5.1.08




FLEUR DE SOIE

En me documentant pour la rédaction de la chronique sur Marc Simonet, publiée ici il y a quelques semaines, j’ai appris que cet infatigable chercheur avait pratiqué des croisements interspécifiques à partir de l’espèce I. setosa. Quand je découvre comme cela quelque chose que je ne connais pas, ou très mal, j’éprouve une irrésistible curiosité qui me conduit à entreprendre aussitôt des recherches pour pénétrer ce nouveau sujet. C’est ce qui est arrivé avec cet I. setosa, dont je ne connaissais guère que le nom ainsi que le rôle dans les origines d’une autre espèce, I. versicolor. Alors, en avant ! Tous les bouquins de ma bibliothèque qui parlent des iris botaniques sont mis sur la table, et me voilà parti à la recherche de I. setosa.

Pour commencer, j’ai essayé de savoir pour quelle raison cette espèce avait reçu son nom. Mon vieux dictionnaire Gaffiot, qui m’a longuement servi quand je séchais sur mes versions latines, m’a confirmé que « setosus » ou « plutôt « saetosus » en latin classique, signifiait « couvert de poils ». Diable, cette fleur serait-elle velue ? Pourtant aucune des descriptions dont je dispose ne parle de poils. Cet adjectif « setosus » ne serait-il pas pris, au contraire, dans un sens plus large, celui de « soyeux » ? Il y a gros à parier que cette acceptation est la bonne. Néanmoins Maurice Boussard me précise que W. R. Dykes a une autre explication : d’après lui ce qualificatif spécifique tiendrait au fait que le verticille de "pétales" peu ou pas présents (ces pétales sont rudimentaires), pourrait évoquer des "soies" d'animal (porc par ex.). Bref, on ne sait pas quelle est l’origine du nom latin. Il n’est pas rare que ces noms s’appuient sur des caractéristiques douteuses, voire erronées. Tenez, notre I. setosa ne fait-il pas partie de la série Tripetalae, qui, logiquement, devrait comprendre des plantes n’ayant que trois pétales ? Eh bien, la série Tripetalae ne contient en fait que des fleurs qui n’ont pas, ou très peu, de pétales ! Le nom qui lui aurait mieux convenu est « trisepalae » puisque les iris en question sont dans la situation de n’avoir que des sépales (et de toutes petites écailles qui sont des moignons de pétales), largement développés.

J’ai appris que la plante I. setosa se présente en touffes denses de feuilles étroites d’où émergent des tiges florales minces qui culminent en moyenne à environ 60 cm. Mais il y a de fortes différences de tailles d’une sous-espèce à une autre. Il faut dire que notre héros du jour, a l’instar de son hybride naturalisé I. versicolor, à eu l’occasion de s’offrir de nombreuses variations au cours d’une aventure plurimillénaire. Il semble que l’origine des cette plante se situe dans le nord du Japon et en Mandchourie. Mais au cours des ans, elle s’est progressivement répandue vers le Nord, gagnant la Sibérie orientale, le Kamchatka, puis a franchi le détroit de Bering avant de se répandre dans le Nord de l’Amérique. Au gré de ces déplacements elle s’est un peu modifiée pour s’adapter au nouvel habitat qu’elle colonisait, passant d’une plante haute d’un bon mètre à des sous-espèces beaucoup plus naines. De même pour le coloris des fleurs : de violet pourpré, il a évolué vers un bleu indigo de plus en plus clair. Il y a même des fleurs blanches ou plutôt blanchâtres. C’est ça, les nomades, ils s’adaptent.

En commençant cette chronique, j’ai parlé du travail d’hybridation de Marc Simonet. Depuis, d’autres ont continué les croisements interspécifiques et I. setosa se prête bien à ce genre de manipulations. Selon l’espèce avec laquelle il est croisé ont obtient des hybrides, plus ou moins fertiles, auxquels on a donné des nom bien peu commerciaux, comme « Sevigata » pour les croisements ‘setosa/laevigata’, « Versitosa » pour ‘versicolor/setosa’, « Chrytosa » pour ‘chrysographes/setosa’ ou « Sibtosa » pour ‘Sibirica/setosa’… Le spécialiste de ces mélanges, au demeurant souvent originaux et spectaculaires, est Tomas Tamberg, à Berlin.

La question que l’on se pose quand on aborde le sujet d’une plante non indigène, c’est : « Peut-on l’acclimater chez nous ? » Pour I. setosa, la réponse est Oui. Il fallait s’y attendre, de la part d’une plante qui a parcouru des milliers de lieues, d’un continent à l’autre. Cet iris est à l’aise partout où il va rencontrer des conditions qui se rapprochent de celles des contrées où il est endémique. Il ne craint pas le froid. C’est même peut-être l’espèce la mieux à même de supporter des températures largement négatives. Il aime l’humidité. Mais pas tout le temps : au moment de la floraison il lui faut du sec. Ce n’est pas une plante d’eau, mais simplement une amatrice de fraîcheur et d’humidité printanière. L’installer dans un sol acide, près d’un point d’eau, ne pose pas de problème. On dit que c’est une plante qui n’a pas une grande longévité, mais on dit aussi qu’elle se reproduit facilement par graines. Alors, si vous voulez que votre mare ou votre bassin prenne une apparence un peu singulière, donnez-lui pour voisins quelques iris « de soie », ajoutez aussi, dans l’eau, des iris versicolores, et vous serez fiers de montrer à vos visiteurs un jardin d’eau original.

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