28.3.08







BONS BAISERS DE BRATISLAVA
Regard sur les iris de Slovaquie


Bratislava, capitale de la Slovaquie, est une ville qui a un passé compliqué. Située au centre de l’ancien empire austro-hongrois, elle a porté trois noms différents au cours de l’époque moderne. Pour l’Autriche, elle s’appelle Presburg, et un traité fameux y fut signé au XVeme siècle, mais pour la Hongrie, dont elle a fait partie jusqu’en 1918, c’est Poszony, alors que son nom actuel est celui que lui donnent les Slovaques. Cette triple appartenance en fait une des villes au destin les plus complexes d’Europe et on peut peut-être retrouver ces multiples influences dans les nombreux iris qu’on y cultive et hybride aujourd’hui.

Pour pratiquer l’hybridation d’iris de l’autre côté du Rideau de Fer, entre 1960 et 1990, il fallait beaucoup d’humilité et beaucoup d’enthousiasme. Il n’était pas facile de se procurer les variétés américaines de l’époque. Aussi travaillait-on à partir de variétés anciennes, acquises par la débrouille et le commerce parallèle. La démarche était par ailleurs intuitive et sentimentale : pas de programme précis, pas d’autre but que celui d’obtenir de nouveaux iris, les plus beaux possibles, tout simplement. A cette époque, nombreux étaient ceux qui s’intéressaient aux iris hybrides dans ce qui constituait la Tchécoslovaquie. Entre tous ces amateurs régnait une vive amitié : aucun objectif commercial ne dressait entre eux les barrières de la concurrence, et s’il y avait compétition, elle s’entendait dans le sens de l’émulation et pas dans celui de l’antagonisme.

A Bratislava, Ladislaw Muska, au début des années 60 s’est lancé dans l’hybridation des iris. A la même époque, dans la Bohême voisine, il y avait beaucoup d’autres personnes qui s’intéressaient aux iris. Pour ne citer que les principaux, parlons de Jiri Adamovic, Milan Blazek, Leonard Rysnar ou Vojtech Smid. En Slovaquie, Muska n’était pas seul puisque ses compatriotes Kovarik et Stilhammer avaient eux aussi entrepris de produire de nouvelles variétés. C’est à croire que l’enthousiasme remplaçait les iris puisque le potentiel génétique à la disposition de tous ces amateurs était des plus réduit. D’ailleurs, avec presque rien, ils obtenaient des variétés nouvelles intéressantes. ‘Libon’ (Smid 80) issu de ‘Crinkled Gem’ X ‘Amigo’s Guitar’ est venu, en 1985, tailler des croupières aux variétés américaines et remporter le Florin d’Or du Concours de Florence !

La disparition des obstacles consécutive à l’ouverture vers l’Ouest des pays d’Europe Centrale a offert à tous ces fanatiques des perspectives nouvelles dont ils ont immédiatement usé en se procurant des centaines de nouvelles variétés américaines, australiennes et françaises. La seule barrière que les hybrideurs pouvaient rencontrer étaient celle de l’argent (il faut payer en dollar les variétés importées), mais pour des gens habitués au système D, elle pouvait être surmontée. Ce fut dès lors un plaisir que de travailler avec de grands iris comme ‘Bodacious’, Dusky Challenger’, Edith Wolford’, Everything Plus’, Jesse’s Song’, ‘Silverado’ ou ‘Titan’s Glory’. Et les résultats sont venus, tout naturellement car les utilisateurs avaient acquis un professionnalisme qui leur permettait d’effectuer des croisements dont ils anticipaient fort bien les réussites.

Mais au moment où les moyens matériels arrivaient enfin, le nombre des hybrideurs slovaques s’est mis à diminuer : l’âge et la lassitude, peut-être… Aujourd’hui ils ne sont plus que deux. Ladislaw Muska, déjà cité, et Anton Mego.

Muska a connu toutes les étapes de l’évolution de l’hybridation dans son pays, depuis sa période ‘Babbling Brook’, jusqu’à son présent constitué d’une profusion d’iris plicatas ou « space age ». C’est essentiellement de ce côté qu’il penche désormais et ses dernières obtentions dans ce domaine sont tout à fait intéressantes. ‘Bonvivan’ (2008) ou ‘Push out Horns’ (2008) sont des exemples de ce qu’il propose aujourd’hui.

Anton Mego est un homme de la génération suivante. Il n’a pas travaillé dans les conditions héroïques des années 80. Mais il a très vite, peut-être même instinctivement, acquis cette autorité qui lui fait tout de suite distinguer les bons parents, réaliser les bons croisements et sélectionner les bons semis. Chacune des réalisations qu’il propose est une réussite. Et cet artiste a tout de suite été repéré par les grands producteurs américains qui mettent à leur catalogue les nouveautés « made in Bratislava ». ‘Slovak Sapphire’ (2004) a obtenu le deuxième prix à Florence en 2003. ‘Slovak Prince’ (2002) s’est même payé le luxe de s’imposer dans le très rigoureux cercle des iris décorés aux USA d’un Award of Merit (2007).

La Slovaquie, tout petit état d’Europe Centrale, se trouve parmi les grandes nations de l’iridophilie. Il suffit de peu de chose, et surtout d’un peu de génie, pour se hisser au niveau des plus grands.

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