16.10.20

UN AMI QUI VOUS VEUT DU BIEN

Parmi les ingrédients qui composent le cocktail de nos iris actuels figure l'espèce Iris reichenbachii. C'est, comme nous l'apprend l'encyclopédie Wikipedia, « une espèce d'iris barbu vivace originaire de Bulgarie, du Monténégro, de Serbie, de Macédoine du Nord et du nord-est de la Grèce. Les fleurs sont d'un violet terne, jaune ou violet, chaque tige donnant une ou deux fleurs. » Cette description tout à fait neutre ne fait pas allusions aux capacités qui en font une pièce maîtresse dans le grand puzzle que sont nos iris hybrides, grands ou petits. Dans le Curtis's Botanical Magazine il est précisé que « l'espèce a été décrite en premier lieu par Heuffel(1) d'après des spécimens découverts en Transylvanie, poussant sur des rochers au bord du Danube », et qu'elle peut être regardée comme « le représentant balkanique de I. chamaeiris, espèce plus occidentale. » I. reichenbachii pour les hybrideurs, peut être considéré comme une plante magique. Il s'avère que ses chromosomes sont très similaires à ceux des grands iris barbus et sont compatibles avec eux. De plus, il en existe des formes diploïdes (deux paires de chromosomes) et tétraploïdes (quatre paires), ce qui en multiplie les possibles utilisations.  C'est tout d'abord Paul Cook qui s'est rendu compte de ses formidables aptitudes génétiques qu'il a utilisées pour obtenir les fameux iris amoenas qui sont sa contribution majeure à l'histoire des iris barbus. Son nom est cité dans tous les domaines de l’hybridation, mais tout spécialement lorsqu’il est question d’iris bleus. En effet, dès 1939 il s’était lancé dans un programme destiné à améliorer la vivacité du coloris de ces iris. C’est dans ce but qu’il a acheté à l’obtenteur Rex Pearce un lot de graines qui devaient être celles d’I. mellita, et qui se sont révélées comme étant celles d’I. reichenbachii. Paul Cook a réalisé en 1944 un croisement entre un de ces I. reichenbachii et le grand iris bleu 'Shining Waters' (Douglas circa 35). Le résultat n’a pas été brillant en nombre de graines, mais l’un des semis obtenus, croisé de nouveau avec 'Shining Waters', a donné un iris amoena bleu de grande qualité. Cook a alors réalisé que ce petit iris de rien du tout, issu de ces graines d’ I. reichenbachii, possédait le pouvoir d’inhiber le pigment bleu dans les pétales de ses descendants. Il l’a enregistré en 1951 en lui donnant le nom de 'Progenitor', lequel est à l’origine des iris néglectas, amoenas et bicolors actuels, et par conséquent de toutes leurs variantes comme celles que l’on rencontre chez les plicatas. Et les trois champions de cette immense descendance se nomment 'Melodrama' (Cook 56), 'Emma Cook' (Cook 57) et 'Whole Cloth' (Cook 58). 

 On se serait bien contenté de ce résultat, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il y a quelques semaines, Tom Waters, un chercheur américain, diplômé de physique et d'astronomie, passionné d'iris, qui demeure dans le comté de Santa Fé, au Nouveau-Mexique, a publié dans le blog de l'AIS un article racontant ses expériences avec cet I. reichenbachii, dans le but d'améliorer les iris de table (MTB) et les MDB, les plus nains des iris nains. Il explique que « I. reichenbachii existe à la fois dans les formes diploïdes et tétraploïdes. Sous la forme diploïde il peut être utilisé avec les MTB diploïdes, tandis que les formes tétraploïdes sont compatibles avec les TB, les BB et les MTB tétraploïdes. » Mais comment faire la distinction ? Les graines mises sur le marché ne précisant pas s'il s'agit de plantes diploïdes ou tétraploïdes, et à défaut de disposer des moyens nécessaires pour effectuer un décompte de chromosomes, il ne reste qu'à les faire pousser, les croiser avec les différentes catégories citées et attendre les résultats ! Par pur hasard il s'est trouvé que les plantes que Tom Waters avait à sa dispositions étaient de plantes tétraploïdes. Les semis obtenus étaient tous de la taille des SDB et avaient les tiges minces des I. reichenbachii. « Aucun ne sont capables de rivaliser avec les hybrides moyens modernes, ondulés et vivement colorés que l'on obtient actuellement ; mais leur intérêt est pour l'avenir, parce que ces plantes sont assez petites et délicates pour être utilisées afin d'ajouter ces qualités aux programmes d'hybridation de MTB tétraploïdes ou d'iris de bordure (BB). » 

Quant à l'utilisation de I. reichenbachii en vue d'améliorer les MDB, « il faut savoir que ces iris sont pour la plupart des SDB qui n'atteignent pas la hauteur minimale pour être classés dans cette catégorie. Ces MDB peuvent être remarquables en terme de forme et de couleur de fleurs, mais ils peuvent aussi devenir trop grands pour rester dans leur catégorie, et souvent ils manquent de la délicatesse et de la précocité que l'on est en droit d'attendre d'un vrai iris nain. » L'ajout de I. reichenbachii peut remédier à ces défauts. » Voilà en quoi I. reichenbachii peut être une aubaine pour les hybrideurs en mal de moyens pour apporter du nouveau à leurs croisements. Certains hybrideurs ont récemment redécouvert les vertus de I. aphylla, l'apport de I. reichenbachii est un nouvel élément de progrès, et c'est rassurant à un moment où l'on pouvait douter de l'évolution future de nos plantes favorites. 

 

(1) Janos Heuffel est un botaniste hongrois du début du 19e siècle. 

 

Illustrations :  



 

deux formes de I. reichenbachii.

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