26.11.04

BARBOUILLAGES

Quand je regarde un iris « broken color », (que je préfère appeler « maculosa », pour conserver un peu de latinité à ces plantes venues des Amériques), j’ai l’impression qu’un peintre maladroit a laissé son pinceau dégouliner au-dessus des fleurs. Le premier du genre que j’ai pu examiner, il y a plusieurs années, s’appelle PURPLE STREAKER, il a été enregistré par Allan Ensminger en 1981. C’est un iris bleu-violacé, tout barbouillé de blanc. Depuis on a fait bien plus étrange, voire extravagant, mais il n’empêche que c’est Ensminger qui a mis à la mode ces fleurs bariolées. Dans les années 90 il a été suivi par Brad Kasperek, et, aujourd’hui, quelques autres obtenteurs se risquent à enregistrer des « maculosa ».

Il semble que le premier « maculosa » réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme DOODLE STRUDEL (Ensminger 77), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de STEPPING OUT. L’année suivante, Ensminger a recommencé avec INTY GREYSHUN (78), qui est mauve améthyste et barbouillé de blanc. BATIK, qui a été considéré comme un BB mais dépasse allègrement les standards de la catégorie, date de 81, tout comme PURPLE STREAKER et PANDORA’S PURPLE. Même si l’on peut s’interroger sur ce dernier qui est plus marbré de blanc que véritablement barbouillé, un peu comme HONKY TONK BLUES. Toutes ces variétés, ainsi que PAINTED PLIC (83) ont été distinguées, au moins d’un HM, mais BATIK est même allé jusqu’à frôler la Médaille de Dykes en 95 ! Par la suite vinrent MARIA TORMENA (87), ISN’T IT SOMETHING (93) puis BRINDLED BEAUTY (94). AUTUMN YEARS (95) marquent la fin de l’ère Ensminger. Ce dernier, où se mêlent le chamois, le jaune d’or et le mauve, atteint sans doute un niveau de barbouillage qu’il est difficile de trouver esthétique. Vient ensuite le règne de Kasperek.

Kasperek n’est pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger, notamment MARIA TORMENA et PAINTED PLIC, pour commencer sa nouvelle lignée de « maculosa ». Dès le début, ses iris ont été remarqués, non seulement pour leurs noms qui, chez nous, passeraient pour franchement ridicules, mais surtout pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. La plupart de ces cultivars ont été honorés d’un HM, voire plus, comme GNU (94), TIGER HONEY (94), BEWILDERBEAST (95) ou MILLENIUM FALCON (98) qui ont atteint le stade de l’Award of Merit. C’est dire si ces iris ne passent pas inaperçus !

Devant ce succès, d’autres obtenteurs ont tenté leur chance chez les « maculosa ». Dès 83 Joyce Meek avait enregistré WILD CARD, qui est presque un « maculosa » en ce sens qu’il n’y a pas deux fleurs marquées de la même façon, mais qui reste néanmoins plus proche de la catégorie plicata, un peu comme était HEY LOOKY (W. Brown 70), instabilité qu’on trouve également chez BARLETTA (Peterson 74). En 95, Maryott a proposé OUT OF CONTROL, violet pourpré balafré de blanc, puis Keith Keppel lui-même a trouvé dans ses semis de plicatas un iris irrégulièrement coloré, joliment baptisé BROKEN DREAMS (98), rose aspergé de blanc aux sépales. Cet iris « maculosa » conserve néanmoins un air distingué qui tranche sur le côté un peu vulgaire des productions Kasperek. Il faut dire que dès le début de sa carrière d’obtenteur, Keppel avait créé HUMORESQUE (61), un iris parme, avec des dessins aléatoires bleus. Il n’est donc pas vraiment débutant dans le modèle.

Maintenant la pompe est amorcée. Chacun sait comment faire pour obtenir des iris barbouillés. C’est d’autant plus intéressant pour un obtenteur qui débute, que le modèle n’est pas encore saturé (ou « overlooké » comme on dit en franglais), et qu’il y a de la place pour de nouveaux venus. De plus, les nouveaux peuvent à juste titre avoir l’ambition de créer des fleurs réellement jolies, élégantes, voire raffinées, ce qui n’est pas encore le cas général. Cependant le défi est difficile car, dans les semis de « maculosa » il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup de BB dans la catégorie : une façon de commercialiser malgré tout des plantes qui n’atteignent pas la hauteur minimale pour les TB. C’est aussi pourquoi il faut être particulièrement rigoureux quand on sélectionne un « maculosa » car la tentation peut être forte de mettre sur le marché quelque chose d’imparfait, ou simplement d’esthétiquement discutable.

Verra-t-on des « maculosa » français ? Sûrement ! Michèle Bersillon, par exemple en a déjà obtenu, dont elle m’a fait parvenir une photo qui laisse espérer de jolies choses.

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