Neva SEXTON
Le petit monde des iris n’est pas différent du monde tout court : on y trouve des gens très dissemblables, comme, par exemple, l’ingénieur mormon Donald Nearpass, ou le facteur James Gibson ; comme Neva Sexton, aussi.
Celle qui devait devenir la seule femme à avoir remporté deux fois la Médaille de Dykes est née en 1906 dans une pauvre ferme près d’Arkadelphia, une petite ville de l’Arkansas située à 150 km au sud-ouest de la capitale Little Rock. En fait d’éducation elle n’a guère reçu que celle du terrain. Observatrice attentive et travailleuse acharnée, elle s’est très tôt intéressée aux choses de la terre, aux plantes et aux animaux. Mariée à seize ans, elle s’est retrouvée peu après abandonnée avec trois enfants à élever. Elle a alors pris possession de la ferme de ses grands-parents, mais la vie était particulièrement dure, en ces années de crise, dans le plus pauvre des Etats américains, aussi, à la recherche d’une vie meilleure, Neva Jones – puisque tel est son nom de jeune fille – a décidé en 1938 d’émigrer vers la Californie où elle était sûre de trouver du travail dans les champs. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée, avec sa nichée, au fin fond de la célèbre et fertile vallée de San Joaquin, au sud de la Californie, à Wasco, à 200 km environ au nord de Los Angeles. C’est là qu’elle a rencontré un texan, exilé comme elle en terre californienne, Harvey Sexton, et qu’elle l’a épousé.
Neva Sexton a toujours aimé les fleurs, mais elle n’a commencé à s’intéresser aux iris qu’en 1952, après une visite à la collection d’un amateur, ami de Tell Muhlestein, qui lui envoyait chaque année les nouveaux semis dont il craignait qu’ils ne gèlent sur ses terres de l’Utah. La décision de cultiver les iris n’allait pas toute seule : il fallait acheter les plantes. Pour réaliser son projet, Neva Sexton a du travailler dur à sarcler les champs de coton pour un dollar de l’heure ! Il lui fallait en moyenne travailler vingt heures pour s’acheter un iris …
Accoutumée à une vie difficile, Neva Sexton a mis tout son courage, mais aussi toute son intelligence, à cultiver ses iris. Quand on lui demandait comment elle faisait pour avoir une telle réussite, elle répondait que ce n’était sûrement pas en restant sur la terrasse à se balancer dans un fauteuil à bascule ! Elle avait une certaine rudesse et un franc parler acquis à la dure vie des champs. Heureusement la riche terre de Wasco, largement irriguée et fumée, donnait naissance à des plantes splendides. Là encore Neva travaillait. Elle allait aux moulins à coton ramasser les graines rejetées et les feuilles broyées. Dans les élevages de moutons, elle récupérait le fumier qu’elle rapportait à plein « pick-up ».
En plus des iris, Neva Sexton cultivait plein d’autres fleurs, des amaryllis, notamment, des narcisses et des glaïeuls. Mais ce sont les iris qui ont fait sa célébrité. Sa première obtention enregistrée a été MIXED EMOTIONS (1959), une curiosité, blanc nacré, marqué de chartreuse et touché de crème. Le suivant devait avoir une destinée exceptionnelle puisqu’il s’agit du grand bleu PACIFIC PANORAMA (1960) couronnée de la Médaille de Dykes en 1965.
Sa grande période est celle des années 60 et 70. MOON RIVER, vieil or, date de 62, NEW MOON, autre jaune, unanimement salué comme un chef d’œuvre doté d’un extraordinaire avenir génétique, est de 68 et obtiendra la DM en 73. TRAVEL ON, jaune d’or, descendant de RAINBOW GOLD, date de 69. Puis viennent toute une série de grands iris, comme GEORGIA GIRL (pêche) (71), HAPPY BRIDE, (blanc) (73), JACK R. DEE, (bleu ciel) (74), SEA OF GALILEE (bleu bitone) (74), SKYLAB, (bleu bitone) (74), WORLD NEWS, (variegata jaune et rouille) (77), HOMECOMING QUEEN, (rose cuivré, unique) (78), TACO BELLE, (autre variegata) (78), et l’original GOOD MORNING AMERICA (blanc bleuté à barbes bleues) (79) et bien d’autres. Ses dernières réalisations se situent au début des années 80, avec ARKANSAS GIRL (jaune à reflets verts) (82) et AMERICAN SWEETHEART (variegata sombre, bronze et acajou foncé) (83).
Le poids de l’âge commençait à se faire sentir, de même que celui du dur travail des années de galère. La fin de sa vie, endeuillée par la disparition de son mari après un accident de tracteur, s’est écoulée à l’hôpital, d’abord, puis en maison de retraite, où elle est morte en juillet 1985.
L’héritage de Neva Sexton est incroyablement riche. Peut-être une centaine de descendants directs de NEW MOON peuplent nos jardins, plusieurs dizaines proviennent de PACIFIC PANORAMA, de HOMECOMING QUEEN, JACK R. DEE, GOOD MORNING AMERICA, SEA OF GALILEE et autres. Et si l’on ajoute les descendants des descendants, on atteint vite des quantités astronomiques d’enfants et petits enfants dus au travail exemplaire de Neva Sexton, une des plus grandes dames des iris, le type même de la « self made woman » caractéristique de la société américaine.
(Source : Bulletin de l’AIS 85/4)
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