le monde des iris et il n'y a guère d'année qui n'ai pas été celle d'une révélation. Le premier choc a été 'Slovak Prince' (2002) avec ses pétales finement ourlés d'or. Il a eu un succès immédiat aux Etats-Unis où il a reçu la plus haute récompense possible pour un grand iris, une Wister Medal, en 2009. 'Clotho's Web' (2009) est arrivé en troisième position au concours Franciris® 2015. 'Bratislavan Prince' (2010) s'est classé premier au concours de Moscou en 2015. 'Horske Oko' (2015) est sans doute le premier iris « à fleur de pensée », et 'The Majestic' marque une étape dans ce coloris moderne et exotique qui fait penser aux iris arils. A n'en pas douter on peut encore compter sur Anton Mego pour renouveler l'iridophilie. 


 Plus au sud, la Slovénie, issue de l'ancienne Yougoslavie, est la patrie d' Izidor Golob, lequel allie à ses qualités d'hybrideur une personnalité enjouée. Il n'a pas attendu les bouleversements politique pour s'intéresser aux iris, puisque dès 1978 il enregistrait une première nouveauté 'Mojka', un iris abricot, suivi par la suite d'une vingtaine de cultivar sans prétention mais réussis, comme  'Majski Dotik' (2009) au pedigree duquel on trouve une agréable variété blanche obtenue par le tchèque Milan Blazek dont il a été question ci-dessus. 


 On imagine pas forcément que des iris puissent être obtenus en Lituanie. C'est pourtant le cas, de la part de Laimondis Zakis, un hybrideur apparemment talentueux, qui travaille sur cette plante depuis 2006 au retour d'un voyage à Florence, mais qui se refuse à faire enregistrer ses obtentions, ce qui le maintient malheureusement en marge du reste du monde des iris. Nombre de ses variétés mériteraient une diffusion internationale mais il ne peut en être question tant qu'elles resteront dans une semi-clandestinité. La photo de 'Abavas Perle' donne une idée de sa production. 


 La pièce principale de cet inventaire est-européen est la Pologne. C'est le pays le plus étendu et le plus peuplé, et c'est celui où la culture de l'iris a pris le plus d'extension. En fait les hybrideurs n'y sont pas spécialement nombreux mais ils sont apparus dès la fin du bloc soviétique et se sont renouvelés régulièrement depuis cette période. L'un des tout premiers a été Lech Komarnicki. Personnage intéressant et atypique, cet ancien artiste dramatique s'est pris d'intérêt pour les iris dès qu'il a quitté la scène et qu'il s'est retiré dans sa propriété de l'Ouest polonais. Il a commencé par hybrider les grands iris (TB) – 'Poranna Mgielka' (2010) est un exemple de son travail - mais il a connu avec ceux-ci bien des mésaventures dues à la rigueur et l'humidité du climat dans sa région. Il a préféré les Iris de Sibérie puis la réalisation de croisements interspécifiques exclusifs. 


 Plusieurs autres ont suivi son exemple, Zbigniew Kilimnik,  Henryk Polaszek, puis plus récemment, Józef Koncewicz  et surtout Jerzy Wożniak . Ce dernier a eu une carrière brillante mais brève.  Il fut considéré comme le plus habile hybrideur de son pays et sa réputation s’étendit bien au-delà dans toute l’Europe de l’Est mais également en Europe de l’Ouest. Cependant il disparut rapidement (réorientation ? décès?). En fait, de véritablement actif et même productif, il n'y a plus guère que Robert Piątek. Ce fonctionnaire des Eaux et Forêts d'une cinquantaine d'années fait désormais partie des hybrideurs européens les plus renommés. Il agit dans toutes les catégories d'iris barbus, mais avec une prédilections pour les grands iris des jardins (TB), et nous gratifie chaque année d'une demi-douzaine de nouveautés au moins. Ces fleurs commencent à être diffusées à travers le monde et il les fait participer aux différentes compétitions : Florence, Paris, Munich... Il choisit de leur donner des noms à connotation anglo-saxonne pour, dit-il, rendre leur accès plus facile que cela pourraient être avec des noms strictement polonais. Il aborde tous les modèles de fleurs, ainsi que font désormais la plupart des hybrideurs. S'en tenir à quelques lignées n'est plus nécessaire du fait des facilités données par le croisement des variétés modernes. Il a cependant une affection particulière pour les coloris pastel et les plicatas de toutes sortes.  

 Avant de quitter la Pologne, saluons Kat Zalewska, qui se crée peu à peu une place dans un monde où les femmes ne sont pas si nombreuses. Le superbe rose 'Axis Mundi' (2018), à défaut d'être le centre du monde, témoigne à tout le moins d'un véritable talent émergent. 


 L'Europe de l'Est continue de s'ouvrir à la culture des iris. La Roumanie pourrait être son prochain champ d'expansion, de même que la Hongrie. On devrait en parler sérieusement dans un ou deux ans. Mais d'ores et déjà cette partie du monde est devenue un foyer majeur de ce domaine de l'horticulture.




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