17.11.01

QUESTION DE FORME

Celui qui ne s’intéresse que superficiellement aux iris ne fera pas forcément la différence entre une fleur d’iris germanica ou pallida, comme on en voit dans tous les jardins, et une fleur de grand iris barbu. L’une et l’autre ont trois pétales dressés en dôme, trois sépales retombants et des barbes.

Et pourtant ! Le spécialiste, lui, saura distinguer et même pourra dire, sans trop de risque de se tromper, en quelle décennie la variété qu’on lui présente a été obtenue. Une grande partie de travail des hybrideurs a porté sur la forme des fleurs. Le progrès a consisté à corriger ce qui pouvait manquer de grâce dans la fleur botanique : raideur de l’ensemble, étroitesse des sépales, manque de rigidité des pétales. Il a contribué aussi à apporter de petits détails, comme le bord lacinié des parties florales, qui donnent à l’ensemble un chic particulier. On peut dire qu’il y a autant de différences entre une fleur d’iris botanique et une fleur d’iris moderne qu’entre une robe coupée à la maison et une tenue de soirée signée d’un grand couturier.

Le chemin a été long, et il n’est sûrement pas près de s’achever. Prenez, par exemple l’iris ALCAZAR (Vilmorin 1910). Il est très proche de l’iris botanique, aucune ondulation, pas trace de frisettes, des sépales qui pendent comme des oreilles de cockers… Regardez ensuite JEAN CAYEUX (Cayeux 1931) : les pétales sont encore un peu mous, mais les sépales ne s’effondrent plus, commencent à prendre de l’ampleur. Comparez avec BY LINE (de Forest 1952 – Florin d’or 53) : les pétales ont pris de la rigidité, les sépales s’étalent, manquent encore les ondulations. BABBLING BROOK (Keppel 69 – DM 72), a côté de cela a pris une allure franchement moderne, les pièces florales ondulent gracieusement, les sépales, larges, se tiennent horizontaux sur plus de la moitié de leur longueur, les pétales, soutenus par des côtes robustes se dressent vigoureusement ; la récompense suprême n’a pas été usurpée.

Dix ans plus tard, RINGO (Shoop 79) atteint une sorte de paroxysme en matière d’ondulations, et les épaules des sépales sont si développées que ceux-ci restent parfaitement horizontaux jusqu’à ce que la fleur se fane. Mais une certaine réaction va se faire, avec le retour des iris a fleurs rigoureusement dessinées, adieu le flou. C’est le cas, par exemple chez CODICIL (Innerst 85) ou WINESAP (Byers 89), et c’est une forme appréciée par l’obtenteur franco-britannique Lawrence Ransom, et que l’on trouve chez son tout récent BARBOUZE (2001).

Une autre transformation a été l’apparition des fines dentelures sur le bord des pièces florales. Cela confère de la légèreté à l’ensemble, c’est un col de plumes d’autruche sur une robe de soirée. FABULOUS FRILLS (Schreiner 75) ou LACED COTTON (Schreiner 80) sont des illustrations remarquables de ce développement, que l’on trouve aussi chez FRINGE BENEFITS (Hager 88) et, en Europe chez FLOUNCED BAJAZZO (Muska 98).

Une autre évolution a marqué la tenue horizontale des sépales. Ceux-ci ont pris de plus en plus d’ampleur à leur base, de sorte qu’ils ne plient plus sous leur propre poids et restent bien droits, comme dans les variétés françaises suivantes : ANTIGUA SOLEIL (Anfosso 90), AU PAIR (Ransom 95), BUISSON DE ROSES (Cayeux 97), ou celles de Hager : ANNA BELLE BABSON (85), KATHERINE KAY NELSON (93), ou de Keppel : FLAMENCO (77), THUNDERCLOUD (73) (position favorisée dans ces variétés par la légèreté de la fleur, qui est restée assez petite) ou encore de Blyth : AFFAIRE (93).

Il faut aussi parler d’une autre évolution, celle de la disposition des pétales. On a vu les pétales des iris botaniques, qui s’écrasaient un peu, surtout sous la pluie. Ce défaut a été corrigé en rigidifiant peu à peu les côtes qui les soutiennent et en recherchant d’autres situations où les pétales s’entraident à rester verticaux. Ainsi ont été sélectionnées des variétés dont les pétales s’enroulent comme des boutons de rose, plutôt que de se croiser en dôme. C’est le cas de BAYBERRY CANDLE (DeForest 69), de CALAMITÉ (Anfosso 82) ou de CAROLINE PENVENON (Nichol 89). Certains ont retenu des fleurs sont les pétales, franchement dressés, s’ouvrent un peu par le haut, souvent dans une abondance d’ondulations. Voyez BUBBLING OVER (Ghio 82) ou BUBBLE UP (Ghio 88), CARRIBEE (Hager 90) ou CERDAGNE (Segui 89).

Cependant la majorité des obtenteurs optent pour des fleurs de forme classique, mais amples et bien disposées, qui ne se démodent pas. C’est le choix traditionnel de l’équipe SCHREINER dont les iris superbes conservent une forme majestueuse et opulente : BREAKERS (86), CHAMPAGNE WALTZ (94 - FO 97), CELEBRATION SONG (93) en sont des exemples récents ; la même politique est suivie par la maison Cayeux (FRISON-ROCHE 94), MER DU SUD (97), ROUGE GORGE (2000).

Cela n’empêche pas certains de présenter des plantes aux caractéristiques florales très anormales – pas de pétales, pas de barbes – mais je ne sais pas si c’est un progrès, ou plutôt une volonté de se singulariser. Enfin disons un mot des appendices divers qui ornent maintenant un grand nombre de cultivars. Ces modifications génétiques ne font pas l’unanimité même si deux iris à éperons ont déjà été couronnés de la Dykes Medal : CONJURATION (Byers 89 – DM 98) et THORNBIRD (Byers 89 – DM 97), mais une variété comme MESMERIZER (Byers 91) devrait réconcilier tout le monde sur ce sujet, tant les appendices gracieux qu’une telle fleur comporte montrent la voie vers des iris « flore pleno », ou, plus simplement, à fleurs doubles.

On n’arrête pas le progrès, c’est banal de le dire, mais c’est vrai dans le domaine des iris comme dans tout autre, et les années avenir verront apparaître de variétés avec des nouveautés qui nous feront aimer encore plus nos fleurs préférées.


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