L’AMATEUR D’IRIS
OU LE TRIOMPHE DE L’IMAGINAIRE
L’amateur d’iris (l’irisarien comme disent les Américains) n’est pas seulement un jardinier, ni même un botaniste. Certes, il est un peu cela, mais on le qualifierait mieux en disant de lui qu’il est un champion de l’imaginaire. En effet la passion qui le possède se prolonge bien au-delà de la période de floraison de sa plante préférée. Il est évident que l’amour d’une fleur aussi fugitive ne se nourrit pas seulement de la contemplation d’une iriseraie épanouie dans la fraîcheur humide et ensoleillée d’un matin de mai ; la part du rêve y est au moins aussi importante et précieuse que celle du réel, et elle anime notre homme tout au long du cycle annuel. En fait la période de végétation active, de l’apparition des premières feuilles au dessèchement de la dernière corolle, n’est qu’un moment où le rêve cède quelque peu la place à la réalité, mais si la passion de notre amateur passe là par un paroxysme, il y a, dans la surveillance des bourgeons, les soins divers de printemps, l’attente des premières éclosions, une part non négligeable d’imaginaire, et les inévitables déceptions causées par les caprices de la nature n’en sont que plus vives.
Au vrai, l’amateur d’iris peut être comparé à l’un de ces fanatiques, amant exclusif d’une vedette de la scène ou de l’écran. Comme lui il collectionne tout ce qui touche à sa favorite, il recherche tout ce qui peut, de près ou de loin, le mettre en contact avec celle qu’il aime et dont il ne peut s’approcher que si brièvement chaque printemps. Il en arrive ainsi à se créer un monde à lui, peuplé de revues, de catalogues et de photographies, dans lequel il vit onze mois par an. Et même lorsqu’il s’en extrait pour des tâches bien concrètes, voire ingrates, comme épandre de l’engrais, arracher des mauvaises herbes ou encore retirer des feuilles mortes, il a toujours dans l’œil la vision de ce jardin idéal où ses plantes bien-aimées croissent, splendides et pures, comme dans l’enclos du paradis que décrit Zola dans “La faute de l’abbé Mouret”. On peut dire que notre amateur d’iris n’éprouvera guère moins de jouissance devant la photo parfaitement réussie de telle ou telle variété, que s’il avait réellement la fleur dans la main. Peut-être même son bonheur sera-t-il encore plus profond, car son rêve est forcément sans défauts et ainsi lui sont épargnés les malices de la végétation ou les injures de la météo printanière...
Texte initialement publié dans « Iris & Bulbeuses » N° 110
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