14.11.08
















LE DEUXIÈME PROCÉDÉ

Dans le dialogue « Phèdre » Platon fait dire à Socrate qu’il existe deux procédés pour composer des beaux discours. Ces procédés sont la division et le rassemblement. Dans le premier les arguments du discours sont pris un à un, développés et explicités. Dans le second, au contraire, ils sont réunis pour obtenir la cohérence et emporter la conviction des auditeurs ou des lecteurs. J’ai trouvé qu’on pouvait établir un parallèle entre ces deux procédés et ce qui se passe en matière d’hybridation, en particulier celle des iris.

Chez les hybrideurs, les deux procédés cher à Socrate pourraient être, à l’instar de ce que celui-ci appelle la division, l’exogamie (ou outcrossing), et pour ce qui est du rassemblement, l’endogamie (ou inbreeding). A propos de l’exogamie, voici ce qu’écrit Richard Cayeux : « Son but est d’obtenir plus vite quelque chose d’inédit ou des améliorations dans le branchement, le nombre de boutons, la substance… Il s’agit donc de croiser des iris aux origines bien différentes mais répondant aux critères de sélection précédemment définis. » L’hybrideur a une idée, mais en divisant les sources, il va à l’aveuglette : les résultats sont aléatoires, même si les grands hybrideurs férus de génétique parviennent à limiter les risques de dispersion. Le deuxième procédé, celui qui va nous intéresser aujourd’hui, va rassembler, comme écrit Richard Cayeux : « (des) semis frères, éventuellement génération après génération, pour éradiquer certains défauts et réunir ou accentuer leurs qualités. »

L’endogamie, ou plus exactement l’inbreeding, peut aller jusqu’à croiser non pas des frères de semis, mais des variétés simplement apparentées, qui présentent des caractéristiques génétiques voisines mais des qualités différentes qui peuvent se trouver améliorées en les réunissant dans un même semis. Ce procédé exige de la patience parce que les progrès sont lents et qu’il faut le plus souvent aligner les années et les croisements pour arriver à ses fins. C’est un procédé de rassemblement, qui accumule les petits progrès pour aller, chaque fois un peu plus loin dans cette recherche du Graal qui est la fleur parfaite dans son domaine. Il y faut de la ténacité et de la persévérance. Ce sont des qualités dont David Hall, le père des iris roses à barbes mandarine, a fait montre tout au cours de sa vie. Ses premiers semis en vue d’obtenir du rose furent particulièrement décevants. A l’époque il pratiquait aussi l’élevage des chevaux et il s’était rendu compte qu’en cette matière les résultats tangibles n’apparaissaient guère avant la troisième génération. C’est pourquoi il en a déduit que les lois génétiques applicables aux animaux devaient valoir aussi pour les plantes. Il a donc repris son travail sur les iris à zéro et ses premiers résultats appréciables sont apparus en 1927. Il a poursuivi ses travaux d’amélioration de générations en générations. C’est seulement en 1942, après 17 ans de persévérance et d’acharnement, que sont apparus les premiers iris valables en rose à barbe orange, et l’amélioration a continué : d’ ‘Overture’ (42) à Fashion Fling’ (65) ce sont 23 années de progrès.

On fera la même remarque avec le travail de Joë Gatty. Ce dernier a longuement hybridé les iris roses ; et avec une économie de moyens remarquable. Pour tout l’éventail de ses incomparables variétés il n’a utilisé qu’un nombre restreint de cultivars, parmi lesquels, ‘Liz’ (72), ‘Princess’ (72), frère de semis du précédent, ‘Playgirl’ (77), ‘Bonbon’ (77), et ‘Paradise’ (80). Tous sont proches parents, tous ont été croisés entre eux, jusqu’à obtenir le fameux ‘Coming Up Roses’ (92), qui provient du croisement (Playgirl x Bonbon) X Pink Swan.

De nos jours, on peut aussi regarder ce qu’a fait Joë Ghio avec les iris « rouges » (il en a été question ici il y a peu de temps). Dans ce cas les moyens ont été plus importants et l’opération s’est étalée dans le temps : combien d’années se sont écoulées entre ‘Lady Friend’ et ‘Cover Page’ ? Vingt ans ! Et l’aventure n’est sans doute pas finie. Ghio est un habitué de ces recherches au long cours.

Si Division et Rassemblement, sont deux manières de tourner un discours, il y a à l’évidence une analogie avec les processus d’hybridation. Dans les deux cas on est en présence de façons de s’exprimer et d’obtenir le meilleur.

Aucun commentaire: