25.5.12

PLAIDOYER POUR LES VARIÉTÉS QUI ONT ÉCHAPPÉ À LA PENSÉE UNIQUE

Dans le domaine des iris, la pensée unique, c’est celle qui amène chacun des hybrideurs qui s’y soumettent à présenter leur version d’un modèle créé par un autre et qui a rencontré la faveur du public. Ces modèles à succès, il y en a eu plusieurs ces dernières années, et aujourd’hui ils ont tellement été imités que les amateurs finissent par en avoir une surdose. Pour l’exemple il est possible d’en citer au moins quatre :
· Les amoenas inversés bleu ;
· Les distallatas ;
· Les fleurs bouillonnées ;
· Les iris à pétales bordés.

L’initiateur des amoenas inversés bleus est sans aucun doute Keith Keppel. Il a peaufiné le modèle jusqu’à atteindre la perfection avec des variétés comme ‘Crowned Heads’ (1997 – DM 2004) ou ‘Wintry Sky’ (2002). Les amateurs ont tout de suite adhéré. Ce succès a déclenché deux sortes de réactions : celle de ceux qui ne veulent pas être en reste et qui ont voulu montrer qu’ils étaient capables d’obtenir à leur tour ce modèle de fleur et l’ajouter à leur catalogue ; ceux qui, artisans de l’hybridation, ont pris plaisir à créer leur propre amoena inversé pour prendre la mesure de leurs capacités et tenter de faire comme les grands. Toujours est-il qu’aujourd’hui il y a tant d’amoenas inversés bleus qu’on commence à leur tourner le dos.

C’est encore Keith Keppel, cette fois allié à son compère Joe Ghio, qui a inventé à la fois le modèle distallata et le mot qui les désigne. ‘Prototype’ (Ghio, 2000) et ‘Quandary’ (Keppel, 2001) ont ouvert le chemin, tous les autres ténors ont suivi. De la même manière que pour les amoenas inversés, beaucoup d’obtenteurs amateurs se sont essayés et sont parvenus à obtenir leur propre distallata, parce que, comme ce fut le cas lors de l’éclosion des iris roses, il arrive un temps où les circonstances sont réunies pour l’apparition d’un nouveau modèle, et où il se montre, au même moment chez plusieurs obtenteurs. Mais là comme dans le cas précédent, la satiété guette les amateurs…

Succès planétaire pour ces obtentions dont pétales et sépales se présentent avec une abondance de frous-frous. Les dames, dit-on, en raffolent, et les messieurs ne tournent pas le nez dessus ! Ce sont les amis inséparables, Keith Keppel et Barry Blyth qui ont créés ces sortes de fleurs. Les plus emblématiques étant ‘Decadence’ (Blyth, 2004) et ‘Sea Power’ (Keppel, 1999 – DM 2006). La plupart des producteurs ont maintenant mis ces fleurs-là à leur catalogue. Certes, au début, tout le monde a été séduit, mais trop c’est trop et à l’heure actuelle on aimerait voir autre chose. La coupe est pleine, au point qu’on en vient à chanter la louange des fleurs toutes simples, « tailored » comme on dit en Amérique, et qu’effectivement les fleurs bouillonnées semblent être moins nombreuses dans les catalogues.

Va-t-on atteindre la même lassitude avec les iris à pétales bordés ? Il est difficile de dire à qui l’on doit attribuer l’engouement pour ce modèle, car il ne date pas d’aujourd’hui. Disons qu’une tendance vers lui s’est dessinée depuis la fin des années 80 et l’apparition de ‘Spring Satin’ (1988) chez Paul Black. Ce même Black a récidivé plusieurs fois et le mouvement a été repris, ou accompagné, par Richard Ernst, Joe Ghio, et l’Italien Augusto Bianco. Cependant celui qui a atteint une forme de perfection en ce domaine, c’est le Slovaque Anton Mego, avec ‘Slovak Prince’ (2002), pour commencer. Il y a encore de la place pour ceux qui veulent se tester sur ce modèle, mais au train où vont les choses, la saturation n’est pas loin !

Faut-il vraiment suivre automatiquement la mode ? Est-il encore permis de faire original et, pour ceux qui en font commerce, de vendre des plantes qui sortent des sentiers battus ? A voir !

La situation des variétés à petites fleurs, qui sont l’œuvre de Paul Black, procède d’une autre approche, mais qui c’est révélée judicieuse. Une fine analyse du marché a révélé la place pour un nouveau type d’iris, peu encombrant, mais très florifère et gracieux. L’accueil rencontré est à la mesure de l’attente et de la réussite. D’autres vont s’engouffrer dans le créneau. ‘Dolce’ (2002) aura beaucoup de petits cousins.

Mais dans un passé pas encore si lointain, des exemples d’échec commercial pour des variétés originales ne manquent pas. D’une façon générale on peut dire un mot de la difficulté qu’ont eu leurs inventeurs pour faire s’imposer les iris à éperons (rostrata) et ceux aux couleurs brouillées (maculosa). Mais aussi, il y a quelques semaines, il a été question ici de ‘Hash Marks’ (Schreiner, 1975), on pourrait aussi parler de ‘Marginal’ (P. Anfosso, 1987) qui n’ont pas eu de réussite. A l’inverse, certaines variétés a priori peu commerciales ont eu un réel succès, et pour faire court, ne parlons que de ‘Thornbird’ (Byers, 1989 – DM 1997) qui, malgré ce que certains qualifient de laideur, a raflé les plus nobles récompenses et, comble de la consécration, s’est hissé jusqu’à la quatrième place dans le vote de popularité américain, et se tient dans les dix premiers de ce classement depuis l’année 2000.

Le monde des iris se compose en fait de deux groupes qui se côtoient mais ne se rencontrent guère : les amateurs qui, bien que nombreux, ne constituent pas une cible commerciale intéressante, mais qui contribuent largement à faire progresser l’hybridation, et les acheteurs, qui sont la raison d’exister des producteurs, et que ceux-ci caressent dans le sens du poil en leur proposant des variétés de tout repos (c’est la politique actuelle de la Maison Schreiner), ou, pour faire moderne, créent une mode, un peu comme il en existe une en matière de vêtements. A force de vouloir être dans le vent, beaucoup d’hybrideurs consacrent, à mon avis, une part trop importante de leur énergie et de leurs moyens à reproduire ce que d’autres ont déjà fait, négligeant par là-même leur capacité de créer.

Iconographie :
· ‘Quandary’ (Keppel 2001) (Cinnamon Sun X semis Ghio)
· ‘Spring Satin’ (Black, 1988) ((Old Flame x Instant Charm) X (Tequila Sunrise sib x Entourage)
· ‘Slovak Prince’ (Mego, 2002) (Edith Wolford X Queen in Calico)
· ‘Marginal’ (Anfosso, 1987) (Louise Watts X Sanseverina)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle vision caricaturale des hybrideurs d’iris ! On se croirait dans le monde des industriels de l’automobile, des fabricants de lessive ou de desserts lactés ! Pensez-vous vraiment que la plupart des hybrideurs organisent en avance de la floraison le planning des croisements à faire en fonction de ce qu’ont fait leurs ‘concurrents’ les années précédentes, ou aux ‘modes’ désignées par les commentateurs-critiques ? Réduire cette passion de création à une affaire de marketing, je trouve cela très loin de la réalité.
L.R

Sylvain Ruaud a dit…

Qu'on le veuille ou non, aux Etats-Unis en particulier, le côté commercial de l'iris est indéniable. le côté "mode" aussi ! Comment expliquer, sinon, l'apparition chez plusieurs obtenteurs, en quelques années, de fleurs du même modèle et souvent presque identiques ?

Ce n'est peut-être pas le cas chez les amateurs qui hybrident selon leur fantaisie, mais leurs obtentions parviennent rarement sur le marché.

Anonyme a dit…

J'aimerais vous demander, Sylvain, qu'est-ce que je suis supposé faire avec tous mes amoenas bleus inversés---"modèle" sur lequel je travaille depuis maintenant 16 ans---puisque le marché en est saturé ? Je les jette sur mon compost ?? Pour faire je ne sais pas quoi, tiens, des autres croisements qui vont aboutir aux pauvres semis d'iris avec des couleurs/motifs/combinaisons qui existent déjà ?? Je n'ai pourtant pas "copié" les autres hybrideurs ; je n'ai fait que suivre ce que m'intéressait (et continue à m'intéresser) dans cet art d'hybridation. On a pas encore crée le noir sur blanc, que je sache, mais LA ROUTE EST TRES LONGUE et si je veux vendre les meilleurs d'entre eux que j'ai eu le bonheur de trouver "en route" pendant que je cherche l'ultime amoena inversé, est-ce un mal ?? En plus, toutes les plantes de ce modèle-là ne tiennent pas forcément sous tous les climats non plus !

MB