7.7.06

HASARD ET NÉCÉSSITÉ

Celui qui entreprend d’effectuer une hybridation est, en quelque sorte, un apprenti sorcier. Quand il aura transféré le pollen sur les stigmates de la fleur mère, il aura enclenché un phénomène dont il ne maîtrisera plus rien. La nature entamera un processus rigoureux et inexorable dont l’hybrideur n’aura plus qu’à attendre le résultat. Il est un peu dans la situation du tireur qui, un fois qu’il a appuyé sur la détente, ne sait pas exactement si la cible sera atteinte, à quel endroit elle le sera et quelle sera la conséquence de son tir. L’hybrideur comme le tireur ont, bien entendu, un projet, une intention. Mais il y a loin entre ce projet et sa réalisation.

Il y a dans tout cela une part de hasard qui affecte à peu près tous les stades de l’opération.

Hasard il y a dans la décision de l’hybrideur de choisir tel ou tel thème de recherche : il avait tous les choix possibles, il en a retenu un, pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ? Certains diront peut-être que le choix résulte d’une profonde réflexion et que, dans ce cas, parler de hasard est un peu excessif, néanmoins, parce qu’on appelle hasard ce qui comprend tellement de paramètres qu’on est incapable de les dénombrer et de les maîtriser, et que dans la décision d’une personne il y a une infinité de raisons que la personne elle-même ne maîtrise pas totalement.

Hasard il y a dans le choix des parents. Cela peut paraître discutable car l’hybrideur choisit ses géniteurs avec beaucoup de minutie, mais le hasard intervient néanmoins : telle plante à laquelle il avait pensé n’a pas bien poussé, ou n’est pas fleurie au bon moment. Il va donc modifier son projet, choisir une autre variété que celle envisagée en premier lieu, ou bien il va différer son hybridation, mais dans ce cas il va ajouter un nouvel hasard au précédent : par exemple les conditions météorologiques ne seront plus tout à fait les mêmes au moment où il réalisera son croisement et la réussite de celui-ci sera peut-être remise en cause…

Hasard il y a dans les conditions de la végétation du semis. Les capsules arriveront-elles à maturité ? Les graines seront-elles saines, germeront-elles ? Toutes les graines ne germeront pas, c’est certain, les plantules issues des graines ne donneront pas toutes un iris adulte et c’est bien le hasard qui fera que telle ou telle plante parviendra à la première floraison.

Un hasard encore plus insondable agira dans le mélange des gènes des deux iris parents. Le choix des parents influe, bien entendu, sur les résultats, mais l’hybrideur ne maîtrise pas tout ce qui entre dans les associations de gènes. Depuis qu’on pratique sérieusement l’hybridation, il y a plus d’une vingtaine de générations qui se sont succédées et bien malin serait celui qui pourrait dire le nom de toutes les variétés qui ont été mêlées. Sans parler des espèces initiales qui ont été brassées, croisées et recroisées d’une façon aujourd’hui inextricable.

Le hasard interviendra encore au stade suivant, quand l’hybrideur devra faire un choix parmi ses jeunes semis pour ne conserver que ceux qu’il considérera comme le ou les meilleurs.

En fait, la nécessité ne va être présente que dans le processus qui va conduire les grains de pollen vers l’ovaire de la fleur, puis dans l’union des cellules, leur multiplication, leur différentiation, jusqu’à l’apparition de la nouvelle plante. Mais même dans ce processus où la nécessité est prépondérante, le hasard se réserve une part : quel grain de pollen, par exemple, parmi tous ceux que l’hybrideur aura déposé sur le stigmate, parviendra à féconder la plante réceptrice ?

L’apprenti sorcier ne sait pas comment faire cesser le sortilège qu’il a déclenché. L’hybrideur, lui, n’entend pas faire cesser le phénomène qu’il a mis en œuvre, mais pas plus que le maladroit, il n’aura dans la main les conséquences de son geste.

Et pourtant !

Pourtant, cette accumulation de hasards aboutira a quelque chose qui aura été voulu et qui correspondra en tout ou partie au projet initial. L’hybrideur aura obtenu quelque chose qui ne sera pas forcément l’exact reflet de ce à quoi il avait rêvé, mais qui correspondra grosso modo à ce qu’il espérait. En cela on peut dire que le hasard fait bien les choses !

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