20.1.11

DE SPLIT À FLORENCE




Il y a quelques semaines un correspondant m’a posé deux questions :

1) Iris pallida est-il une sous-espèce de Iris germanica ou alors est-il une espèce à lui tout seul ?

2) Peut-on dire que Iris pallida et Iris florentina sont les deux même plantes ?

La réflexion que j’ai été amené à faire pour donner une réponse à ces questions est à l’origine de la présente chronique.

Dans la classification de Rodionenko, celle qui est le plus souvent utilisée à l’heure actuelle, les plantes qui nous intéressent aujourd’hui sont rangées dans la Série des ELATAE, de la Section Iris, elle-même du Sous-genre IRIS qui fait partie, évidemment, du Genre IRIS. La Série des ELATAE comprend 27 espèces parmi lesquelles on trouve I. pallida. Mais les noms de germanica et de florentina n’y figurent pas. C’est pour la bonne raison que ces deux sortes de plantes, qui ont été longtemps considérées comme des espèces à part entière, sont maintenant ramenées au statut d’hybrides, c’est à dire de plantes issues de croisements interspécifiques. Elles ne sont pas les seules dans cette situation puisqu’on en trouve 6 autres. Il semble même que I. florentina ne soit qu’une variété de I. germanica.

Des trois noms cités dans les questions, seul, donc, celui de I. pallida correspond à une véritable espèce. Celle-ci ne peut être confondue avec aucune autre pour qui s’intéresse un peu à la botanique et spécialement aux iris. Les feuilles sont d’un vert plutôt tendre, un peu bleuté, les tiges florales sont longues et flexueuses, souvent se penchant vers le sol, les fleurs elles-même, pas bien grandes, sont d’un bleu lavande assez clair et leur forme est harmonieuse ; elles durent plusieurs jours avant de se faner et de disparaître très vite en raison de leur texture très légère. Les boutons floraux sont assez nombreux et bien disposés le long de la tige. Tout ceci en fait des plantes agréables et élégantes au jardin. Si l’on ajoute qu’elles ont un parfum inoubliable et prononcé, des plus délicieux, on voit qu’elles ne pouvaient avoir qu’un succès qui perdure.

A côté des pallidas classiques si largement répandus dans les jardins du monde occidental, existe une variété qui a un autre attrait. Il s’agit de I. pallida var. dalmatica. Comme son nom le laisse supposer, il s’agit d’une variété dont le foyer original pourrait se situer en Dalmatie. Il ne faut pas être trop affirmatif là-dessus, mais c’est l’occasion de faire une visite touristique dans une région d’Europe particulièrement agréable. Pour ceux qui l’ignoreraient, la Dalmatie est cette partie de l’actuelle Croatie située le long de la mer Adriatique, en face de la côte orientale de l’Italie. C’est une étroite bande de terre, montagneuse, coincée le long de la mer, entre le port de Rijeka, au nord, et celui de Dubrovnik, au sud. La ville principale de cette région est Split, un port actif comme tous ceux qui bordent l’Adriatique, animé par les va-et-vient des bateaux desservant les innombrables îles parsemées le long de la côte. L’empereur romain Dioclétien était originaire de cette cité. Cela montre que l’influence de l’Italie a toujours été importante de l’autre côté de la mer et les échanges d’un bord à l’autre ont permis, entre autres, à I. pallida var. dalmatica de s’implanter dans la péninsule.

Le climat méditerranéen de la côte dalmate est chaud et sec l’été, mais peut être froid l’hiver lorsque souffle Borée, le vent du nord. Il convient à merveille aux iris et c’est sûrement pourquoi s’y est développé cette variété spécifique de fleurs d’un beau bleu tendre qui, en masse, fait un effet charmant. Ces iris ont deux caractéristiques très originales. D’abord leur multiplication ne s’obtient pas de façon sexuelle, mais uniquement de façon végétative, ce qui garantit la pérennité des caractères (et démontre par conséquent que la multiplication végétative n’entraîne aucune dégénérescence de la plante). Ensuite les rhizomes contiennent une quantité importante d’irone, substance extraite pour obtenir le parfum dit « essence de violette ». C’est cette irone, très recherchée en parfumerie, qui a fait le succès de I. pallida var. dalmatica. L’Italie voisine, productrice d’irone à partir de I. florentina a compris l’intérêt de l’iris de Dalmatie et s’est mise à le cultiver à grande échelle, en particulier, ironie de destin, dans la région de Florence en Toscane. Jusqu’à nos jours, cette culture a été en régression, surtout à cause du long, pénible et coûteux traitement des rhizomes pour les préparer à l’extraction de l’irone. Cependant la qualité très inférieure du parfum chimique pouvant être substitué à celui de l’iris de Dalmatie, fait qu’un regain d’intérêt pour le parfum naturel se manifeste ces temps derniers.

Que devient, dans l’affaire, le fameux Iris germanica dont on parle à tort et à travers ? Il peut se contenter d’être à la base de nos iris horticoles, ce qui lui fait déjà un généreux titre de noblesse. Mais il peut aussi s’enorgueillir d’avoir donné naissance à une autre célébrité, l’iris de Florence. Celui-ci n’est qu’un sous-hybride un peu chétif, aux fleurs blanc bleuté, un peu molles, mais lui aussi recherché pour tout autre chose que ses fleurs : l’irone extrait de ses rhizomes. Longtemps l’iris de Florence a été une des richesses de la région du Chianti et même de toute l’Italie du Nord, jusqu’à la région de Vérone, au pied des Alpes. La ville de Florence en a tiré gloire et fortune et s’en est servie pour illustrer ses armes. C’est l’iris florentina, blanc sur rouge (d’argent sur champ de gueules en langage héraldique) qui a figuré sur ces armes jusqu’au jour où les Guelfes, ayant triomphé des Gibelins jusque là maîtres de Florence, ont décrété que, pour marquer le changement, les couleurs des armes de la ville seraient inversées. Depuis le milieu du XIIIeme siècle les armes de Florence représentent donc un iris rouge sur fond blanc, ce qui est pour le moins paradoxal quand on sait que le rouge est la seule couleur que les iris ne peuvent pas synthétiser. Cet incident n’a pas interrompu la culture de I. florentina, mais la découverte de ce que l’iris de Dalmatie était deux fois plus riche en irone a précipité sa disparition, du moins en tant que plante industrielle.

Pour ce qu’on en sait, il n’y a aucun espoir de voir I. florentina se répandre de nouveau, il restera désormais uniquement une plante de collection, très rare dans la nature, mais présente dans les jardins botaniques. En revanche son rival I. pallida var. dalmatica semble reprendre sérieusement du poil de la bête : il est abondamment cultivé en Chine et les Européens, notamment les Français, s’apprêtent à en reprendre la culture, en particulier dans la région de Manosque(1). L’engouement pour le naturel (et le « bio ») lui donne une nouvelle jeunesse.

(1) information fournie par Michel Krautz, parfumeur.

1 commentaire:

Lisa a dit…

Bonjour Sylvain,
Où pourrais-je me procurer l'iris Pallida var. Dalmatica ?