13.12.19

LES OUBLIÉS

« Il y a quelques années (1926), M. F. Cayeux présentait à la Société Nationale d'Horticulture de France une nouvelle race d'iris nommée « iris de Vitry », caractérisée par l’extrême floraison des sujets, leur taille variant entre 0,75 m et 0,90 m et leur coloris où le jaune domine avec des combinaisons de teintes inédites et merveilleuses, des coloris fondus, harmonieusement disposés qu'on a dénommé Teintes d'Art (Art Shade).
Cette race très élégante, tardive, prolonge la floraison du groupe Iris des Jardins. Les fleurs aux divisions souvent ondulées, les inférieures semi-étalées ou étalées horizontalement, sont de grandeur moyenne, fréquemment dégradées et bordées.
Cette race certifiée le 10 juin 1926 par la SNHF compte maintenant un certain nombre de variétés (...) »

J'ai trouvé ce texte dans le compte-rendu du travail de la Commission des Iris de l'année 1933, sous la plume de son Président, J. M. Duvernay. Suit la description d'une douzaine de variétés portant toutes des noms d'artistes (peintres, sculpteurs, musiciens...) dont la plupart se trouvent répertoriées dans « Iris Encyclopédia », mais sans autre renseignement qu'un code de couleur correspondant à la charte en usage dans les années 1930/40. Mais qu'est-ce que c'est que ces « Hybrides de Vitry » ?

En dehors de ce qui est dit ci-dessus je n'ai trouvé aucune littérature concernant ces « Hybrides de Vitry », sinon quelques répétitions dans d'autres numéros du Bulletin de la SNHF ou de la Revue Horticole. Voilà qui est surprenant car si ceux qui ont pu les voir en font des descriptions aussi enthousiastes, il semblerait naturel que le monde des iris s'y soit intéressé et que des commentaires apparaissent ici et là dans les revues spécialisées. Mais rien ! J'ai interrogé Richard Cayeux à leur propos mais il m'a affirmé qu'aucun document en sa possession ne faisait allusion à ces iris. Le mystère est profond : pas d'enregistrements dans les papiers de l'AIS, pas de traces dans la documentation de la famille Cayeux, pas d'autres apparitions que dans les revues citées plus haut, rien non plus à la HIPS !

 A défaut donc de renseignements précis, on est réduit aux conjectures. Une première semi-certitude : si ces iris n'ont pas eu d'avenir, et même qu'ils ont été abandonnés, c'est sans doute parce que ces hybrides étaient stériles. Il devrait donc s'agir de croisements entre espèces (ou variétés) diploïdes et tétraploïdes, donnant naissance à des iris triploïdes. Mais lesquelles ? J'ai pensé un temps qu'il s'agissait de croisements entre SDB et TB, donc d'iris intermédiaires, mais leur taille, leur période de floraison ne correspondent pas à celles de cette catégorie. La même constatation s'applique à d'éventuels MTB. Voilà deux pistes qui ne mènent à rien... On est alors bien forcé de miser sur de véritables TB, le fait qu'ils soient vraisemblablement stériles n'aurait rien d'anormal quand on sait qu'à l'époque on croisait des espèces tétraploïdes du type I. macrantha, avec d'anciens iris diploïdes, avec un taux d'échec considérable vu qu'une réussite ne pouvait résulter que d'un accident génétique forcément rare, voire exceptionnel.Des hybrides triploïdes, donc, stériles, soit, mais pourquoi presque exclusivement de couleur jaune ou voisine du jaune ? En fait, en examinant les descriptions de toutes ces variétés on constate qu'il s'agit essentiellement de fleurs du type variegata ou variegata-plicata, jaune ou dans les tons de jaune aux pétales, jaune aux sépales, soit vivement teinté de grenat, soit simplement poudré ou strié de brun ou de pourpre. Ce qui laisse à penser qu'on est en présence d'hybrides de I. variegata, espèce dont on est certain qu'elle est diploïde et qui se présente avec des pétales jaunes et de sépales veinés de brun violacé. Voilà qui pourrait expliquer à la fois la stérilité et la coloration dominante.

 L'abandon sans hésitation de ces fleurs considérées comme fort jolies (mais je n'ai trouvé aucune photo confirmant cela) ne peut, à mon avis, se justifier que par l'existence, en parallèle, de variegatas tétraploïdes, donc fertiles. Leur destin malheureux me fait penser à celui des célèbres castrats qui ont enchanté les mélomanes de leurs voix puissantes, pures et aiguës jusqu'à la fin du XIXe siècle, mais qui ont disparu quand on a pris conscience de la mutilation abominable infligée à ces garçons, et de la possibilité de leur remplacement par des femmes au timbre de mezzo-soprano, enfin autorisées à monter sur scène.

 Quoi qu'il en soit la disparition totale et sans laisser de trace de ces « hybrides de Vitry » reste à la fois mystérieuse et surprenante. C'est une incroyable énigme du monde et de l'histoire des iris.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pour les curieux, vous pouvez consulter sur Hortalia
1926 : http://bibliotheque-numerique.hortalia.org/items/viewer/413#page/n208/mode/1up.
1931 : http://bibliotheque-numerique.hortalia.org/items/viewer/418#page/n273/mode/1up.
1933 : http://bibliotheque-numerique.hortalia.org/items/viewer/420#page/n321/mode/1up/search/iris.
Les ajouts et/ou compléments à l'encyclopédie en ligne de l'AIS résultent de la consultation d'Hortalia et des 'Alphabetical Iris Check List' de 1939 et 1949.