3.9.11

UNE HISTOIRE DE SEXES




Une fleur d’iris, ce n’est pas un appareil sexuel, mais deux ! Comme de nombreuses plantes, l’iris réunit dans un seul ensemble les sexes mâle et femelle nécessaire à sa reproduction. Mais il ne mélange pas les genres et ne s’auto-féconde pas (ou pas spontanément). Si les deux appareils logent dans le même appartement, ils ne copulent pas entre eux ! Pour filer la métaphore on peut dire que chacun occupe un étage de la même maison.

La plante a commencé par hisser la demeure commune au sommet d’une sorte de gratte-ciel ou de mât qui s’appelle la hampe florale. Pour que la maison ait la place de s’étaler. Elle a ensuite installé les deux parties dans l’espace aménagé là-haut. Au niveau inférieur elle a situé l’essentiel de la partie femelle, au-dessus elle a placé la partie mâle.

Rendons d’abord visite à la partie femelle. Elle prend place à l’extrémité de la hampe à laquelle elle est rattachée par un court élément qui se nomme le pédicelle. Ce pédicelle est surmonté par l’ovaire, un corps en forme de quenouille fait pour abriter les graines en développement qui prendra à ce moment le nom de capsule. C’est dans cet ovaire que se trouvent les cellules reproductrices ou gamètes femelles de la fleur. Il est prêt à fonctionner et, en l’occurrence il est subdivisé en trois éléments correspondant chacun à une des trois parties mâles de la fleur, mais qui communiquent entre eux. C’est le creuset où tout va se jouer : c’est fonctionnel, solide, mais discret, presque secret. Le spectacle, c’est pour ce qui se situe au-dessus.

Dans le prolongement vertical de l’appareil se trouve un court élément de liaison qu’on appelle le périanthe qui va en s’évasant et qui se termine par une sorte de nœud qui est la zone d’attache des pétales et des sépales et le point d’ancrage de la partie attractive de la fleur. A partir de là l’apparence des choses change totalement : on quitte les éléments discrets, d’une couleur verte anonyme, pour les éléments vivement colorés destinés à attirer les vecteurs animés de la fécondation que sont les insectes à la recherche de nectar. Cette zone d’attache a une importance considérable. Au-dessus rien ne sera plus comme en dessous. Les six pièces florales vont jaillir de là, de même que les trois supports des parties accessibles aux insectes. Trois pétales, amplement développés, richement colorés sur leur face extérieure qui vont s’étaler comme des ailes et constituer l’étendard de la fleur, bien visible et bien attrayant. Trois sépales fabuleusement colorés sur leur face interne, celle qui va se voir et qui est montrée de façon assez ostentatoire, qui vont servir de piste d’atterrissage pour les insectes choisis par la nature pour assurer la pollinisation et sur lesquels se développe un leurre, une barbe à longs poils qui fait croire aux visiteurs qu’ils vont trouver là le nectar qu’ils viennent chercher mais qui n’est qu’un guide vers le cœur sucré où on veut les entraîner. Trois ensembles génialement constitués où va se jouer l’acte sexuel. D’abord l’étamine, avec un filament portant l’anthère, partie mâle proprement dite, où se sont développés les petits sacs polliniques qui contiennent les gamètes mâles. Puis une languette un peu rigide, terminée par une étroite lame cornée, gluante, où vont venir se coller les grains de pollen et qui s’appelle le stigmate. Enfin une élégante crête, colorée, qui sert à la fois de bouclier protecteur pour le stigmate et de complément décoratif de la fleur.

Quand la fleur s’ouvre, tout l’appareil est en place. La seule part d’inconnu est de savoir quand et par qui va s’opérer l’acte sexuel proprement dit. La fleur attend. Cette attente est quelque fois vaine : aucun bourdon ne vient ou tout au moins aucun bourdon porteur de pollen. Mais très souvent l’attente est couronnée de succès : chacun va jouer son rôle, de façon involontaire et mécanique, mais en application d’une sorte de contrat. La fleur, qui dans la définition primaire du statut de chaque être vivant a choisi l’immobilité, avec les avantages et les inconvénients de cette situation, va tout faire pour tirer profit des éléments mobiles de la nature que sont les insectes. Elle va manigancer un stratagème pour les attirer, et pour leur faire accomplir les mouvements qu’elle ne peut pas exécuter elle-même. Mais elle va les récompenser en leur offrant un bonbon : le nectar. Les insectes, en l’occurrence les gros bombyles bleus, vont voler de fleur en fleur à la recherche de ce nectar qui est leur carburant. Les brillantes couleurs des iris, de même que la délicieuse odeur que certains d’entre eux exhalent, vont les attirer. Ils vont utiliser la piste d’atterrissage que constitue le sépale. La barbe va leur montrer le chemin qu’ils doivent emprunter pour parvenir à la source de nectar. Ils vont se glisser dans l’entonnoir et, parvenir là où ils veulent aller, puis, repus, ils vont faire marche arrière pour repartir vers une autre fleur. Leur dos velu ressemble à certaine brosse à vêtement : quand on la passe dans un sens elle se charge des poussières, quand on la manipule dans l’autre sens, tout se dépose. Les bombyles vont le frotter sur les étamines que leur passage à fait s’incliner, et récolter le pollen. Les voilà, embarrassés de cette charge génétique, qui volent vers une autre fleur. Ils se posent et recommencent leur manège. Mais cette fois leur dos va effleurer la lèvre collante du stigmate et les grains de pollen vont y être déposés. Le tour est joué ! L’acte sexuel s’est déroulé en deux temps, mais il est parfait et correspond tout à fait à ce que la plante souhaitait : les gènes mâles d’une fleur ont été portés vers les gènes féminins d’une autre.

Aussitôt va commencer le deuxième acte de la reproduction, celui de la fabrication des graines. Mais, comme disait Rudyard Kipling, ceci est une autre histoire.

Aucun commentaire: