14.7.06


DE LA SUITE DANS LES IDÉES

Tous ceux qui savent de quoi ils parlent disent que, à propos du travail de l’hybrideur, qu’il faut avoir des la suite dans les idées. C’est à dire choisir un domaine de recherche, et s’y tenir. Ce domaine peut-être général (les iris à éperons, les variegata-plicatas, les « broken-colors »…) ou ponctuel (les barbes noires, les iris bruns…) mais l’important c’est de se disperser le moins possible. Tous les grands hybrideurs ont procédé de cette façon et ils continuent d’appliquer ce principe. Je prendrai pour exemple trois de nos contemporains qui font preuve d’une évidente et payante obstination.

Commençons par Richard Ernst. Cela fait vingt ans environ qu’il travaille sur un croisement mythique, Edna’s Wish X Wild Jasmine, à partir duquel il a créé, aussi bien par endogamie que par exogamie, une vaste famille qui, aujourd’hui, comporte six variantes et, au moins, 26 variétés enregistrées. Il en est arrivé à utiliser maintenant les enfants et même les petits enfants de son géniteur de base, mais il continue toujours dans un domaine qui lui a donné des iris à la fois variés et extraordinaires, avec, tout particulièrement, deux modèles nouveaux qui ont pour modèle de base RING AROUND ROSIE (2000), pour le premier, et TIME WILL TELL (99) pour le second. Cette lignée a fait l’objet, ici, dans Irisenligne, d’une chronique parue il y a un an. A l’heure actuelle la série du modèle RING AROUND ROSIE comprend au moins quatre variétés très originales, Le modèle de base a des pétales blancs finement ourlés de jaune primevère, et des sépales à fond blanc, légèrement poudré de grenat, bordés de jaune primevère ; barbes jaune vif. WHISPERING SPIRIT (2001), en est la version la plus colorée, CARNIVAL RIDE (2002), la plus réussie (voir photo), et LOOKY LOO (2005), une déclinaison un peu différente. La série du modèle TIME WILL TELL est tout autre mais tout aussi intéressante. Les pétales, tourmentés, sont indigo vif, tout ourlés de pourpre ; c’est ce pourpre qu’on retrouve sur les sépales, mais il s’émiette en se rapprochant du cœur de la fleur, laissant apparaître le fond blanc luminata aux alentours des barbes, jaunes. SCHIZO est visiblement le cousin de TIME WILL TELL : même indigo pour les pétales, même pourpre pour les sépales, même dessin luminata sous les barbes du même jaune, la différence n’est pas en sa faveur puisqu’il perd presque totalement le liseré pourpre des pétales qui fait l’attrait du précédent. Manifestement Richard Ernst a été séduit par la formule de TIME WILL TELL à tel point qu’il a cherché à la reproduire en y apportant quelques retouches mineures. Cela a donné CHILD OF ROYALTY (2001), SMOKIN (2001) puis BALL OF CONFUSION (2004). Le premier est la déclinaison claire de la formule, le second en est la version sombre, le troisième une version allégée, plus blanche.

Si quelqu’un peut être qualifié d’obstiné, c’est bien Keith Keppel. Au cours de sa carrière déjà longue il a exploré plusieurs domaines, mais il a tiré de chacun tout ce qu’il était possible d’en tirer. Son travail sur les iris plicatas est exemplaire et exhaustif. Il se passionne maintenant pour les « dark tops » et a fait faire à ce modèle un véritable bond en avant. Les premiers essais ont commencé au début des années 90 et deux variétés déjà bien typées sont apparues en 94 (SPRING SHOWER) puis en 96 (WISHFUL THINKING). Mais le premier coup de maître est arrivé en 97. Il s’agit de CROWNED HEADS, qui a aussitôt commencé une course aux honneurs qui lui a valu la Médaille de Dykes en 2004. Il faut dire que Keppel, pour obtenir CROWNED HEADS a utilisé IN REVERSE (Gatty 93), une étape majeure dans la recherche des amoenas inversés ; une partie du chemin était déjà faite. L’étape suivante a été FOGBOUND (98), un peu différent car doté d’une barbe rose issue de la lignée de George Shoop. CROWNED HEADS et FOGBOUND ont amorcé la série des « dark tops » encore en cours de développement. Unis l’un à l’autre ils ont donné naissance à ALPENVIEW (2002). CROWNED HEADS associé à un frère de semis de FOGBOUND, SUSPICION (99) aux couleurs spectrales, a engendré WINTRY SKY (2002), peut-être le « dark top » le plus contrasté d’aujourd’hui. La même année est apparu un premier descendant de FOGBOUND, CRYSTAL GAZER, qui est une pure merveille de grâce et d’originalité. FRIENDLY FIRE a été enregistré en 2003 : il descend de FOGBOUND et de SPRING SHOWER ; il tient de son père une teinte un peu rosée et des barbes vivement colorées, mais il est moins contrasté. De 2003 également date RIPPLE EFFECT, qui ne descend pas de FOGBOUND mais de son frère SUSPICION et tient de ce dernier des barbes jaunes. Il faut attendre ensuite 2005 pour voir la série se poursuivre avec ROYAL STERLING, produit de VIENNA WALTZ et de FOGBOUND, dans des tons plus mauves, puis de DANCE RECITAL, enfant que l’on pourrait qualifier d’incestueux, issu de la fécondation de SUSPICION par son « frère » FOGBOUND, mais qui est une incontestable réussite, tant par le bleu de ses pétales que par le blanc des sépales et le jaune orangé des barbes. Il est probable que Keith Keppel n’en restera pas là et qu’il a encore parmi ses semis quelques éléments qui sauront nous charmer ou nous surprendre : il a de la suite dans les idées et du talent à revendre !

