4.7.09











SOLITUDE DES NOMBRES PREMIERS

J’ai déjà dit que les hybrideurs, lorsqu’ils sélectionnaient un nouvel iris, étaient des créateurs d’éternité. Leur création peut en effet exister jusqu’à la fin des temps pour peu que la chance de survivre sourie à la nouvelle plante. Mais on peut aussi faire une autre comparaison concernant les iris. Ils sont et resteront uniques. La définition des nombres premiers leur est intégralement applicable : ils ne sont divisibles que par un ou par eux-même.

Lorsqu’une nouvelle variété apparaît, elle peut avoir les mêmes parents que de nombreuses autres, qui sont ses sœurs de semis ou celles issues d’un croisement identique, mais elle ne sera semblable à aucune autre et ne seront semblables à elles que les rejetons de sa multiplication végétative. C’est un phénomène dont on ne doit pas minimiser l’importance et dont il est intéressant de mesurer les conséquences.

Prenons une nouvelle variété, ‘Kir’ (Ruaud 2001) pour ne parler que de quelque chose que je connais bien. C’est un croisement réalisé en 97 de mon vieil iris italien ‘Beghina’, gris, et du célèbre ‘Sky Hooks’. La photo de ‘Beghina’ donne une idée de ce qu’est cette plante, par ailleurs bien bâtie et vigoureuse. Son défaut majeur réside dans son aspect « oldtimer » avec ses tépales plats et d’une substance un peu molle. Il était à craindre d’ailleurs que cet aspect dépassé se retrouve dans ses descendants quelle que soit l’influence de son partenaire. C’est en vérité ce qui s’est produit avec les frères de semis de ‘Kir’, comme celui que j’ai baptisé ‘Fumée sans Feu’ (voir photo), qui ne mérite aucunement d’être sauvegardé autrement que pour son coloris gris-bleu assez remarquable. Les autres frères ont été éliminés sans état d’âme. L’apport de ‘Sky Hooks’ dans le croisement devait être sa présentation contemporaine, ses éperons bleutés et son coloris jaune un peu fumé, à l’origine du choix de cette variété pour obtenir un iris gris. Le résultat n’est pas parfait, notamment pour ce qui est de la couleur, car ‘Kir’ est plus couleur tilleul que gris, mais la plante est convenable, le nombre de boutons, la robustesse de l’ensemble aussi. Un iris tout à fait présentable qui a flatté mon ego et justifié son enregistrement. Le même semis m’avait également donné un petit iris très joli, un BB à l’évidence, par la taille de la plante comme celle des fleurs. J’étais content de cette seconde obtention : un iris blanc très frisé, lacinié même, avec des barbes moutarde originales prolongées d’éperons bleus. Mais ce bel enfant n’a pas vécu plus de deux ans : pour une raison inexpliquée il a brusquement dépéri avant de disparaître sans même que j’aie pu en prendre une photo présentable…

Chacun des produits du croisement ‘Beghina’ X Sky Hooks était, évidemment différent. La majorité des semis avait une teinte grisée, sale, brouillée, plus ou moins bleutée, plus ou moins jaunâtre. A part les trois dont je viens de parler il n’y avait rien de bien et même beaucoup d’horreurs. Mais chacun était unique.

D’où cette réflexion : chaque iris hybride est un iris « premier » ; il n’est semblable à aucun autre et, plus important encore, ne donnera naissance qu’à des cultivars différents de lui et différents entre eux.

L’hybridation présente plusieurs niveaux d’intérêt. La volupté pour l’hybrideur de créer quelque chose est peut-être le côté le plus enthousiasmant de la chose, mais il y en a d’autres. L’effet de surprise produit par l’éclosion de chaque fleur nouvelle provoque une poussée d’adrénaline qui amène certains obtenteurs à passer des heures, voire une nuit entière, à attendre le moment magique où les sépales, brusquement, s’écartent et s’étalent délivrant les pétales qui se déploient en quelques heures. La multiplicité des couleurs, enfin, laisse admiratif et ébaubi devant l’imagination de la nature et l’infinité des combinaisons qu’elle propose.

L’hybrideur dispose d’un pouvoir immense : il provoque l’apparition de phénomènes qui, non seulement deviendront irréversibles et éternels, mais qui, aussi, sans son intervention, ne se produiraient jamais et qui jamais ne se reproduiront exactement dans l’avenir. L’hybride est unique et il assumera à jamais la solitude des nombres premiers.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec vous, un iris comme un enfant est un être unique, il faut chercher ce qui plait d'abord à soi ( et à d'autres si on est professionnel) mais il faut je pense se garder des modes !
Jean Peyrard