1.10.04

TOUT LE MONDE NE PEUT PAS PLAIRE

On ne peut pas plaire à tout le monde, ou, tout au moins, tout le monde ne peut pas plaire. C’est sans doute ce qu’il faut dire quand une variété, au demeurant valable, n’arrive pas à décrocher une récompense officielle lors des compétitions annuelles aux Etats-Unis. Cependant tous les éventuels compétiteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Les facteurs entrant en ligne de compte sont multiples et pas toujours rationnels. Il y en a de quatre natures : les critères techniques (telle variété a-t-elle toutes les qualités pour être notée ?), les critères commerciaux (telle variété est-elle suffisamment commercialisée pour être vue et appréciée par un nombre suffisant de juges ?), et les critères de notoriété (l’obtenteur de telle variété est-il apprécié par les juges comme produisant des iris de qualité ?) auxquels il faut ajouter l’originalité et le piquant des fleurs en concours. A travers les échecs de trois obtenteurs parmi les plus connus nous verrons le rôle et l’importance de chacun des ces axes de jugement sur le sort des iris en course pour les récompenses.

I - SCHREINER

Quand une entreprise aussi pointilleuse que la maison Schreiner, qui connaît toutes les ficelles pour produire un iris qui devrait plaire, qui jouit d’une réputation d’excellence et qui dispose d’un réseau de distribution particulièrement solide, met sur le marché une nouvelle variété, on peut s’attendre à ce que celle-ci obtienne au moins un HM. Malgré tout, il y a des produits Schreiner qui passent à côté de tout. On peut se demander pourquoi, d’autant que certains de ces délaissés font une carrière commerciale honorable, en Amérique comme ailleurs dans le monde. Jetons un coup d’œil à ceux de ces oubliés de la grande distribution des awards, qui sont venus en compétition depuis 1990, et n’ont plus aucun espoir d’être maintenant distingués.

On sait que bon an mal an la maison Schreiner met dans le commerce une quinzaine de nouveautés. Il y en toujours pour tous les goûts, dans toutes les couleurs ou associations de couleurs traditionnelles, avec, de-ci de-là, une offre plus fantaisie, pour faire bonne mesure et tester la réactivité du public.

La cuvée 90 a eu trois recalés : CRIMSON FIRE, RAVE ON et STARDUST MEMORIES. CRIMSON FIRE est un beau brun-rouge à barbes jaunes. Il ne présente apparemment aucun défaut, mais les juges ne l’ont pas trouvé à leur goût, à moins que, en cette période, la concurrence ait été sévère. RAVE ON fait partie des oranges, plus clair sous les barbes qui sont rouge minium. C’est une fleur absolument classique, sans défaut mais aussi sans originalité. Est-ce cette banalité qui lui a valu l’anonymat ? STARDUST MEMORIES doit être dans le même cas. Des plicatas comme celui-là, il y en a des centaines…Il n’y a que son nom qui attire vraiment l’attention.

En 1991 l’offre a été de quinze variétés, comme d’habitude ; il n’y a eu que deux recalés : AFRICAN SUNSET et MY GIRL. AFRICAN SUNSET est un iris abricot, un peu vineux sur les sépales, d’une tenue impeccable, mais dans une teinte qui n’a pas vraiment la cote. MY GIRL est un rose tendre, absolument sans défaut, sans doute un peu trop parfait pour faire le poids parmi des roses nombreux et qui accrochent plus le regard.

Quinze nouveautés en 92, et deux recalés également. Dans l’ordre alphabétique, le premier se nomme JOYOUS MORN. Ce n’est pas de chance, pour une fois que l’entreprise Schreiner avait choisi un iris d’un coloris un peu original ! Il s’agit d’un bois de rose, plus clair aux sépales, avec barbes minium. On peut supposer que cette jolie chose n’a pas rencontré un succès commercial suffisant pour que les juges puissent l’apprécier dans un assez grand nombre de jardins permettant qu’il obtienne assez de vote… Le second est SPARKLING DEW. En rose lilacé pâle, tout à fait banal, l’échec n’est pas surprenant.

Toujours quinze nouveaux iris en 93, et toujours deux recalés : INNOCENT BLUSH, et MADEIRA. Le premier cité est encore un rose, à reflets fumés, cette fois, mais cette particularité n’a pas été suffisante pour éviter l’éviction. L’échec de MADEIRA est plus inexplicable car il s’agit d’un pourpre très foncé, d’un coloris très à la mode. Cependant, pour une fois, la fleur n’est-elle pas tout à fait parfaite, avec des pétales qui sont un peu lourds et ont tendance à s’affaisser. Ce léger défaut peut expliquer l’oubli des juges. Même si maintenant cette variété se rencontre dans beaucoup de catalogues.

