20.3.20

QUANTITÉ OU QUALITÉ ?

Joli sujet de controverse que celui qui est apparu il y a quelques semaines sur Facebook, entre amateurs et professionnels de l'iris.

 Un amateur chevronné a fait observer que la tendance actuelle était à la multiplication du nombre des nouveautés, mais aussi, et par voie de conséquence, l'apparition de variétés assez semblables les unes aux autres et avec peu de réelles avancées. Quelques professionnels ont alors fait remarquer que pour qu'ils puissent offrir à leur clientèle un nouvel iris il fallait une mise en multiplication pouvant durer de cinq à sept ans avant de disposer d'un nombre suffisant de rhizomes. Or au bout de sept ans après son apparition sur le marché un iris n'est plus une nouveauté ! Le pépiniériste traditionnel se trouve donc handicapé par l'existence de concurrents semi-professionnels à la clientèle moins étendue, qui peuvent proposer des nouveautés beaucoup plus précocement puisqu'ils n'ont pas besoin de disposer d'un stock de rhizomes important. D'où l'idée de multiplier le nombre des variétés en culture, souvent proches les unes des autres en terme de couleur ou de modèle, de façon à éparpiller l'éventuelle demande sur un plus grand choix d'iris disponibles plus rapidement. Leur clientèle semblant être plus attirée par la nouveauté d'un iris que par tout autre critère, et pour ne pas être distancés par les producteurs à clientèle restreinte, les pépiniéristes professionnels sont obligés de proposer de nombreux iris récents, quitte à ce que parmi ceux-ci il y ait un plusieurs variétés proches les unes des autres et pas spécialement tournées vers l'originalité.

Ce mouvement n'est pas né en Europe mais aux Etats-Unis, pays où les clients sont encore plus que chez nous friands de variétés nouvelles (un iris qui est sur le marché depuis dix ans est une antiquité et à l'âge de trente ans il sera qualifié d'historique !) Il a été facilité par le fait que plus cela va plus les croisements donnent naissance à un nombre important de semis de qualité permettant d'envisager leur enregistrement simultané, même si ils ont un air de famille indéniable, voire même si ce sont presque des sosies. D'autre part des croisements différents peuvent donner naissance à des variétés aux caractéristiques très proches, ce qui renforce encore l'effet de « déjà vu ». Commercialement tout cela est une aubaine. On met en culture plusieurs iris qui se ressemblent, on a très vite assez de marchandise pour mettre tout ce monde au catalogue, et les ventes se répartiront sur les différentes variétés proposées... Pour des raisons beaucoup plus graves on parle aujourd'hui d'écrêtement ! Peu importe dans ce cas qu'elles n'aient qu'une durée de commercialisation réduite et qu'elles disparaissent après deux ou trois années de présence au catalogue, au contraire ! Elles font de la place pour une nouvelle génération de nouveautés qui seront tout aussi éphémères...

Cette démarche s'apparente tout à fait à celle qui touche le monde de la mode, par exemple, où il faut renouveler les modèles à une fréquence effrénée et remplir les magasins d'une foule de vêtements qui donnent l'impression d'être tous les mêmes mais qui diffèrent sur des points de détail. L'éphémère triomphe du pérenne...

Cette politique ne fait pas l'affaire des amateurs d'iris qui, eux, regardent les plantes en fonction de leurs caractéristiques génétiques, de leurs qualités végétatives, des progrès qu'elles font faire à l'horticulture des iris et de l'originalité de leurs coloris. J'ajouterai qu'elle ne fait pas non plus l'affaire des juges dans la course américaine aux honneurs qui ont à examiner de plus en plus de plantes et dont les suffrages vont se disperser, rendant de moins en moins évidente l'attribution des récompenses.

Il est intéressant de constater que ce mouvement est en partie la conséquence de l'augmentation du nombre des petites pépinières ouvertes par des obtenteurs artisanaux pour commercialiser leurs iris, ce qui a conduit les affaires plus importantes à réagir et à se lancer dans la production multiple. Un mouvement facilité par l'abondance des semis utilisables. Jadis il fallait réaliser des milliers de semis pour avoir quelque chance de découvrir des iris commercialisables ; maintenant dans presque tous les semis il y a matière à variété enregistrable. Le progrès a son revers...

On a certes l'impression que les nouveautés faisant progresser l'irisdom sont de moins en moins nombreuses. Mais ce n'est peut-être qu'une apparence : dans la masse des productions standards, les perles sont difficiles à distinguer, mais il y en a ! Qu'on fasse un certain retour en arrière. Dans les dix dernières années on a vu apparaître ou se multiplier les amoenas et les variegatas inversés, les distallatas, les plicatas façon Keppel, les « central fall wash(1)  », les associations de couleurs inhabituelles, sans compter les améliorations constantes des amoenas roses chers à Barry Blyth... Cela n'est pas négligeable. On peut même affirmer qu'il y a encore du potentiel. Et ce potentiel, ce sont sans doute les « petits » hybrideurs qui l'exploiteront : ils sont plus enclins à le faire que les « grands » dont les préoccupations sont davantage tournées vers le côté économique du « business ».

(1) qu'on peut traduire approximativement par «  signal sombre sur les sépales ». 

 Illustrations : 


 'Foreign Agent' (Keppel, 2016) – variegata moderne 


'Gibberish' (T. Johnson, 2018) - distallata 


'Instant Attraction' (P. Black, 2019) – association de couleurs inhabituelle 

'Latest Fashion' (T. Johnson, 2019) – amoena rose

1 commentaire:

SEBASTIEN CANCADE a dit…

Je ne peux qu'aller dans le sens de ton article. Concernant les nouveautés je pense qu'il y en a trop, comme tu l'évoques il est désormais facile d'obtenir un iris enregistrable, donc à quoi bon hybrider deux bleus par exemple ? Mes détracteurs me répondront que le brassage génétique est désormais tel que même en croisant deux bleus nous obtiendrons peut-être un gris ou un vert ou je ne sais quoi... Certes, mais statistiquement parlant difficile d'imaginer obtenir une "VRAIE" nouveauté en croisant ce type d'iris et hériter d'un énième iris bleu n'a pour moi aucun sens. Alors pourquoi ne pas oser ?? Pourquoi ne pas brasser un iris vraiment nouveau (il y en a comme tu le dit si bien) avec un iris même plus classique mais au moins la chance d’enchaîner avec quelque chose de neuf sera décuplé. Les amateurs ou semi-professionnels sont là pour montrer la voie, à nous d'oser beaucoup plus que nous le faisons actuellement.

Seb