27.6.08




IV. A la manière de la presse magazine (1)

Le retour de l’Europe

« C’est quelque chose de jamais vu ! » s’exclame Jean Gérard, celui qui, en France, enregistre tous les nouveaux iris obtenus par les hybrideurs. « Il n’y a jamais eu autant d’enregistrements en une même année : cinquante et un ! Et des plantes qui sortent de l’ordinaire ! » Gerda Kanthe, est chargée des enregistrements en Allemagne. Elle tient à peu près le même discours : « Ce qui me frappe, dit-elle, c’est que les hybrideurs qui osent enregistrer leurs iris sont de plus en plus nombreux. Jusqu’à la fin des années 90 seuls quelques hybrideurs chevronnés jouaient le jeu ; les autres n’osaient pas proposer leurs iris à l’enregistrement. » Quant à Zdenek Kusek, l’enregistreur Tchèque, il se réjouit de constater que les pays d’Europe Centrale disposent aujourd’hui d’obtenteurs dont la renommée dépasse les limites de la vieille Europe : « Un homme comme Anton Mego, explique-t-il, a obtenu une récompense majeure aux Etats-Unis, ce qui n’était jamais arrivé à un Européen. »

L’Europe serait donc en train de faire son retour sur le devant de la scène mondiale des iris. Une place qui fut la sienne au cours des années 1920 et 1930, grâce à des obtenteurs aussi fameux que Ferdinand Cayeux, en France, Goos et Koenemann en Allemagne, Amos Perry en Grande-Bretagne. Mais la guerre 39/45 et ses conséquences ruinèrent le travail des obtenteurs européens. Ils furent immédiatement supplantés par les américains qui, déjà très impliqués dans l’hybridation, saisirent l’occasion pour imposer au monde entier leurs excellents produits. Violetta Ravelli, qui règne, à Florence, sur le plus important concours d’iris du monde, le Concorso Firenze, a ressenti cette mainmise américaine : « Le concours a débuté en 1957, remarque-t-elle, mais la première victoire européenne n’est intervenue qu’en 1973, la seconde en 85 et la suivante en 99 ! Les deux dernières années, ce sont des iris européens qui ont triomphé : un italien ’Recondita Armonia’ en 2006, puis un français, ‘Aurélie’ en 2007. J’espère que cela va continuer ! »

Les hybrideurs américains continuent de dominer le monde des iris ; ils disposent de très grands professionnels, comme Keith Keppel, Paul Black ou George Sutton, et leur puissance commerciale est énorme : la firme Schreiner, et sa rivale Cooley’s Gardens, sont des entreprises industrielles qu’aucun producteur européen n’est prêt d’égaler. Mais en Europe, ce n’est pas la taille des pépinières qui fait leur succès, mais le génie de leurs propriétaires. A défaut de surface ou de marché, on a des idées, et de l’audace. Que ce soit en France, en Allemagne, en Italie ou en Europe Centrale, les hybrideurs sont le plus souvent des amateurs très éclairés qui savent effectuer les croisements les plus gratifiants et les sélections les plus fines. Mauro Bertuzzi, l’obtenteur de ‘Recondita Armonia’, Florin d’Or 2006, est quelqu’un d’important dans le monde agricole milanais, mais les iris ne sont pour lui qu’un loisir, et si Richard Cayeux est, en France, un véritable professionnels, Bernard Laporte, lui, est un retraité de la Poste. Le plus souvent, les jardins où poussent les iris européens sont minuscules. La réussite des obtenteurs n’en est que plus méritoire car plus on sème de graines, plus on a de chance d’obtenir l’oiseau rare ; réussir un bel iris quand on n’a réalisé que quelques semis est une gageure que seuls les Européens savent relever. Parce que les Australiens, les autres champions des iris, disposent de plantations pratiquement aussi étendues que celles des Américains.

Cependant quand on parle des iris européens, il ne faudrait pas négliger ceux qui sont obtenus en Russie et en Ukraine. Par là aussi on se passionne pour les iris et un hybrideur comme Aleksandr Trotsky, du côté de la mer Noire, à Nikolajev, propose des iris qui font rêver. Quant aux hybrideurs russes, ils ont une production monumentale et qui semble devenue de qualité ; un jour elle pourra envahir le marché quand les lourdeurs administratives issues de l’ancienne URSS auront été levées et les exportation rendues possibles.

Pour ne s’en tenir qu’au nombre de variétés enregistrées, en 2007 l’Europe a inscrit 355 variétés nouvelles, contre 577 pour les Etats-Unis. Elle a déjà, en ce domaine, conquis une seconde place qui la situe a un niveau qui correspond à son rang dans le monde. Comme dit Violetta Ravelli, « il ne lui reste plus qu’à s’imposer dans les compétitions américaines pour retrouver l’autorité que la seconde guerre mondiale lui a fait perdre », mais ce sera difficile parce qu’au plan de la diffusion de ses produits outre Atlantique, l’Europe peine à trouver des distributeurs. La réussite d’Anton Mego, l’obtenteur de Bratislava dont le ‘Slovak Prince’ a pu décrocher un Award of Merit, aura du mal à se renouveler.

(1) Les noms des personnes supposées être citées dans cette parodie ont été modifiés.

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