20.5.05

VOYAGE IMAGINAIRE AU PAYS DES GRANDS IRIS
II. La terre promise (Oregon - Washington - Idaho)

La complexité géographique et climatique du nord-ouest des Etats-Unis explique que, sur cette terre d’élection des grands iris, la répartition des exploitations se fait par niches. On en compte au moins quatre, plus quelques sites plus dispersés.

Le voyage dans la terre promise des iris suivra donc le chemin tortueux des montagnes et des rivières. Point de départ, les confins de l’Idaho et de l’Oregon, au cœur des Montagnes Rocheuses, à environ 500 km de l’Océan Pacifique. Dans cette région de hauts plateaux les rivières errent à la recherche d’un passage qui leur permettrait d’atteindre la mer. Souvent elles n’en trouvent pas et terminent leur cours dans un lac sans issue, où elles se perdent. Il n’y a que les plus puissantes qui finissent par trouver leur chemin, au prix de détours innombrables. A vrai dire, il n’y a qu’une issue possible et toutes les eaux se résignent à rejoindre la Columbia, et à traverser par une gorge impressionnante la chaîne des Cascades puis la chaîne côtière (Coast Range). La Snake River fait partie de ces errantes. Elle naît dans le parc de Yellowstone, bien connu, traverse d’Est en Ouest l’Etat d’Idaho puis, à partir de la région de la capitale, Boise, après le confluent avec la Owyhee River, remonte vers le Nord sur 300 km, avant de reprendre la route de l’Ouest et, plus de 100 km plus loin, se mêler à la Columbia. Sur son parcours et dans les vallées adjacentes on découvre trois stations d’iris. Un gros nid tout d’abord à proximité de Boise : Nampa, Parma (où se trouve la pépinière de Lucille Pinkston, une hybrideuse qui a obtenu l’étrange OWYHEE DESERT (96) et quelques autres variétés de qualité) et surtout Caldwell. Neil Mogensen y est installé. Ce n’est pas qu’il inonde le marché avec ses iris, mais SGT. PEPPER (74) puis POWER WOMAN (2003) ont attiré l’attention sur son travail. En moins de cinq ans, Keith Chadwick s’est fait une place. Ses iris, auxquels il donne en général des noms commençant par le mot « oasis » parce que sa pépinière, Sand Hollow Iris Gardens, se situe Oasis Road, lui valent la reconnaissance de ses pairs. Tony et Irene DeRose sont plus connus pour leur pépinière, Riverview Iris Garden, que pour leurs obtentions encore rares. Riverview est maintenant une importante affaire, avec une offre de plus de 9000 variétés d’iris à barbes !!

Là où la Snake tourne à l’ouest, près de Lewiston, se tenait dans les années 60 une obtentrice de premier plan, Eva Smith. Elle est un peu oubliée de nos jours, mais nous lui devons des gloires de nos jardins comme GOLDEN DELIGHT (59), GRACIE PFOST(58) ou ORANGE CHIFFON (69). Lewiston est située à la frontière entre l’Idaho et le Washington. En allant avers l’ouest avec la rivière, on atteint la région de Walla-Walla. C’est là que vivait Hazel Schmelzer, à qui nous devons par exemple CAPTAIN GALLANT (57) ou HOPE DIVINE (57). A quelques kilomètres plus au sud, et dans l’Etat d’Oregon cette fois, se trouve Milton-Freewater. Opal Brown, une obtentrice de tout premier ordre, y avait sa pépinière. De là sont partis des iris qui ont fait le tour du monde, valant à leur auteur une superbe renommée et de jolis succès commerciaux. Il faut se souvenir de BARCELONA (67), BLUE LUSTER (73), BUFFY (69), FULL TIDE (72), GYPSY LULLABY (60), SALMON RIVER (71), mais avant tout de QUEEN OF HEARTS (74) qui faillit obtenir la Médaille de Dykes en 81, et de WINTER OLYMPICS (63) qui l’avait décrochée en 67.

