28.12.08











PROGRÈS OU TRADITION

Il y a quelques semaines, après la publication d’une chronique sur les iris rouges de Joë Ghio, j’ai recueilli le commentaire suivant :
« Personnellement, je bannis les obtentions de Ghio de mon jardin : autant jeter de l'argent par les fenêtres, je crois qu'aucune n'a survécu. Problème de consanguinité ou de faible rusticité, je ne sais pas. Pour moi, la maison Schreiner s'apparente plus à un grand maître des iris que Ghio... »
Cette opinion m’a amené à réfléchir sur les différentes orientations que l’on rencontre chez les grands hybrideurs. Certains choisissent d’expérimenter de nouveaux croisements ; d’autres privilégient la recherche de nouvelles combinaisons, d’associations originales ; d’autres enfin produisent des plantes impeccables propres à satisfaire le plus grand nombre. Progrès ou tradition : faut-il choisir ?

A examiner la production des hybrideurs américains actuels, on constate que les tenants du progrès sont les plus nombreux. Depuis les anciens comme Keith Keppel ou Joseph Ghio, via les gens d’âge mûr, comme Paul Black, Tom Johnson ou Richard Tasco, jusqu’aux « jeunes pousses » comme Michaël Sutton ou Vincent Christopherson, il y a des obtenteurs qui proposent des plantes qui apportent quelque chose au domaines des iris. Il y a aussi des entreprises qui visent une clientèle abondante et exigeante, avide de variétés nouvelles, mais qui recherchent des iris sans problèmes : la maison Schreiner fait actuellement partie de celles-là.

La remarque du commentateur ci-dessus n’est pas dénuée de fondement. Il est exact que les iris de Joë Ghio sont fragiles, capricieux, d’une rusticité limitée. On peut dire à peu près la même chose de ceux de Keith Keppel dont je lis souvent dans les forums américains qu’ils poussent mal ou peinent à s’installer (Richard Cayeux a tenu un discours de ce genre, l’an dernier, devant un aréopage d’amateurs à propos de ‘Sea Power’, par exemple). Les croisements consanguins, les mariages aventureux, peuvent avoir pour conséquence des produits difficiles à cultiver. Dans toutes les espèces ce problème se pose, il n’est pas propre aux iris. On peut avoir en effet beaucoup de regrets d’avoir mis dans l’achat d’une variété splendide une somme plutôt importante, pour constater qu’elle végète ou même disparaît sans avoir daigné fleurir une seule fois. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et renoncer aux produits d’untel ou d’untel pour cause d’expérience décevante ? Connaissant les défauts de ces variétés exceptionnelles, peut-être faut-il se montrer plus mesuré dans son raisonnement comme dans son expérience personnelle. Par exemple en n’essayant pas d’acclimater sous le ciel des Vosges des iris qui arrivent tout droit de Californie, en se contentant d’acquérir ceux qui ont survécu chez un producteur professionnel et qui s’y sont finalement adaptés. Il y a de précautions à prendre et des aventures à ne pas tenter.

Les iris Schreiner (particulièrement ceux qui sont proposés ces temps-ci), sont impeccables : plantes saines, solides, faciles ; fleurs superbes, remarquablement formées et disposées ; rhizomes flatteurs lors de la réception. Ce sont des produits de tout repos, qui ne décevront personne, sauf les amateurs de véritable nouveauté. Car il fut un temps où Schreiner dominait le monde des iris. Pendant vingt ans, de 1984 à 2003, les iris Schreiner remportaient régulièrement les compétitions internationales, ne laissant guère de place aux produits des autres obtenteurs : ‘Victoria Falls’ (84), Titan’s Glory (88), ‘Dusky Challenger’ (92), ‘Silverado’ (94), ‘Honky Tonk Blues (95), ‘Hello Darkness’ (99), ‘Yaquina Blue’ (2001) et ‘Celebration Song’ (2003) ont enlevé la Médaille de Dykes. De 82 à 2000, six fois le Florin d’or a couronné un iris Schreiner : ‘Gold Galore’ (82), ‘Titan’s Glory’ (84), ‘Dusky Challenger’ (89), ‘Celebration Song’ (96), ‘Champagne Waltz’ (97) et ‘Diabolique’ (2000). Mais que c’est-il passé depuis cette période de suprématie ? La seule variété à s’être distingué est ‘World Premier’, mais sans jamais parvenir au sommet. A mon avis les iris actuels de Schreiner restent dans le traditionnel et sombrent même dans le routinier. Ils sont toujours aussi beaux, mais ils n’innovent pas et les juges préfèrent des variétés moins classiques. Celles qui apportent du nouveau recueillent maintenant les suffrages. Schreiner vend des milliers d’iris, mais n’est plus cité dans les palmarès.

Dans ces conditions, placer Schreiner au pinacle me semble aussi excessif que rejeter Ghio. Cela dit, il faudrait bien, tout de même que chacun redresse le tir. Les progressistes devraient bien songer à rendre leurs nouvelles variétés plus robustes, et les classicistes auraient intérêt à sélectionner des semis plus innovants. C’est à ces conditions qu’on réconciliera les anciens et les modernes, et que les amateurs retrouveront leur compte.

Illustrations :
‘Golden Panther’(Tasco 2000)
‘Puccini’(Ghio 1998)
‘Starring’(Ghio 1999)
‘Sambuca Rosa’(Schreiner 2005)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Sylvain,
Je crois bien connaître l'auteur de cette remarque concernant les obtentions de J. Ghio. Très bien même ! Petite précision utile : les iris que je commande viennent tous de France, je n'ai jamais fait de commandes ailleurs que chez Cayeux, Iris en Provence, et Bourdillon. Et même si d'autres catalogues me plaisent, en Australie par exemple, je ne fais pas de commande, trop cher et trop compliqué pour moi. Le changement brutal de continent ne justifiait donc en rien ma remarque. D'autre part, rendons à César ce qui lui appartient, et laissons la Haute-Saône en Franche-comté, le nord du département fut-il au pied des Vosges. Ceci étant, je suis ravi de l'article que vous avez tiré de ma remarque, fort intéressant. Je croyais que la couleur n'avait finalement que peu d'importance dans le jugement d'une nouvelle obtention, il semblerait que ce ne soit plus le cas. Pourquoi pas ? Mais, de surcroît en période de crise, je doute que beaucoup d'amateurs aient encore les moyens d'investir dans des variétés qui ne perdureront pas dans beaucoup de régions françaises.
Bonne fêtes de fin d'année à vous.
Bien cordialement,
Antoine Bettinelli.

Anonyme a dit…

Bonjour. . . . je pense qu’il faut faire la différence entre l’appréciation individuelle d’une plante et un jugement officiel, soit en situation de concours ou exhibition, avec des prix est des distinctions à la clé. Tandis que c’est effectivement la couleur d’une fleur qui nous attire le plus souvent au premier abord, une belle fleur---quelque soit son originalité---sur une plante faible n’a pas beaucoup d’intérêt comme « bonne plante de jardin ». En revanche, dans une situation de concours ou d’exhibition avec jugement officiel, la couleur de la fleur ne compte que pour 5 points sur 100, tandis que les critères de durabilité/qualités végétatives et celui du nombre de boutons/séquence de floraison compte pour 30 points (15 points chacun) ! Un bon juge est supposé regarder la plante qu’il évalue « en noir et blanc » et, s’il est honnête, il évitera de récompenser les plantes sans qualités végétatives*. Même si ces belles mais faibles nouveautés peuvent intéresser les hybrideurs pour leur éventuel potentiel génétique, à croiser avec des plantes de bonne qualité végétative, bien sûr, ils ne méritent pour autant pas tous des récompenses et distinctions en concours ! Pour les gens qui habitent une région avec un climat doux et qui ont le temps pour les bichonner et chouchouter, l’achat de ces plantes fragiles se défend, mais pour ceux qui habitent n’importe quel région avec un vrai hiver, c’est prendre le risque de les perdre après une ou deux saisons.

*Référence : Handbook for Judges and Show Officials 1998 Ed American Iris Society - ISBN # 1-892400-00-6. Cet ouvrage est la référence de tous les juges officiels, reconnus par l’AIS pour les compétitions internationales.