15.6.12

LA MERVEILLEUSE CUISINE



Chacun sait que les iris de nos jardins ne sont pas des fleurs ordinaires. 150 ans de mélanges génétiques ont fait des iris actuels des plantes fort éloignées de leurs modèles de base. Il y a certainement autant de différence entre un grand TB de 2012 et un iris comme ceux qui sont représentés sur les toiles des peintres flamands du XVIIeme siècle, qu’entre une rose moderne et l’églantier dont elle est issue. Un iris contemporain peut contenir les gènes d’une trentaine d’espèces différentes ! Bien malin serait celui qui prétendrait faire la part de chaque espèce dans le panel génétique de telle ou telle variété. Mais on peut cependant faire un tri dans ce mélange et expliquer à quoi ont servi les différents apports.

Un américain, Tom Waters, de Cuyamungue, New Mexico, à la fois original, amateur d’iris et scientifique, a déjà mis de l’ordre dans les diverses origines de nos iris. C’est à partir de son travail que la chronique d’aujourd’hui a été rédigée.

Tom Waters a constitué six groupes d’iris qui entrent dans la composition des iris actuels. Pour simplifier j’ai donné à chacun de ces groupes le nom de l’espèce principale, celle qui en constitue le noyau. Les plus importantes des autres espèces – ou sous-espèces – sont indiquées à la suite.

Le groupe « germanica »
· I. germanica
o I. amoena
· I. florentina
· I. imbricata
· I. variegata

C’est ce groupe qui est à la base de tout. Les iris qualifiés de « germanica » se trouvent dans les jardins occidentaux depuis des temps immémoriaux. Ils proviennent d’une appropriation à des fins décoratives d’espèces d’iris présentes dans la nature dans tout le sud-ouest de l’Europe, étudiées depuis le XVeme siècle et dont on trouve la trace dans de nombreuses peintures du XVIIeme, par exemple au Musée Mauritshuis, à La Haye, aux Pays-Bas. Ces iris qui sont déjà « de jardin », on a coutume de les appeler Iris germanica, même si, de nos jours, les botanistes s’accordent à dire qu’I. germanica n’existe pas et qu’on peut tout au plus parler d’I. x germanica, ce qui signifie qu’il s’agit d’un croisement interspécifique naturalisé. Cette fausse espèce aurait des liens proches avec une véritable espèce, diploïde, bien identifiée, I. albertii, originaire d’Asie centrale, mais on situe son développement sur les côtes méditerranéennes. Il n’est pas nécessaire de faire le portrait de cette plante. Disons simplement que c’est un iris de courte stature, plutôt hâtif, dans les tons de violet ou de bleu sombre, avec de très nombreuses variantes dont celle qui offre des pétales plus clairs que les sépales est identifiée comme I. amoena. I. florentina en est la déclinaison en blanc, essentiellement localisée en Italie centrale ; il a longtemps été cultivé pour le parfum extrait de son rhizome. Cependant sa présence dans le cocktail des iris modernes est incertaine car c’est une plante habituellement stérile. I. imbricata peut être considéré comme la version jaune de I. germanica, alors que I. variegata, de petite taille, se présente avec des pétales jaunes et des sépales blanchâtres veinés de brun ou de violacé ; il a servi dans l’amélioration des bicolores jaune/brun ou violet, mais aussi dans celle des jaunes purs et des bruns et mordorés.
C’est avec ce matériel-là que les hybrideurs ont travaillé pendant presque cent ans, et sont parvenus à un choix de coloris considérable, avec des variations infinies de teintes et de nuances.


Le groupe « pallida »
· I. pallida
· I. plicata

A côté de I. germanica, il y a son cousin I. pallida, lui aussi diploïde. Celui-ci est plutôt grand, avec des tiges souples. Il est bleu clair et il sent bon. A l’état sauvage il pousse dans la vaste région s’étendant du sud du Tyrol aux côtes de Dalmatie. Il a été croisé avec le précédent pour en augmenter la stature et pour y ajouter à la fois des teintes claires et du parfum. I. plicata n’est pas vraiment une espèce mais un avatar d’I. pallida chez qui les pigments se sont réfugiés sur les bords des parties florales. C’est ce modèle qui a fait l’objet du premier iris dénommé par Marie-Guillaume de Bure, dans les années 1830, ‘Iris Buriensis’.

Le groupe « macrantha »
· I. macrantha
· I. kashmiriana
· I. cypriana
· I. croatica
· I. mesopotamica
· I. trojana

Ces nombreuses dénominations recouvrent en fait une espèce unique avec des variantes régionales.
Les iris issus des mélanges précédents présentaient l’inconvénient d’avoir des fleurs fragiles et des tiges flexueuses, qui résistaient mal aux intempéries. L’enjeu était de renforcer tout cela. Cela a été fait par l’utilisation d’espèces découvertes au Moyen-Orient, se situant autour de I. macrantha. Ces iris avaient la particularité d’être costauds, mais ils étaient aussi sensibles au gel et désespérément bleus. En les croisant avec les plantes occidentales rustiques et délicatement colorées, on espérait obtenir des iris magnifiques. Mais l’opération ne s’est pas simplement déroulé en deux temps trois mouvements. Pour des raisons incompréhensibles au début du XXeme siècle, le taux de réussite des nouveaux croisements était très faible et les semis obtenus le plus souvent stériles. L’explication de ce mystère n’est intervenue qu’au cours des années 30, lorsqu’on a réalisé les premiers décomptes de chromosomes et qu’on s’est aperçu que les gros iris du Moyen-Orient étaient tétraploïdes. La réussite d’un croisement entre un diploïde et un tétraploïde ne tenait qu’à un incident génétique, forcément exceptionnel. Cependant une fois la conversion réussie, le résultat a été spectaculaire et définitif : les iris avaient pris de la force et les possibilités de développement des couleurs avaient décuplé.


Le groupe « aphylla »
· I. aphylla
· I. perrieri

Les hybrideurs se sont aperçu incidemment qu’un petit iris de montagne qui pousse naturellement en Europe Centrale, I. aphylla, avait le pouvoir d’accroître la saturation des couleurs et d’augmenter la résistance au gel. Tétraploïde, son inclusion dans le panel des iris existants dans les années 1940 a considérablement amélioré le rendu des couleurs. Mais elle a eu une conséquence collatérale plutôt négative : les iris contenant les gènes de I. aphylla perdent leurs feuilles l’hiver, ce qui fait que les variétés modernes ne présentent, entre deux saisons de floraison, que de courts moignons peu esthétiques. I. perrieri est la version alpine de I. aphylla. Récemment, des hybrideurs comme Paul Black ont utilisé I. aphylla dans le but d’obtenir des iris de taille moyenne, avec des fleurs bien proportionnées et en grand nombre. Le succès a été immédiat.

Le groupe « reichenbachii »
· I. reichenbachii
· I. suaveolens

C’est tout à fait accidentellement que I. reichenbachii a été utilisé. Mais Paul Cook, l’hybrideur qui l’a croisé par mégarde avec un de ses semis, a découvert que ce petit iris jaune, au demeurant tétraploïde (dans la plupart des cas), ce qui a facilité son utilisation, disposait de gènes inhibant le développement des pigments dans les pétales de la fleur. D’où l’apparition de véritables iris blanc/bleu, puis blanc/ autre couleur et enfin de variétés franchement bicolores. On appelle I. suaveolens une autre espèce naine, mais toujours diploïde, voisine de reichenbachii et de pumila, dont les fleurs sont dans les tons de crème ou de pourpre. Il entre essentiellement dans les gênes des iris nains diploïdes.

Le groupe « pumila »
· I. pumila
· I. lutescens

Ce dernier groupe est à la base des iris nains et, partant, de tous ceux qui en dérivent. Il tient, dans ces catégories, la place occupée par le groupe « germanica » chez les grands iris. I. pumila est vraiment nain, robuste, fertile et florifère. Dans la nature il comporte quatre sets de 8 chromosomes. Croisé avec des espèces voisines comme I. attica, il se présente sous une forme diploïde. I. lutescens, correspond, en jaune, à I. pumila qui, lui, est le plus souvent de couleur violette.

Tom Waters précise que « les modernes TB et BB, tétraploïdes, dérivent essentiellement de I. germanica, I. pallida et I. variegata. Les SDB, MDB et IB sont surtout issus de I. pumila et des TB et BB tétraploïdes. Parmi les MTB, ceux qui sont diploïdes proviennent d’espèces diploïdes et en particulier de I. variegata, tandis que ceux qui sont tétraploïdes sont dérivés de TB ou de BB ainsi que de I. aphylla. »

La complexité des origines de tous les hybrides modernes, ajoutée au fait qu’on arrive aujourd’hui aux alentours de trente générations de croisements fait que nos iris aient atteint le degré avancé de perfection que nous leurs connaissons. Mais on a constaté un certain affaiblissement général de la plante. Pour remédier à cette situation, plusieurs hybrideurs s’efforcent de réintroduire dans leurs croisements des espèces pures, sensées apporter la robustesse des plantes sauvages. Serait-ce l’amorce d’un retour aux origines ?

Source :
T. Waters : « An Evolutionary Family Tree of the Bearded Irises » in http://www.telp.com/irises/tree.htm .

Illustrations :
· I. imbricata (Lindl. 1845)
· I. pallida (Lam. 1789)
· I. suaveolens (Boiss. et Reut. 1853)
· I. variegata (L. 1753)

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