Près du confluent avec la Columbia se trouvent Kennewick et Richland. C’est la résidence de la famille Fort (Dan, Lyle et Les), à qui l’on doit CHOCOLATE MARMALADE (90) et INCAN LEGACY (91) et de Gerald Richardson. En moins de quinze ans, G. Richardson est devenu une figure de l’hybridation. Dès LUCILLE RICHARDSON en 92, on devinait que cette fleur devait être le début d’une belle lignée. GRACE WHITTEMORE (97), puis T-REX (2002) confirment cette impression. A Richland, Margaret Parker, qui n’a pas fait parler d’elle autrement, a obtenu l’orange SUPERSIMMON (77), qui lui vaut encore d’être connue partout dans le monde.

Avant de descendre vers les basses vallées, continuons de parcourir le plateau de la Columbia, dont on va remonter le cours indécis. Wenatchee se trouve au centre de l’Etat de Washington. Son prestige a un peu baissé aujourd’hui mais elle a eu ses heures de gloire au cours des années 60 et 70. Jack Boushay, de Cashmere, petite ville voisine, a obtenu des iris réputés : ADDED PRAISE (76), ANOINTED (75), EMMANUEL (78) ou PRAISE THE LORD (72) ; Luella Noyd s’est fait connaître entre autres pour ses iris dans les tons de vert, comme FLUTED LIME (66) et PRIDE OF IRELAND (71) mais aussi pour avoir eu le flair de pressentir l’intérêt de DEBBY RAIRDON (Kuntz 65 – DM 71) et de s’en assurer l’exclusivité ; Gordon Plough, parmi les obtenteurs les plus prisés, est l’auteur de nombreux cultivars qui ont été autant de succès commerciaux. Il mérite bien qu’on cite une dizaine de ses obtentions : JAVA DOVE (64), MILESTONE (65), PUNCHLINE (68) et STUDY IN BLACK (68), BEAUX ARTS (69) et SON OF STAR (69), WINNER’S CIRCLE (72), INTERPOL (73), FREEDOM ROAD (77) et pour finir RIO DE ORO (83) toujours en vente.

Au nord de Wenatchee, on passe à Grand Coulee, pays de Merle Roberts, au pied d’un des plus énormes barrages des Etats-Unis ; plus loin le cours de la Columbia arrive du Nord et du Canada, mais en remontant vers l’est son affluent la San Jose on se dirige vers Spokane puis Cœur d’Alene, dans l’Idaho, où l’on rejoint une grande dame des années 70/80, Jeannette Nelson. D’elle on cultive toujours FANTASY FAIRE (78), FOXY LADY (87), GONDOLIER (71) ou OUTREACH (71).

Un long voyage commence pour revenir vers la côte ouest. Il faut monter à plus de 1200m, à Stevens Pass, à travers la forêt caractéristique de la région, pour franchir la chaîne des Cascades puis descendre vers Seattle par la vallée de la Skykomish. Seattle, c’est le pays des avions Boeing, mais c’est aussi une très grande métropole, très humide, mais au climat plutôt doux, qui convient bien aux iris. Rex Brown, pendant les années 60 (GREEN QUEST – 59 , LA JUANA –67) tout comme Carol Lankow, récemment décédée, surtout connue pour ses iris nains, ont vécu à Kirkland, dans l’agglomération de Seattle. Elaine Bessette (Frere Andre –96, Trillion – 96) est installée à Tacoma, au sud, au fond du golfe.

Cap au sud, pour se rendre au cœur même de la terre promise, dans cette vallée bénie de la Willamette, où se trouvent les plus grands noms du monde des iris. Pourquoi cet endroit a-t-il attiré les plus grands ? La Willamette court du sud au nord dans une vaste vallée entourée, rive gauche, de la Coast Range, qui la sépare de l’Océan Pacifique, l’abrite des vents d’ouest et lui garantit des températures clémentes en toutes saisons. Sur la rive droite, c’est la puissante chaîne des Cascades avec ses sommets qui dépassent les 3000 m et arrêtent les nuées assurant des précipitations abondantes. Ajoutez que le sol est profond et volcanique, d’une remarquable fertilité, et vous comprendrez ! Vancouver est sur la rive droite de la Columbia, donc en Washington, mais, le fleuve traversé, c’est Portland, en Oregon. Vancouver, et Salmon Creek, c’est le domaine de Terry Aitken, un hybrideur qui fait parler de lui depuis le début des années 80 et qui est devenu une des figures de proue de l’AIS. Pour ne citer que quelques-uns unes de ses variétés, parlons de ORBITER (85), STELLAR LIGHTS (85), GYRO (89), PRIVATE RESERVE (93), HIGHLAND GAMES (2000). Portland, ce fut le pays de George Shoop et des Jones – Bennett et Evelyn. Le premier est connu pour ses iris à barbes rouges, comme ONE DESIRE (60), LATIN LOVER (69), BRIGHT LIFE (77), RINGO (79), SANTA (97) ou LEADING LIGHT (99). Plus éclectique, Bennett Jones nous a donné ELIZABETH STUART (71), SEA VENTURE (72), IRENE NELSON (75), ou JEANNE PRICE (77). Le chant du cygne d’Evelyn Jones a été POND LILY (94).

Dans l’agglomération de Portland se trouve la petite cité de Tigard, là où se tiennent les Craig, Jim et Vicki. Ils ont introduit plusieurs grands iris comme TOUCH OF COLOR (91) ou VOLATILE (96). Maintenant la Willamette nous accompagne dans notre tournée des grands hybrideurs. A Canby plane le souvenir de Catherine et Fred DeForest. Ce dernier a régné sur les années 50 avec des variétés aussi célèbres que BY LINE (52) ou REHOBETH (53), tous deux Florin d’Or, CHRISTMAS ANGEL (59), LULA MARGUERITE (59), et FIRST VIOLET (51), qui obtint la D.M. en 1956. A son épouse Catherine, qui prit sa succession, appartiennent ALENETTE(69) et BAYBERRY CANDLE (69). Chet Tompkins habitait aussi Canby. D’une exceptionnelle longévité, il est l’obtenteur d’un grand nombre de variétés, dans tous les domaines, avec notamment CAMELOT ROSE (65), l’inimitable OVATION (69), GENESIS (77), BANDEIRA WALTZ (83), WINDWALKER (86) ou APOLLODORUS (88). Mount Angel abrite Dave Silverberg, père de ABBEY ROAD (94). Tout à côté se trouve Silverton, où la concentration d’iris devient forte. C’était le lieu de résidence du professeur Kleinsorge, le roi des iris bruns, auteur de TOBACCO ROAD (41), CASCADE SPLENDOR (44) ou DAYBREAK (46) qui a bien failli être désigné D.M. la même année. Aujourd’hui le flambeau a été repris par les Meek ; à eux deux ils dépassent largement la centaine d’enregistrements parmi lesquels on retient des variétés qui ont eu un beau succès comme CHERRY SMOKE (78), P.T. BARNUM (79), DESERT ECHO (80), WILD CARD (83), BLACK AS NIGHT (92) ou IMAGINARIUM (93). Le talent est ce qui manque le moins au jeune encore Larry Johnson, lui aussi enfant de Silverton. HER KINGDOM (94), puis EBONY ANGEL (2000) ou TAHITIAN PEARL (2003) lui garantissent un brillant avenir. Enfin et surtout Silverton est le lieu où travaille Richard Ernst pour le compte de la plus importante pépinière du monde en chiffre d’affaires, Cooley’s Garden. Rick Ernst, c’est en vingt ans plus de deux cents variétés enregistrées, d’indéniables succès commerciaux, et des iris originaux qui n’ont pas toujours été reconnus comme tels par la profession. Pour limiter l’énumération, ne retenons que, dès le départ, AFTERNOON DELIGHT (85), maintenant universellement connu, puis les bleus tendres CLEAR MORNING SKY (91) et CLEARWATER RIVER (99), ainsi que le récent SCHIZO (2003).

Le voyage va se terminer en apothéose, à Salem, la capitale mondiale de l’iris. Parce que les trois plus grandes pépinières y sont réunies. Et sans doute parmi les plus talentueux hybrideurs du moment y trouvera-t-on Paul Black et Tom Johnson son compère, Keith Keppel, l’artiste, et les inimitables industriels qui constituent le clan Schreiner.

