3.12.10

LA MODIFICATION





Quand, à la faveur d’un échange de rhizomes, j’ai reçu ‘Beghina’ (Sgaravitti, circa 1949), je ne me doutais pas que je tomberais sous le charme de cette ancienne obtention italienne. Ce fut pourtant le cas. J’ai trouvé sa couleur étonnante et tellement originale. Aussi quand je me suis décidé à tenter des hybridations, est-ce vers cette variété-là que je me suis tourné en premier. Je savais que je risquais de n’obtenir que des fleurs « old fashion », sans intérêt, mais j’ai risqué le coup quand même. Je lui ai choisi pour partenaire un iris qui, par ses nombreux descendants souvent excellents, me laissait espérer, tout de même quelques sujets valables, ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980). La majorité des graines obtenues a germé, soit la première année (c’est à dire en 1997) soit la suivante. En 2000 j’ai découvert mes premières fleurs. Rien de sensationnel, bien entendu, sauf un petit iris pas bien haut mais avec des fleurs blanches agrémentées d’une barbe orange, délicieusement formées, toutes dentelées, joliment disposées le long de la tige. Moi qui prétends ne pas trop apprécier les iris de bordure, j’ai été obligé de reformer mes convictions ! Je lui ai aussitôt donné un nom : ‘Prétexte’, en rapport avec sa couleur immaculée évoquant la toge des jeunes patriciens romains. A mon grand regret, ce joli petit blanc n’a pas passé son premier hiver… A côté de lui, ses frères de semis se présentaient avec la forme dépassée de leur parent maternel ‘Beghina’. J’en ai cependant conservé deux, exclusivement en raison de leur couleur. L’un se présentait en jaune tilleul, nettement infus de vert moutarde. Parce que je n’aime pas les chiffres anonymes d’un numéro de semis, je lui ai donné un nom : ‘Tilleul-Menthe’. L’autre était exactement de la couleur que je recherchais, c’est à dire un vrai gris souris, avec cependant un peu de jaune aux épaules et un spot nettement mauve sous les barbes jaunes. A celui-là j’ai attribué le nom de ‘Fumée sans feu’. Le reste de la portée était sans aucun intérêt : bon pour le compost. Au printemps suivant quelques autres frères de semis ont fleuri. Dont un seul iris d’aspect moderne, avec une fleur de bonne taille, agréablement ondulée, d’un jaune tirant sur le chartreuse, s’éclaircissant vers le centre des sépales et devenant couleur parme sous les barbes elles-même d’un jaune moutarde en harmonie avec la couleur principale. Celui-là méritait absolument d’être conservé et enregistré. Ce fut ‘Kir’ (2001).

Encouragé par cette première expérience, j’ai alors tenté un autre croisement, toujours avec l’arrière-pensée d’obtenir des fleurs grises. Ce fut (Queen in Calico X Thornbird). Je n’avais pas eu la main heureuse car les cultivars issus de ce croisement n’ont strictement rien donné de présentable ! J’ai donc repris ma pince à épiler et j’ai tenté autre chose. Partant du principe que c’est en recroisant des iris proches qu’on s’achemine vers quelque chose de bien, j’ai croisé mon ‘Fumée sans Feu’ avec ‘Thornbird’. Et j’ai attendu… Attendu en vain, car encore une fois mes graines n’ont donné naissance qu’à des plantes d’une banalité désolante, n’ayant retenu que les traits démodés de leur « mère » et n’ayant à aucun moment tenu compte des gènes de leur « père ». Tout est donc parti une nouvelle fois sur le tas de compost. J’avais envie d’arrêter là mes minuscules expériences. Puis j’ai changé d’avis et j’ai entrepris de me diriger vers un amoena inversé, mais gris, de préférence, parce que cela n’existe pas encore. Le modèle amoena inversé est à la mode et je me suis laissé aller à suivre l’air du temps. J’ai appelé cela ma modification. En route donc pour un croisement (Kir X Iriade). Pourquoi ? Parce qu’’Iriade’ est un joli amoena inversé, qui pousse bien et qui est bien fertile.

Désabusé quant à mes talents d’hybrideur, je n’attendais rien de ma dernière tentative. D’autant moins que très peu de graines avaient germé et que les jeunes plantes n’en finissaient pas de montrer leurs premières fleurs. J’avais placé les quatre ou cinq semis dans un coin isolé, mais sec et très ensoleillé. Et ce printemps, surprise ! Une première tige florale s’est mise à monter. Cinq ou six boutons sont apparus, et un matin j’ai découvert un amoena inversé ! Oh ! Pas une merveille : pas plus de 75 cm de haut, des fleurs qui manquent un peu de consistance, très classiques de forme, légèrement ondulées et finement gaufrées, bien disposées le long de la tige, cependant, pas trop grosses, bien proportionnées… Le meilleur cependant, c’est le coloris : des pétales bleu tendre, plus sombre au cœur, des sépales blanc crayeux, veinés de bleu, avec très peu de jaune aux épaules, et de charmantes barbes jaune safran. Selon mon habitude je lui ai attribué un nom. Ce fut d’abord ‘Inversement’ puis, pour évoquer la teinte plus sombre du cœur de la fleur, c’est devenu ‘Zone d’Ombre’, Mais c’est toujours provisoire. En tout cas me voilà réconforté et bien décidé à améliorer le produit. Dès le printemps prochain je vais tenter un croisement endogamique auquel je réfléchis encore…

On recommande aux jeunes hybrideurs de s’atteler à une ligne de recherche et de s’y tenir. Mais j’ai souvent lu que des personnages reconnus dans le monde de l’hybridation avaient détourné leur attention vers un chemin apparu fortuitement parmi leurs semis. J’ai donc retourné ma veste (ou plutôt mon paletot, vu la confidentialité de mon entreprise !), et me voilà sur une nouvelle route. J’ai conscience que celle-ci est bien encombrée, que les plus grands s’y sont élancés, mais je continue : je me fais tout petit, sur la file de droite, sans forfanterie. Je sais que je pilote une voiture sans permis et que d’autres roulent en grosse cylindrée à côté de moi, mais je continue. Jusqu’où irai-je ? Sans doute pas bien loin, mais sait-on jamais ? Et c’est bien amusant ! La découverte d’une fleur inédite, dans le petit matin d’un jour de mai, est un moment délicieux. C’est pourquoi je conseille à tous les amateurs d’iris de se lancer dans l’hybridation artisanale. Avec les quelques conseils et observations que je note ici chaque semaine, ils devraient limiter les désillusions !

1 commentaire:

Jean-Luc a dit…

à mon niveau l'hybridation est en effet "artisanale" n'ayant pas comme beaucoup, une connaissance parfaite des lignées de tel ou tel iris . Au debut j'hybridais à tout va, maintenant je me suis fixé une "ligne" de conduite et grâce à la base de donnée de L'AIS,et aux conseils glanés ça et là sur les blogs ( dont irisenligne biensûr! ) j'affine un peu mes hybridations, je devais donc avoir à partir des floraisons du printemps 2011 un peu plus de succés , du moins je l'espère ...
Merci encore Sylvain pour tous les judicieux conseils .