Devinez combien d’iris ont été présentés en 94 ? Quinze ? Vous avez gagné ! Et combien de recalés ? Deux ? Bingo ! Cette fois ce sont IN THE MOOD et SMILING ANGEL. IN THE MOOD est …un rose corail, clair, joliment coiffé, mais sans attrait particulier. Chez Schreiner, on n’a pas de succès avec les roses ! Quant à SMILING ANGEL, c’est un iris blanc, un peu crémeux, avec des barbes assorties. La fleur est gentiment frisottée, mais peu ondulée. Qu’est ce qui n’a pas marché ? A mon avis, c’est le fait que ce soit une fleur trop terne pour retenir l’attention des acheteurs, comme des juges.

On arrive à 95 mais on reste avec quinze nouveautés, dont trois, cette fois, n’auront rien gagné. GOODNIGHT MOON, le premier de la liste, se présente en robe jaune claire, encore plus claire sous les barbes, qui sont oranges. Rien de bien original, là-dedans, alors que les iris jaunes sont en nombre pléthorique. Vous prenez un peu d’orange, que vous ajoutez à la fleur précédente, et vous obtenez PARTY LIGHTS, qui est le second échec de l’année. Là encore on est en présence d’un iris sans rien pour le sortir de l’anonymat, dans un coloris peu prisé, de surcroît. En revanche, le sort malheureux de MARIAH est beaucoup plus surprenant. Comment un beau bleu clair, à barbes blanches, d’une forme parfaite, peut-il avoir été aussi peu apprécié ? Les ventes auraient-elles pâti du fait que, la première année, cette plante n’a été proposée qu’en « bonus » ? Probable. En tout cas Schreiner croyait en cet iris qui a été utilisé en vue d’améliorer la lignée des bleus clairs, et qui a donné naissance, à ce jour, à deux beaux rejetons, ABOVE THE CLOUDS (2001) bleu tendre à barbes jaunes, descendant également de YAQUINA BLUE, et BLUE KENTUCKY GIRL, bleu ciel, dernier avatar d’une longue famille de bleus, toujours primés.

C’est à peine croyable, mais 1996 se présente avec 15 nouveautés ! L’usine Schreiner ne varie pas son rythme. Cette fois ce sont les échecs qui s’accentuent puisqu’ils sont au nombre de quatre. Le jaune d’or AUTUMN ACCENT, le blanc à barbes pêche CARTE BLANCHE, le rose (encore un) HEAVENLY VISION, et le très sombre variegata SOMBRERO WAY. Celui-là, cependant, aurait sûrement mérité une distinction, même si l’austérité de ses couleurs peut ne pas être du goût du plus grand nombre.

Toujours quinze variétés enregistrées en 97, et trois oubliés : CITYSCAPE, jaune paille largement marqué de blanc sous les barbes minium, HARVEST FAIRE, variegata façon EDITH WOLFORD, et MOUNTAIN ECHO, le plus original des trois, en bleu lavande, fortement veiné d’ocre en haut des sépales.

Seulement quatorze enregistrements pour l’année 98, mais néanmoins trois de chute, qui sont le « dark top » - très léger – COASTAL MIST, le mauve rosé SERENE MOMENT ( là, c’est une anomalie que de ne l’avoir pas retenu, car ses couleurs, très nettes et très fraîches, ainsi que sa forme impeccable, auraient du lui valoir plus d’égards). Le même sort, réservé à TERRA ROSA, un iris qui sort de l’ordinaire, en brun puce rosé, avec une fleur classique mais parfaitement formée, n’est pas plus mérité.

Le choix s’appauvrit à treize variétés en 99, ce qui n’empêche pas le nombre des échecs de rester à trois, avec LAST CHANCE, amoena très gracieux mais desservi par sa floraison trop tardive : pas vu donc pas noté, WEDDING DANCE, version moderne de GOLD TRIMMINGS (75) , pourtant doté de tout ce qu’il faut pour réussir, et WILD FRONTIER, nouvelle version d’AFTERNOON DELIGHT, donc pas vraiment une nouveauté.

Les variétés présentées après 99 sont encore en course, on arrêtera donc là l’énumération. Peut-on en tirer quelque constatation générale ? Il semble bien que ce ne soit pas les critères techniques qui fassent la différence car les produits Schreiner sont techniquement parfaits. Les critères de commercialisation ne sont pas non plus déterminants car, en dehors du cas des iris offerts en « bonus », les variétés nouvelles bénéficient de la grande diffusion du catalogue Schreiner. Reste la réputation de l’obtenteur, qui n’est pas non plus en cause dans le cas de Schreiner, et le côté attirant des plantes en compétition. C’est peut- être de ce côté là qu’il faut chercher les causes de échecs, en effet les roses de Schreiner n’ont pas vraiment la cote, sans doute parce qu’on trouve aujourd’hui une foule de roses moins académiques et au moins aussi beaux ; il y a également le fait que plusieurs des variétés non retenues soient tardives, donc plus rarement vues par les juges, et que le choix de coloris trop sombres ou trop ternes doit nuire à la vente. Quoi qu’il en soit, avec un taux de HM de 88%, la maison Schreiner peut être fière de son travail et de ses résultats. La situation est-elle la même pour les produits de Keith Keppel, autre nom fort connu dans le petit monde des iris ? Nous verrons cela la prochaine fois.

Aucun commentaire: