12.5.12

LE FOND ET LA FORME


L’évolution des iris au fil du temps est une question qui revient souvent dans les conversations entre amateurs. Elle a resurgi il y a quelques semaines sur le forum de la SFIB, un lieu vivant où les échanges sont généralement intéressants. La question se résume un peu à ceci : peut-on donner un âge à une variété au seul vu de son apparence ?

Ma réponse sera forcément nuancée. La forme des fleurs est un élément qui a subi des transformations importantes au fil des hybridations. La fleur initiale, celle des iris botaniques, avant de rechercher l’élégance, se souciait d’efficacité. Les pétales étaient en forme de dôme, pour protéger les parties sexuelles fragiles et précieuses, des dégâts que le vent et la pluie pouvaient apporter ; les sépales s’ouvraient largement pour faciliter l’accès des insectes aux parties intimes de la fleur, là où s’effectue la fécondation ; les barbes n’étaient destinées qu’à attirer les visiteurs. Le résultat était quelque chose de fonctionnel, mais pas forcément de parfaitement esthétique, même si cet argument n’était pas totalement oublié. Dès le début, le travail des obtenteurs a été d’améliorer l’aspect de chacune des parties de fleur, de manière à ce qu’elle devienne plus jolie, plus solide, plus résistante aux intempéries et qu’elle dure plus longtemps. Les pétales ( en fait ce qui était le plus plaisant dans les fleurs botaniques) ont évolué lentement, parce qu’il n’y avait pas grand chose de plus à leur apporter. Ils sont devenus turbinés, un peu comme un bouton de rose, puis se sont ouverts, jusqu’à ressembler à une tulipe, ils prennent maintenant une forme qui se situe entre les deux : en tulipe à la base, ils se resserrent vers le haut, pour s’évaser de nouveau en arrivant au bord. En même temps, grâce à un épaississement de leur tissu, ils ont eu une meilleure tenue et une durée de vie plus longue. Les sépales ont donné lieu à un travail plus élaboré. Il fallait leur donner de la raideur, éviter qu’ils ne s’effondrent et pendent tristement sur le sommet de la tige. Pour cela le travail a consisté à faire en sorte qu’ils prennent de la largeur le plus près possible de leur point d’attache, et que la richesse de leur substance les maintiennent proches de l’horizontale le plus longtemps qu’on puisse espérer. En même temps, de gracieuses ondulations sont venues compléter l’effort de rigidité. Les barbes, elles, au gré des goûts de l’obtenteur, se sont fait tout petites, presque invisibles ou, au contraire, ont acquis du volume, s’épaississant ou s’allongeant jusqu’à former des excroissances soit discrètes, soit extravagantes.

Ces transformations ne sont pas apparues par paliers, mais au contraire ont été progressives et relativement lentes. Néanmoins on distingue des étapes, qui se situent au moment où des traits caractéristiques d’une époque sont devenus flagrants. Jusqu’aux années 1960, on peut dire que les iris sont restés assez proches du modèle botanique, même si des améliorations sensibles se sont produites, comme les ondulations ou les bords laciniés. Les années 60/70 ont été marquées par l’obtention d’une forme ample, charnue, tout à fait typique, et que les amateurs distinguent d’emblée. A partir des années 80, le côté majestueux de beaucoup de fleurs s’est accentué, en même temps qu’une « contre-révolution » se développait avec une recherche de fleurs plus petites et légères, « dainty » comme on dit en anglais. Depuis le tournant du siècle, ce qui est remarquable c’est le côté de plus en plus ondulé, voire bouillonné, des fleurs, ou le côté pincé, vers le sommet, des pétales. On distingue donc, grosso modo, l’époque des débuts, l’époque classique, l’époque de maturité, et l’époque contemporaine.

Mais ce sont là des découpages trop systématiques. En fait il y a toujours eu des variétés en avance sur leur époque, qui offraient les trais majeurs de l’époque suivante, ou des plantes plus conservatrices, qui évoquaient, à un moment, le bon temps de l’époque précédente. Dans un concours comme FRANCIRIS, par exemple, on ne devrait, à priori trouver que des variétés à la pointe du progrès. En réalité il y a de tout : de vrais iris de leur temps – c’est la majorité - , mais aussi des plantes d’avant-garde, et quelques autres qu’on croit venues d’une autre époque. Ajoutez à cela les premiers jets d’hybrideurs qui se lancent et qui proposent des cultivars dont ils ont incorrectement jugé la valeur, ou l’enregistrement de sortes de prototypes qu’ont met sur le marché pour tester la réaction des consommateurs. C’est ainsi qu’on croit acheter quelque chose de révolutionnaire, et qu’on découvre, un peu tard que la nouveauté n’est pas à la hauteur de l’idée qu’on s’en est fait.

Enfin il y a bien des cas où c’est le fond qui ne vaut pas la forme. Tel nouvel iris, d’apparence aguichante, se révèle être une piètre plante. En effet si la forme a évolué généralement dans le bon sens, le fond aurait tendance à suivre une courbe inverse, avec un affaiblissement général, une moindre résistance aux maladies et des aptitudes végétatives médiocres. La faute à une consanguinité excessive, et à l’éloignement des espèces de base qui, dans la nature, se débrouillaient très bien, mais à qui la multiplication des croisements qu’on leur a infligé a fait perdre la robustesse originelle. Distinguera –t-on un iris contemporain, non plus à l’aspect de sa fleur, mais à la difficulté qu’on rencontre à le faire pousser ? De robuste plante de jardin, facile et gratifiante, l’iris peut devenir une sorte d’orchidée, superbe mais terriblement délicate. On dira peut-être alors, telle variété pousse comme du chiendent : c’est un iris ancien ; telle autre est plutôt résistante : c’est un iris classique ; enfin telle autre traîne sa langueur dans son coin : c’est un iris moderne.

D’un côté la forme, de l’autre le fond…

Iconographie :
· ‘Salonique’ (F. Cayeux, 1923) – exemple de variété ancienne ;
· ‘Karin von Hugo’ (von Martin, 1958) (Happy Birthday X Pink Tower) : les débuts ;
· ‘Piroska’(J. Cayeux, 1976) (Marilyn C X Orange Chariot) : période classique ;
· ‘Comédie Française’ (M. Bersillon, 2008) (French Cancan X Shelby Lynne) : époque contemporaine.

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