9.6.02

ÉPERONS ET APPENDICES

Ce n’est pas d’aujourd’hui que certains iris se présentent avec des appendices à l’extrémité des barbes. Les frères Sass en avaient découvert parmi leurs semis, dès les années 40, mais ils les avaient purement et simplement éliminés, les considérant comme des monstruosités sans aucun intérêt. Peut-être, d’ailleurs, ces premiers iris à éperons étaient-ils fort laids. En tout cas ils étaient rejetés. Ce n’est que dans les années 60 que quelques hybrideurs, désireux de se démarquer de leurs confrères, et peut-être véritablement inspirés, ont commencé à les sélectionner. Les plus connus sont Lloyd Austin, de Placerville (Californie) et Tom Craig, de Hubbard (Oregon). C’est Lloyd Austin qui a inventé le nom de « Space Age » qui continue de désigner ce type de fleurs. Ses variétés, tout comme celle de Tom Craig, proviennent en fait d’une même lignée développée à partir de plicatas en provenance des semis de Sydney Mitchell et en particulier d’une variété dénommée ADVANCE GUARD. Dans tous les cas il s’agit de plantes issues des plicatas de la fratrie Sass. Chez Austin, l’origine de la lignée se situe notamment chez une variété au nom particulièrement bien choisi : HORNED PAPA ! En découlent LEMON SPOON (60), SPOON OF GOLD (61) ou GOLDEN UNICORN (62), puis SPOONED LACE (63), SPOONED BLAZE (64) etc.…Par la suite, d’autres hybrideurs se sont engouffrés dans la voie nouvellement ouverte, avec pas mal de succès : Henry Rowlan est parti de HORNED FLARE (Austin 63), un enfant de HORNED PAPA, pour arriver à HULA MOON (78), un joli jaune infus de mauve avec de petits éperons violets, ou SPACE DAWN (82), parme, à barbes oranges et éperons violets. SPOON OF GOLD et LEMON SPOON ont produit LUCKY FLOUNCE (Austin 63) dont Rowlan a tiré SNOW FACE (82) blanc à barbes citron et éperons blancs. Un obtenteur aussi éminent que Ben Hager n’a pas dédaigné le concept de « space age ». On lui doit HORNY LORRI (78), rose orchidée à éperons plumeux jaunes, et surtout le blanc SNOW SPOON (82).

Cependant c’est sûrement Manley Osborne, à la même époque, qui a apporté la plus belle contribution au type « space age ». Il a largement utilisé SPOONED BLAZE pour lancer sa lignée. Avec CHINESE CORAL il a obtenu MOON MISTRESS (76), pêche, barbes oranges, éperons pêche ; avec NEW MOON il a créé le célèbre BATTLE STAR (79), lumineux bicolore cannelle et fuchsia, barbes or et éperons violets. BATTLE STAR et BROWN LASSO ont engendré GLADYS AUSTIN (85), et nous arrivons en France, où Michelle Bersillon vient d’enregistrer DERVICHE (2000) et LUNE ROUSSE (2000) qui sont des enfants de GLADYS AUSTIN ! Quant à MOON MISTRESS, c’est certainement le plus grand pourvoyeur de « space age » actuel, avec, notamment, ses plus fameux enfants, TWICE THRILLING (84) et SKY HOOKS (80).

TWICE THRILLING n’a pas fourni un gros contingent de descendants. ART SCHOOL ANGEL (Vizvarie 89), blanc marqué de bleu, est le plus connu, mais il vient aussi de SKY HOOKS ! Ce dernier, en revanche peut se targuer d’être l’un des géniteurs les plus recherchés de ces vingt dernières années. Pour n’en citer que quelques-uns uns, en voici une douzaine, parmi les plus connus et les plus récompensés :
· ALABASTER UNICORN (Sutton 96), tout blanc, longs appendices blancs ;
· CONJURATION (Byers 89 - DM 98), blanc largement liseré de mauve pourpré, éperons blancs ;
· GALACTIC WARRIOR (Hedgecock 99), superbe iris bourgogne, éperons assortis ;
· ILLULISAT (Muska 95), mon préféré, blanc glacier, barbes mandarine, éperons bleus ;
· MAGIC KINGDOM (Byers 89), bois de rose, barbes mandarine, éperons argent ;
· MESCALERO CHIEF (Hedgecock 93 – FA 95), brillant pourpre à barbes bleues ;
· MESMERIZER (Byers 91 – WM 2000), le plus beau, blanc pur, éperons pétaloïdes d’un blanc verdâtre ;
· OSTROGOTH (Peyrard 94), bitone lilas/améthyste, barbes oranges, petits éperons blancs ;
· SCENTED BUBBLES (Byers 88), bleu drapeau à éperons pétaloïdes bleus, délicieusement parfumé ;
· SPECIAL FEATURE (Osborne 89), magnifique indigo, pétaloïdes géants violets ;
· THORNBIRD (Byers 89 – DM 97), étrange mélange d’écru, chartreuse et brun, longs éperons brun violacé ;
· TRIPLE WHAMMY (Hager 90), or et blanc, éperons blancs, immense.

Aujourd’hui, on trouve des iris « à cornes » chez de très nombreux obtenteurs. Certains cependant sont, en quelque sorte spécialisés dans ce type. C’est le cas de George Sutton, de Porterville en Californie, et de Jim Hedgecock de Gower, Missouri. L’un et l’autre tendent vers l’obtention d’iris doubles, comme on parle de roses ou de pivoines doubles. Mais chez les autres fleurs, l’apparition de nouveaux éléments pétaloïdes s’accompagne de la disparition d’un autre élément, le plus souvent, les étamines. Dans le cas de l’iris, il n’y a pas remplacement d’un élément par un autre : les prolongements pétaloïdes des barbes ajoutent sans retrancher.

Tous ceux qui se sont lancés dans la recherche de nouveaux iris à éperons savent que l’opération est délicate. De nombreux semis présentent des malformations disgracieuses, et ceux qui portent des appendices importants ont également fréquemment des sépales qui se replient le long de la nervure médiane : sans doute les tensions générées par l’allongement des barbes provoquent-elles ce phénomène. Malgré tout, la recherche est enthousiasmante car on a l’impression d’être sur la voie d’un renouvellement en matière d’hybridation.

Les éperons ne sont pas les seuls appendices nouveaux qui soient apparus chez les iris. De temps en temps une autre anomalie apparaît, comme ces « trompettes » que l’on voit au cœur de AÏDA ROSE (Ségui 88). Au demeurant aucune de ces nouveautés n’a mérité jusqu’à présent d’être retenue comme un domaine de recherche.

Les iris à éperons sont donc devenus un « must » partout dans le monde. Les obtenteurs d’Europe de l’Est ont choisi d’explorer à fond cette voie, et bientôt de nouvelles variétés de ce type, obtenues par des hybrideurs français, vont apparaître sur le marché (j’ai apprécié ce printemps des semis originaux issus de CONJURATION ou de THORNBIRD). Reste seulement pour nous, français, un problème bien secondaire mais néanmoins agaçant : celui de la description des appendices. Les Américains ont à leur disposition un vocabulaire éloquent. Ils parlent de « horns », « spoons » « flounces »… Une traduction littérale de ces vocables est possible mais présente l’inconvénient d’aboutir à des mots aux connotations banales, si ce n’est vulgaires : personne n’aurait eu l’idée de baptiser une variété « Papa Cornu » (Horned Papa), ni « Cuillère Jaune » (Lemon Spoon)… Notre langue est sans doute merveilleuse, mais elle n’a pas prévu que les iris auraient un jour des éperons !

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