Paul Black a commencé sa carrière d’hybrideur dans le Middle West, à Oklahoma City. Mais une incroyable succession d’avatars malheureux l’ont contraint à abandonner l’Oklahoma. Il a eu la chance de pouvoir se réinstaller à Salem où il a commencé, à la fin des années 90, une nouvelle vie en compagnie d’un autre hybrideur, Tom Johnson. Il peut se féliciter maintenant de cette transplantation car son affaire, autant que ses hybridations, y ont gagné à tous points de vue. Ses dernières réalisations sont remarquables. DUDE RANCH (2000 – F.O. 2002), HABIT (99) ou TOM JOHNSON (96) sont là pour en témoigner. Quant à Tom Johnson, dont les premiers enregistrements ne datent que de 2000, on peut dire qu’il promet ! HOOK (2000) ou PAUL BLACK (2002) sont des variétés qui iront loin.

On ne présente plus Keith Keppel. Chacun sait qu’il a toujours été un précurseur ; mais au fil des années il a acquis une maîtrise exceptionnelle, appuyée sur des connaissances génétiques et un savoir-faire reconnus de tous. Aujourd’hui, c’est le pape des iris. Chaque année il offre aux amateurs de nouvelles variétés toujours belles et originales qui se placent d’emblée en tête de toutes les compétitions. En 2004 CROWNED HEADS (97) a emporté la Médaille de Dykes ; FOGBOUND (98) est arrivé 4eme dans la course à la Wister Medal ; WINTRY SKY (2002) a fini n° 3 de la Walther Cup ; HAPPENSTANCE (2000), SHARPSHOOTER (2000), VIENNA WALTZ (2000), FASHIONABLY LATE (98) et SOCIAL GRACES (2000) ont obtenu un Award of Merit ; CHARLESTON (2002), KITTY KAY (2002), SECRET SERVICE (2002), INSIDE TRACK (2002), BALDERDASH (2002), CRYSTAL GAZER (2002), BEL ESPRIT (2002), GAME PLAN (2002), OPEN SEA (2002) et OPPOSING FORCES (2002) ont reçu une Honorable Mention. Son IB LONDONDERRY (95) a été à deux doigts de rafler la H. and J. Sass Medal et cinq autres iris intermédiaires ont obtenu un H. M. ! Personne n’a jamais fait mieux. Son implantation récente en Oregon, après de longues années en Californie, est certainement pour quelque chose dans cet incomparable succès.

Salem, capitale administrative de l’Oregon, est aussi le siège de l’entreprise Schreiner. Il faut en effet parler d’entreprise car les Schreiner ont installé au niveau industriel l’obtention de nouveaux iris et le commerce de ces plantes. Cela fait plus de 65 ans que les Schreiner sont dans les iris, depuis le patriarche Xavier Schreiner, jusqu’à ses petits enfants, maintenant en charge de la société. Environ 600 variétés d’iris, presque exclusivement des grands, portent le patronyme Schreiner. Ils sont présents partout dans le monde, ont colonisé tous les catalogues et envahi tous les jardins. Onze fois les variétés Schreiner ont conquis la Médaille de Dykes ! BLUE SAPPHIRE (53 - DM 58), AMETHYST FLAME (57 – DM 63), STEPPING OUT (64 – DM 68), VICTORIA FALLS (77 – DM 84), TITAN'S GLORY (81 – DM 88), DUSKY CHALLENGER (86 – 92), SILVERADO (87 – DM 94), HONKY TONK BLUES (88 – DM 95), HELLO DARKNESS (92 – DM 99), YAQUINA BLUE (92 – DM 2001) et CELEBRATION SONG (93 – DM 2003). Mais SUPERSTITION (77), LACED COTTON (80) et SUPREME SULTAN (88) l’ont raté de peu. A Florence, trois Premio Firenze ont couronné des iris Schreiner : GOLD GALORE (78 – FO 82), STARCREST (83 – FO 86) et CHAMPAGNE WALTZ (94 – FO 97). Aujourd’hui il semble que, sans démériter, les iris Schreiner soient moins dominateurs. Il n’empêche qu’on ne peut pas faire mieux que de terminer un voyage, fut-il imaginaire, au pays des iris, dans le temple qu’est la pépinière Schreiner.

La brume qui recouvre souvent la région du Nord-Ouest sera peut-être présente au moment où nous quitterons cette contrée, mais elle ne masquera pas ce qui, au fond de nos yeux, constitue l’aboutissement d’un ineffable rêve.

Aucun commentaire: