12.10.07







DU NEUF AVEC DU VIEUX

Il y a quelques mois, peu après le concours FRANCIRIS © 2007, à propos des hybrideurs amateurs, j’écrivais ceci : « Ils doivent surtout éviter de chercher à faire du neuf avec du vieux. Croiser des variétés anciennes ne leur donnera pas des rejetons modernes. » Certains m’ont fait remarquer que j’étais peut-être trop affirmatif et que de très intéressantes variétés récentes étaient le produit de croisements entre variétés plutôt anciennes. C’est exact et en voici quelques preuves.

Prenons pour exemple ‘Ikar’ et ‘Simfoniya’, deux obtentions de l’ouzbek Adolf Volfovitch-Moler enregistrées en 92 et qui ont toutes les deux retenu l’attention des juges de Florence en 95, attribuant le Florin d’Or au premier et qualifiant le second de « meilleure variété tardive ». Ces deux iris intéressants résultent d’un croisement de deux variétés des années 60 : ‘Rippling Waters’ (Fay 61) et ‘Pipes of Pan’ (O. Brown 63). Trente années se sont écoulées entre l’enregistrement des parents et celui des enfants. Volfovitch-Moler, en l’occurrence a bien fait du neuf avec du vieux et le neuf est réussi.

Un autre exemple est celui de cet hybride obtenu par Michelle Bersillon et repéré sous le numéro de semis 9920R (voir photo) qui est une jolie fleur mais qui est aussi le croisement de deux variétés dites historiques : Sapphire Hills x Surf Rider. ‘Sapphire Hills’ a été enregistré par Schreiner en 1971 et ‘Surf Rider’ est un amoena inversé qui date de 1970.

Cela démontre que, sans doute, j’ai un peu noirci le tableau. Mais des obtenteurs aussi indiscutables que Keith Keppel affirment aussi que le 100% ancien n’est pas une bonne idée. Les exceptions ne sont là que pour confirmer les règles.

Mais que dire des croisements « ancien X moderne » ?

Des obtenteurs contemporains comme Donald Spoon ou Jim Hedgecock, aux USA, travaillent sur l’idée qu’il faut renforcer les variétés modernes en leur injectant les gènes de variétés plus anciennes et considérées comme plus robustes. Ils ont parfaitement raison. En effet le progrès de nos chers iris ne consiste pas à multiplier indéfiniment les nouvelles variétés, mais à créer de nouveaux iris qui apportent quelque chose, soit par un caractère nouveau, soit par l ‘amélioration d’un caractère existant. Il est reconnu que beaucoup de variétés parmi les plus récentes présentent des défauts, notamment quant à la robustesse et à la résistance aux maladies. Certains sont même allés jusqu’à mettre en cause la conscience professionnelle des juges pour expliquer les difficultés rencontrées avec les variétés modernes : il ne faudrait pas noter favorablement une variété qui n’offre pas toutes les qualités végétatives qu’on peut attendre, et les juges se laisseraient séduire par le succès commercial de tel ou tel iris plutôt que par ses réelles qualités. Lesdits iris seraient beaux, originaux, séduisants, mais pousseraient mal ou seraient trop fragiles. Ceci est hélas trop souvent exact, mais il ne faut pas en rendre les juges responsables : ils jugent ce qu’on leur présente et attribuent les récompenses qu’ils ont à distribuer. C’est donc aux hybrideurs à redresser la barre. L’apport de qualités reconnues de certaines variétés anciennes est donc une piste intéressante. Mais il ne faut pas que cet apport se solde par un appauvrissement des autres caractères. Or c’est le risque, car il est notoirement connu que lors d’un croisement, ce sont les défauts des parents qui se représentent le plus souvent et semblent s’additionner, plutôt que leurs qualités ! Le travail de sélection, lorsqu’on croise une variété ancienne et une variété récente, sera beaucoup plus ardu et il y aura sûrement un accroissement des « déchets ». J’estime avoir eu beaucoup de chance avec le croisement ‘Beghina’ X ‘Sky Hooks’ qui allie un vieil iris gris des années 60 et le fameux ‘Sky Hooks’ de 1980. C’est un croisement a priori risqué, dont j’ai obtenu ‘Kir’ auquel je trouve beaucoup de qualités, et un charmant BB auquel j’avais destiné le nom de ‘Prétexte’, mais qui est mort en bas âge (bloom-out). C’était un iris blanc, à barbes blanches et éperons bleus, avec des bords extrêmement laciniés d’un très joli effet. Mais par ailleurs ce croisement a donné naissance à des plantes aux caractéristiques franchement démodées, des « nanards » bons pour le compost.

Les photos ci-dessus de ‘Louvois’ (Cayeux 36) et du croisement ‘Louvois X Romantic Evening’ réalisé par notre compatriote Loïc Tasquier, qui vit aux Pays-Bas, montrent les limites de l’exercice. C’est un essai, intéressant mais qui allie des variétés extrêmes, et toutes les qualités de ‘Romantic Evening’ n’ont pas surmonté la difficulté du mariage. D’autres ont été plus modérés dans le choix du parent ancien et sont parvenus à des résultats valables.

C’est notamment le cas de Jim Hedgecock. Dans un choix de croisements du même genre, j’en ai relevé trois qui ont été à l’origine de plusieurs belles nouveautés bien que les parents aient déjà un âge respectable. Ainsi (‘Space Wagon’ x ‘Tuxedo’) X ‘Sophistication’, qui réunit des variétés de 1973, 1965 et 1984, a donné naissance à des iris aussi variés que ‘Aztec Lace’ (2002), ‘Chiricahua Canyon’ (97), ‘Dark Dancer’ (2002), ‘Jungle Dancer’ (2002) et ‘Whispering Waters’ (99). Un croisement encore plus « dans le style ancien » : ‘Sun Fire’ X ‘Mandolin’, respectivement de 76 et de 77, a abouti à ‘Apache Ruffles’ (97), ‘Dreamsicle Soda’ (92), ‘Orange Ensemble’ (93) et ‘Pumpkin Fest’ (97). Enfin ‘Superstition’ X ‘Soul Music’, tous deux de 77, a fourni les « noirs » bien connus que sont ‘Dracula’s Shadow’ (89), ‘Navajo Night’ (97) et ‘Son of Dracula’ (91). Dans ces deux cas on est dans la configuration de type ‘Ikar’ dont il a été question plus haut. Le catalogue Hedgecock est rempli de cultivars de la même eau. On peut donc dire qu’en l’occurrence on est devant un choix délibéré dont l’obtenteur n’a qu’à se louer. C’est une voie de renouvellement dont les obtenteurs européens, et en particuliers les amateurs, peuvent s’inspirer avec profit mais dont ils ne doivent pas sous-estimer les risques.

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