22.3.08

LETTRES D'IRIS (pastiches littéraires)

A la manière de Muriel Barbery(1)

- Extrait du journal intime de Paloma Josse -

Aujourd’hui il m’est arrivé quelque chose d’étonnant : je me suis fait un nouvel ami. J’ai eu beau protester et expliquer à Maman que je ne m’intéressais pas aux plantes (ce qui est faux, bien entendu, mais qui était l’excuse minable que j’avais trouvée pour justifier mon souhait de ne pas l’accompagner à la fête de plantes où elle avait décidé de me traîner, sous le prétexte de me faire prendre l’air), elle a pris une mine de chien battu pour me dire : « Ma pauvre chérie tu as tout l’air d’une endive, tu ne sors pas assez, ce n’est pas bon pour ta santé ! » Elle me regarde toujours comme si ma vie était en danger parce que je me sens mieux dans ma chambre que dans les manifestations mondaines. Consciente de l’inanité de mon argumentation, et prise d’une clémence à son égard qui m’est bien peu coutumière, j’ai fini par céder aux arguments de ma mère, et enfiler ma parka pour l’accompagner à Herson.

Herson, c’est un bled dans la banlieue sud-ouest, loin, un bled qui n’a pas d’autre intérêt que son château, son parc, et la fête des plantes qui s’y déroule deux fois l’an. On y arrive après une heure de voiture, dans les conditions éprouvantes que Maman inflige à ses passagers, car elle conduit comme si elle était entourée de requins bien décidés à lui faire la peau. D’ordinaire, elle parle du bout des lèvres, dans une langue châtiée propre aux personnes éduquées dans les meilleures institutions religieuses, au volant, elle emploie les termes les plus vulgaires qui soit, injuriant les autres automobilistes qui ont l’audace de se trouver sur sa trajectoire. Cela nous vaut des coups de frein brusques, des virages à faire crisser les pneus, ou des accélérations qui nous plaquent contre le dossier de notre siège.

Il a plu hier toute la journée et le sol est encore gorgé d’eau. De sorte que dans le parc de Herson, on patauge allègrement. J’ai regretté de n’avoir pas enfilé mes après-ski. On a commencé à se traîner devant les stands des gens qui sont là pour vendre aux parisiens les plantes qu’ils vont transporter précieusement vers leurs résidences secondaires de Normandie ou de Bourgogne, et qui périront de soif entre deux week-ends.

Maman, dans un très seyant manteau de drap bleu roi, un peu voyant peut-être, mais il ne faut surtout pas passer inaperçu dans ces rendez-vous de la bonne société, marche lentement, plus attentive au regard des autres qu’aux végétaux qu’elle est sensée être venue voir. J’ai très vite regretté mon moment de faiblesse de l’après déjeuner. J’avais mis à mon programme de ce dimanche les nouvelles de Philippe Jaworski, un jeune écrivain de fantasy que m’a recommandé mon amie Jeanne-Marie. Au long des allées boueuses où nous déambulions mollement, je m’apitoyais sur les délices de lecture dont je m’étais privée. Mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis mise à examiner dans le détail le comportement des gens qui nous entouraient. Les habitants des beaux quartiers parisiens étaient tous là, caricatures de leur milieu et de l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes. J’imaginais le métier de chacun : celui-ci était forcément un médecin hospitalier, je le voyais très bien en blouse blanche, circulant de chambre en chambre ; celle-là devait avoir choisi la noble destinée de femme au foyer, à la voir, encombrée de trois lardons entre deux et huit ans, elle avait pris son rôle au sérieux et décidé de repeupler le XVIIeme, avec la bénédiction de son curé ; quant à ces deux-là, amoureusement serrés l’un contre l’autre, pour oublier un peu l’ennui de leur travail à La Défense, ils ont sûrement l’intention d’acheter un pavillon du côté de Cergy-Pontoise, dans un quartier neuf et encore préservé.

Soudain, Maman s’arrête. Elle vient de voir, derrière le comptoir du stand d’une association d’amis de végétaux, sa vieille amie de lycée Marie-Martine Rougé-Lefront. Elles s’embrassent comme si elles étaient contentes de se retrouver et entament aussitôt un papotage volubile auquel j’assiste dans la plus grande indifférence. C’est fou ce que deux copines de trente ans ont à se raconter après toutes ces années sans avoir eu besoin de se rencontrer. Tout y passe : les banalités sur la famille, les enfants, les maris, les souvenirs d’aventures infimes, les perfidies sur les condisciples et les considérations sur les difficultés de la vie moderne. Cela a l’air des plus amusant, mais je m’ennuie de plus en plus ferme. C’est alors que je découvre, sur le stand d’à côté, des petites fleurs en pot, dont j’ignore tout, mais qui me paraissent d’un naturel et d’une fraîcheur réjouissants. Laissant là les deux commères, je m’approche du fleuriste voisin. Voici une petite plante à pétales violet foncé, élancée, délicate. Je me penche vers l’étiquette : « iris chrysographes ». Un iris, ça ? Un autre pot exhibe une autre plante assez semblable, avec des feuilles fines et souples qui retombent gracieusement : « Iris versicolor ». Un iris, encore ? Juste à côté un autre pot contient une autre espèce, qui doit être aussi un iris car elle ressemble à la précédente sinon qu’au lieu d’un beau bleu tendre, elle porte des fleurs aux longs pétales étroits de couleur carmin : « Iris versicolor var. kermisina ». Je n’imaginais pas les iris comme cela. Pour moi ce sont les grosses fleurs que j’ai vues l’année dernière à l’abbaye de St Michel de Cuxa et qui se trouvent aussi sur ce stand, avec plein d’autres. Un homme d’un certain âge, l’air à la fois rustique et distingué, s’approche de moi. Il me parle. C’est surprenant : il ne me parle pas comme à une petite fille de douze ans mais comme à quelqu’un à qui l’on peut expliquer les choses sans bêtifier. Il remarque mon étonnement et m’explique qu’il y a beaucoup de sortes d’iris et que j’ai sous les yeux quelques exemples de cette diversité. Il me raconte que l’iris versicolor a été adopté comme plante nationale par le Québec, il fait la différence entre le type lui-même et la variété kermisina aux fleurs grenat. J’écoute, ravie. Ce monsieur est un grand pédagogue, il réussit à m’intéresser à quelque chose à quoi jamais je n’aurais imaginé porter quelque attention. Plus il m’en dit de sa voix calme et harmonieuse, plus j’ai envie d’en savoir plus.

Quand Maman m’a rejointe, elle a été à la fois fâchée parce que je ne suis pas restée avec elle pendant qu’elle faisait la causette avec son ancienne camarade de l’Institution Ste Agnès, et satisfaite de me voir m’intéresser à quelque chose de concret comme l’est une fleur. Elle a échangé quelques propos mondains avec le monsieur aux iris et c’est comme cela que j’ai appris qu’il se rendrait samedi et dimanche prochain à St Jouin des Bournais pour une autre foire aux plantes. En revenant vers Paris, toujours aussi nerveuse au volant, Maman a quand même réussi a me dire combien elle était satisfaite de m’avoir amenée à Herson, et elle m’a même proposé de me conduire dimanche prochain à St Jouin des Bournais. J’ai failli dire oui tout de suite, mais je me suis ravisée à temps. Certes je désire vivement aller à St Jouin, mais je demanderai plutôt à ma tante Hélène de m’y emmener. Elle, au moins, elle me laissera écouter mon nouvel ami.

(1)Muriel Barbery est notamment l’auteur de « L’élégance du hérisson » qui a servi de base à cette parodie.

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