Quant à Richard Cayeux, il s’est polarisé sur les iris dits tricolores (pétales blancs, sépales bleus, barbes rouges). Commencée en 91 avec VIVE LA FRANCE et BAL MASQUÉ, sa série se poursuit encore en 2006 avec REUSSITE. Cependant, contrairement à la démarche des obtenteurs précédents, Richard Cayeux s’est plus attaché au résultat qu’à la manière d’y parvenir. Sa série bleu-blanc-rouge comprend à l’heure actuelle huit variétés issues de cinq croisements différents, mais où se rencontrent cependant des éléments communs, ce qui permet de dire qu’à défaut d’être frères, ces iris sont au moins cousins. Le croisement le plus prolifique est (Condottiere x Delphi) X (Alizés x (Condottiere x Lunar Rainbow sib). Il a donné naissance à quatre frères : VIVE LA FRANCE (91), BAL MASQUÉ (91), REBECCA PERRET (92) et MARBRE BLEU (93). Le premier présente des pétales blancs, des sépales blancs bordés d’un dégradé de bleu un peu ardoisé avec de fortes veines brunes aux épaules, et des barbes importantes de couleur vermillon. Le second a aussi des pétales blancs, mais les sépales sont indigos, centrés de blanc, et les barbes restent mandarine. REBECCA PERRET est le plus clair de la série, c’est aussi celui qui ressemble le plus à ALIZÉS. Les pétales de MARBRE BLEU sont un peu bleutés, les sépales sont indigos et comportent des veines et marbrures blancs, plus intenses sous les barbes orange vif. En 1994 est apparu PARISIEN qui, à mon avis, répond le mieux à la définition d’iris tricolore : pétales blancs, sépales bleus à peine plus clairs sous les barbes, volumineuses et franchement vermillon. Il est un descendant de REBECCA PERRET. RUBAN BLEU est enregistré en 97. C’est un cousin très proche des quatre frères déjà cités. C’est aussi le plus richement contrasté de la famille, notamment à cause des fortes veines brunes qui envahissent les épaules et lui donnent du caractère. La production marque ensuite une pause, et les observateurs ont pensé que l’obtenteur était passé à autre chose. Mais cette année deux nouveautés viennent s’inscrire dans la liste. REUSSITE, dont le nom signifie peut-être que Richard Cayeux estime avoir atteint l’accomplissement de son travail, descend de REBECCA PERRET par le blanc LA MEIJE ; il serait tout blanc lui aussi sans le très net bord bleu vif des sépales. Quant aux barbes, elles peuvent être considérées comme rouges. Enfin CERCLE BLEU, qui, du panel de géniteurs des précédents n’a retenu qu’ALIZÉS, présente des sépales largement bordés de bleu sombre et ornées de superbes barbes rouges. Va-t-on s’arrêter là ? C’est probable, mais pas garanti. Quand on a de la suite dans les idées et le désir de la perfection, on n’est jamais complètement satisfait…

La liste des obtenteurs contemporains qui ont entrepris et mené à bien une longue série de variétés d’une même lignée ou d’un même modèle, pourrait s’allonger (Niswonger, Zurbrigg, Kasperek ou Ensminger…) mais les trois exemples donnés sont emblématiques de ce comportement studieux et rigoureux.

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