19.1.08




AMAS, RICARDI ET COMPAGNIE

Nos grands iris actuels ne se sont pas faits en un jour. Même si de grands iris existent dans les jardins depuis la nuit des temps, ceux que nous admirons aujourd’hui ne sont que les derniers aspects d’une évolution qui a commencé il y a environ 150 ans.

Celle-ci a commencé quand des pépiniéristes fondus d’iris ont eu l’idée de sélectionner parmi les semis qu’ils effectuaient de graines issues de fécondations réalisées par les insectes, les plantes les plus belles et les plus originales. Peu à peu sont apparues des plantes aux couleurs plus variées, au développement plus grand et plus solide. Toutes ces fleurs provenaient des espèces couramment cultivées qui se nomment I. x germanica, I. pallida, I. variegata, I. plicata et quelques autres.

A la fin du XIXeme siècle, il est apparu que le tour des possibilités fournies par ces espèces et leurs croisements étaient atteintes, ou presque. Les obtenteurs, qui avaient alors délaissé la fécondation naturelle pour la fécondation provoquée, se sont tournés vers de nouvelles espèces pour enrichir leur panoplie. Il se trouve qu’à l’époque des explorateurs et botanistes venaient de découvrir, au Proche Orient, des iris qui, pour ressembler à ceux connus et utilisés en Occident, n’en étaient pas moins plus forts, plus somptueux, avec des fleurs plus grosses à l’aspect admirablement satiné. Ces iris présentaient néanmoins plusieurs inconvénients : ils n’étaient pas rustiques, et ils n’offraient pas beaucoup de diversité dans les coloris. L’idée est donc venue tout naturellement d’essayer de croiser ces gros iris avec les iris déjà utilisés.

Ce sont des scientifiques anglais qui ont été les premiers a tenter de tirer parti des espèces nouvellement découvertes. Le premier fut Sir Michael Foster, professeur de physiologie à Cambridge, il donna le nom de ‘Amas’ à l’un de ces nouveaux iris, en souvenir d’Amasya, la ville de Turquie, à environ 200 km à l’Est d’Ankara, près de laquelle la plante avait été recueillie en 1885. ‘Amas’ (photo) se présente avec une fleur volumineuse, aux pétales violet clair et aux sépales d’un beau violet velouté. Foster qui pratiquait les croisements de manière scientifique obtint plusieurs iris réussis à partir de ce ‘Amas’, mais il ne prenait pas attachement des croisements qu’il effectuait, de sorte qu’on ne connaît qu’imparfaitement le pedigree de ses obtentions. C’est un autre obtenteur anglais, Robert Wallace, qui commercialisa les obtentions de Foster après la mort de ce dernier. Parmi ces variétés remarquables, il faut citer ‘Mrs George Darwin’, ‘Mrs Horace Darwin’ ou ‘Kashmir White’. Elles furent parmi les premières à être importées aux USA où elles ont été utilisées en partie pour donner naissance aux iris américains qui n’ont pas tardé à s’imposer. Un autre descendant de ‘Amas’ à connaître un destin prestigieux a été ‘Dominion’, obtenu en 1912 par un autre anglais, Arthur Bliss. ‘Dominion’ est considéré comme l’un des piliers de l’iridophilie moderne, et ses descendants sont innombrables. Il a été utilisé partout. Par exemple, en France, Ferdinand Cayeux en a obtenu ‘Député Nomblot’ (1929), aux USA, Connell en a tiré ‘Dauntless’ (1929) qui fut le vainqueur de la Dykes Medal l’année même de son introduction.

Une autre espèce nouvelle arriva du Moyen Orient dans les années 1880. Récolté en Palestine par le botaniste A. Ricard, l’iris ‘Ricardi’ a été ainsi dénommé par le Français Fernand Denis en l’honneur de son inventeur. C’est une forme de l’espèce I. mesopotamica, de couleur bleu lavande, qui ne tolère guère le froid, mais que F. Denis, installé à Balaruc, sur l’étang de Thau, a pu cultiver et croiser avec des variétés issues d’I. germanica. Les rejetons de ces croisements, que l’on peu qualifier de spectaculaires à côté des variétés antérieures, ont passionné les amateurs de l’époque. Les plus célèbres furent, sans doute, ‘Andrée Autissier’, ‘Mademoiselle Schwartz’ ‘Mme Chobaut’ et surtout ‘Blanc Bleuté’. Sous ce nom plutôt anodin se cache un iris d’une grande importance car il est à l’origine d’une autre pierre angulaire de l’iridophilie, le fameux ‘Missouri’ (Grinter 32 – DM 37) (Photo).

Bien d’autres obtenteurs du début du XXeme siècle ont utilisé les « grands » iris de Turquie ou de Palestine. Puis, peu à peu, au fur et à mesure de leurs désirs d’obtenir des améliorations dans un domaine ou un autre, ils ont ajouté à leur cocktail d’autres espèces : I. plicata, I. variegata. I. aphylla ou I. reichenbachii pour ne citer que les plus marquantes.

Néanmoins, pendant de longues années, les hybrideurs se sont demandé pourquoi les croisements qu’ils tentaient entre les iris traditionnels et le nouvelles espèces moyen-orientales étaient si peu souvent couronnés de succès et pourquoi les graines obtenues donnaient naissance à tant de variétés stériles. Car les iris dont les noms viennent d’être donnés sont des exceptions. La plupart du temps les efforts des hybrideurs étaient vains. Il a fallu attendre la fin des années 1920 et les travaux de Marc Simonet pour que le mystère soit élucidé : les anciens iris étaient diploïdes, les nouveaux, tétraploïdes. L’association des deux devait normalement donner naissance à des plantes triploïdes, donc en quelque sorte bancales, stériles et souvent malingres ou fragiles. Ce n’est qu’exceptionnellement, et à la suite d’un concours de circonstances mal compris, qu’apparaissaient des variétés tétraploïdes, puissantes, fertiles et belles. Mais celles-là ont été mises à profit pour obtenir des centaines puis des milliers de cultivars tétraploïdes, ceux que l’on continue d’obtenir partout dans le monde et qui monopolisent l’espace de nos jardins.

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