24.3.06
ENCHÈRES ET CONCURRENCE
Le petit monde des iris se pose des questions, depuis que quelqu’un s’est aperçu que sur un site d’enchères en ligne il y avait des iris à vendre. Cet amateur s’est aussitôt posé des questions : Mais cela ne va-t-il pas faire du tort aux producteurs qui vendent les mêmes variétés ? Et quelle est la légalité de ces ventes ? Et les échanges entre particuliers, peuvent-ils avoir le même impact ? C’est à cela que je vais essayer de répondre dans cet article qui sort un peu de l’ordinaire de mes chroniques.
Les enchères font-elles du tort aux producteurs ?
La réponse est forcément affirmative. Il ne peut pas en être autrement. Celui qui achète un iris sur la toile ne l’achètera pas dans le commerce. Il y a donc bien concurrence. Une de plus. Car les producteurs, au sens où je l’entends ici, ne sont pas les seuls à vendre des iris. On en trouve dans toutes les jardineries, en petits godets étiquetés au nom présumé de la variété. On en trouve dans tous les catalogues de généralistes VPC, identifiés également, ou, parfois, en vrac. On en trouve enfin dans les foires aux plantes, en pots, la plupart du temps, et identifiés, bien entendu. C’est d’ailleurs à ce type de concurrence que s’assimile un peu le commerce aux enchères en ligne. En effet, dans les foires aux plantes ce sont le plus souvent des associations, dont la SFIB, qui vendent des iris fournis gracieusement par leurs adhérents. Le produit de ces ventes vient enrichir un peu leur trésorerie souvent faiblarde. Mais ces ventes-là, concurrentielles, certes, ne vont pas perturber le commerce normal, car elles restent confidentielles. En revanche les ventes sur Internet peuvent prendre des proportions inquiétantes : si de nombreux amateurs internautes se lancent dans les enchères dès qu’ils disposent de quelques rhizomes excédentaires, le trafic peut devenir sérieusement préjudiciable au vrai commerce. D’autant plus qu’il n’y a guère de barrières juridiques ou répressives pour le limiter.
Ces ventes aux enchères sont-elles légales ?
J’ai interrogé à ce sujet un juriste qui avait justement sous les yeux un arrêt de la Cour de Cassation concernant une affaire de ce genre. La règle est que la vente par un particulier est toléré dans la mesure où elle reste dans des proportions raisonnables et ne prend donc pas le caractère d’un véritable commerce. Bien des éleveurs ont de tous temps vendu directement quelques litres de lait, souvent on voit le long des routes des producteurs privés proposer aux automobilistes des fruits, de légumes ou des œufs, et jadis les fermières venaient au marché proposer les produits de leur exploitation. Rien de gênant là-dedans. Sur Internet, cependant, ce commerce prend une autre ampleur ! Et c’est à ceux qui pensent être lésés de poursuivre les vendeurs indélicats qui font un véritable commerce déloyal. Il leur faut donc être attentif, venir régulièrement sur les sites d’enchères pour vérifier que ce ne sont pas toujours les mêmes vendeurs qui proposent leurs produits, et que les quantités mises en ventes restent modestes : la tâche n’est pas des plus faciles ! L’abus sera constaté par le juge et le vendeur indélicat sera condamné, y compris à des dommages-intérêts pour celui qui a engagé l’action judiciaire, sans compter sur le redressement que le fisc s’avisera de calculer ! Mais à mon avis le risque est, malheureusement, faible pour le vendeur en ligne.
Les échanges entre particuliers peuvent-ils avoir les mêmes conséquences ?
Dans ces cas on n’est plus dans le même contexte : ceux qui pratiquent les échanges ne tirent pas un profit en argent de leurs transactions, ils ne sont donc ni pénalement, ni fiscalement en infraction. Mais y-a-t-il néanmoins une concurrence vis à vis des producteurs ?
A priori cette concurrence existe. Certes les bourses d’échange entre collectionneurs existent depuis toujours, mais la différence entre échanger des objets et échanger des plantes est que ces dernières se renouvellement pratiquement sans fin : chaque année le propriétaire d’une variété d’iris peut disposer du croît de sa plante et échanger celui-ci contre une variété nouvelle. Les producteurs peuvent don déplorer cette pratique. Ils ont sans doute raison de le faire si les échanges concernent des variétés qui figurent à leurs catalogues. Je crois cependant que, sauf rares exceptions, les variétés qui sont échangées ne sont pas, ou plus, commercialisées en France au moment de l’échange. D’autre part, pour alimenter la pompe à échanger, il faut proposer des variétés que l’on ne trouve pas dans tous les jardins. Il faut donc se procurer continuellement des variétés récentes ou historiques intéressantes. Ceux qui pratiquent l’échange sont donc amenés à acheter chez les obtenteurs-producteurs leurs plus récents cultivars de manière à disposer très vite d’iris qui serviront de monnaie (d’échange !). Par ailleurs, pour obtenir des variétés exotiques, comme celles en provenance d’Asie Centrale ou, plus simplement, de pays d’Europe de l’Est encore extérieurs à l’Union Européenne, il est intéressant de faire envoyer aux hybrideurs ces mêmes variétés françaises récentes introuvables chez eux, qu’ils « paient » en expédiant leurs propres obtentions qu’il leur est techniquement impossible d’envoyer par les voies commerciales (la réglementation russe concernant les exportations, qui date de la période soviétique, n’a pas prévu les échanges commerciaux de faibles quantités : pour être en règle il faudrait expédier plusieurs tonnes de rhizomes !).
En fin de compte, si les échanges créent une certaine concurrence, elle me paraît très subsidiaire et sûrement pas de nature à compromettre l’activité des producteurs nationaux. Ne serait-ce que parce qu’ils concernent essentiellement des variétés rares (les collectionneurs possèdent pratiquement tous les grands classiques lorsqu’ils commencent à faire des échanges) ou ne figurant dans aucun catalogue français. Souvent même ils portent sur des obtentions d’amateurs que ces derniers n’ont aucune chance de diffuser puisque le commerce traditionnel les boude.
Ceux qui se procurent par ce moyen des variétés autrement introuvables ne font de tort à personne, sauf à imaginer qu’à défaut de trouver ce qu’ils recherchent en dehors des circuits commerciaux, les échangeurs se rabattraient sur les produits présents dans les catalogues, ce qui me paraît fort improbable.
Les collectionneurs sont-ils ingrats ?
Mais les producteurs français, dont l’attitude m’interpelle souvent, se plaignent également de ce que certains collectionneurs leur fassent des infidélités en commandant aux USA ou en Australie ces variétés qu’ils ne cultivent pas eux-même. Dans ces cas aussi la concurrence est virtuelle et, je crois, réversible ! En effet, si quelques-uns commandent à l’étranger (je ne crois pas qu’ils soient plus d’une demi-douzaine), il est probable que des amateurs non-hexagonaux passent commande directement aux producteurs français connus dans le reste du monde. Tous les catalogues américains proposent un certain nombre de variétés obtenues par les maisons Cayeux ou Anfosso, celles-ci sont donc bien connues là-bas, elles ont un site Internet accessible de partout et doivent vendre à des particuliers pour un chiffre d’affaire peut-être marginal, mais pas forcément moindre que celui qu’elles pourraient faire avec les amateurs français ! Tout le monde doit profiter de la mondialisation. Le marché français des iris est étroit, peut-être même est-il encombré avec l’apparition de plusieurs nouveaux marchands ces dernières années, et si les producteurs doivent se montrer vigilants en face de pseudo-commerçants sur le Net, ils devraient aussi s’ouvrir sur le petit monde des amateurs passionnés, considérer ces derniers comme leurs ambassadeurs, en constituer leur fan-club en ayant à leur égard des gestes de reconnaissance et de soutien (par exemple en mettant sur le marché les meilleures variétés obtenues par ces amateurs, comme GWENNADEN – Madoré 2001 - voir photo), et en participant directement au destin de la SFIB qui souffre gravement de leur désintérêt. C’est un appel que je leur lance.
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