QUESTION DE FORMES
Il est souvent question ici de la couleur des iris ou des modèles selon lesquels ces couleurs sont disposées. Pour une fois, nous allons changer de registre et parler de la forme des fleurs, et particulièrement de celle des sépales. Ce qui m’a donné l’idée de cette chronique, c’est une courte note publiée sur le forum « Iris-Photos » par un amateur américain qui s’appelle Thomas Silvers. Son texte analyse avec justesse et simplicité les diverses formes de sépales des fleurs qu’il a rencontrées parmi les anciennes variétés qu’il cultive. Il en a fait la classification et les a rangées sous cinq types.
Je le cite (avec sa permission, bien entendu) :
« 1 – La forme spatulée, un peu comme chez I. versicolor ;
2 – la forme ondulée ;
3 – la forme pendante « en oreille de cocker » (je suppose que ceux qui ont trouvé ça dan leurs semis l’ont immédiatement mis au rebut) ;
4 – la forme roulée ;
5 - la forme pincée et rétractée, à la manière de certains iris sauvages. » -voir photos –
En dehors de la forme n° 2, ondulée, toutes sont considérées aujourd’hui comme indésirables, et pas seulement la forme n° 3 signalée par l’auteur.
Je ne sais pas si l’on rencontre encore parfois des fleurs avec les sépales spatulés. Je n’en ai jamais constaté. Mais les trois autres se présentent, surtout quand on utilise comme parent une variété ancienne. C’est une constante de l’hybridation que la réapparition prioritaire des caractéristiques les moins recherchées. Dans le semis d’un croisement entre une variété ancienne et une variété moderne, ce sont les caractères de la variété ancienne qui se rencontrent le plus souvent ; les semis qui présentent les traits du parent moderne n’en ont que plus d’intérêt.
Avec le temps et une rigoureuse sélection, les hybrideurs ont retenu les semis dont les sépales offraient un aspect élégant et robuste. Le gros défaut des sépales d’iris, c’est qu’ils ont, d’origine, des attaches très minces. Cela n’est pas une anomalie : les sépales devaient initialement s’ouvrir largement et se rabattre pour laisser les insectes accéder facilement aux pièces sexuelles. D’où les formes n° 3 et n° 5 décrites par Thomas Silvers. Pour atteindre l’élégance recherchée, les hybrideurs ont retenu les fleurs avec des sépales se tenant de plus en plus près de l’horizontale. Pour qu’ils aient ce caractère, il faut que l’attache soit large et la substance épaisse. Peu à peu les sépales se sont redressés, essentiellement depuis l’apparition de la tétraploïdie qui a généré des fleurs plus grandes et plus résistantes. En son temps, une variété comme MISS INDIANA (Cook 61) avait une forme très moderne et séduisante grâce à des sépales très horizontaux.
L’apparition des ondulations sur les fleurs d’iris a permis une meilleure tenue des sépales. C’est le principe de la tôle ondulée, où la rigidité est atteinte par le mouvement donné au métal : il est évident que les variétés ondulées ont des sépales plus rigides et plus dressés que les variétés plates.
Un autre moyen de maintenir les sépales à l’horizontale a été de sélectionner les plantes dont ces parties se développaient rapidement en largeur dès leur sortie du nœud floral. Les Américains parlent de sépales « overlapping », c’est à dire qui ne laissent aucun espace entre eux et, même, viennent à se chevaucher. La fleur y gagne en ampleur ce qu’elle perd en accessibilité reproductrice : chez de nombreuses variétés modernes le chevauchement des sépales et leurs ondulations dissimulent partiellement ou totalement les étamines et les styles. Dans un hybride, cela n’a pas d’importance puisque la pollinisation est exclusivement assurée par l’homme.
Les fleurs d’iris d’aujourd’hui proposent des pétales serrés et turbinés comme des boutons de rose et des sépales larges et à plat. On est loin des fleurs de diploïdes façon ALCAZAR (Vilmorin 1910) ! Cependant chez les variétés à éperons il est fréquent de constater des sépales qui ont tendance à prendre l’aspect roulé de la forme n°4 détectée par Tom Silvers. Cela tient aux tensions exercées à l’origine des sépales par l’excroissance des barbes : c’est un défaut, difficile à éviter, mais qui est vivement combattu par les obtenteurs de « rostratas », maintenant avec un succès certain. Les mêmes tensions aboutissent parfois à faire apparaître des sépales de la forme n° 5. Encore un défaut vigoureusement combattu !
Allant jusqu’au bout de son raisonnement, Tom Silvers écrit : « Cela m’amène à poser une question : y a-t-il des hybrideurs qui travaillent sur les formes de fleur inhabituelles ? » La réponse à cette question est oui, mais les recherches actuelles portent sur les fleurs plates (façon I. ensata), aux pétales atrophiés ou absents plutôt que sur des anomalies dans les sépales. Il reste, comme le dit aussi Thomas Silvers que l’on peut penser « aux formes « araignée » et aux autres formes inhabituelles de certaines hémérocalles. » C’est d’ailleurs ce qu’imagine Richard Cayeux pour l’iris du futur lorsqu’il évoque, dans son livre « L’iris, une fleur royale », les iris barbus du troisième millénaire : « On peut donc dès aujourd’hui imaginer de nouveaux modèles de fleurs d’iris : des iris « spiders » (à divisions très longues et très fines…), des iris aux divisions bordées de cils… » ainsi que des fleurs à l’aspect de I. paradoxa, c’est à dire avec des sépales « très petits, horizontaux, portant une forte barbe noire et des pétales violets et chatoyants nettement plus grands ».
A l’image du passé et des formes diverses prises par les sépales desvieux diploïdes, l’avenir s’annonce aussi multiple et excitant. Nos chers iris n’ont pas fini de nous épater.
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