19.12.08




PIERRE ANFOSSO : L’AIGLE À DEUX TÊTES

Créer de nouveaux iris – ou tout simplement créer de nouvelles plantes – a toujours eu un côté artistique. Au début, même, c’est à dire dans les années 1820/1880, la sélection de nouvelles variétés ne relevait que du sens artistique du sélectionneur puisque alors on laissait aux insectes le soin de pratiquer les croisements. Mais peu à peu, à cette aspiration au beau s’est ajoutée la volonté de maîtriser toute la chaîne, et l’homme s’est attribué le rôle de l’insecte et a pratiqué la pollinisation artificielle. Une nouvelle exigence est alors apparue, celle de la génétique, nécessaire dès lors qu’on veut limiter au maximum le rôle du hasard et ne réaliser que des croisements propres à donner naissance à des semis conformes aux buts affichés par l’hybrideur.

Ce sont apparemment des exigences très éloignées l’une de l’autre. L’artiste n’est pas forcément un scientifique, et le scientifique n’est pas forcément un artiste.

Mais chez Pierre Anfosso les deux exigences se sont trouvées réunies, de sorte qu’il a réussi à être un artiste peintre estimé et un obtenteur d’iris reconnu. On peut même ajouter à ces compétences celle d’un chef d’entreprise avisé. Cela fait de Pierre Anfosso un spécimen exceptionnel dans le monde des iris car je ne sais pas s’il existe ou a existé d’autres hybrideurs que Pierre Anfosso pour avoir connu la réussite à la fois dans les arts plastiques et la création d’iris.

L’artiste

Avant de devenir l’un des obtenteurs les plus talentueux de la fin du XXeme siècle, Pierre Anfosso a été un artiste peintre qui a connu une célébrité certaine.

Né le 1er Décembre 1928 à la Crau (Var), il s’est tout d’abord destiné à une vie de peintre et a fait ses études aux Beaux-Arts de Toulon, où il fut l’ élève de Baboulène(1) et Pertus (2). Le critique d’art Jean-Marc Campagne, spécialiste des fauves et des cubistes, disait de lui :
« Anfosso, animé par l’idée de sensation, à l’exemple de Vuillard, Bonnard ou du délicieux Pougny, qu’il admire, a rejeté, comme eux, l’aspect, disons « touristique » du motif au profit de ce que Braque appelle le fait pictural. Donc, une toile d’Anfosso est une manière de galaxie, un groupement d’étoiles, qui « chahute », au premier regard, dans une lumière vibrante de tons clairs. Puis, lorsque l’œil s’est accoutumé à ce mouvement, à ce ballet de figures et de couleurs, chacune de celles-ci se recompose. C’est l’esprit qui s’attache à l’unité parfaite d’un ensemble devenu évident, mieux que vrai, nécessaire. »
Et un autre analyste a ajouté :
« Le style Anfosso, proche de celui d’un Nicolas de Staël, est caractérisé par des aplats épais se chevauchant, comme sur une palette. Ses ports, ses plages ou ses nuages, brouillons à première vue, demandent un peu de recul. A chacun de trouver « sa » bonne distance pour mieux apprécier l’équilibre de l’ensemble. Un ou deux pas en arrière suffisent parfois pour passer de l’abstrait au figuratif et vice versa, dans un glissement délicat de lumières et de couleurs. »

Ces qualités, mélange de figuratif et d’abstrait sans exagération, mais surtout ce goût très sûr dans le choix des sujets et des couleurs, se rencontreront également dans ce qui fut la second vie de Pierre Anfosso, celle d’un créateur d’iris.

L’hybrideur

Dès le début des années 60, Pierre et sa femme Monique se sont intéressés aux iris. A l’époque le monde français de cette fleur était bien petit. Détruit par la guerre, il se reconstruisait lentement, avec pour rouage essentiel l’entreprise familiale Cayeux, reprise par Jean Cayeux, lequel fut longtemps le seul en France à créer des iris. Pierre Anfosso a voulu relever le défi de devenir un nouveau créateur français. Pour cela il s’est abondamment documenté sur le sujet, et s’est procuré de nombreux hybrides américains récents. Il a pris contact avec les grands hybrideurs américains (Keith Keppel, Joe Ghio, Ben Hager …) et suivant leurs conseils, s’est lancé dans l’aventure de l’hybridation vers le début des années 70, bientôt suivi par le reste de la famille : Monique, son épouse, Pierre-Christian et Laure, ses enfants. Les hémérocalles ont également attiré son intérêt et, dans des conditions analogues, il a entrepris d’en créer de nouvelles. Peut-être même ces lis d’un jour ont-ils peu à peu envahi son imaginaire au point d’y supplanter les iris…

La famille Anfosso s’est très vite dit que l’obtention de nouvelles variétés n’avait de sens qu’à la condition que celles-ci soient commercialisées. C’est pourquoi Pierre er son épouse ont transformé leur passion en une pépinière, IRIS EN PROVENCE, qui a proposé son premier catalogue spécialisé en Iris en 1975. Après ‘Lorenzaccio de Medicis’ de Pierre-Christian, qui fut, en 1978, la première obtention familiale mise sur le marché, la famille Anfosso nous a gâtés de ses superbes obtentions d’iris de toutes sortes. 102 variétés au total : une majorité de grands iris, mais aussi plusieurs iris de bordure, plusieurs iris nains standards, des spurias, quelques arils, mais surtout, peut-être, des iris de Louisiane, dont il n’y a pas d’autres exemples en France. De la patte de Pierre nous pouvons aujourd’hui apprécier ‘Maldoror’ (80), bleu marine uni, ou ‘Sonate d’O’ (80), en brun, mais aussi ‘Belle Embellie’ (81), sorte d’amoena jaune pâle inversé, et ‘Nuit Blanche’ (80), blanc pur, doucement ondulé. Puis vinrent ‘Calamité’ ( 82) qui fut le premier iris très foncé d’une série qui comportera plusieurs belles réussites comme ‘Bar de Nuit (86) et les deux « sib » noirs ‘Nuit de Chine’ (93) et ‘Nuit Fauve’ (94). Mais la variété qui a assis mondialement la renommée de Pierre Anfosso fut ‘Echo de France’ (84) qui a été dès son apparition largement utilisé en hybridation, en particulier aux Etats-Unis (Fred Kerr, George Sutton…). Il figure toujours dans plusieurs catalogues américains, ce qui en dit long sur son succès auprès des amateurs.

Après les grands iris, Pierre Anfosso s’est tourné vers les Iris de Louisiane, ces pures merveilles que seul le climat de Provence permet de cultiver sans peine dans notre pays. ‘Tequila’ (88), mauve avec un signal doré, a été le premier d’une courte série. Cependant l’esprit de notre créateur était ailleurs, les hémérocalles l’avaient accaparé. Les variétés d’iris postérieures n’atteindront pas la perfection de celles qui ont été citées, et d’ailleurs leurs obtenteurs ne se donneront même pas la peine de les enregistrer.

Quoi qu’il en soit Pierre Anfosso restera, dans l’esprit des amateurs français d’iris, le premier maître d’un renouveau qui connaîtra par la suite de belles réussites, et sa disparition, en 2004, sera à la fois la fin d’une ère et le début d’une autre.

(1) Eugène Baboulène, peintre toulonnais, 1905/1994.
(2) Henri Pertus, chef de file de l’école toulonnaise, 1908/1988.

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